La transparence dans la constitution et l'usage des dossiers sociaux comme mode de résistance à la bureaucratisation du travail social et méthode de développement durable du social au service des plus faibles. Enjeux pour les travailleurs sociaux et les cadres.
Année : 2010
Thème : Le concept de transparence en travail social, à la fois volonté affirmée de responsables, revendication démocratique de travailleurs sociaux et d’usagers, volonté éthique et méthodologie du travail social, n’est encore que trop peu fondamentalement présent dans les pratiques. Une recherche-action dans le domaine de l’aide à la jeunesse le met au travail. Sa praticabilité questionne aussi le management des services, entre pratiques gestionnaires et émancipatrices.
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
CHAMBEAU Marc (Belgique) – marc.chambeau@helha.be
FRANSEN Josiane (Belgique) – josiane.fransen@helha.be
Résumé :
Droits des usagers, accès aux dossiers, motivation des actes administratifs, les cadres législatifs évoluent et reflètent le souci des autorités publiques de s’inscrire à leur manière dans ce qu’elles appelleront gouvernance contemporaine et transparente. Ces nouvelles mesures semblent rejoindre les revendications de travailleurs sociaux, parfois engagés au côté des usagers, de faire « une place » à ceux-ci.
Les associations proches des familles dénoncent les relations de pouvoir dans lesquelles les familles sont prises avec les travailleurs sociaux et les institutions sociales. Elles ne sont pas dupes des discours et rejettent les partenariats « contraints » qu’on leur impose. La transparence dans la communication des écrits ne créera pas cette égalité partenariale. A certaines conditions, pourrait-elle rapprocher les positions, permettre aux familles d’entendre les positions institutionnelles et de prendre le temps de se forger leur propre argumentation dans des lieux où une écoute et une prise en compte de leur parole seraient possibles ?
La culture de la transparence s’inscrit donc tant dans une logique démocratique que dans une éthique professionnelle. La rhétorique pourrait nous satisfaire et parfois nous ne nous en privons pas dans la formation des travailleurs sociaux. Mais comment les travailleurs de terrain comprennent-ils cette injonction démocratique ? Que se passe-t-il quand ils tentent l’exercice ? Comment les décideurs et responsables institutionnels peuvent-ils soutenir ce mode d’intervention dans leur exigence de rationalisation du social ?
Une recherche-action.
Nous avons travaillé cette dynamique par le biais d’une recherche-action à la demande de deux types de service de la Communauté française dans le secteur de l’aide à la jeunesse, l’un caractérisé par sa dimension d’aide (le SAJ), l’autre par sa dimension de contrainte (le SPJ). Pour les deux services, une base légale stipule que « les intéressés peuvent prendre connaissance des pièces qui les concernent ». La transparence dans l’élaboration et la communication des écrits professionnels aux familles a ainsi été au cœur de l’expérience.
Les travailleurs sociaux sont convaincus de pratiquer la transparence. Et effectivement, les choses se disent, mais oralement, dans un contexte de communication où ce qui est dit n’est pas réellement audible, ni assimilable pour les familles. Comprendre l’impact de ce contexte communicationnel, déplacer son regard et innover s’avère difficile pour un certain nombre d’intervenants. De plus, l’exercice fait apparaître des questions importantes en lien, entre autre, avec des situations qui mettraient encore davantage un enfant en danger.
Des résultats.
La remise en question a amené les travailleurs du SPJ à s’investir dans la démarche et à finaliser une méthodologie qu’ils décident d’utiliser. « Plutôt qu’une valeur, plutôt qu’un objectif à atteindre, la transparence est devenue un outil utile à notre travail, dont il ne serait pas possible de se passer », diront-ils.
Au SAJ, il y a une différence fondamentale, c’est l’absence de cadre précis imposé par l’aide contrainte. Ce cadre, dans lequel se situe le SPJ, est dessiné par le tribunal parce qu’il y a état de danger ET non collaboration de la famille. Cette absence du cadre complexifie la tâche des travailleurs. Cette dimension plus complexe mais aussi la conviction que l’oral est suffisant et adéquat sont les raisons essentielles qui expliquent qu’une méthodologie n’a pas pu être mise en place à la fin du travail au SAJ.
Travailler cette thématique amène cependant des évolutions dans la façon d’écrire parce que le travailleur social est dorénavant conscient que la lecture par les familles est possible, voire souhaitable.
Du côté des familles, il y a notamment un constat (à vérifier sur le long terme) que les familles s’inscriraient davantage dans des procédures contradictoires auxquelles elles avaient théoriquement accès auparavant, sans y avoir recours.
Étendre la dynamique.
Un objectif de cette recherche-action est aussi d’inviter les autres services à développer de nouvelles pratiques. Les résultats ont été communiqués aux responsables des autres SAJ et SPJ qui n’ont pas manqué de faire part de leur intérêt comme de leurs réticences. De cela, il faudra dégager ce qui est opposition idéologique, ce qui est questionnement méthodologique.
Cette frilosité ne reflète-elle pas aussi des questions liées à la rationalisation des métiers du social ? Les cadres doivent à la fois amener les équipes à se positionner dans un cadre éthique et démocratique qui vise l’émancipation et en même temps assurer le management, tant dans la gestion du temps que dans une qualité objectivable du travail. Les pratiques émancipatrices peuvent-elles être favorablement envisagées dans ce contexte ?
Mots clés :
Recherche-action, Management social, Culture professionnelle, transparence des écrits
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