MACKINNON Alejandro (Suisse) – alejandro.mackinnon@hesge.ch

Dans une société irrémédiablement mondialisée où les interactions entre les individus se jouent souvent à l'échelle planétaire, la devise "penser globalement, agir localement" place la pensée à un niveau universel et abstrait, et suggère que le territoire local n'est qu'un espace de mise en œuvre de stratégies pensées ailleurs. Cependant, la succession de crises à l'échelle mondiale, la suprématie des villes comme lieu de décision, la redéfinition des frontières, les nouvelles formes d'exclusion et de marginalisation nous poussent à réexaminer les liens d'interdépendance entre le global et le local et, plus particulièrement, à redéfinir le rôle du local dans l'émergence des changements. C'est souvent le territoire local qui s'adapte en faisant émerger des initiatives populaires ou des réponses communautaires pour répondre aux problèmes d'ordre global.

Ce constat a amené deux associations environnementalistes colombiennes, Enda Colombie et Penca de sabila, à mener des processus de recherche-action-participation dans des quartiers populaires de Bogota et de Medellin. Depuis une dizaine d'années, ces deux associations œuvrent dans le but de faire émerger des dynamiques populaires et de consolider des processus participatifs de développement local durable. Elles analysent le territoire en termes de processus et tiennent compte de sa complexité, ceci dans une approche systémique.

Leur approche considère le territoire local comme un espace de création social et d'innovation qui permet de comprendre, de penser et d'entreprendre les mutations nécessaires face aux impasses de nos modèles actuels de vie et de développement. Le territoire ne se réduit pas à sa délimitation géographique par des frontières administratives et politiques: c’est l’espace physique habité par des groupes sociaux qui interagissent et qui ont des relations de pouvoir entre eux et/ou entre eux et leur environnement. Le territoire local devient ainsi un ensemble d’éléments en interaction, qui évoluent dans le temps et qui s’organisent en fonction de leurs finalités et de leur environnement. Il devient ainsi un espace où la société peut se penser comme un tout et non comme une juxtaposition d'individus, d'activités et des domaines séparés les uns des autres.

Ces approches novatrices s'appuient sur des méthodes conçues et développées localement, telles que la cartographie sociale et les observatoires sociaux participatifs. Ces outils permettent aux habitants de devenir acteurs de leur territoire, de comprendre sa complexité et d'identifier les conflits d’intérêts qui peuvent exister entre société et environnement, entre les divers secteurs sociaux ou encore entre les citoyens, le secteur privé et les autorités.

La cartographie sociale fait émerger un nouveau savoir collectif qui articule les savoirs populaires, techniques, administratifs et académiques. Elle intègre des logiques diverses parfois opposées et devient un espace de dialogue, de partage du savoir et de réflexions communes pouvant contribuer à trouver des alternatives aux modèles de développement et aux systèmes de gouvernance existants.

La cartographie sociale et les observatoires sociaux sont particulièrement attentifs aux dynamiques émergentes et aux processus de changement et/ou de prise de décision. Dans ce sens, ils deviennent des outils privilégiés en termes de gouvernance locale étant donné qu'ils peuvent proposer des pistes innovatrices dans ce domaine.

Les deux expériences montrent que ces outils méthodologiques sont facilement appropriables par les acteurs et permettent à la participation communautaire d'atteindre son expression maximale. Les citoyens ne sont plus des spectateurs passifs des problèmes et besoins qu’ils partagent, mais au contraire réagissent face à ces situations tangibles de manière collective, la communauté entière assumant ainsi un rôle protagoniste dans la défense de ses intérêts. Le grand défi reste maintenant d'institutionnaliser une articulation formelle de ces espaces de proposition aux systèmes locaux de prise de décision.

Collectivité territoriale, Durabilité sociale, Intelligence collective