Que peuvent les passants ?

Année : 2011

Thème : Les ressorts moraux des signalements de sans-abri au 115 de Paris

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

BIDET Alexandra (France) – alexandra.bidet@ens.fr
LE MÉNER Erwan (France) – e.lemener@samusocial-75.fr

Résumé :

Le « 115 » de Paris est une plateforme téléphonique régulant les interventions auprès de sans-domicile. Ce dispositif départemental de « veille sociale » – notion inscrite dans la loi de 1998 contre les exclusions – vise à faciliter leur accueil dans le monde de l’assistance. Il reçoit des demandes d’hébergement, de soins ou d’orientation émanant d’acteurs variés : associations dédiées aux sans-abri, institutions sanitaires ordinaires (pompiers, hôpitaux, police), mais aussi sans-domicile et « particuliers ». Le 115 permet ainsi à n’importe qui de "signaler" une personne dans l’espace public, présentée comme sans-abri et nécessitant de l’aide.

Si un « signalement » auprès du 115 entraîne le plus souvent la dépêche sur les lieux d’une équipe mobile d’aide du Samusocial de Paris, ce dispositif original de prise en charge peut alors venir relayer aussi bien une volonté d’aider que de déplacer un sans-abri. Dans cette contribution, nous analysons les ressorts moraux de ces signalements. L’écart entre le nombre de signalements et de SDF visibles interroge en effet : pourquoi aussi peu de personnes sont-elles signalées ? En 2007, 60 signalements ont été traités, en moyenne par jour . Le chiffre étonne si l’on suit l’équation caractéristique des politiques contemporaines de lutte contre l’exclusion, selon laquelle : exclusion = sans-abri = urgence sociale . Pour en rendre compte, trois interprétations se dessinent d’emblée. D’un côté, on considérerait que le 115 n’est pas tant le vecteur d’une urgence sociale, perceptible par tout un chacun, que de désirs répressifs, qui peineraient à s’exprimer ailleurs et trouveraient dans le 115 un levier d’expression. Signaler reviendrait à dénoncer, en vue de (faire) réprimer . D’un autre côté, à l’inverse, appeler le 115 dénoterait simplement la plus forte « moralisation » des particuliers appelant. Enfin, nombre de permanenciers du 115 soutiennent une hypothèse intermédiaire, selon laquelle le fait de signaler viserait essentiellement à se donner bonne conscience.

L’enquête menée par entretiens, durant l’hiver 2006-2007, auprès d’une soixantaine de particuliers ayant passé un signalement auprès du 115 a moins visé à départager ces trois registres d’hypothèses, qu’à étudier les perceptions morales associées aux situations dans lesquelles des particuliers en viennent à téléphoner au 115 de Paris. Les entretiens, réalisés par téléphone, peu après le signalement, les invitaient ainsi à narrer les moments ayant précédé leur appel. De quels contextes de sollicitation morale ou de « moralisation » , les signalements émergent-ils ? Nous nous intéressons ainsi aux formes ordinaires d’interaction avec les sans-abri, du point de vue de celui qui va à sa rencontre, le plus souvent un passant. Le traitement sociologique s’épargne en effet souvent leur description minutieuse. Après un rapide inventaire des travaux sur les interactions publiques avec les sans-abri, nous tenterons d’exhiber les motivations des signalants, en traçant les contours d’une « grammaire des motifs », qui éclaire le genre de publics à même de se constituer dans la rencontre avec un sans-abri .

Mots clés :

Urgence sociale, Usager, Compétence citoyenne

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