La crise de la subjectivité et sa modélisation comme intervention épistémologique
Année : 2011
Thème : La démarche de la femme qui se vit comme un objet sexuel pour devenir sujet de sa sexualité
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
MOTOI Ina (Canada) – ina.motoi@uqat.ca
Résumé :
Dans notre société québécoise hypersexualisée, nous assistons à l’objectification sexuelle des femmes et des hommes par et dans les médias, à la sexualisation précoce des enfants, à la banalisation de la pornographie et de la prostitution, ainsi qu’à la violence sexuelle sous toutes ses formes. Leur impact est vécu par des femmes et des filles comme une attente sociale à se comporter et agir en objets sexuels. Pourtant l’objectification sexuelle amène une crise de la subjectivité chez des femmes vivant la violence sexuelle (inceste, abus sexuels, rapports prostitutionnels, prostitution, etc.). La plupart veulent se positionner comme sujet de leur sexualité et remettre en question leur vécu d’objet sexuel. Pour cela, elles mettent en mouvement un processus complexe de réflexion sur la construction de leur connaissance de leur vécu sexuel. Celle-ci s’auto-organise comme théorie qui vise l’appropriation de son pouvoir sexuel et de sa sexualité. Cette démarche se construit dans et par la sexualité.
C’est dans ce sens que nous avons travaillé à mettre sur pied au Québec un programme de formation des intervenantes. Pour bâtir ce programme, nous avons rencontré et travaillé avec des femmes qui nous ont appris comment elles construisaient leurs propres méthodes de connaissance de leur vécu sexuel et comment cette démarche les a fait cheminer dans leur vie sexuelle Ce projet innove en proposant de parler des rapports prostitutionnels et de la prostitution à partir de son propre vécu sexuel.
L’objectif de cette méthode d’intervention est de faire reconnaître le pouvoir théorique de chaque participante, dans un groupe de réflexion entre femmes sur leur sexualité, pour construire du sens dans sa vie sexuelle. Pour cela, chacune posera en soi le pouvoir de dialoguer avec elle-même pour se dire, se redire, interpréter et s’expliquer son propre vécu sexuel, pour commenter et se traduire ce que les autres lui disent. Ce pouvoir dialogique est un pouvoir théorique qui s’auto-vérifie et se construit comme un savoir. Du grec theôria, «contempler, observer, examiner», une théorie, dans le cadre d’intervention proposé, est envisagée comme une modélisation intersubjective par assemblage, dans un corpus, de propositions vérifiables qui peuvent prédire des comportements et le déroulement de situations sexuelles spécifiques. Les femmes construisent ainsi leurs propres théories de ce qu’elles vivent dont elles vérifient assidument la cohérence et la pertinence.
Les participantes détiennent leurs propres réponses et leurs propres solutions. Certaines d’entre elles ne veulent plus RACONTER leurs vécus sexuels mais partager leur réflexion sur leur façon de CONNAÎTRE et de construire cette connaissance. Elles viennent en témoigner. De ce fait, un principe de base dans le groupe de réflexion est l’égalité épistémologique entre les femmes et avec l’animatrice. Chacune interprète sa narration et celle des autres. Un mouvement d’aller-retour s’installe entre leurs réflexions et la réflexion en groupe. Cette double focalisation, sur la connaissance des femmes et sur l’égalité épistémologique, est le propre de ce nous appelons intervention épistémologique.
Plusieurs étapes sont nécessaires pour reconnaître sa propre méthode de connaissance de son vécu sexuel. Dans un premier temps, la femme transforme sa résistance en pouvoir sexuel en ouvrant ou en consolidant un espace dialogique en soi et en choisissant un positionnement conflictuel pour saisir son vécu femme-objet. Dans un deuxième temps, elle apprend sans accepter, à vivre avec les figures d’objet sexuel et de prostituée, et de se construire ainsi comme femme-sujet de sa sexualité pour se l’approprier.
Ce cheminement permet de dépasser son propre doute par rapport à sa capacité de donner et de construire du sens, en toute subjectivité. Cela est un acte fondateur de sa subjectivité, de son genre et de son humanité.
Mots clés :
Épistémologie, Utilité sociale, Savoirs
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