Le travail social hors murs et les enjeux de sa visibilité
Année : 2011
Thème : Autre
Type : Autre
Auteur(s) :
ARTISON Vincent (Suisse) – vincent.artison@gmx.ch
Résumé :
À l’heure où les préoccupations sociales et sanitaires vont grandissant, le travail social hors murs, plus communément appelé travail social de rue sur le plan international, connait une réelle émergence en Suisse romande.
Inscrit aux confins de multiples domaines tels que l’éducation, la santé, la médiation, l’addiction, l’animation, la culture, l’économie, la psychologie, le sport, la sécurité, l’écologie, etc., il a pour buts de construire du lien et une relation de confiance, contribuer à l’émancipation des individus - en particulier ceux en proie à des processus d’exclusion et de précarisation -, dresser des passerelles, permettre l’accès aux diverses structures existantes, faire émerger les questions et problématiques auprès des autorités politiques, améliorer la cohésion sociale, rendre la communauté attentive aux richesses et potentialités de chacun1 de ses membres et produire des formes nouvelles de démocratie directe et participative, notamment avec ceux qui boudent les urnes ou les « sans voix » (sans papier, capacité de vote ou de travail).
Il s'agit en quelque sorte de redonner du pouvoir d'agir à des personnes qui vivent une situation de vulnérabilité sociale, économique, affective et/ou sanitaire et, par la même, contribuer à la reconnaissance de leur histoire comme partie intégrante de la communauté et à l’élargissement d’un principe de citoyenneté.
Les effets bénéfiques qu’il produit en terme de sociabilité, d’émancipation des personnes rencontrées et de promotion de la santé peuvent toutefois être mis à mal face à des émergences de type « tout sécuritaire », « tolérance zéro » ou « syndrome du karcher ».
S’ensuivent alors des mesures qui cherchent à déplacer ou faire disparaître certaines populations – un type de jeunes, des adultes « clochardisés », des requérants d’asile stationnaires, etc. - des espaces publics ou privés d’utilité publique (gares, centres commerciaux). Parallèlement, l’espace privé occupe toujours plus de place dans la Cité. Pour les populations les plus vulnérables, ce phénomène a tendance à renforcer leur niveau de précarité et les ghettoïser.
Les professionnels en travail social de rue se retrouvent alors « coincés » entre le lien social qu’ils produisent avec ce qu’offre la rue et sa communauté reposant sur des principes forts de libre adhésion, d'anonymat, de confidentialité, d’absence de mandat nominatif et des activités – contrôle au faciès et délivrance d’interdictions de périmètre territorial, vidéosurveillance, stigmatisation à outrance, etc. - qui auraient tendance à « nettoyer la rue » et sélectionner le type de public en fonction de critères pour le moins normatifs.
En pratique, il n’est pas rare de rencontrer la situation extraordinaire où le policier et le travailleur social hors murs reçoivent des habitants des demandes sensiblement identiques.
Les déplacements et l’isolement produits par certaines dérives sécuritaires ne risquent-ils pas de renforcer une certaine invisibilité des publics susceptibles d’être en lien avec des professionnels en travail de rue ? Un premier pas vers une instrumentalisation de ladite profession à des fins de maintiens de l’ordre ? Avec qui et où les travailleurs de rue seront-ils alors amenés à construire du lien ? Comment osciller entre proximité et médiation ? Entre « co-errance » et cohérence ? Que faire des concepts souvent utilisés dans le travail social tels que prévention ou intégration ? Prévenir, intégrer, avec qui et pourquoi !? Comment rendre visible cette profession auprès de la population et des différents milieux professionnels ?
Autant de questions à visiter autour de cette réflexion, fruit d’une dizaine d’années de pratique en travail de rue et d’un engagement fort au sein de la plateforme romande des travailleurs sociaux hors murs et du réseau Dynamo International.
1L’usage du masculin dans cet article vise à alléger le texte et ne se veut aucunement discriminatoire à l’égard des femmes.
Mots clés :
Cohésion sociale, Intervention sociale et travail social, Ville, Rue
Précarité
Milieux de vie
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