DERIES Béatrice (France) – beatrice-deries@ecole-rockefeller.com

L’idée d’un développement social urbain par la santé a fait progressivement son entrée dans les politiques de la ville françaises. Si l’enjeu était bien de contenir les risques de santé, dans un ensemble de conjonctures épidémiologiques et sociales - retour des épidémies et approfondissement des processus de précarisation - la montée en charge des problématiques de santé dans l’espace local a ouvert aux protagonistes de ces démarches un nouveau champ de réflexion et d’action professionnelles sur les solidarités sociales. Une fois rapprochée de son environnement (écologique, social, politique), la santé apparaît comme une sphère capable d’articuler les registres hétérogènes de l’existence à l’échelle d’un micro territoire, et comme devant le faire de manière participative, tout du moins dans les parties de la ville les plus en contact avec des populations en marge des systèmes de prévention et de soin du fait de leur écart socio-économique et culturel. Avant même d’intégrer les référentiels « qualité » des organismes de santé publique, la perspective d’un « développement durable en santé » se trouve au fondement d’une démarche éprouvée au fil d’expérimentations locales, dès le tournant des années 1980, par des personnalités militantes.

Les pratiques de coopération qui se déploient dans ce petit segment de l’intervention sociale, aux frontières de domaines traditionnellement différenciés de l’action publique, rompent avec les catégorisations historiques des activités sociales, non seulement entre le médical et le social, mais aussi entre ce qui relève du monde professionnel et ce qui relève du monde des usagers. Sa reconstitution généalogique a montré comment il s’est formé dans la mise en réseau d’individus appartenant à ces différents mondes (Deries, 2008). Après avoir brièvement rappelé ce contexte d’installation d’une santé communautaire au coeur même de l’intervention sociale, cette communication se recentrera sur les modes d’engagement professionnel qui caractérisent sa genèse et sa « gouvernance locale », en puisant dans un corpus de trajectoires issu d’une recherche sociologique. Nous proposons de soumettre à la discussion quelques analyses qui en sont issues.

En premier lieu, les trajectoires socioprofessionnelles, celles des acteurs sur lesquels repose cette action publique « interstitielle », s’offrent comme un matériau privilégié pour analyser les nouveaux enjeux de l’intervention sociale. Nous verrons comment elles enregistrent, dans leurs formes et dans les contenus d’expérience qui s’articulent en leur sein, une désinstitutionalisation des objets et des approches de l’intervention, en lien avec des enjeux de déspécialisation de l’expertise et de transformation de la relation aux usagers. Loin d’être l’apanage de ce que l’on a appelé les nouveaux métiers du social, cette désinstitutionalisation implique également les professions historiques du social et de la santé. Une proposition de typologie montrera comment, précisément, par leurs formes contrastées, et dans leurs interdépendances, ces trajectoires ouvrent les mondes l’un à l’autre, là où les institutions sectorielles avaient instauré des cloisonnements.

Accomplissement du nouvel esprit du capitalisme (Boltanski et Chiapello, 2000) ou manifestation d’une société singulariste (Martucelli, 2010)..., cette mise en exergue des trajectoires singulières interroge quant à la durabilité des pratiques issues de l’invention locale. Par quelles médiations la conjugaison des engagements biographiques parvient-elle à stimuler l’action publique, ainsi qu’il ressort des quelques monographies locales ? Comment cette singularité des trajectoires et de leurs mises en réseau, participe-t-elle à construire les cadres généraux d’un vivre ensemble ? De quels nouveaux critères s’équiper pour repérer la diffusion de leurs oeuvres ? Le deuxième temps de notre communication s’attachera à ouvrir des pistes à partir des enseignements de notre recherche.

Acteurs, Action communautaire, Institution, démarche intersectorielle durabilité sociale expertise sociale