Fiche Documentaire n° 1535

Titre L'incertain et l'incertitude dans la construction des savoirs et des pratiques pédagogiques

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l'auteur principal

Auteur(s) CHELLO Fabrizio  
     
Thème Le paradigme de la pédagogie compréhensive-transactionnelle pour repenser l'intervention socio-éducative  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

L'incertain et l'incertitude dans la construction des savoirs et des pratiques pédagogiques

L’incertain peut être considéré comme le moteur de la formation et au même temps comme sa limite la plus forte. En fait, il est la condition de possibilité de la transformation du sujet et donc de sa progressive formation ; et il est ce qui échappe à toutes les tentatives prévisionnelles à la base de la relation formative.
La pédagogie occidentale a essayé de réduire cette complexe réalité par une double stratégie de réduction. D’un côté, l’incertain a été pensé comme une force inexplicable, qui peut être approchée et contenue par un langage éducatif qui n’est pas loin de l’art ou de la mystique. De l’autre côté, l’incertain a été considéré comme ce qui n’a pas été encore prévu et qui doit être analysé scientifiquement à fin de : écrire la nouvelle configuration qu’il fait émerger (description), en déterminer les causes (explication), projeter des pratiques de réduction du sentiment, exclusivement négatif, de l’incertitude (intervention).
La pédagogie compréhensive-transactionnelle transige avec cette tradition, parce qu’elle pose au centre de sa réflexion l’incertain comme catégorie heuristiquement féconde pour comprendre le processus de construction des représentations sociales. En fait, au niveau de la théorie, elle peut essayer de rappeler le caractère inaliénable de l’incertain et donc la nature complexe et non-totalisante de la connaissance. Au niveau de la pratique, elle peut étudier la dynamique formative à la base du processus de maitrise de l’incertitude opéré par l’acteur social et donc souligner la pluralité des sens que l’incertitude peut avoir.
En particulier, pour ce qui concerne ce dernier niveau, la pédagogie compréhensive-transactionnelle impose de penser, au pluriel, les situations et les sentiments d’incertitude comme produits transactionnels des processus de négociation du sens. C’est-à-dire que la TS ne considère pas l’incertitude comme une réalité déjà construite qui s’impose a posteriori au sujet, mais comme un phénomène en train de se faire, que les acteurs sociaux co-construisent souvent dans une façon implicite, informelle, diffusée et locale.
En ce sens, pour la compréhensive-transactionnelle, l’intervention socio-éducative se caractérise comme un parcours qui emmène tous les participants à prendre en charge leur propre actorialité, par une réflexion critique qui transforme les compromis latents et partialement inconscients dans des élaborations manifestes et plus conscientes. C’est-à-dire que la TS se pose comme une méthode par laquelle les acteurs peuvent repenser et maîtriser l’incertitude pour développer leur propre responsabilité en relation au bien-être commun.
A partir de cette prospective, la communication expose les résultats d’une recherche sur l’analyse critique et réflexive des représentations sociales produites et reproduites par un groupe des maitres et des éducateurs en formation, au fin de réfléchir sur l’influence qu’elles ont dans la conception de la relation éducative et au fin de co-construire une représentation élargie de l’incertain.

Bibliographie

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Dubar, C. (1991). La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : A. Colin.
Foucart, J. (2008). Accompagnement et transaction : une modélisation théorique, Pensée Plurielle, 17, 113-134.
Foucart, J. (1992). L‘éducateur social spécialisé. Déviance et société, 2, 143-156.
Freynet, M.-F., Blanc, M. & Pineau, G. (éd.) (1998). Les transactions aux frontières du social. Lyon : Chronique Sociale.
Gaspar, J.-F. (2008). Crédit et discrédit croisées des « savoir théoriques » et des « savoir de terrain » chez de jeunes travailleurs sociaux, Pensée Plurielle, 17, 67-83.
Mormont, M. (1994). Incertitudes et engagements. In M. Blanc, M. Mormont, J. Remy, J. & T. Storrie (éd.) (1994). Vie quotidienne et démocratie. Pour une sociologie de la transaction sociale (209-234). Paris : L’Harmattan.
Rémy, J. (1996). La transaction, une méthode d’analyse : contribution à l’émergence d’un nouveau paradigme, in Environnement et société, 17, 9-31.
Rémy, J. (2005). Négociations et transaction sociale, Pensée Plurielle, 3, 81-95.
Rémy, J., Voyé, L. & Servais, E. (1978). Produire ou reproduire ? Bruxelles : De Boeck.
Schurmans, M.-N. (1996). Transaction sociale et représentations sociales, Environnement & Société, 17, 57-71.
Schurmans, M.-N. (2001). La construction sociale de la connaissance, in J.-M Baudouin & J. Friedrich (Ed.), Théories de l’action et éducation (157-177). Bruxelles : De Boeck.
Schurmans, M.-N., Charmillot, M. & Dayer, C. (2008). Processus interactionnels et construction de la connaissance. In L. Fillettaz & M.-L. Schubauer-Leoni (Ed.), Processus interactionnels et situations éducatives (299-318). Bruxelles : De Boeck.

Présentation des auteurs

Fabrizio Chello est docteur de recherche en cotutelle en Pédagogie de la formation et construction de la connaissance à l'Université de Naples Suor Orsola Benincasa et en Sciences de l'éducation à l'Université de Genève. Il est chargé d’enseignement dans le domaine de pédagogie générale (épistémologie et méthodologie pédagogique) et sa recherche se focalise sur la pédagogie compréhensive-transactionnelle.

Communication complète

L’incertain – conçu ici, de façon radicale, dans sa dimension ontologique, différenciée du sentiment subjectif et intersubjectif de l’incertitude – peut être considéré comme le moteur de la formation et au même temps comme sa limite la plus forte. En fait, l’imprévisibilité au niveau du parcours et des résultats du processus de formation donne à l’incertain un rôle central et double ou aporétique dans la théorie et la pratique pédagogique. D’un côté, l’incertain peut être considéré comme la condition de possibilité de la progressive transformation du sujet et de la communauté, puisque il est le motif qui pousse l’homme à la construction du sens et, donc, à la formation de sa propre forme identitaire. De l’autre côté, l’incertain peut être considéré comme ce qui échappe à toutes les tentatives prévisionnelles à la base de la relation formative, puisque l’instabilité dans laquelle il jette l’homme ne permet pas au sujet et à la communauté humaine de poursuivre la stabilisation minimale nécessaire à la construction de l’identité individuelle et communautaire.

La pédagogie occidentale a essayé de réduire cette complexe réalité de l’incertain par une double stratégie de réduction : une de type méthodique et une de type extra-méthodique, pour le dire avec Gadamer (1960/1996).
Pour ce qui concerne la première stratégie, le savoir méthodique conçoit l’incertain comme ce qui n’a pas été encore prévu et qui doit être soumis à la démarche rationnelle du logos. Si, en effet, à partir de la métaphasique grecque, on peut concevoir la connaissance comme la tentative ambitieuse d’accéder à la dimension ontologique des phénomènes pour la posséder, alors la nature ontologique de l’incertain peut être contrôlée par la : 1) description de la configuration nouvelle que l’incertain fait émerger ; 2) explication des causes qui l’ont déterminée ; 3) intervention pour la restauration de la situation initiale ou pour la construction d’un équilibre meilleur ; 4) prévision probabiliste des événements similaires dans le futur ; 5) projection des pratiques pour l’évitement de la répétition du phénomène incertain ou pour la réduction des ses effets négatifs. Cette séquence temporelle et rationnelle d’activités peut être constatée aussi dans un certain type de savoir pédagogique, passé et présent, qui pense la formation en termes de réalisation d’un objectif prédéfini par l’actualisation d’un parcours efficace et efficient.
Pour ce qui concerne la deuxième stratégie, le savoir extra-méthodique conçoit l’incertain comme une force inexplicable qui peut être approchée, accostée, ressentie et découverte par un langage qui abandonne la démarche logique du logos. Si on pense à la mystique et aux sources originaires des religions, le sacre en tant qu’objet de vénération et de foi est l’incertain pour antonomase. Il est le mysterium tremendum et fascinans, c’est-à-dire une volition pathétique et irrationnelle qui pose sa tremenda majestas sur la nature et sur l’homme (Otto, 1917/1995). Avec la conséquence que son être mystérieux, imprévisible, indicible, indéfinissable peut entrer en communication avec l’homme seulement si la connaissance est conçue en termes de participation à la révélation de la vérité ontologique, qui s’impose au sujet et qui réduit son incertitude. La où cette vision peut être constatée aussi dans un certain type de savoir pédagogique, passé et présent, qui pense la formation comme le produit de l’art de l’educere, c’est-à-dire de l’art du Maitre de porter dehors une partie de l’inconnaissable – et donc de l’incertaine – intériorité du sujet en formation pour la maitriser au mieux en vue d’atteindre sa propre forme.

En opposition à ces deux tendances dominantes, le tournant critique et réflexif de la pédagogie contemporaine a mis en crise le but de réduction de l’incertain et donc de stabilisation du processus de formation, en donnant place à la ‘nature’ événementielle de ce dernier. A ce propos, on peut faire référence à l’approche compréhensive-transactionnelle en pédagogie, dont le but est le dépassement des oppositions ontologiques (réalisme vs constructivisme), épistémiques (explication vs interprétation), théoriques (primarité de la théorie vs primarité de l’action) et pratiques (conformation/reproduction vs transformation/production). Là où ce dépassement se donne si on pense les savoirs comme produits intersubjectifs débouchant par la constante confrontation linguistique à l’intérieur de la communauté communicative, à lire comme « séquence[s] d’ajustements successifs permettant de parvenir à des compromis, successifs eux aussi, de coexistence » (Blanc, 1994 : 24). C’est-à-dire que connaissance et formation ont à être appris non comme relations binaires entre sujet et objet ou entre sujet et sujet, mais comme relations triangulaires entre sujet, objet et co-sujet (Apel, 1979/2000), selon la prospective transactionnelle de l’action réciproque qui tient ensemble la dimension intrapersonnelle, interpersonnelle et collective de l’agir du sujet. Triangulation qui est à la base de la quotidienne ri-articulation, négociation et production des significations permettant le développement de la réflexivité de l’acteur social, en tant que conscience de sa propre posture actionnelle, et l’ouverture du spectre des représentations par lesquelles il interprète la réalité (Schurmans, 2001).

Dans cette direction, la pédagogie compréhensive-transactionnelle transige avec la tradition, parce qu’elle pose au centre de sa réflexion épistémologique l’incertain comme catégorie heuristiquement féconde pour comprendre le processus de construction des représentations sociales (Rémy, 1996). En fait, au niveau de la théorie, elle peut essayer de rappeler le caractère inaliénable de l’incertain et donc la nature complexe et non-totalisante de la connaissance. Au niveau de la pratique, elle peut étudier la dynamique formative à la base du processus de maitrise de l’incertitude opéré par l’acteur social et donc souligner la pluralité des sens que l’incertitude peut avoir.
En particulier, pour ce qui concerne ce dernier niveau, la pédagogie compréhensive-transactionnelle impose de penser, au pluriel, les situations et les sentiments d’incertitude comme produits transactionnels des processus de négociation du sens. C’est-à-dire que la TS ne considère pas l’incertitude comme une réalité déjà construite qui s’impose a posteriori au sujet, mais comme un phénomène en train de se faire, que les acteurs sociaux co-construisent souvent dans une façon implicite ou silencieuse, informelle, diffusée et locale (Rémy, 1994 ; Schurmans, 1994).
En ce sens, pour la pédagogie compréhensive-transactionnelle, l’intervention socio-éducative se caractérise comme un parcours qui emmène tous les participants à prendre en charge leur propre actorialité, par une réflexion critique qui transforme les compromis latents et partialement inconscients dans des élaborations manifestes et plus conscientes. C’est-à-dire que la Transaction Sociale se pose comme une méthode par laquelle les acteurs peuvent repenser et maîtriser l’incertitude pour développer leur propre responsabilité en relation au bien-être commun.

A partir de cette prospective paradigmatique et méthodologique (Schurmans, 2009), la communication expose la démarche et les premières résultats d’une recherche pédagogique (encore en course) de type qualitatif et collaboratif sur l’analyse critique et réflexive des représentations sociales produites et reproduites par un groupe des maitres et des éducateurs en formation (d’ici appelés co-chercheurs). Cette recherche a les finalités de réfléchir sur l’influence que les représentations (dominantes et minoritaire) ont dans la conception de la relation éducative et de co-construire une représentation élargie de l’incertain.
En particulier, pour ce qui concerne la démarche, la recherche se structure dans deux phases.
La première phase ou phase exploratoire permet de :
- déployer les hypothèses initiales de la recherche sur le caractère aporétique de l’incertain en formation et sur la dominance d’une représentation négative de l’incertitude, à travers une recognition historique-théorique des significations de ces concepts et à travers une première investigation empirique de type informelle ;
- transformer les hypothèses initiales dans une hypothèse ancrée sur la possible existence de conceptions minoritaires de l’incertain et de l’incertitude, à travers l’analyse sémantique des narrations des expériences d’incertitude vécues par les co-chercheurs et à travers l’exploration théorique et empirique de conceptions alternatives à celles émergées dans la confrontation groupale ;
- construire les outils méthodologique afin d’examiner la validation de l’hypothèse ancrée, à travers la définition coopérative d’une schéma-guide pour l’écriture de la narration des expériences d’incertitude vécues par les co-chercheurs.
La deuxième phase ou phase de validation permet de :
- organiser méthodologiquement la mise à l’épreuve de l’hypothèses ancrée, à travers l’écriture et le recueil des narrations ;
- analyser les narrations, à travers des méthodes qualitatives et quantitatives ;
- mettre en lumière des catégories ouvertes et dynamiques pour lire les narrations en termes de processus de transaction qui se déroulent à partir de conditions structurelles, structurales, situationnelles et actionnels caractérisant les vécues individuelles et collectives.

En fin, pour ce qui concerne les premières résultats empiriques, ils montrent la dominance d’une représentation négative de l’incertain et de l’incertitude dans le processus de formation personnelle et, en particulier, dans l’activité professionnelle de construction du parcours et des outils de soutien pédagogique. Mais, au même temps, dans certain cas, cette représentation est ouverte à la possible individuation de retombées positives de l’incertain et de l’incertitude, en se qualifiant comme un produit transactionnelle issu par la confrontation de plusieurs registres conceptuelles.

Résumé en Anglais

From a reconstruction, on the one hand, of the relationship between the education and the concept of ‘uncertain’ and, on the other hand, of the double strategy of reduction of uncertainty performed by educational theories and practices, the communication highlights that the paradigm of Social Transaction allows to consider uncertain as a condition of possibility of human becoming process. This epistemological centrality of the concept of uncertain implies a configuration of educational action as a sequence of successive and reciprocal adjustments. Moreover, the paper analyses the methodology of a research about the representation of uncertain and uncertainty in educational practices.