Fiche Documentaire n° 1544

Titre Le praticien-chercheur et la recherche-action en CLIS 1

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Auteur(s) DE SAINT MARTIN Claire  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Le praticien-chercheur et la recherche-action en CLIS 1

Problématique
Ma recherche action collaborative s’inscrit dans le cadre de mon travail de doctorat, portant sur la scolarisation des élèves en CLIS 1 (Classe pour l’Inclusion scolaire, accueillant spécifiquement des élèves dont la situation de handicap procède de troubles des fonctions cognitives ou mentales) , à partir du concept de liminalité défini par Robert F. Murphy. La CLIS 1 peut être considérée comme le lieu de cette situation de liminalité. Que peuvent alors dire ces élèves de leur place au sein de l’école ?
Enseignante spécialisée auprès d’enfants présentant des troubles mentaux et/ou cognitifs, je suis un exemple de praticien-chercheur, doublement questionnée par sa pratique et ses recherches. Le fait d’avoir été enseignante de CLIS 1 joue de plusieurs façons sur mon intervention auprès des collègues : il légitime ma recherche mais je peux devenir suspecte et même espionne à leurs yeux. L’analyse de l’enquête m’amène à adopter une position critique de ce que j’ai observé, position qui peut être comprise comme une trahison de la confiance accordée.

Méthodologie
Mon enquête de terrain consiste essentiellement à recueillir des paroles d’enfants, par la mise en place d’un dispositif permettant aux élèves de trois classes de CLIS 1 d’échanger entre eux sur leur place au sein de l’école. Ce dispositif emprunte aux ateliers philosophiques, aux groupes de parole de la pédagogie institutionnelle et à la socianalyse tout en s’en démarquant, par sa demande : celle du chercheur, ses contraintes : traiter d’un sujet défini par le chercheur, et ses objectifs : expliciter ses rapports à l’institution. Il s’agit de rendre les enfants co-organisateurs du dispositif, par l’élaboration d’une réflexion collective, et de leur permettre une création, par la production d’un écrit, de forme différente selon les classes.
Les enseignants des classes concernées sont engagés dans ce projet qui demande une préparation en amont et en aval et une collaboration étroite avec le chercheur.
Les chercheurs pointent les difficultés de recueillir les témoignages des enfants, surtout des enfants handicapés mentaux. Mon implication, en tant que praticien-chercheue favorise l’émergence de cette parole, dans une situation inédite, qui sort du champ proprement scolaire : le travail entrepris par les élèves fait l’objet d’une analyse, pas d’une évaluation au sens scolaire du terme.

Résultats
Les résultats ne recherchent pas une adéquation des discours à la réalité observable, mais à confronter les représentations des élèves aux observations faites, de façon à analyser leur véritable place au sein de l’institution scolaire. La mise à jour des écarts entre les différentes représentations des élèves, leurs discours, leur réflexion et la réalité observable permettent de questionner les interférences entre les différentes institutions, familiale, scolaire, médicale et sociale.

Bibliographie

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CANTER KOHN, Ruth, La recherche par les praticiens : l’implication comme mode de production des connaissances. psychologie, n°377, p 817-830, 1986.

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MURPHY R.F., 1957, The body silent, New-York- London, W.W. Norton

SIROTA R. dir ., 2006 Eléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes PUR

Présentation des auteurs


Non disponible

Communication complète

Introduction
Ma recherche participative s’inscrit dans le cadre de mon travail de doctorat, sous la direction de Gilles Monceau, portant sur les interférences des institutions prenant en charge les élèves de CLIS 1, à partir de ce que ceux-ci ont à dire de leur place dans l’école. Je suis également enseignante spécialisée sur l’Unité d’Enseignement d’un hôpital psychiatrique, après avoir exercé en CLIS 1. Au sein de l’école primaire, les CLIS sont des classes pour l’inclusion scolaire accueillant des élèves en situation de handicap. Il en existe quatre types : les CLIS 4 accueillent les élèves en situation de handicap moteur et de polyhandicapé ; les CLIS 3, les élèves en situation de handicap visuel ; les CLIS 2, les élèves en situation de handicap auditif. Les CLIS 1 accueillent spécifiquement des élèves dont la situation de handicap procède de troubles des fonctions cognitives ou mentales, ou de troubles envahissant du développement. Tout enfant scolarisé en CLIS doit connaître des temps d’inclusion en classe ordinaire.
Ma recherche s’appuie sur le concept de liminalité tel que le définit Robert F. Murphy (1987) qui appréhende le handicap comme un fait social définitif, plaçant les personnes dans un entre-deux, aux marges de la société, où elles ne sont ni incluses ni exclues. La CLIS 1 peut être considérée comme le lieu de cette situation de liminalité. Que peuvent alors dire ces élèves de leur place au sein de l’école ?

J’ai donc mené une recherche participative avec des élèves de trois CLIS de la région parisienne, au cours de dix séances, à raison d’une séance hebdomadaire de 40 minutes dans chaque classe, complétées par des temps d’observation participante. Ces séances consistaient à élaborer une réflexion collective sur leur place au sein de l’école. Ce dispositif emprunte aux discussions à visée philosophique, aux groupes de parole de la pédagogie institutionnelle et à la socianalyse tout en s’en démarquant, par sa demande : celle du chercheur ; ses contraintes : traiter d’un sujet défini par le chercheur ; ses objectifs : expliciter ses rapports à l’institution. Cette recherche demandait donc l’engagement des enseignants et leur collaboration étroite avec moi, et a nécessité des négociations et des réajustements constants.
La recherche participative avec les enfants s’est déroulée en trois temps : les deux premières séances ont été consacrées à la prise de photos des lieux de la classe et de l’école qu’ils aiment et qu’ils détestent et à la présentation de ces photos. Elles ont révélé des constantes qui ont servi de point de départ à la réflexion collective, deuxième temps de la recherche. Chaque séance, enregistrée, faisait l’objet d’une synthèse écrite que je rédigeais et leur lisais en début de séance suivante, après leur avoir demandé s’ils se souvenaient de ce qui s’était dit la fois précédente. Ces rappels permettaient aux absents de se resituer dans les échanges et d’assurer une continuité au processus de réflexion. Les synthèses étaient ensuite validées ou corrigées collectivement. Il est notable que, malgré quelques différences dans le cheminement, toutes les classes ont finalement traité des mêmes thèmes. Les photos avaient révélé l’importance des tables individuelles pour les élèves. La première réflexion est donc partie de là. Les thèmes abordés ensuite concernaient les différences entre la CLIS et les autres classes, la question de leurs difficultés, les relations avec les autres acteurs de l’école, (adultes et enfants), les relations entre eux, le fait d’avoir plusieurs places dans l’école, les intervenants extérieurs (le soin). Dans deux classes, la dernière séance a été consacrée à la réalisation d’un écrit collectif, sous la forme d’une exposition présentée aux parents dans une classe et d’une lettre ouverte aux élèves de l’école dans l’autre. L’enseignante de la 3ème classe organisera au mois de juin des séances de production d’écrit individuel à partir des photos et de la distinction j’aime/ je n’aime. Le projet s’est conclu par des entretiens individuels avec et les Assistantes de Vie Scolaire (AVS), qui secondent les enseignants dans les classes, et les enfants volontaires. Deux élèves ont refusé de faire cet entretien. Un bilan final s’est fait avec chaque enseignante, bilan qui sera renouvelé au mois de juin, afin d’évaluer à long terme les effets de cette intervention.
La méthodologie s’est faite dans le cadre de l’analyse institutionnelle. Je traiterai d’abord de l’organisation de la rechercher collaborative avec les enseignantes, puis de la recherche participative avec les enfants, enfin des résultats au regard du cadre théorique de l’analyse institutionnelle. Je distingue recherche collaborative et recherche participative, parce que les enseignants ont participé à l’élaboration organisationnelle du dispositif, alors que si les enfants disposaient d’un pouvoir propositionnel, leur pouvoir décisionnel dépendait de l’accord de l’enseignantes et du mien.

La recherche collaborative avec les enseignantes
Le fait d’avoir été enseignante de CLIS 1 a joué de plusieurs façons sur mon intervention auprès des collègues.
Le praticien-chercheur complice
Mon statut d’enseignante spécialisée légitime ma recherche. Les enseignants de CLIS sont souvent isolés de leurs collègues, du fait d’un questionnement différent de celui que posent les classes ordinaires. Je suis ainsi devenue l’alliée et la complice des enseignantes, parce qu’elles pouvaient enfin parler de leurs difficultés et de leurs doutes avec quelqu’un qui partage leur expérience. Une part des négociations a donc consisté à les écouter et j’ai consacré un certain temps à des conversations informelles.
Le praticien-chercheur expert
En même temps, mon statut de chercheur me rendait experte à leurs yeux. L’analyse institutionnelle nécessite l’analyse des demandes des acteurs du terrain. Ici, la demande se situait clairement du côté de la validation ou de l’infirmation des orientations proposées. Dès notre première rencontre, chaque enseignante a dénoncé des erreurs d’orientation. Les enseignants de CLIS 1 ne sont pas consultés dans cette orientation et la pluralité des pathologies peut rendre difficile la gestion de la classe. L’impuissance des enseignants se traduit alors par une remise en cause des orientations effectuées. Etant spécialiste à la fois de la CLIS 1 et théoricienne, je devenais à leurs yeux experte de cette question. La recherche a d’ailleurs produit un changement d’orientation d’une élève, qui, à chaque séance, affirmait et justifiait son refus d’être en CLIS et a définitivement intégré un CM2 en février.
Mais l’expertise accordée au praticien-chercheur peut aussi devenir source de méfiance et de suspicion.
Le praticien-chercheur espion
L’enseignant est habituellement seul dans sa classe face aux élèves. La seule personne externe à pénétrer dans la classe est bien souvent l’inspecteur, qui juge le travail de l’enseignant. Le praticien-chercheur devient alors suspect, par une qualité de « collègue-espion » aux yeux des enseignants. Ainsi, une enseignante a refusé que j’observe les élèves dans sa classe que j’ai donc vus lors d’une activité théâtrale menée par une intervenante extérieure.
Cette posture d’espion pouvait aussi jouer auprès des élèves. Lors de ma première visite, une classe était passablement agitée et l’enseignante m’a alors prise à témoin pour dénoncer leur comportement. C’est en faisant le point sur la séance avec elle et en détaillant le projet auprès des enfants que j’ai pu éclaircir mon statut et mon rôle.
C’est par une analyse constante de mes implications, et une écoute attentive des enseignantes au fil de la recherche que j’ai pu limiter les effets de cette posture éventuelle du praticien-chercheur. Il m’a fallu cependant aussi tenir compte d’un autre effet possible.
Le praticien-chercheur traître
Le praticien-chercheur doit aussi accepter d’être un « traître » auprès de ses collègues, par les critiques potentielles que sous-tendent ses analyses, les contradictions qu’elles opposent aux enseignantes. Ainsi, celle qui semblait la plus favorable à ma recherche est aussi celle qui a finalement le moins collaboré, parce qu’en bousculant ses représentations sur les enfants, je mettais peut-être en danger son professionnalisme. De plus, au cours de la réflexion collective, les élèves eux-mêmes pouvaient se positionner d’une façon déstabilisante pour les enseignantes. Ainsi, l’une d’entre elle a avoué n’avoir pas mesuré leur sentiment d’exclusion par rapport aux autres élèves de l’école sentiment, qu’avant la recherche, elle a pu qualifier d’« enfantillages ».
Si j’ai dû tenir compte de ces différentes postures tout au long de la recherche, il m’a fallu aussi m’adapter aux élèves.
La recherche participative avec les enfants
Le chercheur doit accepter une part d’incertitude reconsidérant régulièrement sa problématique, sa méthodologie, ses objectifs et sa posture au fil des difficultés rencontrées. (Bourassa, Boudjaoui, 2012). Les séances de réflexion collective ont ainsi connu plusieurs modifications, au fil de l’évolution de chaque situation et au croisement de l’analyse comparative des trois classes.
La distinction des places
Au début de la recherche, j’ai eu du mal, à me débarrasser de mes réflexes d’autorité professionnelle, rendant d’autant plus difficile mon identification de chercheur par les élèves, que je leur avais été présentée comme une ancienne enseignante de CLIS. Dans chaque classe, l’enseignante a alors assumé l’autorité, me laissant guider les débats. Cette distinction était spatialement affirmée : elle était assise à l’extérieur du cercle, de façon à ce que chaque rôle soit visuellement identifiable par les enfants.
Les élèves m’ont eux-mêmes aidée à opérer cette distinction, en m’opposant une résistance quand je me positionnais en tant qu’enseignante et non en tant que chercheur. Ils répondaient laconiquement, gardaient le silence, refusaient explicitement de répondre ou changeaient de sujet.
Les prises de parole
Il a également fallu réguler les prises de parole, de façon à faire émerger une véritable réflexion collective.
L’utilisation d’un bâton de parole a permis de réguler les échanges, favorisé l’écoute des enfants, sans brider leur parole et la stimulant même par la plaisir de manipuler l’objet.
Sur les vingt-huit élèves qui ont participé à cette recherche, quatre parlent de façon incompréhensible et une ne s’exprime que par onomatopées. Pour qu’ils puissent s’exprimer, plutôt que de leur demander de se répéter, j’ai pris le parti de reprendre systématiquement ce que je comprenais de leurs paroles. La solidarité de groupe a joué aussi, les pairs, plus familiers du langage des enfants, servant de traducteurs. Chacun s’est alors senti autorisé à participer, le langage ne constituant plus un obstacle insurmontable à la réflexion collective.
Dans chaque groupe, la parole est vite capturée par un petit nombre de bavards et les « taiseux » apprennent à mieux se taire encore. Il ne s’agissait pas de les obliger à parler, mais de leur en donner l’opportunité s’ils le voulaient, en me plaçant stratégiquement en face d’eux. J’ai aussi organisé une séance en demi-groupe dans deux classes, les bavards d’un côté, et les taiseux de l’autre. Cette séance a débloqué la parole des seconds, qui sont ensuite intervenus plus facilement lors des séances suivantes.
Il fallait aussi qu’ils différencient mon questionnement de celui du questionnement scolaire, où l’élève sait que le maître attend une réponse précise. Il fallait aussi que j’intègre moi-même cette différence, en me débarrassant des réflexes enseignants du questionnement inductif. J’ai donc limité les questionnements individuels, en privilégiant les comment aux pourquoi, et en relançant les échanges par une reprise de leurs propos, plutôt que par des questions.

L’émergence d’une réflexion collective
La mise en place d’un cadre fixe, par les rituels avec des formules canoniques empruntées à la DVP qui introduisaient et clôturaient chaque séance ont facilité l’émergence d’une réflexion collective. Celle-ci était introduite ainsi : « à partir de ces réflexions, je vous propose aujourd’hui de réfléchir sur… Le débat est ouvert ». La séance était close de la même façon : « Le débat est fermé. Je vous rappelle ce que vous avez dit… A partir de ces réflexions, je vous proposerai la prochaine fois de réfléchir sur… » Cette récurrence a permis aux enfants de s’approprier le dispositif.
Au début, les élèves s’adressaient principalement à moi. Je me suis alors contentée de reprendre affirmativement ce qu’ils disaient. Cette stratégie a fonctionné. Au fil des séances je suis beaucoup moins intervenue, me contentant de relancer les échanges par des synthèses en cours de séance.
Pour dépasser l’expression de l’opinion, en reprenant la démarche des discussions à visée philosophique, j’ai systématiquement catégorisé leurs propos, en exemple, idées, hors sujets. Cette catégorisation les aidés à approfondir leur pensée tout en restant centrés sur le sujet abordé, de même que les synthèses régulièrement faites au cours de la séance. Celles-ci permettaient aux élèves de valider leurs propos en les confirmant et aidaient à relancer et approfondir la réflexion.
Les adaptations successives ont permis à chacun d’intervenir à sa mesure, de maintenir l’intérêt des enfants pour le projet, et de faire émerger une véritable réflexion. Elles se sont aussi faites par l’analyse constante de mes implications et de celles des enfants, à chaque retour de séance.
Les résultats
Cette recherche participative a permis aux élèves de définir leur place dans l’école. Les résultats mettent également à jour les interférences entre les différentes institutions les prenant en charge.
La place des élèves dans l’école
Les élèves affirment tous la légitimité de leur place dans l’école. Ils.légitiment leur orientation en CLIS par la reconnaissance de leurs difficultés d’ordre scolaire, leurs problèmes d’apprentissage.
Ils disent tous se sentir bien dans cette classe et reconnaissent l’aide qu’elle leur apporte. Cette reconnaissance se traduit par la facilité éprouvée du travail en CLIS, contrairement à celui effectué dans leur classe d’inclusion. Ainsi, la liminalité révèle-t-elle un effet particulier : l’aide apportée par l’enseignant de la CLIS autorise les élèves à supporter leurs difficultés en classe ordinaire. Les progrès scolaires effectués sont récompensés par l’augmentation de leur temps d’inclusion. Cependant, cette aide reconnue s’accompagne alors d’une dévalorisation de la CLIS, considérée comme une classe « pas sérieuse », où le travail est trop facile, au regard de celui exigé dans les classes ordinaires.
Cependant, malgré ces temps d’inclusion, les élèves de CLIS restent isolés du reste de la population scolaire. Dans deux classes, ils dénoncent leur stigmatisation par les autres élèves de l’école, stigmatisation affirmée par les insultes dont ils disent faire l’objet. Celle-ci est due à la seule visibilité de leurs défaillances au sein de l’école, du fait de leurs difficultés et de la différence d’âge avec les autres élèves dans les classes d’inclusion. De plus leurs différences par rapport à la norme conduit à des inclusions dans plusieurs classes. Il est significatif que les élèves de la troisième classe n’aient jamais évoqué de difficultés relationnelles avec les autres élèves de l’école, alors même qu’ils restent également isolés d’eux. Dans cette classe, l’enseignante a choisi de n’inclure les élèves que dans leur classe d’âge et dans des domaines où ils ont le niveau scolaire requis. Les élèves des classes ordinaires ne leur reconnaissent donc pas de difficultés scolaires. Cependant ce choix pédagogique se heurte aux directives ministérielles, puisque que cinq élèves ne connaissent pas de temps d’inclusion dans une classe ordinaire
Les interférences entre les différentes institutions
Les contradictions exprimées par les élèves révèlent les interférences entre les différentes institutions les prenant en charge.
La valeur des tables individuelles pour les enfants révèle l’importance du « travail ». Ici, les élèves restituent et s’approprient les injonctions des institutions scolaire et familiale qui reconnaissent la valeur du travail et la nécessité de la normalisation pour avoir sa place dans l’école.
De même, les contradictions entre la dénonciation de leur stigmatisation et de leur isolement, et l’affirmation de leur bien-être à l’école, renvoient à la question des missions de celle-ci. La mission de socialisation énoncée par le ministère est évacuée du discours sur l’importance de l’école. Les élèves se plaignent de l’attitude des autres à leur égard, mais ne remettent pas en cause le positionnement des enseignants dans cette socialisation peu opérante et mal vécue.
Les élèves n’ont jamais évoqué leurs prises en charge rééducatives et/ou thérapeutiques, alors même que certaines d’entre elles ont lieu dans l’établissement scolaire. C’est moi qui ai imposé ce thème de réflexion et les enfants n’ont alors parlé que de la rééducation orthophonique, dont le contenu se rapproche le plus des apprentissages scolaires. Cette omission révèle les contradictions entre les directives ministérielles sur la nécessité de l’inclusion et du partenariat pluridisciplinaire et la réalité de terrain. Les différentes institutions prenant en charge les élèves restent très cloisonnées et travaillent peu ensemble. Les enfants ne font donc pas le lien entre ces prises en charge et leur présence en CLIS.
La question du handicap, niée dans une classe et passée sous silence dans les autres, questionne les relations entre la réalité vécue par les enfants et la décision administrative. L’orientation en CLIS, notifiée par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), institutionnalise l’entrée des élèves dans le champ du handicap. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la résistance des parents à cette orientation. Or, aucun élève ne se reconnaît dans cette situation. Ces silences renvoient ces enfants à la situation de liminalité décrite par Murphy.
Conclusion
Cette recherche participative ne visait pas la modification des pratiques des élèves et des enseignantes. Elle a cependant provoqué certains effets.
Lors des entretiens finaux, tous les enfants, même les plus silencieux, ont affirmé avoir aimé cette recherche parce qu’ils avaient pu parler. La recherche participative leur a donné une parole libre et non censurée, parce que non sanctionnée par une évaluation scolaire. Dans une classe, les enfants ayant affirmé collectivement ce plaisir des échanges entre pairs, enseignante a mis en place un « quoi de neuf ? », temps de parole libre entre élèves créé par la Pédagogie Institutionnelle, sur le temps laissé vacant par la fin de la recherche.
La réflexion collective a permis de modifier certaines décisions administratives et scolaires : une élève a quitté la CLIS au cours de la recherche, une autre va y rester à mi-temps, alors que l’enseignante pensait proposer une orientation à temps plein en IME.
Elle a aussi modifié la pratique et la réflexion des enseignantes, en ce qui concerne la valeur de la CLIS aux yeux des élèves et la question des inclusions. Les élèves ayant dénigré le travail en CLIS, une enseignante a décidé d’introduire le système de notation en cours dans les classes ordinaires pour revaloriser les apprentissages faits en CLIS. Deux enseignantes ont reconsidéré certaines inclusions, à la suite de l’énonciation par les élèves des grandes difficultés qu’ils y rencontraient et de l’angoisse qu’elles suscitaient. Une enseignante a décidé d’institutionnaliser des temps individuels réguliers de concertation avec les enseignants des classes d’inclusion.
Cette recherche collaborative a également mis à jour la situation liminale des élèves de la CLIS comme un processus dynamique qui légitime leur place dans l’école. La liminalité ne renvoie pas ici à une situation figée, mais à un mouvement en évolution constante qui connaît différents empans, selon le degré d’inclusion des élèves et leur temps de présence dans l’école.


Bibliographie
Bourassa Bruno, Boudjaoui Mehdi (dir.) (2012), Des recherches collaboratives en sciences humaines et sociales, Laval Canada, PUL.
Danic Danielle, Delalande Juile, Rayou Patrick (2006), Enquêter auprès d’enfants et de jeunes, Rennes, PUR
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Kohn Ruth Canter, (2001), « Les positions enchevêtrées du praticien-qui-devient-chercheur », dans Praticien et chercheur. Parcours dans le champ social, Mackiewicz Marie-Pierre (coord.), Paris, Éd. L’Harmattan, 2001, pp.15-38.
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Murphy Robert F. (1990 [1987]), Vivre à corps perdu, Paris, Plon.
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Résumé en Anglais


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