Fiche Documentaire n° 1591

Titre Les enjeux liés à l’intégration de la paternité dans l’intervention auprès des hommes aux comportements violents

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l'auteur principal

Auteur(s) LABARRE Michel
TURCOTTE Pierre
BOURASSA Chantal
 
     
Thème Construction des savoirs par le biais d’une recherche qualitative exploratoire  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Les enjeux liés à l’intégration de la paternité dans l’intervention auprès des hommes aux comportements violents

La présente communication vise à témoigner du processus par lequel une recherche qualitative exploratoire portant sur la paternité en contexte de violence conjugale a permis de construire des savoirs sur l’intervention auprès des hommes aux comportements violents. Plus spécifiquement, en accordant une attention particulière à la construction des savoirs dans un champ d’études en émergence, cette communication présente les résultats d’une recherche portant sur les enjeux de l’intégration de la paternité au sein des programmes d’intervention destinés aux hommes adoptant des conduites violentes dans leur famille.

La paternité et la violence conjugale sont deux objets d’études en service social ayant traditionnellement été traités séparément (Hearn, Pringle, Müller, Oleksy, Ferguson, et al., 2006). Bien que la paternité ait fait l’objet d’un nombre substantiel et croissant de recherches depuis quelques décennies (FIRA, 2006; Lamb, 1997; Palkovitz, 2002), l’expérience paternelle des hommes aux comportements violents est peu abordée dans les écrits scientifiques et les pratiques d’intervention (Edleson & Williams, 2007). Les auteurs traitant du sujet arrivent à différentes conclusions; certains soutiennent que l’exercice de la paternité de ces hommes est plutôt néfaste pour leurs enfants (Bancroft & Silverman, 2002) alors que d’autres suggèrent que certains désirent être de bons pères et font des efforts en ce sens (Perel & Peled, 2008). En dépit des conséquences possibles de la maltraitance et de l’exposition à la violence conjugale chez les enfants, plusieurs auteurs estiment que soutenir les pères aux prises avec une problématique de violence dans leur rôle parental est justifié et pertinent pour plusieurs raisons. On suggère par exemple que plusieurs hommes demeurent en contact avec leurs enfants à la suite des épisodes de violence et que la paternité représente un catalyseur de changements considérable pour les pères (Fleck-Henderson & Areán, 2004; Neugut, Edleson & Tolman, 2010). Le soutien au rôle parental vise à ce que les pères, qui ont reçu une thérapie pour leurs comportements violents, exercent une paternité saine et adéquate pour leurs enfants (Perel & Peled, 2008; Scott & Crooks, 2006).

Une fois la pertinence de s’intéresser à la paternité en contexte de violence conjugale établie, il s’avère nécessaire de documenter si et comment, la paternité est intégrée aux programmes d’intervention en violence conjugale. Cette question est l’un des points d’intérêt d’une recherche exploratoire portant sur la paternité en contexte de violence conjugale en cours au Québec et au Nouveau-Brunswick depuis 2010. Ainsi, la première partie de cette communication vise à présenter et apprécier, au regard des critères d’évaluation des recherches qualitatives proposés par Lietz et Zayas (2010), le processus de construction des savoirs résultant de cette recherche. Les processus par lesquels les données à l’étude ont été recueillies et analysées (ex. : méthode de collecte des données, validation du codage par accord interjuges) et les moyens qui ont été utilisés afin d’augmenter la solidité empirique des résultats (ex. : triangulation des sources de données, processus itératif d’analyse des données) sont traités. Les liens entre ces choix méthodologiques et les critères d’évaluation des recherches qualitatives de Lietz et Zayas (2010) sont abordés par la suite.

La seconde partie de la communication vise à présenter quelques résultats de recherche concernant les enjeux liés à l’intégration de la paternité dans les programmes d’intervention destinés aux hommes ayant des comportements violents. Ces enjeux s’articulent autour de cinq thèmes, soit les défis liés à la clientèle, les défis liés à la structure des programmes d’intervention, les défis liés aux politiques et aux lois provinciales, les défis liés à la pratique des intervenants et ceux liés à l’environnement. Quelques pistes de solutions terminent la présentation.

Bibliographie

Bancroft, L., & Silverman, J. G. (2002). The batterer as parent: Addressing the impact of domestic violence on family dynamics. Thousand Oaks, CA: Sage.
Edleson, J.L., & Williams, O.J. (2007) Parenting by me who batter: new directions for assessment and intervention. New York: Oxford University Press.
Father involment research alliance (FIRA). (2006). Inventory of policies and policy areas influencing father involment. Guelph : Center for families, work and well-being, University of Guelph.
Fleck-Henderson, A., & Areán, J. C. (2004). Fathering after violence: Curriculum guidelines and tools for batterer intervention programs. San Francisco, CA: Family Violence Prevention Fund.
Hearn, J., Pringle, K., Müller, U., Oleksy, E.H., Ferguson, H., Kolga, V., Lattu, E., & Novikova, I. (2006). Academic research. Dans J. Hearn, K. Pringle, et coll. European perspectives on men and masculinities. (pp. 23-52). New York, NY : Palgrave Macmillan.
Lamb, M.E. (1997). The role of the father in child development (3rd ed.). New York, NY : John Wiley & Sons, Inc.
Lietz, C.A., & Zayas, L.E. (2010). Evaluating qualitative research for social work practitioners. Advances in Social Work, 11(2), 188-202.
Neugut, T. B., Edleson, J. L., & Tolman, R. M. (2010). Children exposed to domestic violence: Prevention approaches with mothers and fathers. In S. Alexander, R. Alexander & N. Guterman (Eds.), Prevention of child maltreatment. St. Louis, MO: G.W. Medical Publishing.
Palkovitz, R. (2002). Involved fathering and men’s adult development provisional balances. Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum Associates, Inc., Publishers.
Perel, G., & Peled, E. (2008). The fathering of violent men : Constrition and yearning. Violence Against Women, 14(4), 457-482.
Scott, K. L., & Crooks, C. V. (2006). Intervention for abusive fathers: promising practices in court and community responses. Juvenile and Family Court Journal, 57(3), 29-44.

Présentation des auteurs

Michel Labarre est doctorant en service social à l'Université Laval (Québec)
Pierre Turcotte, Ph.D., est professeur à l’université Laval à l’Université Laval (Québec)
Chantal Bourassa, Ph.D. est professeure à l’université de Moncton (Nouveau-Brunswick) et chercheure principale de cette recherche

Communication complète

Depuis quelques années, on observe une tendance marquée voulant que les pratiques des travailleurs sociaux reposent sur des connaissances empiriques. On attend dès lors que ceux-ci soient en mesure de comprendre, d’évaluer et d’intégrer des données probantes à leurs pratiques, en plus de contribuer à la production des connaissances (Lietz & Zayas, 2010). La recherche scientifique demeure toutefois un processus complexe dont la qualité et la rigueur déterminent la validité des connaissances produites. La présente communication témoigne du processus par lequel une recherche qualitative exploratoire portant sur la paternité en contexte de violence conjugale a permis de construire des savoirs sur l’intervention auprès des hommes aux comportements violents. Cette communication aborde le rationnel de l’étude et présente une analyse critique de la méthodologie utilisée ainsi que quelques résultats ayant trait aux enjeux de l’intégration de la paternité dans les programmes d’intervention destinés aux hommes adoptant des conduites violentes dans leur famille.

Le rationnel de l’étude
La paternité et la violence conjugale sont deux objets d’études ayant traditionnellement été traités séparément (Hearn, Pringle, Müller, Oleksy, Ferguson, et al., 2006). Bien que la paternité ait fait l’objet d’un nombre substantiel et croissant d’études depuis quelques décennies (FIRA, 2006; Lamb, 1997), celle des pères ayant des conduites violentes au sein de leur famille est peu abordée dans les écrits scientifiques et les pratiques d’intervention (Edleson & Williams, 2007). Certains auteurs soutiennent que les comportements de ces pères ont des effets néfastes sur leurs enfants et que leurs contacts avec eux devraient être limités (Bancroft & Silverman, 2002). D’autres suggèrent néanmoins que certains pères désirent établir une bonne relation avec leur enfant; ainsi leur paternité devrait être abordée en intervention lorsque leurs comportements violents ont cessés (Perel & Peled, 2008). Prenant en considération les nombreuses études qui tendent à démontrer que la violence conjugale a des conséquences néfastes sur le développement des enfants, certains auteurs estiment par ailleurs la pertinence de soutenir les pères aux prises avec une problématique de violence au sein de leur famille en vue de favoriser l’exercice d’une paternité saine et adéquate pour les enfants. Ils ajoutent que plusieurs hommes continuent à avoir des contacts avec leurs enfants à la suite des épisodes de violence et que la paternité représente souvent un puissant catalyseur de changements pour les pères (Fleck-Henderson & Areán, 2004; Perel & Peled, 2008; Scott & Crooks, 2006).

Méthodologie
Un des objectifs de cette étude, réalisée au Québec et au Nouveau-Brunswick de 2010 à 2013, consistait à documenter les enjeux liés à l’intégration de la dimension paternité au sein des programmes d’intervention en violence conjugale. Pour ce faire, 11 intervenants, quatre femmes et sept hommes du Québec et du Nouveau-Brunswick, ont été interrogés. Deux groupes de discussion, d’environ deux heures, comptant quatre et trois intervenants ont été réalisés à Québec et à Moncton respectivement. Quatre autres participants ont été rencontrés lors d’entrevues individuelles (un au Québec et trois au Nouveau-Brunswick). Le même canevas d’entrevue, à questions ouvertes et semi-dirigées, a été utilisé pour les groupes de discussion et les entrevues individuelles. Une observation participante a aussi eu lieu dans un groupe de thérapie du Nouveau-Brunswick. Les données recueillies ont fait l’objet d’un examen discursif des différents thèmes émergeant des propos des pères afin de dégager les façons dont ceux-ci se recoupent, se rejoignent, se contredisent et se complètent.

Rigueur scientifique
Lincoln et Guba (1985) identifient quatre critères qui témoignent de la rigueur scientifique d’une étude qualitative. La crédibilité réfère à la correspondance entre les propos des individus interrogés et l’interprétation des résultats du chercheur. La transférabilité renvoie à la possibilité d’appliquer les résultats d’une étude à d’autres contextes similaires. L’auditabilité a trait à la documentation des procédures méthodologiques utilisées. La confirmabilité correspond enfin au degré auquel les résultats d’une étude sont ancrés dans les données recueillies. Satisfaire à ces critères de scientificité permet d’éviter trois menaces à la qualité des recherches qualitatives (Padgett, 2008). La première concerne la réactivité, soit les changements d’opinions ou de comportements des gens lorsqu’ils se savent observés. La seconde concerne les biais que le chercheur peut introduire dans la recherche par ses croyances ou ses préjugés. Les biais liés aux répondants, comme omettre de divulguer certains faits afin d’embellir la réalité, constituent la dernière menace identifiée par l’auteure. Certaines stratégies sont toutefois susceptibles de contrer ces menaces et d’augmenter la rigueur scientifique des recherches (Lietz & Zayas, 2010; Padgett, 2008).

Dans la présente étude, la triangulation et la vérification des résultats obtenus auprès des participants ont été utilisées pour assurer la crédibilité des connaissances produites. En effet, les triangulations des sources de données (Québec et Nouveau-Brunswick) et des méthodes de collecte des données (groupes de discussion et entrevues individuelles), ainsi que le recours à plusieurs chercheurs pour analyser les données ont certainement permis de réduire les menaces à la rigueur scientifique susmentionnées. La tenue d’un groupe de discussion ayant pour but de vérifier les résultats obtenus auprès des intervenants qui ont pris part à l’étude y a également contribué. Également, la triangulation des sites de collecte des données ainsi que les descriptions détaillées des résultats obtenus et des contextes dans lesquels évoluent les organismes qui ont participé à la recherche permettent d’apprécier la possibilité d’appliquer les résultats de cette étude à d’autres organismes en violence conjugale évoluant dans des contextes similaires.

Sur le plan de l’auditabilité, tous les documents (ex. : fiches de lecture, verbatim, codages) utilisés lors de la recherche ont été regroupés sur un support informatique accessible à tous les membres de l’équipe de recherche (Dropbox). Par contre, un journal de bord détaillant le rationnel derrière les choix méthodologiques effectués aurait permis d’augmenter l’auditabilité de la recherche. La vérification des résultats auprès des participants effectuée dans cette étude contribue à assurer la rigueur scientifique sur le plan de la confirmabilité. De surcroît, bien qu’aucun des pairs consultés n’était totalement désintéressé de l’étude, lors de l’analyse des données tous les chercheurs de l’étude ont été sollicités afin d’obtenir leurs rétroactions à l’égard des analyses effectuées et des résultats obtenus.

Résultats
Selon les intervenants rencontrés, l’intégration du thème de la paternité au sein des programmes d’intervention destinés aux hommes ayant des comportements violents pose plusieurs défis. Ces défis sont liés aux caractéristiques des hommes qui fréquentent ces services, à l’organisation des programmes, aux politiques et aux lois provinciales, aux intervenants et au milieu. Plusieurs des hommes qui fréquentent les groupes de thérapie en violence conjugale vivent des conflits conjugaux intenses, entretiennent du ressentiment à l’égard des institutions et sont parfois contraints de participer au groupe. Plusieurs d’entre eux ne sont donc pas disposés ou réceptifs aux interventions, car ils sont absorbés par leurs ressentiments. À ces défis s’ajoutent aussi l’absence de reconnaissance de la violence et de ses conséquences, les différences culturelles et les problématiques concomitantes (ex. : troubles de santé mentale). Certains défis concernent la composition des groupes, car ce ne sont pas tous les hommes qui ont un enfant. Les intervenants sont aussi limités par le mandat « violence » de leur organisme et par la durée des groupes qui restreint le contenu qu’il est possible d’aborder. De plus, l’exposition à la violence conjugale comme motif de signalement obligatoire à la protection de l’enfance crée un dilemme chez les intervenants qui ont souvent à choisir entre signaler leur client ou préserver leur lien de confiance avec celui-ci (d’autant plus qu’une fois signalés, ces pères sont souvent retournés dans les services en violence). Les intervenants rencontrés notent également que le financement irrégulier des programmes et les probations qui se terminent avant la fin de l’intervention compliquent leur travail. Ils mentionnent aussi manquer de formation, de supervision clinique et d’outils à leur disposition pour intégrer la paternité au sein de leurs groupes. Enfin, l’opprobre social fait en sorte que socialement, nous sommes davantage portés à condamner ces pères qu’à les aider.
Les intervenants interrogés soulèvent plusieurs pistes de solution afin de relever les défis susmentionnés. D’abord, le financement adéquat et récurant des programmes d’intervention apparaît comme une condition sine qua non pour une intervention de qualité s’adressant spécifiquement aux pères ayant des comportements violents. De surcroît, au-delà de la volonté des intervenants, l’intégration de la dimension paternité au sein des programmes en violence conjugale doit faire l’objet d’un soutien organisationnel favorisant entre autres la formation des intervenants et la concertation avec différents acteurs du milieu. Plusieurs intervenants rencontrés soulignent le besoin et la pertinence des programmes d’intervention destinés exclusivement aux pères qui ont des conduites violentes. Ces programmes contribueraient à favoriser un engagement paternel sain pour tous les membres de la famille, notamment par le biais de l’amélioration des habiletés parentales et des connaissances des pères à propos des besoins de leurs enfants et des conséquences de la violence sur eux.

Résumé en Anglais


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