Recherche-action et clinique de l’activité
Les recherches-actions collaboratives (RAC) visent « l’idée d’un rapprochement entre chercheurs universitaires et praticiens » (Desagné, 1997). Avec des nuances dans les principes de mise en œuvre, on retrouve le même objectif de rapprochement dans des démarches dont les appellations diffèrent : Recherche-Action, Recherche-Action participative, Community-Based Research …
Très présentes dans les secteurs de la santé ou de l’éducation ces RAC se développent à partir d’un double enjeu, idéologiques mais aussi épistémologique. Si les ressorts idéologiques de ces démarches articulent culture de la pratique et rôle émancipateur du savoir et de sa production en s’inspirant, par exemple, de l’héritage de Paulo Freire , les raisons épistémologiques sont, sans doute, celles qui expliquent la vivacité contemporaine des réflexions sur ces approches, comme en témoigne l’organisation de ce colloque.
Dans ces recherches, où le praticien est co-acteur, le postulat est que le point de vue de celui-ci est essentiel car lui seul peut, à certaines conditions méthodologiques, porter un regard d’expertise sur la situation étudiée, en s’appuyant sur sa « compétence d’acteur en situation » (Giddens, 1987). Le chercheur, quant à lui, « ne pose pas, par son choix d’objet, un regard normatif et extérieur » (Desagné, 1997, op. cit.) mais accepte de co-construire avec les praticiens cet objet et de partager parfois la décision, en ce qui concerne les modes de collecte des données et même l’utilisation des résultats.
Partant de ces quelques constats, cet exposé va me permettre d’interroger ma pratique de « clinicien de l’activité » (Clot, 1999) et d’observer si elle est, ou pas, comparable à une RAC ?
Je fonderai mon enquête sur trois interventions conduites depuis quelques années. Avec un collectif de professeurs de sport (Balas, 2005) puis avec deux groupes distincts de masseurs-kinésithérapeutes (Balas, 2011a), j’ai en effet pu réaliser des co-analyses de leurs activités singulières de travail, en vue de formaliser ces dernières et de répondre ainsi à des enjeux institutionnels au regard des évolutions de leurs métiers respectifs. J’exposerai succinctement la genèse de ces travaux et reviendrai, à partir de trois situations spécifiques , sur le mode de collaboration qui peut se nouer entre le clinicien et un groupe de professionnels.
Dans un deuxième temps, je reviendrai sur le cadre méthodologique de la clinique de l’activité et, en particulier, sur les manières singulières d’articuler recherche et action (Clot, 2004, 2008a) qu’il suppose. La méthode des autoconfrontations croisées (Clot, Faïta, Fernandez, & Scheller, 2001) mise en place dans les trois cas, permet de porter un regard indirect, et distancié, sur le travail, aussi bien du point de vue du chercheur que des professionnels. Le travail de ces derniers devient objet commun d’analyse.
Les effets sont évidemment difficiles à objectiver, mais quelques indices marquent le développement du pouvoir d’agit (Clot, 2008b) des individus et un effet de généralisation de l’intervention, y compris au plan institutionnel.
Finalement, mon exposé reviendra sur la question cruciale de « la rigueur scientifique et de la validité des résultats » (Dallaire, op. cit.) produits par ces démarches. Je m’arrêterai en particulier sur les deux positions scientifiques possibles pour les RAC : Soit s’approcher au mieux d’un modèle « scientifique » expérimental en minimisant au maximum les effets des aléas du terrain, soit considérer qu’il n’y a, quand on s’intéresse à des objets tels que l’activité, la pratique, l’éducation… qu’une seule recherche fondamentale, et elle est « de terrain » (Clot, 2008a, op. cit.), et donc au minimum collaborative.
Sans prendre une position tranchée face à cette question, je présenterai quelques arguments pour étayer l’idée que la recherche, centrée sur les activités de travail, ne peut, en tout état de cause, se concevoir sans une visée transformatrice, au plus près des professionnels.
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