Fiche Documentaire n° 1671

Titre Expertise associative et citoyenne, tiers secteur scientifique et recherche publique

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Auteur(s) STORUP Bérangère
NEUBAUER Claudia
 
     
Thème La société civile au coeur de la production de savoirs  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Expertise associative et citoyenne, tiers secteur scientifique et recherche publique

Proposition de communication
La recherche participative peut être définie comme une recherche menée dans le cadre d’un partenariat égal entre un partenaire académique et un partenaire de la société civile. L'objectif est alors de produire collectivement des connaissances qui, à la fois, constituent un réel intérêt scientifique pour le chercheur et répondent également aux besoins du partenaire associatif : citoyens lambdas, militants associatifs ou syndicaux, usagers (ex. malades), praticiens (ex. agriculteurs). Les résultats produits résultent d’un processus mêlant expertise citoyenne et scientifique. Notre propos vise à mieux qualifier cette expertise associative et citoyenne, que nous appelons tiers-secteur scientifique (TSS).

Le degré d’implication des partenaires de la société civile dans les différentes étapes du processus peut varier selon leur nature, leurs capacités et l'objet de la recherche. Nous éclairerons chaque degré d’implication dans la production de l’expertise par des exemples qui pourront servir aux acteurs à se positionner et ainsi favoriser la réflexivité dans le processus de recherche.
Cette gradation peut également s’effectuer en fonction des buts que se donne l’association, (mobilisation occasionnelle d’experts, veille sur les études publiées, orientation de la recherche, recherches originales, etc), ou en fonction du statut juridique, du positionnement face à l'Etat et aux institutions, du degré d'implication dans la production de savoirs, du rapport établi entre non spécialistes et professionnels (de la prestation de service par des "scientifiques professionnels" engagés jusqu’à la co-production des savoirs par les "profanes").
Ce travail d'élaboration de savoirs (recherche, expertise, études) se fait en dehors des institutions étatiques ou des firmes privées (d'où "tiers secteur") qui ne répondent pas toujours aux besoins de la société civile, du développement humain et du développement durable.

Le tiers secteur scientifique construit des savoirs alternatifs, au sens où ils sortent des cadres thématiques, paradigmatiques et méthodologiques qui dominent dans les institutions de recherches publiques et privées (ex. le paradigme réductionniste et productiviste de la recherche agronomique). Ces savoirs diffèrent parfois aussi des savoirs classiques par leur caractère non générique et leur pertinence locale (ils sont construits par et pour le groupe local concerné (ex. malades).

Le tiers secteur scientifique construit des savoirs selon un mode participatif, au sens où la division du travail entre experts et “profanes” (usager des savoirs) et le rapport de délégation cèdent la place à un rapport de dialogue et de co-production des connaissances et des innovations.

Le tiers secteur scientifique s’inscrit donc pleinement, par ses valeurs, ses pratiques et ses résultats cognitifs, dans la mouvance plus large de l’économie sociale et solidaire dont il est un pilier cognitif. Il est porteur d’un modèle élargi de production des savoirs et des innovations qui peut se généraliser, comme en témoignent les succès de la mouvance du logiciel libre.

La montée de l’expertise associative participe plus globalement de l’affirmation de la société civile et de l’espace public comme espace de négociation démocratique des innovations et des choix scientifiques. C’est donc l’émergence d’une société civile mature, aspirant non seulement à se doter de capacités propres de recherche et d’expertise, mais aussi à être pilote et commanditaire de la recherche publique. Le TSS s’inscrit dans un mouvement plus général de recherche d’un nouveau pacte social entre science et société, de maîtrise sociale et de démocratisation de la science, qui comprend aussi bien de nouveaux dispositifs d'élaboration démocratiques des orientations techno-scientifiques (conventions de citoyen…) que les espaces (associatifs, syndicaux…) où se déroulent des activités de contrôle citoyen de la recherche et des technologies.

Bibliographie

• Fondation Sciences Citoyennes, travail dirigé par Claudia Neubauer, 2004, “L’expertise et la recherche associative et citoyenne en France, esquisse d’un état des lieux”, consultable à la page http://sciencescitoyennes.org/lexpertise-et-la-recherche-associative-et-citoyenne-en-france/
• Fondation Sciences Citoyennes, travail dirigé par Glen Millot et Christophe Bonneuil, 2006, «Savoirs libres et production de biens communs en réseau », consultable à la page http://sciencescitoyennes.org/savoirs-libres-et-production-de-biens- communs-en-reseau/
• Fondation Sciences Citoyennes, 2004, « Quelle politique scientifique pour entrer dans le 21e siècle ? Vers un nouveau contrat entre recherche et société, consultable à la page », http://sciencescitoyennes.org/quelle-politique-scientifique-pour-entrer- dans-le-21e/
• Brac de la Perrière R. A., de Kochko P., Neubauer C. et B. Storup, 2011, « Visions paysannes de la recherche dans le contexte de la sélection participative », Editions PEUV.
• Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, 2001, Agir dans un monde incertain, essai sur la démocrate technique, Seuil.

Présentation des auteurs

Claudia Neubauer est co-fondatrice et déléguée générale de l'Association pour une Fondation Sciences Citoyennes. Elle est docteure en génétique humaine et titulaire d'un master en journalisme scientifique. Elle travaille notamment sur la politique européenne et française de recherche, le tiers secteur scientifique et le rôle des organisations de la société civile dans le pilotage de la recherche. Elle est membre du Board du European Network of scientists for social and environmental responsibility (ENSSER) et participe aux travaux de la section Prospective du Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) Bretagne. Dans ce cadre, elle est co-rapporteur du récent rapport "Appropriation sociale et mise en débat des sciences et technologies en Bretagne : une approche prospective" (2012).

Bérangère Storup est chargée de mission à la Fondation Sciences Citoyennes. Sociologue de formation spécialisée en développement agricole et rural, elle est en charge des questions agricoles et de la thématique "recherche participative". Elle a mené une enquête pour la Fondation de France sur un état des lieux de la recherche participative en France afin de recenser les acteurs, projets et structures et de distinguer les différentes méthodes et processus à l’œuvre.

Communication complète

La recherche participative peut être définie comme une recherche conduite suivant un partenariat entre un partenaire académique (laboratoire, chercheur) et un partenaire de la société civile (association, ONG, groupe d'habitants, etc.). L'objectif dans ce type de partenariat est de produire des connaissances qui constituent un réel intérêt scientifique pour le chercheur et répondent également aux besoins du partenaire associatif. Par ailleurs, les convergences nécessaires pour mettre en œuvre ces connaissances impliquent des pratiques, un système de valeurs et des finalités qui lui sont propres et qui diffèrent en partie de ce qui est mis en œuvre autant dans la recherche académique évaluée par les pairs que dans la recherche industrielle évaluée par les retours financiers sur investissement. La recherche participative est ainsi un des processus de démocratisation des connaissances tant dans la façon dont elles sont produites que dans l'usage qui peut en être fait. En effet, dans sa forme la plus aboutie, la participation des citoyens ne se limite pas à une consultation sur une thématique précise ou à une participation en terme de recueil de données, mais se pose en terme de co-construction du projet du début à la fin, c’est-à-dire de la définition du problème et l’élaboration d’objectifs communs à l’interprétation et à la diffusion des résultats en passant par la mise en place du projet. Les résultats produits résultent d’un processus mêlant expertise citoyenne et scientifique. Notre propos vise à mieux qualifier cette recherche et expertise (ou parfois contre-expertise) citoyenne, venant de ce que nous appelons tiers-secteur scientifique.

1. Introduction à la recherche participative

L'émergence récente de modèles de recherche participative provient d'une demande accrue de la société vis-à-vis de la recherche. Dans cette approche, les notions de « partage » et de « coopération » se substituent aux notions de « propriété intellectuelle » et de « compétition » de plus en plus ancrées dans les objectifs affichés de la recherche. Ces pratiques de recherche se sont inscrites principalement, et ce pour des raisons historiques, dans un objectif de changement social.
Le schéma suivant illustre les différentes composantes d’un projet mené en recherche-action participative.

Schéma : Diagramme de Wenn (Source Blangy 2013)

Praticiens et chercheurs conservent leurs préoccupations respectives : les connaissances produites par leur collaboration ne sont pas du même usage et ne sont pas validées selon le même mode. Le degré d’implication des différents acteurs se décline alors selon les compétences et les intérêts des acteurs selon les étapes et thématiques du projet. L’enjeu réside dans la participation des différents partenaires dans la problématisation de la question (montage), que l’on appellera co-construction lorsqu’elle est la plus aboutie. Ce montage est essentiel. Il peut ensuite y avoir une phase propre au scientifique qui concerne la mise en œuvre de la méthodologie choisie. La participation de tous les acteurs peut ensuite varier et renvoyer à des processus ponctuels de collaboration limités à une ou plusieurs étapes du processus de la recherche. La société civile ne participe pas forcément à tout le déroulement de la recherche. La manière dont sont construites et articulées les différentes étapes constitue une autre forme d‘organisation et d’intégration de la recherche dans le tissu social. La création d’un collectif de recherche à partir d’échanges entre « spécialistes » et « profanes » s’instaure à un moment où les problèmes sont formulés et où les chercheurs « seraient sur le point de s’enfermer dans leur laboratoire » (Callon, Lascoumes, Barthe 2001).
Le schéma ci-dessous permet de visualiser où se situent les enjeux, liés à l’association des citoyens à la recherche :


Schéma : Diagramme de Wenn « CCAID, Conception, Collecte, Analyse, Interprétation, Décision, Diffusion » (adapté de Blangy 2010, Chevalier 2013)

De nombreuses passerelles sont établies entre le monde des savoirs scientifiques et le monde des savoirs populaires ou des praticiens. Dans la pratique quotidienne, les interactions permettent aux acteurs dont les savoirs et les méthodes divergent de cheminer ensemble tout en s'enrichissant du savoir et des expériences de l'autre. L'importance du respect de tous les savoirs et de la reconnaissance de l’égalité de ces savoirs, qu'il s'agisse de celui du chercheur ou de celui des acteurs associatifs, est une condition sine qua non à la mise en place des projets.
Intégrer différentes formes de savoirs n’est pas chose évidente. Les programmes de recherche participative qui se développent depuis quelques années tentent de relever ce défi : « Entre le chercheur ou l’expert et les acteurs s’établissent des relations de coopération et d’éducation mutuelle. Le chercheur apprend des acteurs d’autres expériences, et les acteurs apprennent d’autres méthodologies et d’autres techniques du chercheur. Par le partage des activités de recherche qu’elle implique, la recherche-action remet en cause la traditionnelle division du travail entre les intellectuels et ceux qui, socialement, ne sont pas considérés comme tels » (Le Boterf 1983). On comprend ainsi le grand rôle de la dimension humaine dans la réussite des projets, en particulier la confiance mutuelle. La relation entre acteurs d’un même projet évolue pour se transformer en vrai processus de collaboration. Le cheminement d’un projet de recherche mène les acteurs à mieux se connaître, à se respecter, à se faire confiance, pour rendre le projet solide (avec, bien sûr, tous les hasards et tensions qui peuvent exister dès que plusieurs personnes collaborent).
La mise en place d’un projet de recherche participative suppose ainsi un cadre éthique préalable à toute collaboration. C’est le partage des valeurs qui sert de contrat moral. Ce cadre peut évoluer au fur et à mesure, tout comme le projet peut évoluer selon les interactions des acteurs et des recherches effectuées, qui nécessitent alors de nouvelles questions de recherche et expérimentations.
Même si la reconnaissance de l’égalité des savoirs n’est pas partagée par tous les acteurs comme préalable nécessaire à un projet de recherche participative – au sens où les savoirs sont distincts -, l’importance de la reconnaissance de tous les savoirs à l’œuvre est une composante essentielle. La recherche participative rompt avec le modèle de hiérarchie de savoirs tel qu’il est largement porté dans la recherche dominante actuellement (et ceci même au sein des différents savoirs scientifiques), avec un savoir qui se transmet d’une personne à l’autre, type enseignant-enseigné (cf. Freire). Tous les acteurs impliqués dans un projet de recherche participative sont dans une posture de recherche, et construisent ainsi une vision de la recherche propre à leur catégorie socio-professionnelle. Par exemple, les paysans impliqués dans des projets de sélection participative construisent une ou des visions paysannes de la recherche .
Avant de conclure cette introduction, il est important d’ajouter qu’il se joue dans les différents projets de recherche participative un vrai challenge interdisciplinaire. Les projets s'inscrivent presque toujours dans l'interdisciplinarité à travers les différents savoirs scientifiques qui les composent, voire dans la transdisciplinarité en intégrant des composantes de sciences humaines et sociales ou de savoirs empiriques. L’exemple de la sélection participative est très illustratif sur ce sujet : génétique (la dimension écologique de l'interaction avec variation génotype x environnement), ethnologie (le savoir paysan), agronomie (l'association des pratiques culturales avec les semences paysannes), nutrition (les valeurs nutritionnelles des plantes sélectionnées), sociologie (la mise en réseau et la contractualisation entre les différents acteurs), philosophie (l'éthique).

2. Le tiers-secteur scientifique

Les organisations de la société civile ou associations à but non lucratif impliquées dans des projets de recherche participative se caractérisent par des profils et missions assez différents les uns des autres et permettent de dresser un large panorama. On peut dégager un certain nombre de caractéristiques communes à toute cette nébuleuse d'initiatives émanant de la société civile dans lesquelles des citoyens lambda, des militants associatifs ou syndicaux (y compris des médecins, ingénieurs et chercheurs apportant une expertise dans ce cadre associatif), des usagers (ex. malades), des praticiens (ex. agriculteurs) construisent collectivement des connaissances qui sont nécessaires à leurs objectifs citoyens et à leurs existences collectives.

Par rapport aux savoirs produits dans les institutions publiques et le secteur privé, on peut désigner l’expertise associative et citoyenne du tiers-secteur scientifique par les caractéristiques suivantes :

1. Ce travail d'élaboration de savoirs (recherche, expertise, études) se fait en dehors des institutions étatiques ou des grosses firmes privées (d'où « tiers-secteur ») qui ne répondent pas toujours aux besoins de la société civile, du développement humain et de la durabilité. La multiplication des partenariats publics-privés est un exemple de l’intrusion grandissante des acteurs privés dans la recherche et la gestion des affaires publiques. La recherche participative permet de contrebalancer la part du secteur privé dans l’orientation de la recherche. Il n’empêche que les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les auto-entrepreneurs (ex : paysans-boulangers) pratiquant une activité économique et dégageant des bénéfices sont susceptibles d’être impliqués dans de tels processus et contribuent à un rééquilibrage nécessaire entre acteurs dominants et dominés.

2. Dans les organisations du tiers-secteur scientifique, la production des savoirs est gouvernée par d’autres logiques que le désir de puissance, la soif de profits ou la volonté de savoir d’un seul groupe professionnel s’autorégulant. Les structures du tiers-secteur scientifique sont même souvent engagées dans une lutte active contre ces trois logiques et s’identifient à des valeurs de partage et de coopération.

3. Le tiers-secteur scientifique construit des savoirs alternatifs, au sens où ils sortent des cadres thématiques, paradigmatiques et méthodologiques qui dominent les institutions de recherches publiques et privées (ex. le paradigme de l’essai thérapeutique lourd randomisé critiqué par le mouvement SIDA, le paradigme réductionniste et productiviste de la recherche agronomique, etc.). Ces savoirs diffèrent parfois aussi des savoirs classiques par leur pertinence et leur caractère locaux (ils sont construits par et pour le groupe local concerné (ex. malades ou semences paysannes).

4. Le tiers-secteur scientifique construit des savoirs selon un mode participatif, au sens où la division du travail entre experts et « profanes » (usager des savoirs) et le rapport de délégation cèdent la place à un rapport de dialogue et de co-production des connaissances et des innovations.

Le tiers-secteur scientifique s’inscrit donc pleinement, par ses valeurs, ses pratiques et ses résultats cognitifs, dans la mouvance plus large de l’économie sociale et solidaire (aussi dénommée tiers-secteur), dont il est un pilier cognitif. Il est porteur d’un modèle élargi de production des savoirs et des innovations qui peut se généraliser, comme en témoignent les succès de la mouvance du logiciel libre (où la valeur ajoutée se crée par la coopération sociale élargie et en dehors du cadre de la seule firme privée).
La montée de l’expertise associative participe plus globalement de l’affirmation de la société civile et de l’espace public comme espace de négociation démocratique des innovations et des choix scientifiques. C’est donc l’émergence d’une société civile mature, aspirant non seulement à se doter de capacités propres de recherche et d’expertise (c’est la définition du tiers-secteur scientifique au sens restreint) mais aussi à être pilote et commanditaire de la recherche publique. Le tiers-secteur scientifique a donc vocation à être l’aiguillon et le moteur de la transformation de la recherche publique du 21e siècle. Le tiers-secteur scientifique s’inscrit dans un mouvement plus général de recherche d’un nouveau pacte social entre science et société, de maîtrise sociale et de démocratisation de la science, qui comprend aussi bien de nouveaux dispositifs d'élaboration démocratique des orientations technoscientifiques (conventions de citoyen, ateliers-scénarios, etc.) que les espaces (associatifs, syndicaux, etc.) où se déroulent des activités de contrôle citoyen de la recherche et des technologies. De ce nouveau pacte social, la recherche publique devrait sortir transformée (dans ses priorités et sa gouvernance), mais aussi relégitimée et renforcée (face aux intérêts marchands, financiers et militaires et à l’actuelle tendance à la privatisation des savoirs).
Le tiers-secteur scientifique que nous voulons ne s’inscrit pas dans un couplage avec un marché roi ou le complexe militaro-industriel, mais se définirait idéalement plutôt comme aiguillon d’une recherche publique réorientée autour d’un pacte social refondé sur la démocratie participative…

Mais, selon les buts que se donne l’association, être au fait des derniers travaux de recherche n’est pas toujours nécessaire puisque pour certaines campagnes ou actions, les savoirs existent (et parfois même les lois) et il ne reste qu’à pousser les responsables politiques à prendre les « bonnes » décisions politiques (ou à appliquer les lois). Aussi observe-t-on différents niveaux d’implication du tiers-secteur scientifique entre :
• les organisations qui se contentent de mobiliser occasionnellement des experts professionnels bénévoles (lors d’une conférence de presse ou un colloque par ex.) et de suivre d’assez loin la littérature scientifique ;
• les organisations qui effectuent une veille sur les travaux et études publiées (ex. Inf’OGM) en vue de diffuser l’information, ou qui effectuent des synthèses ;
• les organisations qui ponctuellement peuvent commanditer une étude (expertise ou recherche, ex. Greenpeace) ;
• les organisations qui effectuent des expertises et analyses originales (ACRO (Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest), Criirad (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la radioactivité), Wise (World Education Summit for Education), Inestene (Institut d’Evaluation des Stratégies sur l’Energie et l’Environnement en Europe) etc.) ;
• les organisations qui effectuent des recherches originales dans les domaines des sciences économiques et sociales (coût d’entrée moins coûteux que dans le cas qui suit) : ex. ISAST (Intervention Sociale & Alternative Santé au Travail) ;
• les organisations qui effectuent des recherches originales dans les domaines des sciences de la vie et de sciences « exactes » (GRAB (Groupe de Recherche en Agriculture Biologique), ITAB (Institut Technique de l'Agriculture Biologique), Réseau semences paysannes, certaines associations de malades ou d’usagers de drogues, associations naturalistes…



Schéma : Niveau d’implication des associations dans la recherche

On peut également classifier les organisations selon quatre axes:
• en fonction du statut juridique : un continuum de situations depuis les associations militantes (loi 1901) aux structures entrepreneuriales de prestation de service (bureau d'études, SARL, SCIC) ;
• en fonction du positionnement face à l'Etat et aux institutions : depuis les structures qui sont en opposition forte avec les institutions publiques officielles d'expertise et de recherche, jusqu’à celles qui participent à certains dispositifs publics ;
• en fonction du degré d'implication dans la production de savoirs : depuis les associations qui effectuent des analyses et recherches jusqu’à celles qui se limitent au travail de dossier, de mobilisation ou d'information/médiation ;
• en fonction du rapport établi entre non spécialistes et professionnels : depuis la co-production des savoirs par les « profanes » jusqu’à la prestation de service par des « scientifiques professionnels » engagés.


Schéma : Différents modes de positionnement des associations

Quels sont les objectifs de la recherche en partenariat pour le tiers-secteur scientifique ?
On évoquera bien évidemment la création de connaissances pour la mise au point de nouveaux outils utiles à l’action ainsi que la mobilisation des acteurs concernés. Pourtant, l’implication dans un projet de recherche revêt souvent des aspects moins évidents. Les acteurs de terrain n’ont pas le temps et peut-être parfois pas la volonté d’avoir le recul nécessaire pour juger leurs actions ? Peut-on prendre le risque de juger de la pertinence de son action, au risque de la remettre en cause et de l’arrêter ? L’analyse formulée par la recherche favorise alors une meilleure compréhension du phénomène, un renforcement de leur positionnement mis en avant pour que les associations ciblent mieux leurs actions voire les remettent en question. Dans le même sens, la recherche aide à caractériser un phénomène émergent. La création d’une plateforme d’expertise conjointe gestion-recherche, par exemple, est alors un outil de dialogue pour la compréhension de ce phénomène, voire la participation à l’élaboration des politiques publiques. Le chercheur facilite la légitimité de l’association par rapport aux pouvoirs publics, l’accès aux données et la caution scientifique (objectivité). Par ailleurs, la critique des associations par rapport aux actions de leurs bailleurs leur est difficile du fait de leur dépendance financière à ces mêmes bailleurs. Le recours à la recherche est parfois un moyen détourné d’être critique.
Pour conclure, le tiers-secteur scientifique est acteur d’une recherche qui, en se fondant sur l’intervention sociale pour légitimer son existence, a pour objectif de trouver des réponses aux problèmes de la communauté ou du groupe social concerné. Cette modalité de recherche intègre la société civile au pilotage de la recherche pour formuler des recommandations sur les processus de participation, à travers l’élaboration de nouveaux mécanismes : « empowerment (développement des capacités, autogestion, transfert des connaissances et habiletés) ; collaboration (formation des comités de citoyens, travail avec les groupes, responsabilité de l’action et contrôle) ; prise de décisions (techniques de planification, ateliers de discussion, révision du projet) ; évaluation participative, mécanismes de consultation et de partage de l’information » (Anadon et Savoie-Zajc 2007). Cette participation des associations à la recherche impacte aussi l’objet de la recherche en lui-même, à travers sa définition et la priorisation des différents objets. La recherche est alors un instrument de réalisation d’un projet de société.

Nous donnerons pour finir quelques pistes pour faire de la recherche autrement, notamment favoriser l’émergence d’autres questions à travers la recherche :

• Remettre au centre du processus la fonction de médiateur, comme interface entre les chercheurs et les citoyens, notamment en raison de la complexité des problèmes posés, de façon à permettre un véritable processus de co-construction, notamment de co-construction des savoirs et de favoriser un processus de questionnement ;
• Valoriser des partenaires scientifiques non académiques « tiers-secteur scientifique »
• Proposer des financements, conditions et programmes qui permettent d’avoir une réflexion par rapport à l’action de recherche et à la construction d’un partenariat visant à formuler des questions (ex : favoriser le développement de programmes nationaux comme par ex. le programme REPERE du Ministère de l’Ecologie) et régionaux de soutien aux partenariats chercheurs-citoyens, programmes déjà existants en Ile-de-France, Bretagne, Nord-Pas de Calais) ;
• Mettre en place des processus qui permettent de mesurer les besoins de recherche identifiées par la société civile, autant à un niveau global que contextuel (par ex. via les conventions de citoyens, plateformes ou forums, ces derniers réunissant des organisations de la société civile, des politiques et des chercheurs autour d’une thématique précise afin d’identifier des besoins de recherche, les transformer en questions de recherche et influencer alors les agendas de recherche) ;
• Etc.


Bibliographie

Anadon M. et Savoie-Zajc L., « La recherche-action dans certains pays anglo-saxons et latino- américains », in Anadon M. (sous la direction de), 2007, « La recherche participative, multiple regards », Presses de l’Université du Québec.

Blangy S., 2010, « Co-construire le tourisme autochtone par la recherche action participative et les Technologies de l’Information et de la Communication ; une nouvelle approche de la gestion des ressources et des territoires », Discipline Géographie et Aménagement, Université Paul Valéry, Montpellier.

Brac de la Perrière R. A., de Kochko P., Neubauer C. et Storup B., 2011, « Visions paysannes de la recherche dans le contexte de la sélection participative », Editions PEUV.

Callon M., Lascoumes P. et Barthe Y., 2001, « Agir dans un monde incertain », Seuil, Paris.

Chambat G., 2006, « Pédagogie des opprimés de Paolo Freire », N’Autre école, N°12.

Fondation Sciences Citoyennes, 2004, « Quelle politique scientifique pour entrer dans le 21e siècle ? Vers un nouveau contrat entre recherche et société́ », Note n°2 de la Fondation Sciences Citoyennes.

Fondation Sciences Citoyennes, travail dirigé par Claudia Neubauer, 2004, “L’expertise et la recherche associative et citoyenne en France, esquisse d’un état des lieux”, consultable à la page http://sciencescitoyennes.org/lexpertise-et-la-recherche-associative-et-citoyenne-en-france/

Fondation Sciences Citoyennes, travail dirigé par Glen Millot et Christophe Bonneuil, 2006, «Savoirs libres et production de biens communs en réseau », consultable à la page http://sciencescitoyennes.org/savoirs-libres-et-production-de-biens- communs-en-reseau/

Fondation Sciences Citoyennes, 2004, « Quelle politique scientifique pour entrer dans le 21e siècle ? Vers un nouveau contrat entre recherche et société », consultable à la page http://sciencescitoyennes.org/quelle-politique-scientifique-pour-entrer- dans-le-21e/
Fondation Sciences Citoyennes, 2013, « La recherche participative comme mode de production des savoirs, un état des lieux des pratiques en France », à paraître.

Le Boterf G., 1983, « La recherche-action : une nouvelle relation entre les experts et les acteurs sociaux ? », revue POUR n°90, p.44.

Résumé en Anglais


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