Fiche Documentaire n° 1846

Titre Le point de vue des travailleurs sociaux sur leur collaboration avec l’art dans l’espace public

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l'auteur principal

Auteur(s) RIVIER Raphaël
WALDIS Barbara
 
     
Thème Analyse de cinq projets suisses romands  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Le point de vue des travailleurs sociaux sur leur collaboration avec l’art dans l’espace public

Dans l’évolution de leur collaboration interdisciplinaire, l’animation socioculturelle donne depuis les années 1990 une place grandissante à l’art visuel dans le développement local et la revalorisation de quartiers. De leur côté et selon une interprétation relationnelle, les artistes contemporains affichent une posture citoyenne avec pour référence les interactions humaines dans leur contexte social. Par leurs interventions et leur implication dans l’espace public, ils partagent alors un terrain d’entente avec le travail social.

Les projets communs qui découlent de cette connivence dépassent le cadre d’une médiation culturelle centrée sur l’idée de démocratisation culturelle tel qu’il occupe traditionnellement le champ d’étude « art et travail social » en Suisse romande. Gardant le souci de démocratisation, ces projets englobent expression artistique et médiation culturelle dans un processus collectif basé sur une médiation artistique critique.

Cependant, si art et travail social se questionnent tous deux sur l’intention et la finalité de l’action ainsi que les temporalités de sa réalisation, leurs réponses diffèrent. L’art ambitionne parfois de jouer le rôle d’acteur social et politique dans un processus de transformation. Il cherche, par distorsion du réel ou changement de perspective, à provoquer un changement de position auprès de son public. D’un point de vue du travail social, les préoccupations principales sont la constitution et l’acquisition de ressources par des publics et la durabilité des liens sociaux induits par les actions. L’œuvre quant à elle peut rester au second plan.

Quelles nouvelles collaborations naissent alors entre art visuel et travail social et que signifient-elles ? Dans le but de privilégier une perspective du point de vue du travail social pour mener notre enquête et répondre à ces questions, nous avons pour une recherche qualitative choisi d’interroger les responsables sociaux de cinq projets suisses romands alliant art visuel et animation socioculturelle. Choisis de manière à assurer une pluralité de contextes administratifs, institutionnels, géographiques et démographiques, ces cinq actions présentent également une diversité de moyens artistiques et de publics concernés.

Désireux de déterminer à partir des données recueillies des savoirs mobilisables, nous proposons une étude des postures des professionnels et professionnelles du social impliqué(e)s. Nous examinerons leur façon d’envisager et de percevoir leurs propres outils et ceux des artistes dans la transformation du lien social. Sous le prisme du public, l’analyse permettra ainsi de proposer une nouvelle définition des champs d’actions des travailleurs et travailleuses sociaux et de ceux qu’ils attribuent à leurs partenaires artistiques dans les différents contextes de leurs interventions.

Bibliographie

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Becker H. S. (2006). Les mondes de l’art (J. Bouniort, trad.). Paris : Flammarion. (Ouvrage original publié en 1982 sous le titre : Art Worlds. Universtity of California Press)

Bourriaud N. (2001). L'esthétique relationnelle. Paris : Les Presses du Réel, Documents sur l'art

Caune J. (2012). Dans J.-M. Lafortune (dir.), La médiation culturelle : le sens des mots et l’essence des pratiques (préface). Québec : Presses de l'Université du Québec

El Khomsi R. (2011). De la médiation culturelle au changement. Le territoire de l’action sociale questionné par le secteur culturel. Cultures, arts et travail social. Les cahiers du travail social, 65, 19-24

Kester G. (2005). Conversation Pieces. The Role of Dialogue in Socially-Engaged Art. Dans Z. KOCUR, S. LEUNG (éd.), Theory of contemporary Art since 1985, Malden ; Oxford (etc.) : Blackwell Publishing

Lafortune J.-M. (2012). Enjeux et limites de la médiation culturelle. Dans J.-M. Lafortune (dir.), La médiation culturelle : le sens des mots et l’essence des pratiques. Québec : Presses de l'Université du Québec

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Matarasso F. (2000). Creating value. An introduction to evaluating community-based arts projects. (Ouvrage publié en 2001 sous le titre : Did it make a Difference ? Art & Business)

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Rouxel S. (2011). L’insertion par la culture : une articulation en co-construction… qui ne va pas de soi. Cultures, arts et travail social. Les cahiers du travail social, 65, 9-17

Strauss A., Corbin J. (2004). Les fondements de la recherche qualitative, techniques et procedure de développement de la théorie enracinée. Fribourg : Academic Press

Waldis B., Fumeaux N. ( 2011). Art visuel et animation socioculturelle : vers une typologie de projets communs dans l’espace public. Récupéré le 4 janvier 2013 du site de l’université de Saragosse : http://www.unizar.es/colinanimacion-IEPSA/wp-content/uploads/2011/10/2.5

Présentation des auteurs

Barbara Waldis obtient un doctorat en ethnologie à l’Université de Fribourg en 1997, après des études d’ethnologie, de sociologie et de philosophie aux Universités de Fribourg et de Berne. De 1998 à 2007 elle enseigne les thématiques de la migration, des relations familiales transnationales et de la citoyenneté à l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel. Depuis 2008 elle est professeure à la Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO Valais) et chercheuse à l’Institut Institut Santé & Social à Sion. Elle a effectué des terrains en Suisse, en Tunisie, en Bulgarie, à l’île Maurice ainsi qu’à l’île de La Réunion. Actuellement elle développe une recherche sur l’art socialement engagé dans l’espace public et elle enseigne les méthodes de recherches en sciences sociales. Ses publications comportent entre autres le film documentaire« DestiNation amour » (2002), la coédition de « Migration and Marriage » (2006) et le rapport « Bericht ‘Migration und Schule’ : Planungsauftrag des Rektorates zu den Lehrangeboten an der PHBern » (2009).

Licencié es Lettres en 2003, Raphaël Rivier est engagé en 2004 par le service culturel de l’Université de Lausanne comme assistant au théâtre de la Grange de Dorigny. Intéressé par les intersections et les imbrications entre les domaines culturel et social, il suit depuis 2010 le master de travail social à la HES-SO et travaille avec des adolescents dans plusieurs institutions sociales. Depuis mars 2011 il assiste Barbara Waldis dans sa recherche « Art visuel et travail social » à la HES-SO Valais.

Communication complète

Le point de vue des travailleurs sociaux sur leur collaboration avec l’art

Dans une étude initiée par B. Waldis et N. Fumeaux en 2011, les responsables sociaux de cinq projets suisses romands liant art visuel à l’animation socioculturelle ont été interviewés. Choisis de manière à assurer entre autre une pluralité de contextes institutionnels, ces actions présentent une diversité de moyens artistiques et de publics concernés, et montrent différentes formes de collaborations. Considérant le projet comme « un processus planifié d’interaction entre partenaires fonctionnant selon des logiques différentes » (Gillet, 1998, p. 87), nous essaierons de cerner ici de quelle manière les professionnels de l’animation impliqués considèrent leur collaboration avec l’art et les artistes, quels en sont les enjeux et dans quelle mesure elle participe à la transformation des liens sociaux.

Une collaboration à distance

Dans le cadre d’une collaboration interinstitutionnelle avec les écoles, un musée public engage une animatrice. Celle-ci imagine avec une coordinatrice des écoles une action de médiation sous forme de visites guidées et d’ateliers dans des classes primaires pour permettre d’« expérimenter la technique de création » et de rencontrer les artistes d’une exposition choisie (GB ). Dans ce projet l’animatrice regrette son peu de liens directs avec les artistes. Elle s’informe auprès d’eux pour préparer ses visites guidées mais ne les rencontrent que peu avant les ateliers. Elle ne peut discuter avec eux de ce qu’ils vont faire que tard, quand « le tout était déjà mis en place. » (GB). Son regret semble dû à des soucis organisationnels. Sa collaboration avec les artistes se fait essentiellement par le biais de la commissaire d’exposition ce qui rend difficile son rôle d’intermédiaire entre l’école et les artistes. L’enjeu de sa collaboration avec l’artiste est donc d’organiser au mieux son action de médiation culturelle afin d’amener les écoliers au musée.

Une association d’aide aux migrants et un musée privé voisin mandatent une autre animatrice dans le cadre d’une collaboration ponctuelle. Le but de celle-ci est d’offrir à des femmes un espace d’expression autour de thématiques évoquées par un choix de tableaux. L’animatrice n’intervient pas dans la phase de conceptualisation, mais est engagée pour « intervenir dans le contact direct avec les femmes migrantes » (SB). A l’origine du projet la présence des artistes n’est pas prévue. Cependant, durant la phase de réalisation, l’intervenante adapte le projet devant les réactions de son « public ». C’est effet celui-ci qui demande à en apprendre davantage sur l’art et à rencontrer les artistes. L’intervenante considère dès lors l’art non pas comme un « prétexte à rentrer en contact » mais comme « quelque chose en soi », et désire « donner les clefs » à son public pour « se créer un esprit critique » (SB).

Dans ces projets de médiation imaginés par des institutions culturelles, l’artiste reste en quelque sorte dans son atelier, dans sa pratique. L’animatrice quant à elle se voit confiée l’organisation, parfois la coordination, mais surtout la création de liens avec le public visé. L’enjeu de sa collaboration avec le partenaire artistique est de présenter un savoir faire ou une connaissance théorique de l’art qu’elle estime ne pas avoir: « quand on touche à l’art visuel, on touche à d’autres corps de compétences ». Il s’agit donc d’un « travail de complémentarité » (SB). Au delà de cette pédagogie artistique, le développement de la capacité de jugement esthétique peut être envisagé ici en vue d’une participation plus soutenue des publics ciblés à la vie culturelle donc sociale et politique, soit de création de liens sociaux (Lafortune, 2012, p.67).

Une collaboration choisie

Les deux exemples suivants présentent des collaborations plus étroites. Répondant pour l’une à un projet national encourageant des actions citoyennes, et pour la seconde à une action de prévention cantonale, les animatrices sont ici les conceptrices et organisatrices des actions. Même si les contextes de réalisation divergent, leurs démarches se ressemblent beaucoup. Toutes deux engagées par une structure sociale communale, elles choisissent et négocient le mandat d’artistes afin de réaliser des fresques murales avec des jeunes.

Les animatrices demandent d’abord aux artistes un savoir faire technique, par exemple des « compétences dans le graffiti » (AM). Mais elles attendent aussi de lui une adhésion au projet. Le travail artistique n’est pas perçu comme « une cerise sur le gâteau » pour reprendre les mots de S. Rouxel (2011, p.15). L’animatrice refuse « des trucs où juste je te paie pour un mandat », mais veut pouvoir s’entendre avec l’artiste sur « l’idée de base », qu’il soit partie prenante « du projet et puis des objectifs » (GF). Elles les incluent ainsi dans la construction de l’action. Elles considèrent cette collaboration comme une manière de nourrir leur réflexion et le sens de leur action : « l’art il est pas fait pour dormir, en principe il éveille chez nous tout un champ d’imaginaire (..) sur lequel on peut se baser pour aller plus loin dans les discussions. » (GF). En contrepartie, les animatrices attendent des artistes qu’ils puissent se « mettre un peu dans le moule » afin de répondre ici au « mandat d’une administration communale » (AM).

Dans la réalisation, les animatrices demande à l’artiste d’être un pédagogue, un « coach ». L’artiste n’« est pas seule dans la créativité », ce sont « les jeunes qui vont être les artistes » (GF). L’enjeu est de faciliter la participation de jeunes se sentant « appartenir » au projet, et d’obtenir une « cohésion du groupe » (GF). En cela elles estiment intéressant que les artistes aient des compétences relationnelles, « un bon contact avec les jeunes », pour que cela se passe bien. Cela « décharge » un peu « l’équipe d’animateurs », leur permet de prendre « du recul » et de « participer d’une autre manière » au projet (AM).

Enfin, les animatrices attendent de cette collaboration une caution artistique. L’artiste « reconnu comme étant professionnel » leur assure « une bonne crédibilité », une liberté d’action, « une carte blanche. » (AM) et donne au résultat de l’action « de la gueule » (GF). Cela confirme les propos de R. El Khomsi selon qui « la caution artistique, par l’intervention d’artistes professionnels, est très importante car elle confère l’« acceptabilité artistique des objets » » (2011, p.23-24).

Ces deux animatrices accordent donc aux artistes une place importante dans toutes les phases du projet, et espèrent de cette collaboration étroite une transformation positive des liens sociaux dans leurs communes. Ces expériences semblent également vérifier l’hypothèse de R. El Khomsi selon laquelle il y aurait « une sorte d’appropriation des référentiels d’action, voire une acquisition croisée des compétences professionnelles » (2011, p.20). Certes nos animatrices ne tiennent pas les pinceaux, cependant elles participent à l’élaboration de l’idée artistique. Quant aux artistes, elles leur attribuent des qualités relationnelles, ainsi qu’une réflexion ou sensibilité commune sur des problématiques sociales.

Une collaboration fusion

Dans ce dernier exemple artiste et animateur ne font plus qu’un. Liée à aucune institution, ni culturelle ni sociale, la démarche s’apparente à l’indépendance d’un projet artistique, mais sa finalité pourrait être celle d’un centre de quartier, tenter de « revaloriser » un espace et de « recréer de la vie communautaire » (SF). Les initiateurs sont deux artistes formés comme travailleurs sociaux, et qui hésitent à se définir : « peut-être qu’on avait un idéal d’artiste, ou je sais pas, de travailleur social » (CB). Leur action consiste à faire du porte à porte et de photographier avec l’accord des habitants leurs paillassons pour une exposition dans leurs immeubles. Ici les champs professionnels se mélangent et se nourrissent. Selon leurs besoins, les intervenants se servent de l’une ou l’autre « casquette ». Ils évitent par exemple certaines représentations négatives du travailleur social en se présentant comme artistes, « on va pas trop déranger les gens mais on va quand même à leur contact. Et on a cette excuse, bonjour on est des artistes » (SF).

Ce projet est représentatif du terrain d’entente que partagent actuellement artistes et travailleurs sociaux dans leurs interventions dans l’espace public. Nos deux intervenants se réclament ainsi de l’esthétique relationnelle . Il ne s’agit pas d’artistes engagés mais ils appliquent en quelque sorte ce que P. Ardenne nomme « une tactique silencieuse » : ils se font petits aiguillons en se fondant « dans l’organigramme des pratiques sociales » pour travailler la réalité « depuis l’intérieur à petits coups de pic » (2000, p.230). Ce faisant ils dépassent les frontières des champs professionnels et s’inventent une nouvelle fonction : « entrepreneurs dans le domaine de l’art, du culturel, de l’action sociale » (SF).

Conclusion

Ces différentes collaborations avec l’art traduisent la diversité des contextes dans lesquels sont amenés à travailler les animateurs socioculturels. Dans les projets évoqués, la distance et le degré de collaboration fluctuent en fonction des objectifs envisagés. Ainsi dans des mandats liés à des institutions culturelles, les partenaires artistiques sont invités à montrer et à expliquer dans le but de rendre leur art accessible à un public et de favoriser ainsi ses liens avec la société. Cette fonction pédagogique se retrouve dans les actions d’animation socioculturelle mais elle envisagée différemment. La création avec les gens devient l’outil principal de transformation de liens sociaux. L’artiste est invité à se mettre au service du projet, voire à participer à la réflexion de l’animatrice. Enfin, dans le troisième modèle, artistes et travailleurs se fondent dans un entreprenariat social et artistique afin de réanimer les liens sociaux dans l’espace public.

Résumé en Anglais


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