Commandes publiques et ingénierie sociale : co-élaboration d’expertises sociologiques, transactions et traductions

La proposition de communication a pour objectif de modéliser des processus de co-élaboration d’expertises référées à la sociologie, sous forme de recherches-diagnostiques commanditées par des collectivités publiques dans des contextes de pluralité des référentiels cognitifs et idéologiques, de stratification des intérêts et des objectifs visés par les acteurs. Nous partirons de la présentation de deux études dites de « terrain », réalisées par des apprentis-chercheurs accompagnés par des chercheurs plus confirmés, dans le cadre de la formation au DEIS, en Lorraine. En 2010, Le Conseil Général de Meurthe et Moselle, via un Territoire d’Action Sociale fait commande à l’IRTS de Lorraine d’une étude de terrain sur les besoins des personnes âgées en matière de logements sur deux communes en voie de désindustrialisation, concernées par la réhabilitation de cités ouvrières. En 2011, Le Réseau Educatif de Meurthe et Moselle énonce une commande sur l’évaluation des modes d’usages des dispositifs éducatifs par les jeunes accueillis sous mesures de protection de l’enfance. L’objectif des chercheurs était de donner la parole aux publics et de révéler leurs pratiques d’usages en mobilisant des méthodes ethnographiques et sociologiques à visée participative et conscientisante (Dumas et Séguier, 1997). L’objectif des commanditaires visait une connaissance concrète des besoins des publics, mais aussi le positionnement d’un projet politique ou éducatif dans un contexte de négociations interinstitutionnelles. Nous analyserons les transactions développées, aux moments-clés des processus de recherche (définition du cahier des charges, construction des outils d’investigation et d’analyse des données, production et diffusion des résultats). Ces situations « semi-structurées et semi-aléatoires » (Remy, 1996 ; Herreros, 2004) initient plusieurs « points de bascule » où les chercheurs et les acteurs s’influencent réciproquement sur les manières de comprendre les situations mises à l’étude, dans une circulation des pouvoirs d’argumentation et de vérification des faits. Les chargés d’étude considèrent que leurs « inscriptions » (Callon, Lascoumes, Barthes, 2001) et inventions méthodologiques, leurs explicitations en comité de pilotage et en réunions publiques ne sont pas solubles dans les prédicats des acteurs et décideurs du terrain. Les acteurs professionnels et les commanditaires considèrent que les enquêtes doivent contribuer à produire des discussions et des accords sur les voies de la réforme des dispositifs et de l’amélioration des situations des habitants ou des jeunes placés en foyer. Plusieurs processus de régulation, repérables dans l’espace et le temps, ont abouti à des « produits transactionnels » (Rémy, 1998) qui articulent, entre autres, la règle de l’indépendance réflexive des chercheurs et la règle de l’utilité sociale et politique des données produites. A l’issue d’une première « traduction » (Callon et alii, 2001) de la complexité des objets mis à l’étude, les étapes suivantes ont confirmé le processus d’une deuxième traduction de la réalité par la présentation de schémas d’analyse qualitative et quantitative des données (Traduction 2) et son impact sur les représentations des acteurs. La troisième étape (traduction 3) est le théâtre d’un débat entre acteurs et décideurs, parfois dubitatifs et résistants, qui s’appuient sur les énoncés produits par les chercheurs pour réélaborer des accords sur les voies du changement. De leur côté, les apprentis-chercheurs en formation développent des savoirs d’expertise (Trépos, 1996) et s’approprient les savoirs pertinents des acteurs et des publics enquêtés qu’ils ont, par transaction cognitive, intégrés dans leurs représentations des objets étudiés.

Callon M., Lascoumes P., Barthe Y. (2001). Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Seuil.
Dumas B. et Séguier M. (1997). Construire les actions collectives. Développer les solidarités. Chroniques sociales.
Herreros G. (2004). « Sociologie d’intervention : sociologie plastique, Metis et métissage», Gérer et comprendre, n°75, p.81-95.
Remy J., (1998). « La transaction : forme de sociabilité et posture méthodologique », in Freynet M.F., Blanc M. et Pineau G., Les transactions aux frontières du social : formation, travail social, développement local, Lyon, Chronique Sociale, p.20-42.
Remy J., 1996, « La transaction, une méthode d'analyse: contribution à l'émergence d'un nouveau paradigme », Environnement et Société, Fondation Universitaire Luxembourgeoise d'Arlon, n°17.
Streicher F. (2012) « Recherche et ingénierie sociale : produits transactionnels et pratiques hybrides », in « La recherche sur le travail social : critiques des outils, critiques des fondements », sous la direction de Jean FOUCART et Jean-François GASPAR, Pensée Plurielle, 2012/2-3, De Boeck.
Streicher F. (2000). Métiers de sociologues dans des champs extra-universitaires : identités, transactions et stratégies de professionnalisation, Thèse de doctorat, Décembre, Université de Nancy2.
Trépos J.Y, 1996, Sociologie de l'expertise, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?

Frédérique Streicher, Docteur en sociologie, formateur-chercheur, responsable de la formation au Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale (DEIS). Département de recherche de l’Institut Régional du Travail Social de Lorraine. Membre associé au Laboratoire Lorrain de Sciences Sociales (Université de Lorraine).

Le texte original de cet article a été supprimé car il est désormais publié aux Presses de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique dans la Collection Politiques et interventions sociales, sous le titre :
« Les recherches actions collaboratives, une révolution de la connaissance ».
Un nouveau texte présentant un résumé étoffé de cette recherche sera déposé ici prochainement.

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