Introduction
Avant d’être un « aidant naturel » ou un « aidant familial », la personne qui s’occupait d’un proche n’était pas vraiment nommée comme telle, elle apportait un soutien ou une aide mais elle n’était pas catégorisée précisément en fonction de cette activité. Dans les années 2000, le vocable d’« aidant » s’est diffusé, d’abord chez les professionnels et les politiques puis dans le grand public. On peut avancer quelques raisons à cette évolution parmi lesquelles : la mise en évidence au fil des recherches du rôle primordial de cet acteur dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes ; l’importance croissante tant en termes quantitatifs que qualitatifs de la place des aidants dans la société ; la volonté politique de leur faire jouer un rôle de premier plan ; la preuve scientifique désormais parfaitement étayée que les aidants ont souvent eux-mêmes besoin d’être aidés. Au-delà des enjeux médicaux, sanitaires et sociaux, économiques et politiques de cette nouvelle conception de l’aidant familial et de sa place dans la société, se pose la question de son statut et de ses compétences. Plus précisément, dans le cadre de cette communication, nous souhaitons voir comment la reconnaissance progressive d’un statut de l’aidant familial s’est accompagnée de savoirs spécifiques, voire normalisés, sur ses attributions et ses pratiques.
1. Une reconnaissance du statut de l’aidant
L’aidant familial acquiert un statut de mieux en mieux reconnu, que ce soit sur le plan juridique, sociologique ou médico-social. Ainsi, en 2005, la législation française a clairement défini le statut de l’aidant familial dans le cadre de la dépendance d’une personne handicapée avec l’article R.245-7 du Code de l’Action Sociale et des Familles. Depuis 2007, le « Guide de l’aidant familial » est l’outil de référence en France pour les familles confrontées à la dépendance. Il reprend la définition de l’aidant familial en élargissant ses prérogatives à d’autres types de dépendance que le handicap, comme le fera la « Charte européenne des aidants familiaux » en 2009 (Scolona et al. 2011). Cette reconnaissance institutionnelle croissante du statut de l’aidant familial est associée à de nouveaux droits et devoirs. Les droits s’appuient, entre autres, sur les connaissances scientifiques qui s’accumulent dans ce jeune champ de recherche et qui débouchent sur des outils de plus en plus nombreux et sophistiqués destinés à soulager les aidants familiaux. Il en est ainsi des formations, des associations d’écoute et de partage, des structures de répit, des dispositions spéciales dans le cadre professionnel, des contacts facilités avec des professionnels du secteur médico-social. En termes de devoirs, cette acquisition de savoirs savants et la constitution d’un small world de l’intervention sociale autour de l’aidant familial constituent des facteurs de redéfinition de ses pratiques vis-à-vis de la personne dépendante.
2. Un aidant de mieux en mieux informé
Au cours des dernières années, les progrès en matière d’information auprès des aidants familiaux sont notables (HCF 2011). Parmi les dispositifs et sources d’information, mentionnons les Groupes de paroles, les Cafés des aidants, les Centres Locaux d’Information et de Coordination gérontologique (CLIC), les Points informations famille (PIF), les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les Services sociaux dans les mairies, les forums et sites Internet, la Journée nationale des Aidants, les Associations spécialisées, les Fondations, les Mutuelles et Assurances, le Guide de l’aidant familial dont la troisième édition est sortie en 2011, les formations dispensées auprès des aidants ou encore les structures Répit-Repos. D’autres informations sont acquises auprès des personnels médico-sociaux au cours de l’accompagnement conjoint de la personne aidée, tandis qu’un travail plus introspectif permet de restituer ses propres connaissances sur la personne dépendante à ces professionnels.
3. De nouvelles attentes et responsabilités
Consécutivement ou parallèlement à l’évolution de son statut et de son accès à l’information et aux savoirs, l’aidant familial se voit doté de nouvelles prérogatives, sinon légales du moins sociales. Alors qu’il se contentait simplement, il y a quelques années encore, de « s’occuper d’une personne dépendante », l’aidant familial est aujourd’hui investi d’une mission d’assistance plus large et plus complexe, surtout dans le cas des handicaps ou pathologies lourdes. Ainsi, pour Davtian et Scelles (2013), dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale, les récentes orientations 2011-2015 positionnent l’aidant familial comme personne ressource pour gérer la maladie, ce qui lui confère un rôle parfois proche de celui des soignants. Dans le cas du multihandicap, l’aidant familial, de par la connaissance intime et précise qu’il détient sur la personne dépendante, joue souvent le rôle de porte-parole auprès du secteur professionnel (Blondel et Delzescaux 2010). Sources de valorisation, ces attributions élargies sont aussi synonymes de responsabilité accrue, voire de stress pour les aidants, qui, en fin de compte, ne se retrouvent pas forcément « libres dans leur engagement » (Thomas et al. 2011). En effet, en s’institutionnalisant, le statut de l’aidant se trouve assorti de rôles et de compétences supplémentaires que la société attend de lui. Cela est d’autant plus évident que les connaissances en matière de dépendance acquises par les aidants familiaux les rapprochent davantage des professionnels de l’aide sociale. Justement, selon Trabut et Weber (2009), c’est au moment où le travail de l’aidant familial acquiert un équivalent professionnel qu’il deviendrait visible. Ceci renvoie à la question récurrente des échanges entre savoirs profanes et savoirs professionnels. Sans aller jusqu’à parler de professionnalisation, le travail de l’aidant familial, à la rencontre du secteur médical et du secteur social, pourrait se décliner alors comme « une activité légitime et professionnalisée » (Blanc 2010). La manière de valoriser ces savoirs et ces compétences serait, d’une part, de les intégrer pleinement dans le dispositif de suivi des personnes dépendantes, d’autre part, de les faire évoluer quand cela est souhaité et possible vers une qualification voire une professionnalisation.
4. Illustration à l’Ile de La Réunion
A La Réunion, département et région de l’outremer, la question des savoirs et des compétences des aidants familiaux est d’autant plus importante que le vieillissement de la population va y être un des plus rapides du monde, que les générations cohabitent de moins en moins sous le même toit, que le taux de chômage est de l’ordre de 30% sur le moyen terme et que la moitié de la population se situe en dessous du seuil de pauvreté (Sandron 2007). Les modalités de prise en charge des personnes âgées dépendantes sont orientées vers le maintien à domicile, la demande solvable d’hébergement en institution étant très faible. Dans ce contexte, une étude menée par l’Ecole des Métiers de l’Accompagnement à la Personne sur un échantillon de 206 aidants familiaux a permis de mieux connaître leurs besoins et leur hiérarchisation (EMAP 2010). Sur cinq items dans l’inventaire de leurs besoins, la demande d’information et de formation vient en second (58%) juste après l’expression d’un besoin de soutien financier (60%) et avant la demande de solution de répit. Cette demande d’information et de formation concerne aussi bien les pathologies, que les prestations sociales pour diminuer les différentes charges ou la relation aidant-aidé. Un point important soulevé quant à la demande de formation concerne l’aspect dynamique et évolutif de la dépendance. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer ou du handicap, les aidants souhaitent être mieux préparés au fur et à mesure, techniquement et psychologiquement, aux étapes successives qui rythment la relation aidant-aidé. Globalement, les aidants familiaux estiment manquer de reconnaissance sociale, certains mettant même en exergue l’effet pervers de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) qui les confèrerait dans un rôle de « quasi-salarié » et incidemment responsable unique de la bientraitance de la personne dépendante. Dans ce sens, au-delà des impacts immédiats créés par le dispositif Répit-Repos mis en place en 2010 par le Groupement d'Intérêt Public dédié au développement des Services à la Personne (GIP-SAP), il serait instructif d’en mesurer les retombées en termes d’une meilleure reconnaissance collective du statut d’aidant familial et in fine d’une meilleure reconnaissance de soi de la part de l’aidant familial.
5. Conclusion
La reconnaissance progressive, institutionnelle et sociale, du statut de l’aidant familial s’est accompagnée pour ce dernier de nouveaux savoirs, de nouvelles compétences et de nouvelles attributions. En normalisant ces savoirs et en les élargissant, dans le souci objectif d’améliorer la bientraitance des personnes aidées, le risque est d’enfermer l’aidant dans une posture de plus en plus standardisée, contrainte et contraignante. Cette situation peut alors présenter des aspects positifs, se sentir moins isolé, comme des aspects négatifs, augmenter le stress lié à une responsabilité accrue ou circonscrire son rôle au seul champ médico-social.
Bibliographie
Blanc A., 2010, « Les aidants familiaux : la professionnalisation d’une occupation », in Blanc A. (ed.), Les aidants familiaux, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, pp.51-69.
Blondel F., Delzescaux S., 2010, Politiques et pratiques d’accompagnement des personnes multihandicapées vieillissantes : dans les coulisses de la dépendance, Centre de Ressources Multihandicap, Paris, 206 p.
Davtian H., Scelles R., 2013, « La famille de patient schizophrène serait-elle devenue une ressource inépuisable ? », L’Information psychiatrique, n°89, pp.73-82.
EMAP, 2010, Les aidants familiaux à la Réunion. Entre responsabilité politique et histoire familiale, Ecole des Métiers d’Accompagnement à la Personne, Saint-Pierre, 28 p.
HCF, 2011, La place des familles dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, Note adoptée par le Haut Conseil de la Famille lors de sa séance du 16 juin 2011, 160 p.
Sandron F. (ed.), 2007, La population réunionnaise. Analyse démographique, IRD Editions, Paris, 216 p.
Scolana V., Fiechter-Boulvard F., Salle J.-Y., 2011, « Définir l’aide humaine en France : étude juridique », ALTER, European Journal of Disability Research, n°5, pp.265-280.
Thomas P., Hazif-Thomas C., Billon R., 2011, « La vie relationnelle des aidants informels d’adultes malades. Étude sur 20 mois en France métropolitaine », Revue francophone de gériatrie et de gérontologie, vol.18, n°174, pp.186-193.
Trabut L., Weber F., 2009, « Comment rendre visible le travail des aidants ? Le cas des politiques de la dépendance en France, Idées économiques et sociales, vol.4, n°158, pp.13-22.
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