Fiche Documentaire n° 1925

Titre L’IMPACT DES INNOVATIONS SOCIALES SUR LES SAVOIRS ET PRATIQUES

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l'auteur principal

Auteur(s) BOBOT Florence
PITEUX Pascal
 
     
Thème L’APPORT DES FONCTIONS DE RECHERCHE ET D’INGENIERIE SOCIALE
L’expérience de l’APSN, Centre de Ressources Départemental de la Prévention Spécialisée du Nord
 
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

L’IMPACT DES INNOVATIONS SOCIALES SUR LES SAVOIRS ET PRATIQUES

Si on ne change pas la société par décret, on ne décrète pas non plus l’innovation, qu’elle soit technologique et /ou sociale. Nous avons tous entendu ou lu des attentes politiques et programmatiques au développement de l’innovation. Elles nous font parfois penser à des incantations face aux impuissances ou aux déficits de moyens. Il y a cette fois un quasi consensus des chercheurs : l’innovation n’en restera pas moins circonstancielle, conjoncturelle, parfois accidentelle, toujours contingente et contextualisée. L’état de la recherche sur cette question nous permet toutefois d’en identifier les ressorts, les conditions d’émergence, et pour ce qui nous intéresse, dans le champ de la prévention spécialisée comme domaine d’intervention du travail social, d’envisager et de mettre en œuvre les modalités de soutien qu’un centre de ressources peut lui dédier.

Pour se voir conférer le statut d’innovation, la conception d’un nouveau mode de faire est d’abord une invention, souvent locale et en situation, qui nécessite d’être intégrée dans son univers professionnel d’émergence, en démontrant sa pertinence car il s’agit toujours d’une rupture d’orthodoxie. Elle sera ensuite légitimée par son appropriation puis par l’intégration plus générale, voire globale, de son usage.

Notre propos n’est pas uniquement de revenir utilement sur ce processus sur lequel de nombreux sociologues, anthropologues, économistes, professeurs en sciences de l’éducation ou en sciences de gestion ont produit. Il s’agira aussi d’envisager et d’interroger notre expérience de centre de ressources de la prévention spécialisée du Nord, quant aux modalités du soutien à l’innovation dans le champ du travail social. Il sera surtout question, dans cet atelier, d’identifier comment, sous quelles formes, s’opèrent ou pourraient mieux s’opérer les rétroactions de l’innovation sociale et de son évaluation au sein de la formation initiale des étudiants en travail social comme au sein de la formation continue des professionnels de terrain.

Au-delà de ces enjeux de transformation et de transferts de connaissances, notre projet de communication est, dans son prolongement, de mettre en évidence l’utilité de fonctions de type recherche et développement ou d’ingénierie sociale au sein des organisations sanitaires et médico-sociales, lesquelles s’en privent souvent par rationalité de gestion dans un contexte économique tendu ; est-ce un bon « calcul » ? Comment améliorer la recherche en travail social en se privant de conseillers techniques et autres chargés d’études et de recherche sans qu’ils ne soient formés (DEIS par exemple), organisés en réseaux, mobilisés par les centres de formation, sans qu’ils ne soient garantis et obligés par une déontologie qui leur confère à la fois indépendance et obligation de réserve?
Cette communication mobilisera des études, recherches et évaluations de recompositions professionnelles, de nouvelles formes de professionnalités et de pratiques en prévention spécialisée réalisées par l’APSN et ses partenaires.

Bibliographie

Alter, Norbert. L’innovation ordinaire, Editions PUF, Paris 2000
Alter, Norbert, et autres. Les logiques de l’innovation, Editions La découverte, Paris 2002
Chopart, Jean-Noël. Les mutations du travail social, Editions Dunod, Paris 2000
Dubar, Claude. La socialisation : Construction des identités sociales et professionnelles, Editions Armand Colin, Paris 2002
Dubet, François. Le déclin de l’institution, Editions du Seuil, Paris 2002
Mesnier, Pierre-Marie, et Christophe Vandernotte, En quête d’une intelligence de l’agir, Editions L’Harmattan, Paris 2012
Morin, Edgar, Introduction à la pensée complexe, Editions ESF, Paris 1990
Morin, Edgar, La méthode, 3. La connaissance de la connaissance, Editions du Seuil, Paris 1986
Osty, Florence, et Marc Uhalde. Les mondes sociaux de l’entreprise, Editions La découverte, Paris 2007
Wievorka, Michel, et autres. Les sciences sociales en mutation, Editions Sciences Humaines, Auxerre 2007
Zarifian, Philippe. Le modèle de la compétence, Editions Liaisons 2001

Présentation des auteurs

Florence BOBOT, directrice, titulaire d’un master en sciences sociales et développement local, a exercé antérieurement dans le secteur de l’éducation spécialisée en tant qu’assistante sociale puis comme responsable d’un service social départemental. Travaillant à l’APSN depuis 2008, elle a animé des groupes d’analyse des pratiques professionnelles, a accompagné des associations dans l’élaboration de projets institutionnels et travaillé à l’élaboration de contenus de formation et de journées d’étude.


Pascal PITEUX, Chargé d’Etudes et de Recherche, est titulaire du Certificat de Médiation Ethno-Clinique de Paris VIII, du DESS de Conseil en Organisation de Paris VIII et du Master en sociologie de l’entreprise de Sciences-Po Paris. Il exerce ces missions en Prévention Spécialisée depuis 1996, plus particulièrement dans le champ du diagnostic sociodémographique territorial et du diagnostic social organisationnel.

Communication complète

Innovation sociale, nouvelles compétences et nouveaux savoirs
L’exemple de la prévention spécialisée du Nord et des ALSES .
Florence BOBOT, Directrice de l’APSN
Pascal PITEUX, Chargé d’études à l’APSN


La Prévention Spécialisée

La Prévention Spécialisée est une forme d'action socio-éducative initiée au terme du conflit mondial de 1939-1945 par des militants bénévoles et professionnels, auprès des jeunes "livrés à la rue" et souvent regroupés en bandes. L'initiative de ces acteurs de la société civile se fondait sur l'idée qu'il fallait aller à la rencontre des jeunes en voie de marginalisation dans leur milieu de vie naturel et leur proposer une offre relationnelle libre d’adhésion, en alternative aux prises en charge institutionnelles et individualisées, administratives ou judiciaires. L’agrément d’une association de Prévention Spécialisée était alors sollicité par des associations, à une échelle locale, prononcé sur la base d’une étude sociologique du quartier d’intervention qu’elle se donnait pour "géographie prioritaire", pour reprendre un terme de la politique de la ville, inédit dans les années 1960-1970. Néanmoins, elle n’en est pas une anticipation, elle se distingue des dispositifs "descendants" qui verront le jour dans les années 80, initiés par l’Etat, sur la base de critères et d’indicateurs stabilisés à une échelle nationale. Elle a toutefois initié une forme de discrimination positive par l’allocation de ressources éducatives supplémentaires auprès de populations dites "en voie de marginalisation", à une échelle territoriale, dans des quartiers d’habitat social le plus souvent. Les professionnels de Prévention Spécialisée, appelés aussi éducateurs de rue, articulent et mobilisent différents modes d’intervention que sont la présence dans l’espace public (dite présence sociale), l’accompagnement éducatif individualisé, la mise en œuvre d’actions collectives et le soutien aux dynamiques sociales d’organisation collective du quartier, dans l’optique d’une prise en charge globale du jeune au sein de son milieu de vie. Dans un rôle de passeur, les éducateurs de rue développent un partenariat élargi afin d’amener progressivement cette jeunesse en difficulté sociale à se réinscrire dans un parcours d’insertion avec l’aide des structures de droit commun. Par son ancrage local, sa plasticité d’intervention, sa forte autonomie d’action, la Prévention Spécialisée offre des conditions propices à l’expérimentation et à l’innovation sociale.

Les ALSES, une innovation sociale, une rupture

L’innovation est une "destruction créatrice" pour reprendre les termes de Joseph Schumpeter. Pas d’innovation dite de "rupture", sans remise en cause de l’ancien et valorisation du nouveau. L’innovation procède de l’invention, de sa diffusion, et enfin de son incorporation dans les ressources utilisées par un groupe social dont elle modifie les pratiques. Il s’agit bien d’un processus dont l’aboutissement n’est jamais assuré et nombre d’inventions en sont restées à ce stade initial.
Dans le champ du travail social l’innovation revêt toujours une forte dimension axiologique. Elle est source de conflits et donne souvent lieu à des formes de procès quant à ses intentions et aux risques qu’elle engendre, comme ce fut le cas avec les Acteurs de Liaison Sociale dans l’Environnement Scolaire (ALSES). Dans la plupart des cas, l’innovation fait l’objet de controverses méthodologiques, techniques et éthiques qui opposent la conviction des tenants de l’orthodoxie à la responsabilité et au progrès dont se targuent ses partisans. "[…] comme toute dynamique d'innovation, des réactions de résistance émergent au fur et à mesure que l'innovation s'implante. […] De fait, l'innovation scinde la communauté [professionnelle] en deux groupes : celui des innovateurs […] et celui des légalistes, au comportement défensif, voyant dans l'émergence des innovateurs un danger et une remise en cause des fondements du métier ."
Pour l’innovation en travail social que constituent les ALSES dans le champ de la Prévention Spécialisée, nous avons observé que le temps de l’invention a été bref, que celui de son interrogation et de la controverse de moyen terme, que celui de son incorporation a été long mais facilité par une reconnaissance institutionnelle de l’administration départementale et une valorisation à l’échelle nationale. Il nous faut ensuite constater que son transfert adapté vers d’autres secteurs du travail social semble prématuré et enfin qu’avec l’IRTS du Nord/Pas-de-Calais, nous en sommes aux premières expériences de valorisation de ces nouveaux savoirs et compétences auprès des étudiants en travail social (DEES 2).
La forme de recomposition professionnelle que constitue la fonction d’ALSES est une innovation sociale élaborée par l’interaction d’acteurs aux légitimités et rationalités différentes, dans un contexte opportun, "l’évolution inquiétante des conduites anomiques chez les collégiens" et le malaise grandissant des enseignants face à l’agressivité des élèves.
En 1994, Martine Aubry envisage à Lille la création d’emplois-villes, en cherchant les besoins nouveaux et non couverts auprès des associations et institutions, sous la forme d’un appel à projet. Quatre collèges lillois vont répondre à cet appel à projet, sur le registre de "de la sécurité et de la prévention des incivilités". Alors que les représentants de l’Académie, de la Région et de la municipalité s’orientent vers la création "d’agents d’ambiance dans une logique de pacification", la police nationale souligne les risques de confrontation entre jeunes et "emplois-ville peu formés et peu aguerris" et ne se montre pas favorable à cette initiative. L’association de prévention spécialisée "Itinéraires" intervenant sur ces quartiers proposera alors qu’une étude soit conduite pour objectiver la situation, sur la base d’une approche compréhensive à partir d’interviews d’un panel d’acteurs, enseignants, parents d’élèves, direction des établissements, service social auprès des élèves et collégiens. De la restitution de cette étude nous retiendrons que l’insécurité est vécue par tous mais que son ressort est différent. Nous pouvons également le rapporter aux différentes légitimités et prérogatives que chacun s’attribue et que l’institution confère à chacun. D’abord, les enseignants sont davantage confrontés à la violence physique des élèves entre eux et finalement assez peu à des agressions à leur égard, ensuite les parents d’élèves expriment le sentiment que leurs enfants ne sont pas en sécurité au collège, à l’écoute des craintes que ces enfants expriment, enfin, les collégiens se sentent vulnérables et contraints face à l’agressivité de certains élèves.
Dès lors, l’association "Itinéraires" va défendre l’idée qu’il convient de recourir à des professionnels expérimentés, susceptibles d’intervenir dans le champ éducatif, à de multiples interfaces, dans et hors le collège, dans les différents lieux de socialisation des jeunes dont le statut de collégien n’est que l’un des attributs. L’intitulé d’Acteurs de Liaison Sociale dans l’Environnement Scolaire (ALSES) trouve ici son origine. Cet acronyme rappelle implicitement qu’un collégien est aussi un préadolescent ou un adolescent évoluant dans des environnements multiples qu’il faut intégrer dans un processus d’éducation globale. La proposition de l’association "Itinéraires" conduira à expérimenter, à inventer, puis à développer une recomposition du métier de travailleur social de prévention spécialisée, dans une posture de tiers instituant, entre quartier d’agrément, familles, institution scolaire, collégiens et groupes de pairs. Une difficulté persistait, le financement de trois postes expérimentaux sur une année dont l’impact devait être évalué par un cabinet de conseil en ingénierie sociale. Le recours au mécénat d’entreprise, fort critiqué, permit d’équilibrer le budget de l’expérimentation. Au terme d’une année expérimentale l’évaluation fut positive et l’association innovatrice fut mise pour un temps au ban de la profession, à plusieurs titres dont nous citons les principaux :
En acceptant de répondre à l’appel à projet de la municipalité lilloise, l’association "Itinéraires" rompait avec la "doctrine" de la prévention spécialisée qui revendiquait une indépendance budgétaire vis-à-vis des élus municipaux, au motif d’un risque d’instrumentalisation à l’échelle locale ;
En recourant à une donation d’entreprise elle fut suspectée de participer à la marchandisation du travail social ;
La présence régulière et contractualisée dans une institution la mettant potentiellement en situation de se faire adresser des jeunes considérés comme déviants, pouvait signifier une rupture du principe de non-mandat (premier principe énoncés par l’arrêté interministériel du 4 juillet 1972 qui fonde la prévention spécialisée) ;
En intervenant dans les collèges elle prenait le risque de remettre en cause la "libre adhésion des jeunes" (second principe énoncé par l’arrêté interministériel du 4 juillet 1972), lesquels seraient plus ou moins orientés par les acteurs de l’institution vers le travailleur social de Prévention Spécialisée ;
L’anonymat des jeunes serait impossible à préserver, au vu et au su de tous les membres du collège (troisième principe énoncé par l’arrêté interministériel du 4 juillet 1972) ;
En engageant une coopération avec l’Education Nationale, elle s’institutionnaliserait, en rupture du principe de "non-institutionnalisation" (quatrième principe énoncé par l’arrêté interministériel du 4 juillet 1972).

En s’engageant dans ce processus d’innovation, l’association "Itinéraires" s’isolait, s’inscrivait d’une certaine manière en rupture d’orthodoxie des fondements et valeurs de la prévention spécialisée. Elle fut un temps considérée comme un contre-modèle. A cet isolement de son propre champ professionnel, s’ajoutera l’opposition d’une majorité des assistantes sociales scolaires, soutenue syndicalement, qui voyait dans le développement des ALSES une concurrence, une mise en cause du secret professionnel, une externalisation des missions de leur service.
Il faut constater que comme tout processus d’innovation, celui-ci ne s’est pas déroulé sans engagement, sans risque et sans conflit. Son destin aurait pu être tout autre, de nombreux facteurs de contingence pouvant le conduire à l’échec. Il s’agit moins ici d’une recette ou d’un modèle transposable que d’une expérience singulière qui met toutefois en évidence en tant que facteur d’émergence de l’innovation sociale, une conjonction propice dans laquelle s’imbriquent à l’occasion d’une situation critique : initiative politique, appui partenarial sur la base de coopérations éprouvées, stratégies opportunes et prise de leadership. Un autre facteur apparait décisif, la prise de risques par des responsables et cadres associatifs, mettant ici la légitimation de leurs initiatives et décisions culturellement en tension.
Comme l’a écrit Arthur Schopenhauer, "Toute innovation passe par trois stades. D’abord elle est ridiculisée, ensuite elle est violemment combattue et finalement elle est considérée comme ayant toujours été inévitable". Bien plus qu’inévitable elle est devenue enviable et alors qu’aujourd’hui trente équivalents temps plein d’ALSES sont intégralement financés par le Conseil Général du Nord au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance, les demandes de postes supplémentaires manquent de financements. De nombreuses associations et Départements nous sollicitent pour s’inspirer de cette nouvelle forme d’intervention de la prévention spécialisée qui a su investir des espaces-tiers, en préservant son autonomie et son indépendance.

Les impacts de l’innovation sur les différents univers socioprofessionnels impliqués, la production de nouveaux savoirs en situation

A lire Renaud Sainsaulieu, si "Dans un contexte de profondes transformations, comme celui qui caractérise ce début de siècle, il faut bien comprendre que c'est au cœur des institutions productives (l'entreprise, l'administration, l'association), que les hommes et femmes adultes doivent apprendre à surmonter le choc du changement par l'inventivité dans leurs relations sociales de coopérations." cet apprentissage ne va pas de soi et comme l’écrit encore Françoise Cros, comment "sortir des règles instituées […] sortir de l'impersonnalité, fabriquer des objets communs, trouver des lieux où s'expriment les controverses, […] introduire de l'incertitude" ? En effet, Norbert Alter le souligne, dans la trajectoire d’une innovation il faut "considérer les conditions initiales comme des sortes de vides. Les acteurs s'y engagent pour donner sens et efficacité à leur activité. Cet engagement est collectif. Mais il n'est pas synchronique : au départ comme au point d'aboutissement, les acteurs n'ont pas les mêmes conceptions de l'usage et du sens à donner à l'innovation ". L'absence de réponses à la montée de la violence dans les collèges, le désarroi des enseignants, la difficulté des éducateurs à joindre sur le quartier une population peu présente parce que scolarisée, constituent "des sortes de vides" que l'ensemble des acteurs a voulu combler, au moins pour partie. Si ce n'était pour donner "sens et efficacité à leur activité", ce fut sans aucun doute pour en renforcer le degré. Nous avons pu constater également comme l’évoquent Florence Osty et Cécile Guillaume que "Le partenariat s'avère selon les cas, reposer sur la rencontre d'intérêts croisés mais qu’il peut aussi se consolider sur les liens de connivence et la rencontre de finalités éducatives communes ". Nous nous attacherons ici aux effets d’apprentissages, en lien avec les modifications des savoirs et compétences. En effet si "la compétence est une intelligence pratique des situations qui s'appuie sur des connaissances acquises et les transforment, avec d'autant plus de force que la diversité des situations augmentent" celle des éducateurs de Prévention Spécialisée devenus "ALSES" s'est incontestablement élargie. De surcroît, cette innovation, avec ses inconnues, a produit des effets "d'apprentissage en situation" entre deux mondes socioprofessionnels qui jusqu’alors, sans s’ignorer, coexistaient de manière relativement cloisonnée, parfois en s’adressant mutuellement la responsabilité d’échecs éducatifs. De fait, au-delà de l’élargissement des compétences, c’est le développement des coopérations au sein du travail social et avec son environnement qui est ici questionné. Le cas des ALSES, acteurs immergés dans et hors l’institution, entretenant des relations de nature très diverses avec les jeunes, les familles, les différents professionnels du collège , nous enseigne qu’un levier supplémentaire est à promouvoir et à mobiliser pour établir des partenariats éducatifs, plus solidement que sur la simple base de "la connaissance des missions de chacun et du qui fait-quoi". Il s’agit de la compréhension empirique du vécu au travail et en situation des différents professionnels avec lesquels ils sont susceptibles de coopérer. L’objectif est aussi de réunifier avec eux les différentes figures disjointes du jeune, l’élève, l’adolescent an sein de son groupe de pairs, l’enfant d’une famille, l’habitant d’un quartier, etc. De même, pour les éducateurs, la compréhension du vécu scolaire d’un adolescent permet-il de mieux élaborer l’accompagnement éducatif par une meilleure intelligibilité de son rapport avec ses différents univers de socialisation. Il faut noter qu’à la phase initiale de cette expérimentation, des professionnels des collèges furent invités à partager des séquences de pratiques diverses de prévention spécialisée, telles le travail de rue et les accueils de jeunes dans les permanences de quartiers. Aujourd’hui des coopérations enseignants/éducateurs s’opèrent parfois hors les murs du collège à l’occasion de manifestations liées à la vie du quartier par exemple.

De nouvelles compétences à l’œuvre

Pour tenir leur fonction de "tiers", les ALSES ont transformé leurs connaissances initiales, par l’expérience, et ont développé des grilles de compréhension des relations entre l’univers scolaire, la sphère familiale, l’environnement social du collégien. Ils ont développé des compétences d’adaptation, de transaction, de traduction. Ces compétences relèvent essentiellement de trois grands registres de capacité :
1.La capacité à évoluer dans des univers socioprofessionnels distincts et très différents du pont de vue de la structure, des statuts, des modes de coordination, des métiers, de la culture au travail, des modes de légitimation de l’action, pour ne citer que ces aspects.
2.La capacité à traduire et à rendre compréhensible, pour chacun, les ressorts d’une situation problème, à titre d’exemples :
Le comportement ou la situation d’un adolescent-collégien ;
La réaction d’un enseignant auprès d’un élève ou d’un groupe d’élèves ;
L’attente ou la décision d’un établissement auprès de la famille ;
Ce qui est en train de se jouer sur le quartier et qui impacte le climat, l’ambiance du collège, etc.
Ces capacités qui empruntent certains de ces aspects à la médiation, participent à faciliter la mise en lien et en interaction des différents espaces de socialisation d’un jeune autant qu’à produire le sens nécessaire à l’ajustement des acteurs concernés.
3.Ensuite et c’est une résultante des deux capacités que nous venons de souligner, la capacité à mobiliser sur une situation, des acteurs de l’éducation, de la jeunesse et du travail social en connaissant les "codes socio-professionnels" de chacun d’entre eux (lesquels sont parfois peu "habitués ou peu enclins" à entrer en relation de travail avec les collèges, souvent par effet de représentations sociales).
Pour autant ces capacités développées ne sont pas acquises une fois pour toutes, elles supposent une vigilance personnelle de l’ALSES, de l’équipe éducative à laquelle il appartient et de l’encadrement, face à deux risques majeurs : l’absorption progressive et identitaire par l’institution scolaire ou un clivage entre l’exercice éducatif interne et externe. Cette absorption ou ce clivage hypothéquerait la fonction de lien, d’interface, la posture de tiers, de passeur interne/externe. De fait, l’analyse des pratiques entre pairs et la formation constituent des ressources réflexives pour les ALSES dont la professionnalité ne peut se résumer à une simple hybridation professionnelle.

Les modalités de soutien au développement et à la diffusion de l’innovation, les nouveaux savoirs, les nouvelles compétences et les nouvelles pratiques ; quels liens avec la formation initiale et continue des travailleurs sociaux ?

L’APSN est agréée "Centre de Ressources Départemental de la Prévention Spécialisée du Nord". Il s’agit d’une structure professionnelle de conseil, de formation, d’ingénierie sociale, autant qu’un observatoire des pratiques et des publics. Son soutien au développement des innovations, comme celle des postes ALSES, s’effectue en réalisant des études sur ces innovations ou en y collaborant. L’activité de l’APSN dans l’accompagnement de ces innovations, c’est aussi le développement d’offres de formations et de groupes d’échanges et d’analyse de pratiques professionnelles. Concernant les ALSES, des groupes d’analyse de pratiques entre pairs existent depuis une dizaine d’années. Pour les nouveaux arrivants sur ces postes, ces groupes participent également à la construction progressive de leur posture dans un univers institutionnel jusqu’alors inhabituel pour eux.
Soutenir l’innovation c’est aussi communiquer sur ces nouvelles formes d’intervention, par l’organisation de colloques ou journées d’étude , ou encore par des articles dans des revues spécialisées.
Dans le partenariat que le centre ressource construit avec les centres de formation au travail social, elles sont intégrées dans le contenu des formations initiales des futurs travailleurs sociaux. Ce retour au niveau de la formation initiale n’est pas seulement à envisager du côté de la formation des travailleurs sociaux de terrain mais pourrait trouver aussi une diffusion dans les formations supérieures, comme le DEIS particulièrement. Il s’agirait plus spécifiquement d’aborder le soutien aux innovations sociales auprès de futurs professionnels appelés demain à des fonctions d’expertise et de conseil, de conception, de développement et d’évaluation.
En ce sens, nous pourrions parler de processus permanent dans la transmission de nouveaux savoirs issus de pratiques innovantes des acteurs confrontés aux évolutions de leurs environnements, selon le schéma ci-dessous.

Dans ce processus, les fonctions d’ingénierie sociale s’attachent à repérer, étudier, évaluer, soutenir, conforter et diffuser l’innovation. Elles sont à promouvoir et à développer dans un contexte économique qui affecte les ressources de l’action sociale. Cette situation tend encore plus à orienter les choix de recrutement sur la ligne hiérarchique et le centre opérationnel des organisations de ce secteur. Si l’expérimentation et le soutien à l’innovation représente un coût certain, il s’agit aussi d’un investissement dont le défaut pourrait s’avérer à terme une erreur économique et sociale.

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