Fiche Documentaire n° 1991

Titre L’activité des éducateurs sociaux entrevue sous l’angle de la corporéité : regard croisé entre praticiens, enseignants, chercheur et étudiants

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Auteur(s) LOSER Francis
DONNAT Esther
TESTINI Antonio
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

L’activité des éducateurs sociaux entrevue sous l’angle de la corporéité : regard croisé entre praticiens, enseignants, chercheur et étudiants

Les pratiques des éducateurs se trouvent actuellement bousculées dans leurs repères traditionnels (introduction des normes qualité, hiérarchisation du métier, etc.) et nous estimons central que dans la formation des étudiants une attention toute particulière soit accordée à la posture professionnelle. Entre une éducatrice sociale, un éducateur chargé de cours et un enseignant-chercheur, l’idée nous est venue de nous intéresser à cette question, et plus particulièrement à la part de corporéité qui ressortit de l’activité des éducateurs, en menant une expérience de type recherche-action avec des étudiants de la HETS .
Lorsque nous évoquons la corporéité de l’agir, nous faisons référence à différents travaux et approches. Nous pensons bien sûr à la mètis, l’intelligence pratique des Grecs que Michel de Certeau (1990) assimile aux arts de faire et autres bons tours, dont s’emparent Christophe Dejours (2003) et Yves Clot (1998) pour définir l’homme au travail et Mireille Cifali (1994) pour appréhender le savoir-faire des éducateurs. La corporéité de l’agir concerne aussi la notion d’« habitus », que Pierre Bourdieu (1980) associe au sens pratique et au « savoir par corps », et la théorie mimétique (Gebauer & Wulf, 2004) qui vient souligner la part corporelle des apprentissages de socialisation. A l’instar des gestes quotidiens, l’activité professionnelle repose sur « cette intelligence du corps […] méconnue par ceux-là mêmes qui pourtant la mettent en œuvre constamment » (Dejours, 2003, p 22). Comme le remarque Hans Joas (2008), il ne s’agit toutefois pas de concevoir le corps sous le seul angle d’un agir instrumental, mais de considérer ce dernier aussi pour sa part de passivité, de réceptivité et de sensibilité. A ce sujet, Richard Shusterman note que « je suis un corps et j’ai un corps» (2009, p 45) et cette expérience existentielle incarnée est formatrice de notre rapport au monde.
Lorsque l’agir humain n’est pas réduit à l’activisme, cela confère un statut à la sensibilité et à l’affectivité qui sous-tendent l’activité des éducateurs et l’ensemble des interactions dans lesquels ces derniers sont quotidiennement engagés avec les usagers. D’une certaine façon, le travail éducatif relève de l’esthétique car « il existe une forme de compréhension située en-deçà de l’interprétation, et même en-deçà du langage » (Shusterman, 2007, p 8). De fait, l’acte éducatif suppose « un engagement exigeant l’implication de soi […] » (Gaberan, 2007, p 103), voire une certaine « emprise » (Cifali, 1994, p 134). Michel Lemay (Capul & Lemay, 2005) note à ce sujet que « le principal outil de l’éducateur, c’est sa personnalité », ce que ne renie pas Donald Schön qui estime que l’activité des professionnels requiert certes de la réflexivité, mais également la mobilisation de savoirs incorporés (Schön, 1994).
Pour amorcer notre démarche, nous avons appréhendé notre objet à partir de nos différents rôles professionnels afin d’identifier quelques outils et apports à même d’aider les éducateurs à prendre davantage conscience de leur positionnement, notamment corporel, en cours d’activité (tonus, tensions, registres émotionnels, etc.). Pour soutenir notre cheminement, nous bénéficions d’un journal de terrain, dans lequel sont consignées les observations in situ d’une dizaine d’éducateurs en activité , et nous prenons également appui sur les apports que proposent l’hypnose éricksonienne (Roustang, 2003) et la phénoménologie (Depraz, 2006). Dès le semestre de printemps, nous allons poursuivre nos expérimentations avec plusieurs groupes d’étudiants afin de tester et adapter plus avant notre approche méthodologique.

Bibliographie

Bourdieu, P. Le sens pratique, Paris : Les Editions de Minuit, Coll. Le sens commun 1980.
Capul, M. Lemay, M., De l’éducation spécialisée. L’éducation spécialisée au quotidien, Ramonville Saint-Agne : Eres, 2005.
Cifali, M., Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique, Paris : PUF, 1994.
Clot, Y., Le travail sans l’homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie, Paris : La Découverte & Syros, 1998.
De Certeau, M., L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Paris : Gallimard, Folio essais, 1990.
Dejours, C., L’évaluation du travail à l’épreuve du réel. Critique des fondements de l’évaluation. Paris : INRA, 2003.
Depraz, N., Comprendre la phénoménologie. Une pratique concrète, Paris : Armand Colin, Coll. Cursus, 2006.
Gaberan, P., Cent mots pour être éducateur. Dictionnaire pratique du quotidien, Ramonville Saint-Agne : Eres, 2007.
Gebauer, G., Wulf, C, Jeux, rituels, gestes. Les fondements de l’action sociale, Paris : Economica, coll. Anthropos, 2004.
Joas, H., La créativité de l’agir, Paris : Les Editions du Cerf, 2008.
Loser, F. (2010), La médiation en travail social : enjeux et pratiques en atelier d’expression et de création, Genève, Editions IES.
Roustang, F., Il suffit d’un geste, Paris: Odile Jacob, 2003.
Roustang, F., Savoir attendre pour que la vie change, Paris: Odile Jacob, 2006.
Schön, D. A., Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal : Editions Logiques, Collection formation des maîtres, 1994.
Shusterman, R., Conscience du corps. Pour une soma-esthétique, Paris-Tel Aviv : Editions de l’éclat, 2007.
Schusterman, R., « Penser en corps. Eduquer les sciences humaines : un appel pour la soma-esthétique », In Penser en corps. Soma esthétique, art et philosophie / sous la dir. de Barbara Formis, Paris : L’Harmattan, coll. L’art en bref, 2009, p. 41-76.

Présentation des auteurs

Esther Donnat, éducatrice sociale, travaille avec des enfants présentant des troubles psychiques.
Antonio Testini, chargé de cours à la HETS, travaille dans un foyer pour adolescents.
Francis Loser, Professeur à la HETS, s’intéresse à l’analyse des pratiques professionnelles.

Communication complète

L’activité des éducateurs sociaux entrevue sous l’angle de la corporéité : regard croisé entre praticiens, enseignants, chercheur et étudiants
Les pratiques des éducateurs se trouvent aujourd’hui bousculées dans leurs repères traditionnels (introduction des normes qualité, hiérarchisation du métier, etc.) et nous estimons central que dans la formation des étudiants une attention toute particulière soit accordée à la posture professionnelle. Dans le cadre d’un échange entre une éducatrice sociale, un éducateur chargé de cours et un enseignant-chercheur, l’idée est venue de se pencher plus avant sur cette question en rapport à la corporéité de l’agir qui sous-tend l’engagement professionnel des éducateurs.
La corporéité de l’agir fait référence à divers travaux et touche à des notions comme celle de mètis, l’intelligence pratique des Grecs, que Michel de Certeau (1990) assimile aux arts de faire et autres bons tours. Yves Clot (1998) s’en est emparé pour définir l’homme au travail et Mireille Cifali (1994) pour appréhender le savoir-faire des éducateurs. La corporéité de l’agir renvoie aussi aux savoirs incarnés (Schön, 1994), à la notion d’« habitus » que Pierre Bourdieu (1980) associe au sens pratique et au « savoir par corps » ainsi qu’à la théorie mimétique (Gebauer & Wulf, 2004) qui pointe la part corporelle des apprentissages de socialisation. A l’instar des gestes quotidiens, l’activité professionnelle repose sur « cette intelligence du corps […] méconnue par ceux-là mêmes qui pourtant la mettent en œuvre constamment » (Dejours, 2003, p 22). Pour le sociologue Hans Joas (2008), il ne s’agit pas d’appréhender le corps sous le seul angle de l’agir instrumental, mais aussi avec sa part de réceptivité et de sensibilité ; vision partagée par Richard Shusterman qui, au travers de la formule « je suis un corps et j’ai un corps» (2009, p 45), souligne que c’est notre expérience incarnée qui fonde notre rapport au monde.
D’une certaine façon, le travail éducatif relève de l’esthétique car « il existe une forme de compréhension située en-deçà de l’interprétation, et même en-deçà du langage » (Shusterman, 2007, p 8) inhérent à « un engagement exigeant l’implication de soi […] » (Gaberan, 2007, p 103), c’est-à-dire un engagement qui est à la fois corporel, affectif et intellectuel (Loser, 2013).
Ces éléments de réflexions ont pu être étayés par nos observations de terrain et il nous a semblé intéressant de mener des expériences de type recherche-action avec des étudiants de la HETS . En clair, nous avons imaginés des dispositifs pédagogiques à même d’aider les éducateurs à prendre conscience de leur positionnement corporel et émotionnel (tonus, tensions, registres émotionnels, etc.).
Avant de faire état de nos expérimentations, nous allons d’abord introduire une vignette clinique proposée par Esther qui exerce son activité d’éducatrice dans un centre de jour avec des enfants de six à treize ans présentant, à des degrés divers, d’importants troubles dans leur rapport au monde et aux autres. Les interactions décrites ci-après se déroulent dans un atelier de peinture animé par la praticienne depuis de longues années. Les règles du lieu sont volontairement minimalistes : le matériel est à disposition et les thèmes sont libres car la finalité de l’activité vise les découvertes personnelles et le potentiel relationnel. A la faveur de travaux de rénovation, une ouverture a été pratiquée dans une des parois de l’atelier ce qui amené des changements dans les interactions, mouvement dont Roberto sera le précurseur avant d’être suivi par d’autres enfants.
Alors que ses facultés langagières sont inhibées, qu’il ne peut pas soutenir le contact visuel et que toute activité productive provoque sa fuite, Roberto va rapidement comprendre comment utiliser de façon ludique ce dispositif en « confessionnal ». Dans cet endroit dérobé, corps à l’abri du regard, gestes et parole ont pu se libérer car l’enfant pouvait voir sans être vu tout en gardant le contact au travers du jeu vocal. Ainsi, installé dans son « coin », Roberto a déployé une inventivité insoupçonnée pour à la fois capter l’attention de l’éducatrice et repousser cette dernière dès qu’elle s’approchait de lui. Durant ce jeu de cache-cache, l’enfant aimait notamment ouvrir et fermer, tour à tour, fenêtre et robinet et raconter par le menu chaque action ou petits événements entraperçus depuis la fenêtre. Au fil du temps, gestes et parole ont perdu leur caractère mécanique pour prendre un sens de plus en plus partagé. Dans le lavabo, les jeux d’eau se sont mués en « potions magiques » que Roberto fabriquait en mélangeant les couleurs. Conservés dans des pots et soigneusement étiquetés, ces mélanges ont fait l’objet de longues conversations sur leurs propriétés extraordinaires, et pas seulement supposées puisqu’elles ont eu pour effet d’attirer l’attention des pairs avec lesquels l’enfant éprouvait bien du mal à entrer en contact.
En conjuguant parole et agir à l’abri des regards, Roberto a semble-t-il pu expérimenter la question de la présence. Présence à soi et à l’autre, présence dans l’activité et dans les interactions avec autrui en utilisant le dispositif pour régler l’intensité des échanges.
Dans cette vignette, l’activité de l’éducatrice apparaît en creux et se singularise par une capacité à jouer en finesse avec l’enfant et cela aussi bien sur le plan émotionnel et corporel (jeu de rapprochements et d’éloignements) que symbolique et imaginaire (l’eau colorée qui se mue en potion magique). Pour agir adéquatement dans cette suite d’interactions, la praticienne a certainement mobilisé ses connaissances de l’enfant et des troubles qui le caractérisent, mais elle a aussi et surtout dû faire appel à sa sensibilité. La notion de présence à l’autre, évoquée par Esther, vient étayer cette hypothèse qui nous amène à considérer la posture éducative sous l’angle de l’empathie et de la disponibilité à soi et aux autres.
Concernant nos expérimentations avec les étudiants, précisons que celles-ci ont été menées avec deux groupes selon des modalités bien distinctes. Dans les lignes qui suivent, nous allons d’abord présenter l’expérience menée par Antonio qui est au bénéfice d’une formation à l’hypnose eriksonnienne, approche qui offre un accès au corps par le sentir. L’hypnose suppose un état de conscience particulier permettant de se rapprocher de soi en habitant pleinement ses sensations corporelles internes. Eprouvé à l’état naturel par tout un chacun à divers moments de la journée, cet état peut être activé, maintenu, voire amplifié par des techniques hypnotiques. Celles-ci consistent à focaliser l’attention sur une partie de son corps, sa respiration ou une image n’exigeant pas d’effort mental. La progression par palier dans le processus hypnotique a pour objectif de laisser s’installer en soi une attention diffuse (Roustang, 1990). Emerge alors une possibilité d’unification corps-esprit et d’une autre perception de soi. Par la disponibilité ainsi créée, il est possible d’élargir sa perception restreinte du monde environnant. Paradoxalement, si l’expérience est nécessairement solitaire, puisqu’il s’agit d’oser prendre sa place dans son propre monde, la nature holistique de la perception ainsi éprouvée amènerait finalement à un ajustement des rapports entre soi et l’entourage relationnel qui constitue la source du lien social (Roustang, 2003). Ce dernier aspect souligne l’intérêt que peut présenter l’hypnose pour la formation des travailleurs sociaux.
Une expérience liée à l’hypnose a été proposée à un groupe d’une quinzaine d’étudiants en travail social totalement consentants. Guidés par les inductions de transe formelle du formateur, les participants ont d’abord été invités à construire leur safe-place, « représentation tranquillisante et réconfortante d’un “ lieu” ou d’une “scène” qui a pour effet de créer ou renforcer un sentiment personnel de sécurité » (Salem 1999). Cet espace de sécurité en soi peut reposer sur des sensations corporelles. En se familiarisant ainsi avec l’autohypnose, les étudiants ont progressivement pu augmenter leur aptitude à percevoir pleinement les sensations corporelles et, par là même, à renforcer leur ouverture à l’autre et à l’accueil de sa différence. Ce phénomène a pu être concrètement travaillé par les étudiants au travers d’un exercice d’écoute-restitution par groupes de deux ou plus. Après l’expérimentation, une partie des étudiants a mis en évidence que celle-ci leur a permis de sentir une énergie et des émotions favorables à la compréhension d’autrui.
Ces exercices ont été repris à différents moments avec les étudiants qui ont ainsi pu consolider leur ouverture aux autres en observant une distance avec leurs croyances et leurs habituelles voies d’interprétation de la réalité.
La seconde série d’expérimentations a été menée par Francis avec un groupe constitué d’une dizaine d’étudiants qui suivent, parallèlement à leur activité professionnelle, une formation d’éducateur ou d’animateur socioculturel.
Différents exercices leur ont été proposés, pour notamment expérimenter la double réduction husserlienne (Depraz, 2006) qui consiste à d’abord à se départir de ses préjugés en revenant à la stricte observation des faits, pour ensuite opérer une prise de conscience de soi, corporelle et émotionnelle, en rapport au monde environnant. Pour expérimenter cette double réduction, les étudiants étaient appeler à se balader seul et en silence pour ensuite observer longuement un objet de leur choix. Après cet exercice, les étudiants évoquent le plus souvent le calme éprouvé et l’impression d’être à nouveau relié au monde.
Ci-après, nous allons nous intéresser à un autre type d’exercice qui a directement trait au « savoir par corps » (Bourdieu, 1980) et à la prise de conscience de cette réalité première. L’exercice imaginé reposait sur un dispositif sommaire puisqu’il était composé d’une rangée de chaises sur lesquels les étudiant était appelé à s’asseoir comme pour assister à un spectacle. La représentation était également minimaliste : l’un après l’autre, les étudiants étaient invités à déambuler devant leurs camarades. Partant de l’idée que la marche constitue un des premiers savoirs incorporés, il nous a semblé intéressant de la mettre en scène pour incarner le concept d’habitus.
D’abord surpris par la proposition, les étudiants ont rapidement croché à l’hameçon et ont accepté, tour à tour, de déambuler et de consigner leurs observations lors du passage d’un de leurs pairs. Devenir l’objet d’une observation occasionne une gêne qui, durant l’exercice, se signalait de diverses façons : petits mouvements corporels (froncement de sourcil, mimique, haussement d’épaule, etc.), changements dans la posture corporelle (redressement de tête ou du thorax par exemple), accélération du rythme, sans compter les jeux de regards le plus souvent accompagné d’un sourire ou de petits rires. Toutefois, les étudiants ont remarqué que ce sentiment de gêne provenait aussi de l’attention portée à leur propre mouvement qui perdait ainsi tout naturel. En surprenant le regard des autres étudiants, un des participants a ainsi pris conscience d’un phénomène troublant : « Je me suis vu marcher ».
La réalisation de l’exercice a permis de tisser quelques liens utiles avec la pratique professionnelle et la corporéité de l’agir. Par exemple, c’est avec un regard amusé que les étudiants du groupe ont découverts la démarche de deux éducateurs de rue qui, tous deux, ont déambulé avec un balancement chaloupé du haut du corps et des bras. Pour les observateurs, cette façon de marcher rappelait clairement la « démarche des caïds ». A la faveur de cet exercice, les deux étudiants ont pris conscience de l’importance que joue le mimétisme dans les apprentissages sociaux, phénomène présent dans leur posture corporelle qui rejoue celle des jeunes qu’ils accompagnent. Cela a conduits ces deux étudiants à réfléchir à leur engagement professionnel et la façon dont ils gèrent la distance à l’autre.
Au cours de l’exercice, à de rares exceptions près, les étudiants ont opté pour une démarche rapide qui se conjuguait le plus souvent avec un regard fixe, dirigé droit en avant, parfois en direction du sol. Lors des échanges, plusieurs participants ont avoué s’être donné un but ou un point précis à atteindre, stratégie payante pour dissiper l’inconfort ressenti. Dans la pratique professionnelle, n’en va-t-il pas un peu de même ? Outre l’injonction de remplir certaines tâches, il est évidemment plus aisé de mener une activité structurée que de se mettre en position d’écoute de l’autre et de construire l’activité sur la base de qui surgit, comme nous l’avons vu dans la vignette d’Esther. Dans ce second cas de figure, l’action ne se signale pas par l’activisme, mais par la réceptivité et la conscience de ce qui se passe en soi et dans l’interaction avec autrui. Pour appuyer cette observation, il est intéressant de se rapporter à la réflexion formulée par une des étudiantes. Celle-ci a été frappée par la différence de style entre sa démarche – pas lent et regard alentour – et celle d’une de ses camarades – pas rapide d’un point à un autre – dissemblance qu’elle a mis en lien avec leur manière de fonctionner dans la vie. Alors que l’une aime prendre le temps de musarder, de découvrir et d’expérimenter, au risque de parfois se perdre, la seconde se donne des plans de route afin de baliser son action. Cette observation rejoint celle d’un autre étudiant : « dans la démarche, tout se voit ». Réel habitus en acte, la démarche donne effectivement des informations sur le tonus (rythme, pas lourds ou légers, etc.), la détermination (pas assurés ou hésitants), voire le rapport au monde (regard, gestuelle, mimiques, etc.). Mais bien évidemment, il ne suffit pas d’une seule observation pour se faire une idée d’une personne car tout dépend toujours du contexte et du moment.
Les expériences relatées dans le cadre de cet article tendent à montrer que le corps, trop souvent oublié dans notre culture, constitue une clé d’entrée fructueuse pour travailler avec les étudiants la question de la posture professionnelle.

Esther Donnat, Francis Loser, Antonio Testini

Bibliographie
Bourdieu, P. (1980), Le sens pratique. Paris : Les Editions de Minuit.
Cifali, M. (1994), Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique. Paris : PUF.
Clot, Y. (1998), Le travail sans l’homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie. Paris : La Découverte & Syros.
De Certeau, M. (1990), L’invention du quotidien, 1. Arts de faire. Paris : Gallimard.
Dejours, C. 2003, L’évaluation du travail à l’épreuve du réel. Critique des fondements de l’évaluation. Paris : INRA.
Depraz, N. (2006), Comprendre la phénoménologie. Une pratique concrète. Paris : Armand Colin.
Gaberan, P. (2007), Cent mots pour être éducateur. Dictionnaire pratique du quotidien. Ramonville Saint-Agne : Eres.
Gebauer, G., Wulf, C (2004), Jeux, rituels, gestes. Les fondements de l’action sociale. Paris : Economica.
Joas, H. (2008), La créativité de l’agir. Paris : Les Editions du Cerf.
Loser, F. (2010), La médiation en travail social : enjeux et pratiques en atelier d’expression et de création. Genève : Editions IES.
Loser, F (2013), « Esthétique et médiation créative : enjeux et pistes d’action pour interroger les préjugés et soutenir une communication interculturelle », in : Stalder, P., Tonti, A., La Médiation (inter)culturelle : représentations, mises en œuvre et développement des compétences. Paris : les Editions des archives contemporaines.
Pontalis, J.-B. (1986), L'amour des commencements. Paris : Gallimard.
Racamier, P.-C. (1993), Le psychanalyste sans divan. Paris : Payot.
Roustang, F. (2003), Il suffit d’un geste. Paris: Odile Jacob.
Roustang, F. (2006), Savoir attendre pour que la vie change. Paris: Odile Jacob.
Salem, G., (1999). Soigner par l’hypnose. Paris : Masson
Schön, D. A. (1994), Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal : Editions Logiques.
Shusterman, R. (2007), Conscience du corps. Pour une soma-esthétique, Paris-Tel Aviv : Editions de l’éclat.
Shusterman, R. (2009), « Penser en corps. Eduquer les sciences humaines : un appel pour la soma-esthétique », In Penser en corps. Soma esthétique, art et philosophie / sous la dir. de Barbara Formis, Paris : L’Harmattan, p. 41-76.

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