Fiche Documentaire n° 2331

Titre TRANSMISSION DE SAVOIRS : ENTRE DISPOSITF ET HOLDING INSTITUTIONNEL

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Auteur(s) LARROQUE christine  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

TRANSMISSION DE SAVOIRS : ENTRE DISPOSITF ET HOLDING INSTITUTIONNEL

Si la transmission s’impose aujourd’hui comme problématique transversale à tous les champs de la vie sociale c’est qu’elle cristallise l’ensemble des interrogations relatives au changement et à la conservation dans notre société.
Ces questions se posent avec acuité dans les lieux de formation.
A partir d’une expérience avec des étudiants en formation de travailleurs sociaux et de maîtres spécialisés, nous montrerons que la transmission des métiers de l’intervention sociale souffre d’un manque de répondant collectif pour transmettre les savoirs professionnels entre pairs.
L’absence de lieux où « refaire le métier » rend délicate la confrontation à une autre histoire que la sienne. Les expériences d’analyse de pratiques montrent qu’un métier sans dimension collective peut dégénérer en face-à-face ravageur. Une véritable dépersonnalisation du travail peut en résulter . Il faut constater que les phénomènes d’usure professionnelle n’attendent pas le nombre des années et leur apparition après 5 ans d’activité ne peuvent que questionner les centres de formation.
Ces constats conduisent à s’interroger sur les invariants de ces métiers, sur leurs dimensions impersonnelles et transpersonnelle que l’on peut comprendre comme une « caisse à outils » au contenu hétéroclite qui définit les façons admises de se comporter en tant que professionnel. Ce panel de « mises en mots » est un prêt-à-servir qui préfigure l’action, s’il n’est pas entretenu, il peut rester en jachère voire disparaître. Comme le souligne F. Saujat , il ne faut pas sous-estimer l’importance du « partage émotionnel » du métier.
Développer le métier, c’est aussi avoir la possibilité de partager les grands noms du travail social (ou de la pédagogie) et de mesurer l’actualité des propositions théoriques face aux défis qui se posent aux professionnels.
Une question se pose alors : quels sont les dispositifs propices à la transmission des savoirs professionnels ? L’intérêt des GAPP n’est pas toujours suffisamment perceptible pour les professionnels ou les étudiants, comment conforter leur légitimité ? Faut-il créer de nouveaux dispositifs dédiés à la transmission ?
Nous nous interrogeons sur l’opportunité de créer un dispositif caractérisé par une poly-fonctionnalité de ses objectifs : entre échange de pratiques, formation théorique et fonction de veille sociale. Dispositif qui aurait pour objectif la co-formation et l’échange de savoirs.
Enfin, la question de la formalisation d’une transmission de savoirs rejoint la problématique du management. A ce titre, on s’interrogera sur ce qui constitue le caractère hospitalier et « nourricier » des organisations. Ce qui conduit à s’interroger sur le « climat» d’une organisation qui autorisera…ou pas une qualité d’échange et coopération entre ses membres en habilitant ou réhabilitant comme le dirait Y. Clot, leur «pouvoir d’agir».
Nous ajouterons que le holding de Winnicott devrait inspirer les organisations prenant en charge les humains. Le holding, c’est le regard, la parole mais aussi la pensée. Toute organisation soignante, nous pensons aussi aux organismes de formation ou à l’Ecole, doit avoir cette fonction sans quoi les personnes accueillies n’auraient rien sur quoi s’appuyer. Cela rend indispensable une présence suffisamment soutenante. C’est mettre en marche un fonctionnement porteur où les actions de chacun, qui portent aussi sur les « presque-rien » de Jankélévitch, sont reconnues et valorisées. Ces actions doivent être reliées entre elles par une volonté organisatrice pour constituer un véritable espace structurant.
Au final, ce qui interroge, c’est la formalisation de la transmission. N’est-il pas plus productif d’agir sur le « mycélium » des organisations pour que se créent les conditions de la transmission entre pairs ?
La transmission des savoirs a son impossible mais se réalise aussi sans le vouloir…à tout prix.

Bibliographie

-AGAMBEN, G, (2007), Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Ed. Payot
-ALIONE, C, (2010), La part du rêve dans les institutions – régulation, supervision, analyse des pratiques, Ed. Encre Marine.
-BLANCHARD-LAVILLE, C, (2000), L’analyse des pratiques professionnelles, Paris, Ed. L’Harmattan
-GIUST-Ollivier, A.C, OUALID, F, (2011), Les groupes d’analyse des pratiques, Nouvelle Revue de Psychosociologie N° 11, Toulouse, éd. Erès.
-ROGER, J.P, (2007), Refaire son métier. Essais de clinique de l’activité, Toulouse, Ed. Erès.
-ROUZEL, J, (2007), La supervision d’équipes en travail social, Paris, éd. Dunod.

Présentation des auteurs

Christine Larroque, enseignante en Sciences Médico-Sociales à L’Institut Limayrac à Toulouse auprès d’étudiants en Diplôme d’Etat de Conseiller(e) en Economie Sociale et Familiale, Formatrice d’enseignants à l’Institut Supérieur de Formation de l’Enseignement Catholique de Toulouse. PLus de 15 ans de formation de futurs travailleurs sociaux (ASS).

Communication complète

Si la transmission s’impose aujourd'hui comme une problématique transversale à tous les champs de la vie sociale c’est parce qu'elle cristallise à elle seule l'ensemble des interrogations relatives au changement et à la conservation qui représentent les deux faces alternatives des multiples crises que nous traversons en France et en Europe (identité, protection sociale, travail).
Ces questions se posent avec acuité dans les instances de formation.
A partir d’une expérience avec des étudiants en formation de travailleurs sociaux et d’enseignants spécialisés, nous constatons que la transmission des métiers de l’enseignement et l’intervention sociale souffre d’un manque de répondant collectif pour transmettre les savoirs professionnels entre pairs.
Dans ces lieux dévolus à la transmission, des interrogations se manifestent de façon amplifiée au moment où les réformes sont perçues comme des éléments de transformation radicale des métiers.
Dire que la question de la transmission fait débat dans la société relève sans doute plus d’un vœu que de la réalité. Il n’est pas évident qu’elle constitue une priorité pour les jeunes générations alors qu’elle l’est beaucoup plus pour ceux qui achèvent leur carrière. Les professionnels sur le départ ont été formés dans les années 70, ce sont eux qui font le bilan de leur trajectoire professionnelle et s’interrogent sur l’héritage qu’ils laissent aux générations suivantes. La question de la transmission rejoignant parfois le registre de l’incantation comme mode de défense qui voile à peine une légitime angoisse de disparition. Car n’est-ce pas quand on va disparaître que l’on tente de faire l’inventaire de son patrimoine et régler sa succession ?
L’angoisse sur ce que l’on va laisser aux générations suivantes est très forte. Cette angoisse elle-même se transmet par exemple dès l’école maternelle par une sensibilisation à l’écologie parfois ressentie par les enfants jusqu’au paroxysme : «Les parents font mal à la planète…et la planète, elle est polluée…et on peut plus l’habiter …»
L’époque sera incertaine ou ne sera pas…en conséquence la transmission devient incertaine elle aussi. En retour, cette incertitude devient insupportable. Pourtant, lutter contre l’angoisse de mort en assignant aux jeunes générations l’obligation d’assimiler à tout prix ce que nous avons si peur de perdre, ne peut que les placer face à des enjeux qui ne sont pas les leurs. Toutes les générations sont concernées par la question de l’appropriation du savoir, c’est en définitive cette question-là qui devient centrale pour nous.
Classiquement la question de la transmission se pose à chaque fois que l’on opère un découpage générationnel. C’est quand une génération a laissé son empreinte dans le contexte social, politique ou culturel que l’on exhume cette interrogation, elle prend alors la forme d’une opposition entre les « jeunes » et les « vieux », avec son lot de nouvelles questions :
Qu’est-ce qu’une génération ? Quels sont les marqueurs de son existence en tant que telle? Qu'est-ce qui la distingue des générations antérieures et postérieures? Qu'est-ce qu'elle a fait de ce qu'on lui a transmis ? Que va-t-elle, à son tour transmettre?
Dans les lieux de formation, cette volonté de transmission s’y exerce jusqu’à l’injonction. Elle se manifeste par une pression pour toujours plus d’efficacité dans laquelle s’affirme avec insistance un management issu du monde économique. Le lycée, le centre de formation, hauts lieux de la production/reproduction sociale sont pris dans cette obsession nouvelle. Elle cache mal la peur qu’inspirent les crises actuelles quant à la possibilité d’une transformation sociale de grande ampleur. Ne faut-il pas y déceler la tentation presque puérile de croire que la « crise » sera résolue si l’on transmet le monde tel qu’il l’est ou plutôt tel qu’il était ? En définitive, ne faut-il pas y lire une manière de traiter l’angoisse du lendemain ? Pour éviter que le monde se dégrade, on en vient à se dire : « hier était mieux qu'aujourd'hui et aujourd'hui est mieux que ce qu'on espère pour demain ».
Notre expérience de coordination de recherche-action avec des enseignants a montré que l’absence de lieux où «refaire le métier» rend délicate la confrontation à une autre histoire professionnelle que la sienne. Par ailleurs, nos expériences d’analyse de pratiques en formation initiale ou continue mettent en évidence qu’un métier sans dimension collective peut dégénérer en face-à-face ravageur pour le professionnel. Une véritable dépersonnalisation du travail peut en résulter . Il faut également constater que les phénomènes d’usure professionnelle n’attendent pas le nombre des années et leur apparition après moins de cinq ans d’activité ne peuvent que questionner les centres de formation .
Ces constats conduisent à s’interroger sur la nature des savoirs à transmettre aux futurs professionnels.
Pour une part, l’action de formation porte sur les invariants de ces métiers, sur leurs dimensions impersonnelle et transpersonnelle que l’on peut comprendre comme une «caisse à outils» au contenu hétéroclite qui définit les façons admises de se comporter en tant que professionnel. Ce panel de «mises en mots» est un prêt-à-servir qui préfigure l’action, s’il n’est pas entretenu, s’il ne fait pas l’objet d’une « dispute» selon le propos d’Y. Clot, il peut rester en jachère voire disparaître.
Comme le souligne également F. Saujat , il ne faut pas sous-estimer l’importance du «partage émotionnel» du métier. Développer le métier, c’est aussi avoir la possibilité de se soutenir des grands noms du travail social (ou de la pédagogie) et mesurer l’actualité de leurs propositions théoriques face aux défis et nombreuses apories qui se posent aux professionnels.
Une question se pose alors : quels sont les dispositifs propices à la transmission des savoirs professionnels ? L’intérêt des GAPP n’est pas toujours suffisamment perceptible pour les professionnels ou les étudiants, comment conforter leur légitimité ? Faut-il créer de nouveaux dispositifs dédiés à la transmission des métiers ?... Sachant qu’il reste toujours un impossible à transmettre comme nous l’apprend la psychanalyse.
Chez les enseignants, nous nous interrogeons par exemple sur l’opportunité de créer un dispositif caractérisé par une poly-fonctionnalité de ses objectifs : entre échange de pratiques, formation théorique et fonction de veille sociale. Il s’agirait d’un dispositif qui aurait pour objectif la co-formation et l’échange de savoirs.
De la confrontation de nos expériences de formation dans le champ de l’enseignement et du travail social, nous avons pensons pouvoir dégager des éléments de réflexion nouveaux susceptibles d’enrichir nos pratiques professionnelles à venir.
Avant tout, il nous apparaît clairement que la transmission ne peut se réaliser qu’en s’appuyant sur l’altérité présente dans toute rencontre ou situation de formation. La mesure de cette altérité peut être résumée par ce constat implacable : quand, nous, enseignants ou formateurs, gagnons une année d’âge et d’expérience, les élèves , les étudiants avec qui nous travaillons tout au long de notre carrière, restent les mêmes en âge et en génération.
La transmission renvoie au patrimoine qui circule entre les générations et interroge de ce fait sa nature. Est-il un objet sacré, sacralisé qui reste clos sur lui-même ou est-il une valeur en soi susceptible d’être reconstruit, recréé?
Se poser cette question souligne l’interaction nécessaire entre l’héritage et l’héritier -voire l’intervention de l’héritier- sur le patrimoine afin que l’œuvre de transmission (s’) opère. Car ce n’est pas dans la conservation de leurs pratiques et de leurs pensées héritées que les humains manifestent la pérennité de leur culture mais dans leur manière propre et originale d’inventer de nouvelles pratiques et nouvelles façons de concevoir les choses.
Autrement dit, l’expérience ne recouvre pas seulement ce qu’on sait faire mais également les possibilités qu’on a -ou pas- de se défaire d’une situation, de s’en affranchir, de s’en détacher pour affronter d’une façon inédite le présent.
Au final, ce qui interroge, c’est la formalisation de la transmission. Ne faut-il pas plus agir sur le «mycélium», sur le «climat» des institutions (les entours de J. Oury) pour que se créent les conditions rendant possible une transmission? Est-ce qu’il n’y a pas un forçage improductif à vouloir être trop volontariste en la matière? Est-ce que ce désir de vouloir toujours plus créer des dispositifs ne fait pas collusion avec l’idéologie de la transparence et de la maîtrise qui gouvernent déjà nos existences au travail (comme nos vies intimes)?
Par ailleurs, toute expérimentation ou innovation est dépendante elle aussi du climat institutionnel dans lequel elle se développe. Lui-même est fortement conditionné par la forme de management actuel qui traverse et malmène l’ensemble des institutions publiques. Celles-ci se trouvent nappées et colonisées par le marché (la formation reste «rentable» a fortiori depuis qu’elle est annoncée «tout au long de la vie) .
Le professionnel est inséré dans une organisation qui va autoriser…ou pas une qualité d’échange et coopération entre ses membres en habilitant ou réhabilitant comme le dirait Y. Clot, leur «pouvoir d’agir».
Enfin, nous pensons que le holding de Winnicott devrait inspirer les organisations prenant en charge les humains. Les organisations sont soignantes et ce, bien au-delà du monde médical. Se pose à chacun la question de savoir « que faire de notre vulnérabilité ? » dans les institutions que nous habitons et qui ont la charge d’humaniser l’humain.
Le holding, c’est le regard, la parole mais aussi la pensée. Toute organisation soignante, nous pensons en particulier aux organismes de formation ou à l’Ecole, doit avoir cette fonction sans quoi les personnes accueillies n’auraient rien sur quoi s’appuyer. La mission d’éducation ou l’intervention sociale rendent indispensables une présence suffisamment soutenante. Une présence constructive même dans l’absence, celle qui a la capacité de mettre en marche un fonctionnement porteur où les actions de chacun (qui s’appuient aussi sur les « presque-rien » de Jankélévitch) sont reconnues et valorisées. Ces actions doivent être reliées entre elles par une volonté organisatrice pour constituer un véritable espace structurant pour les usagers de l’organisation autant que pour les professionnels.
Ceci ne peut se réaliser sans que soit revivifiée la fonction instituante de nos institutions qui se doivent d’être « suffisamment bonnes » (pour reprendre le propos D.W Winnicott) dans la prise en compte de l’altérité, de l’irréductible de chacun.
Cette altérité qui crée l’inattendu, qui préserve le désordre dans l’ordre.
Et l’on sait que la transmission s’opère souvent dans un inattendu, sans le savoir et sans le vouloir…à tout prix.

BIBLIOGRAPHIE :
AGAMBEN G., (2007), Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Ed. Payot.
ALLIONE, C., (2005), La part du rêve dans les institutions, Ed. Encre Marine.
DESCHAVANNE, E., TAVAILLOT, P-H., (2007), Philosophie des âges de la vie. Pourquoi grandir ? Pourquoi vieillir ?, Ed. Grasset
DUBET F., (2002), Le déclin de l’institution, Paris, Ed. du Seuil.
HATCHUEL, F., (2005), Savoir, apprendre, transmettre une approche psychanalytique, Ed. La Découverte
LE BLANC G., (2011), Que faire de notre vulnérabilité ? , Éd. Bayard
PATURET J.B, 2007, De la responsabilité en éducation, Ed. Erès.
ROGER, J.P, (2007), Refaire son métier. Essais de clinique de l’activité, Ed. Erès.
WINNICOTT, D.W, (1958). La capacité d’être seul. In : De la pédiatrie à la psychanalyse. Ed. Payot, 1969.

Résumé en Anglais


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