Fiche Documentaire n° 2334

Titre Initiation à la recherche et construction de savoirs à partir de la souffrance tsigane et du devoir de mémoire

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l'auteur principal

Auteur(s) VEYRIÉ Nadia
LECLERC Rosalie
BERTOLI Sébastien
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Initiation à la recherche et construction de savoirs à partir de la souffrance tsigane et du devoir de mémoire

Afin de témoigner de la construction des savoirs, nous évoquerons notre travail engagé entre étudiants en formation d’Assistant de service social – encadré par des formateurs – en Institut régional du travail social (Basse-Normandie, France) et une association. Le travail est fondé sur une initiation à la recherche et à la méthodologie de l’expertise sociale dont les objectifs sont d’explorer un territoire, de recueillir des informations sur un problème, une population, ceci en vue de formuler des préconisations en lien avec le terrain.
Dans le cadre d’un partenariat entre l’IRTS et l’Association pour une citoyenneté active entre les sédentaires et les voyageurs qui valorise socialement, culturellement et économiquement les gens du voyage, une proposition d’étude sur la souffrance tsigane et le devoir de mémoire a été formulée. Ceci en vue de recueillir des témoignages et de comprendre la mémoire des familles tsiganes. Dans toutes les familles tsiganes, des personnes ont été touchées par l’internement dans les camps de la Seconde Guerre mondiale. Leur vie et leur parcours s’en sont trouvés altérés. Ce travail a été orienté sur l’éventuelle existence d’un camp d’internement de la population tsigane pendant la Seconde guerre mondiale à Valognes, petite ville située dans le département de la Manche et dans la région Basse-Normandie.
Pendant l’exploration sur le terrain, une absence de traces mémorielles – matérielles, écrites, témoignages – a rapidement été mise en évidence. Un recueil de nombreux témoignages de la population valognaise et tsigane a été effectué. Au fil de notre recherche, il semblait que la « mémoire collective » (Halbwachs, 1997) était invisible. Différentes archives, notamment les mémoires d’un ancien prisonnier du camp, ont été réunies. Peu à peu, il a été élaboré un contournement de ce silence afin de recueillir des éléments qui permettraient d’attester de l’existence d’un camp de travail.
La population tsigane d’une commune avoisinante a été rencontrée. Dans ce travail, comme le montre Paul Ricœur, la mémoire qui se voudrait fidèle au passé ne peut être dissociée de l’affect et du sensible (2000). Or, un constat est apparu : les tsiganes interrogés avaient une volonté très forte de transmission de leur histoire familiale et de leur mémoire de la Seconde guerre mondiale. Les personnes rencontrées ont confié n’avoir jamais été sollicitées pour en témoigner et souhaitaient que leur histoire soit reconnue. Elles ont été sensibles à cette démarche et les étudiants en travail social ne s’attendaient pas à une telle confiance accordée dans cette écoute.
À l’issue de ces recherches, plusieurs préconisations d’intervention ont pu être transmises au commanditaire autour d’un travail en pluridisciplinarité, en partenariat, notamment avec une association nationale qui milite pour la reconnaissance des camps, du prolongement du recueil des témoignages auprès des populations concernées et de l’information des populations locales pour affirmer un devoir de mémoire (Levi, 1997 et Jankélévitch, 1996).
À partir de cette démarche, n’est-il pas intéressant de mettre en évidence une production de connaissances ? De plus, cette démarche ne permet-elle pas de constater des liens entre le travail social et l’histoire ? N’est-il pas alors fondamental de révéler une mémoire vivante ?

Bibliographie

Daeninckx Didier, La Route du Rom, Paris, Folio, 2003.
Faribaud Paul, Les Processus mémoriels de la Seconde Guerre mondiale à Valognes 1945-2010, mémoire de Master 1 en Histoire, Université de Caen, 2011.
Ferney Alice, Grâce et dénuement, Paris, Actes Sud, 1997.
Halbwachs Maurice, Les Cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1970.
Halbwachs Maurice, La Mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997.
Hubert Marie-Christine et Filhol Emmanuel, Les Tsiganes en France : un sort à part, 1939-1946, Paris, Édition Perrin, 2009.
Jankélévitch Vladimir, L'Imprescriptible, Paris, Seuil, 1996.
Levi Primo, Le Devoir de mémoire, Paris, Mille et une nuits, 1997.
Marty Marie, « Une association d’aide aux gens du voyage : travail social nomade », in ASH, n° 2759, 11 mai 2012.
Le Guen Claude, Le Refoulement, Paris, PUF, 1992.
Le Sociographe, n° 28 « Tsigane/gadjé », janvier 2009.
Ricoeur Paul, La Mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
Roessler Karl-Georg, No time to die : A Holocaust survivor’s story, Davies Publishing, 1998.
Stoyanovitch Konstantin, Les Tsiganes, Paris, Édition Marcel Rivière et Cie, 1974.

Présentation des auteurs

Rosalie Leclerc, étudiante en formation au Diplôme d’État d’Assistant de Service Social, Institut régional du travail social de Basse-Normandie.
Sébastien Bertoli, administrateur de l’Association pour une citoyenneté active entre les sédentaires et les voyageurs, vice-président de la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les tsiganes et les gens du voyage, directeur d’établissement et service médico-social.
Nadia Veyrié, formatrice, Institut régional du travail social de Basse-Normandie, docteur en sociologie.

Communication complète

Afin de témoigner de la construction des savoirs, nous prenons appui sur un travail engagé dans le cadre de la formation d’étudiants au diplôme d’État d’Assistant de service social en Institut régional du travail social (Basse-Normandie, France) avec une association. Ce travail, qui s’inscrit dans le cadre d’un domaine de formation du diplôme concerné, présente un double enjeu : une initiation à la recherche et l’acquisition de la méthodologie de « l’expertise sociale ». En fait, les étudiants sont amenés à explorer un territoire, à recueillir des informations sur un problème, une population, ceci en vue de formuler des préconisations en lien avec le terrain.
Dans le cadre d’un partenariat entre l’institut de formation et l’Association pour une citoyenneté active entre les sédentaires et les voyageurs (ACASEV), une proposition d’étude a été formulée sur la souffrance tsigane et le devoir de mémoire en vue de recueillir des témoignages de la mémoire familiale transgénérationnelle des Tsiganes . L’association concernée valorise socialement, culturellement et économiquement les gens du voyage. Dans toutes les familles tsiganes, des personnes ont été touchées par l’internement dans les camps de la Seconde Guerre mondiale. Leur vie et leur parcours s’en sont trouvés altérés. Ce travail a été orienté vers l’éventuelle existence d’un camp d’internement de la population tsigane, pendant la Seconde Guerre mondiale, à Valognes, petite ville située dans le département de la Manche et la région Basse-Normandie.
Pendant l’exploration sur le terrain, une absence de traces mémorielles – matérielles, écrites, témoignages – a rapidement été mise en évidence. Un recueil de nombreux témoignages de la population valognaise et tsigane a été effectué. Au fil de cette recherche, il semblait que la « mémoire collective » (Halbwachs, 1977) était invisible. Puis, différentes archives, notamment les mémoires d’un ancien prisonnier du camp, ont été réunies. Peu à peu, il a été élaboré un contournement de ce silence afin de recueillir des éléments qui permettraient d’attester de l’existence d’un camp de travail. Une mémoire collective, moins officielle, existait-elle en cherchant d’autres témoins : « Entre l’individu et la nation, il y a un lien d’autres groupes, plus restreints […], qui eux aussi, ont leur mémoire et dont les transformations réagissent bien plus directement sur la vie et la pensée de leurs membres » (Halbwachs, 1997, p. 129) ?
Devant cette absence de traces sur ce territoire, le recours à une approche théorique a permis d’approfondir ce travail. Ainsi, Paul Ricœur démontre que le devoir de mémoire peut prendre la forme d’une « mémoire obligée », une sorte d’« injonction à se souvenir », ce qui peut provoquer quelques difficultés. En effet, « comment peut-il être permis de dire “Tu dois te souvenir », donc tu dois décliner la mémoire au mode impératif, alors qu’il revient au souvenir de pouvoir surgir à la façon d’une évocation spontanée ? » (Ricœur, 2000, p. 106). Primo Levi évoque, pour sa part, que, dans les camps, l’oppression oblige à la survie personnelle et donc affaiblit la solidarité (1995, p. 31). Il évoque aussi les hasards (maîtriser la langue allemande, obtenir certaines informations, croiser certaines personnes au bon moment) qui font que certains pourront s’en sortir et d’autres ne le pourront pas. Dans L’Imprescriptible, Vladimir Jankélévitch, au sujet des martyrs de la Seconde Guerre mondiale, explique qu’« oublier ce crime gigantesque contre l’humanité serait un nouveau crime contre le genre humain » (1996, p. 25).
La rencontre avec la population tsigane d’une commune avoisinante a permis d’appréhender une mémoire vivante. Dans ce travail, comme le montre Paul Ricœur, la mémoire qui se voudrait fidèle au passé ne peut être dissociée de l’affect et du sensible (2000). La présence d’étudiants a intrigué la population tsigane. Ils ont parlé des camps sans aucune difficulté et sans aucune gêne. Tous ont envie que ce qu'ils ont subi, ou leur famille, soit connu de la population française. Une mémoire était transmise de génération en génération dans la communauté. Cela leur a permis d’évoquer les parents ou les grands-parents qui ont vécu cette période et qui ont pu subir ces internements dans les camps. Plusieurs camps ont d’ailleurs été évoqués. Celui concerné (Valognes) est connu, mais personne n’a pu confirmer qu’un membre de la famille ait pu y être interné. Beaucoup ont pu dans ces échanges avec les étudiants s’exprimer avec émotion sur cette période silencieuse de l’histoire. Les personnes désiraient que ce temps de leur histoire soit connu et reconnu de tous. Elles ont été sensibles à cette démarche et les étudiants en travail social ne s’attendaient pas à une telle confiance accordée dans cette écoute.
À l’issue de ces recherches, plusieurs préconisations d’intervention ont pu être transmises à l’association autour d’un travail en pluridisciplinarité, en partenariat, notamment avec une association nationale qui milite pour la reconnaissance des camps, du prolongement du recueil des témoignages auprès des populations concernées et de l’information des populations locales pour affirmer un devoir de mémoire (Levi, 1997 et Jankélévitch, 1996).
À partir de cette démarche, n’est-il pas intéressant de mettre en évidence une production de connaissances ? De plus, cette démarche ne permet-elle pas de constater certains liens entre le travail social et l’histoire ? N’est-il pas fondamental de révéler une mémoire vivante, peut-être afin de mieux accompagner les vivants ?


Bibliographie

Daeninckx Didier, La Route du Rom, Paris, Folio, 2003.
Faribaud Paul, Les Processus mémoriels de la Seconde Guerre mondiale à Valognes 1945-2010, mémoire de Master 1 en Histoire, Université de Caen, 2011.
Ferney Alice, Grâce et dénuement, Paris, Actes Sud, 1997.
Halbwachs Maurice, Les Cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1970.
Halbwachs Maurice, La Mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997.
Hubert Marie-Christine et Filhol Emmanuel, Les Tsiganes en France : un sort à part, 1939-1946, Paris, Édition Perrin, 2009.
Jankélévitch Vladimir, L'Imprescriptible, Paris, Seuil, 1996.
Levi Primo, Le Devoir de mémoire, Paris, Mille et une nuits, 1997.
Marty Marie, « Une association d’aide aux gens du voyage : travail social nomade », in ASH, n° 2759, 11 mai 2012.
Le Guen Claude, Le Refoulement, Paris, PUF, 1992.
Le Sociographe, n° 28 « Tsigane/gadjé », janvier 2009.
Ricoeur Paul, La Mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
Roessler Karl-Georg, No time to die : A Holocaust survivor’s story, Davies Publishing, 1998.
Stoyanovitch Konstantin, Les Tsiganes, Paris, Édition Marcel Rivière et Cie, 1974.

Résumé en Anglais


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