Fiche Documentaire n° 2362

Titre Transformation des savoirs et dynamique identitaire

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l'auteur principal

Auteur(s) FAURE Gilles
SEGUIN Chantal
 
     
Thème Transformation des savoirs et dynamique identitaire chez les femmes seules avec enfant(s)  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Transformation des savoirs et dynamique identitaire

Transformation des savoirs et dynamique identitaire

Notre postulat initial repose sur une simple observation partagée entre formateurs ; de nombreuses femmes célibataires avec enfant(s) intègrent la formation d’aide médico-psychologique (AMP) et parmi elles, toutes aussi nombreuses sont celles qui effectuent une évolution identitaire. Par identité nous entendons «  ce qui permet de rester le même, de se réaliser soi-même et de devenir soi-même dans une société et une culture donnée, et en relation avec autrui » (Tap, 1998, p.65).
Ces étudiantes débutent leur cycle de professionnalisation, d’une durée d’un an à dix-huit mois, porteuses de connaissances empiriques certaines, de savoirs premiers solides, elles le concluent avec de nouveaux savoirs, des connaissances théoriques acquises et maîtrisant des outils d’interprétation et d’anticipation nécessaires au travail social.
Elles terminent également leur formation en alternance avec une nouvelle identité plus ou moins affirmée, adoptant peu ou prou un code professionnel distinct, un autre code vestimentaire, affichant une transformation du langage ainsi que de la compréhension de leur univers professionnel.
Il semble, a priori, que deux grands axes de dynamique identitaire sont choisis au cours de la formation, l’un, clair, permettant à l’étudiante de se définir au terme de sa formation comme une réelle professionnelle, qui correspond à une évolution assumée, et le second, plus trouble, lors duquel l’étudiante finit son cursus dans un flou identitaire, déjà plus comme une novice et cependant pas encore comme une diplômée. Notre hypothèse étant que dans la première situation, l’étudiante adopte un rapport professionnalisant à la formation avec le désir d’exercer la fonction d’AMP pendant que pour la deuxième l’apprenante s’engage dans un rapport plus pragmatique à la formation, souhaitant avant tout stabiliser une situation précaire par un travail certain.
Nous confirmerons ainsi - ou infirmerons - notre hypothèse de départ tout en tentant de repérer les différentes stratégies développées par les apprenantes. De plus, si nous validons le pré-requis des deux axes de dynamique identitaire, nous en mesurerons les écarts en terme de confiance en soi, satisfaction personnelle, rôle de modèle parental et sécurisation de l'avenir.
Pour mener cette quête à bien, nous avons choisi de procéder d'une part à la remise de questionnaires aux nouvelles entrantes, dont l'analyse nous permettra de définir – ou non – différents groupes d'étudiantes novices, puis nous conduirons des entretiens semi-directifs auprès d’étudiantes volontaires en fin de cursus. L’analyse des rendus d’entretiens permettra de comprendre comment ces femmes ont défini une nouvelle identité – claire ou floue – au travers de leurs savoirs transformés et acquis, comment ont-elles pu conserver – ou non – une certaine cohérence dans cette dynamique, et également comment leur rôle parental a-t-il pu évoluer.
La grille d’entretiens s'oriente autour de trois chapitres :
a)L'identification initiale et terminale de la motivation à la professionnalisation,
b)l'identification des savoirs transformés et leur usage dans le rôle parental,
c)la vision de ces femmes seules avec enfant(s) au regard de leur évolution identitaire en fin de cursus formatif.

Nous espérons ainsi mieux comprendre pourquoi certaines apprenantes s’intègrent à la formation pendant que d’autres ont tendance à la vivre simplement.
Nous souhaitons enfin répondre à notre questionnement premier, en quoi la transformation des savoirs participe-t-elle à la construction identitaire des femmes célibataires avec enfant(s) en formation AMP ?
Une prochaine étape de notre réflexion portera sur nos réponses pédagogiques intégratives en direction des étudiantes qui nous donnent l’impression de simplement disposer de la formation sans pouvoir l’emprunter.

Bibliographie

Tap, P. (1998). Marquer sa différence. In J.C. Ruano-Borbalan. L’identité : l’individu, le groupe, la société (pp. 65-68). Auxerre : Sciences Humaines.
Tap, P., Esparbès S., Sordes-Ader F. (1998) Identité et stratégies de personnalisation. Bull. de Psychol. 428, L, 185-196.
Crozier, M., & Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système. Paris : Seuil.
Blin, J.F. (1997). Représentations, pratiques et identité professionnelle. Paris : L’Harmattan.
Dubar, C. (1991). La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.
Mias, C. (1998). L’implication professionnelle dans le travail social. Paris : L’Harmattan.
Bourgeois, E ; Nizit, J. (1986), Apprentissage et formation des adultes. Paris : PUF.

Présentation des auteurs

Chantal SEGUIN est directrice de l'IREIS de la Savoie

Stéphane VERCRUYSSE est formateur à l'IREIS de la Savoie

Gilles FAURE est formateur à l'IREIS de la Savoie

Communication complète

Discours d’étudiantes, paroles de mères



D’année en année, notre institut de formation accueille une nouvelle promotion d’aides médico-psychologiques (AMP) qui s’engagent pour une formation en alternance de douze mois. De promotion en promotion, les origines sociales, professionnelles, géographiques, les parcours scolaires et professionnels des étudiant(e)s sont multiples et variés et nous, formateurs, avons à tenir compte de ces parcours de vie dans l'accompagnement vers l'obtention du diplôme. Dans cette diversité créatrice de dynamiques, une donnée tend à s’affirmer ; la présence de femmes seules avec enfant(s) qui avoisine les 22% de l’effectif de chacune des promotions.
Nous nous sommes questionnés sur le parcours identitaire de ces femmes, sur leur positionnement d’apprenantes tout au long de ce cursus diplômant a priori parsemé de contraintes telles la garde des enfants, l’insécurité sociale, les difficultés financières ou encore la délicate reprise d’un processus d’apprentissage. Pour cela, nous avons conduit des entretiens semi-directifs auprès des étudiantes seules avec enfant(s) volontaires pour participer à ce projet, nous avons ainsi collecté onze témoignages de la promotion 2012-2013, en fin de formation. La grille d’entretien portait sur la transformation des savoirs, la professionnalisation, l’évolution du rôle de mère et du rôle de femme, ainsi que le ressenti du vécu de la formation. Nous avons ensuite défini trois axes d’analyse des rendus d’entretiens :

L’identification initiale et terminale de la motivation à la professionnalisation,
L’identification des savoirs transformés et leur usage dans le rôle parental,
La vision de ces mères au regard de leur évolution identitaire en fin du cursus formatif.

a)L’identification initiale et terminale de la motivation à la professionnalisation :

Si l’ensemble des étudiantes met en lumière la volonté de sécuriser l’avenir de leur(s) enfant(s), une majorité précise le souhait initial d’obtenir le diplôme d’AMP afin de pouvoir exercer la profession de son choix tandis que l’autre part identifie le futur diplôme comme un sésame à la sécurité de l’emploi. Ces volontés n’évoluent pas au cours de la formation ; les unes, au terme de la formation, s’ouvrent vers une fonction « je veux travailler auprès d’enfants autistes car ce n’est que du bonheur », et les autres tendent vers l’obtention d’un poste « j’ai déjà un travail après l’école, avant même les résultats du diplôme. ». Cet écart se retrouve dans l’expression des savoirs transformés ainsi que dans la définition des nouveaux acquis ; pour une part des étudiantes, l’apport théorique a été prépondérant « pendant les cours, je me suis rappelé comment je travaillais et j’ai fait le lien avec mon expérience », pendant que les autres indiquent s’être étayées sur leurs expériences antérieures, essentiellement empiriques « je me suis appuyée sur mon expérience professionnelle de l’accompagnement puisque j’ai fait ça pendant 15 ans auprès des enfants. ».

b)L’identification des savoirs transformés et leur usage dans le rôle parental :

Ces femmes seules avec enfants soulignent dans une immense majorité (80%) que les acquis leur permettent d’analyser plus aisément l’évolution ainsi que le comportement de leurs enfants « je comprends mieux pourquoi ils font ceci ou cela. ». De plus, elles précisent être plus patientes, plus tolérantes face au risque. Néanmoins si nous affinons notre lecture, deux lignes se dessinent, l’une pour laquelle l’étudiante est passée d’un rôle maternel aimant à un rôle parental guidant « j’ai pris du recul et j’accepte que mon enfant connaisse des échecs », « mon vocabulaire a évolué, et je m’exprime différemment, mieux, auprès de mes enfants », l’autre où la mère présente sa place de modèle « tu vois, j’y suis arrivée, à mon âge, toi aussi tu peux le faire. », « je suis déjà embauchée. ».

c)La vision de ces mères au regard de leur évolution identitaire en fin du cursus formatif :

Si, dans le retour des entretiens, ces étudiantes nous transmettent leur difficulté à avoir pu maintenir des relations intimes durant la formation, mettant en cause l’intensité du programme, des attendus formatifs ainsi que leur disponibilité psychologique, « je n’ai pas vécu ma vie de femme. », deux axes de réponses se dessinent. Le premier présente le plaisir d’avoir obtenu une reconnaissance amoureuse au sens donné par Axel Honneth(i) « mes enfants sont fiers de moi. », « mon père m’a appelé pour me féliciter. », les femmes mettant en avant une réconciliation avec elles-mêmes et avec leurs proches, famille ou groupe d’amis. Le second s’identifie dans une reconnaissance sociale « je peux dire que j’ai un métier. », « le matin, je pars au travail. », ces étudiantes exprimant ainsi la satisfaction d’être prochainement diplômées. Cependant, un regard transversal des écrits démontre que, si les niveaux de confiance des deux groupes ne sont pas identiques, des éléments ont bougé dans la sphère intime de ces femmes autour de l'affirmation de soi et des choix « maintenant, je ne me laisserai plus faire, je sais ce que je veux. ». Et cette liberté acquise est mise en lien avec la connaissance et la reconnaissance des nouveaux savoirs affirmant l'identité par soi et pour autrui.

À la découverte de ces données mettant en évidence des conceptions différentes de l’identité au regard de la transformation des savoirs, nous avons effectué une lecture plus fine de la parole de ces apprenantes et avons identifié deux grandes typologies.
Pour un groupe d’étudiantes, environ les deux-tiers, la motivation de professionnalisation portait sur l’attrait d’un métier, elles ont été rapidement plus en confiance dans le processus de formation, ont favorisé l’apport de connaissances théoriques, bénéficiaient de la présence d’un environnement familial ou amical proche. Elle ont accepté, développé l’autonomie intellectuelle de leurs enfants, ont plutôt identifié la formation comme une chance et expriment le sentiment d’avoir vécu cette formation et d’être actuellement plus en confiance. Elles semblent donc avoir consolidé leur capital social et être en capacité de « développer le je dans le nous » (Putman) (ii).

Concernant le tiers restant, initialement en insécurité personnelle, sociale et professionnelle, le niveau de confiance reste faible, ces femmes paraissent plus isolées dans leurs relations proches. Même en fin de cursus, les ressentis insécures persistent alors qu’elles pensaient les délaisser grâce au retour à l’emploi, elles insistent sur les acquis pratiques fournis par les terrains de stages, elles ont favorisé l’autonomie comportementale de leurs enfants et ont plutôt subi la formation, la vivant comme douloureuse, pensant même parfois l’abandonner. En effet, pour reprendre le questionnement de Laurence Turkäl (iii), « Comment se former si l'on n'existe pas ? », ou en d'autres termes, comment donner du sens à la formation quand la vie en révèle si peu ?
Ainsi, les mères qui abordent la formation avec espoir répondent à leurs attentes, celles qui y entrent avec attentes demeurent sur leur espoir.

Néanmoins, il nous est aisé d’identifier dans le discours de toutes ces femmes la difficulté de concilier vie de maman et vie apprenante, en particulier face à des problèmes de garde d’enfants récurrents, ainsi que l’inquiétude continue devant l’insécurité financière permanente, entraînant parfois une insécurité domiciliaire.
Basant notre analyse sur la théorie de la justice de Rawls (iv), nous envisageons « qu'un voile d'ignorance » dissimulant à chaque étudiante son talent, sa ressource, nuit ainsi à sa capacité créatrice. Reprenant alors le second principe de justice développé par Rawls « Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions : elles doivent d’abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances (2a), elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société (2b) », nous proposons de traduire le principe (2b), principe de différence, en nouvelles modalités d'accompagnement plus adaptées à ces étudiantes .Trois axes se dessinent déjà :
Prévoir un temps d’intégration à l’entrée en formation durant lequel ces étudiantes seront à mi-temps à l’institut, bénéficiant d’un programme pédagogique préparatoire, et l’autre temps pourront conduire leurs démarches administratives (recherche de moyens de garde d’enfants, recherche de logement, recherche des aides financières).
Permettre l’intervention récurrente d’une assistantes sociale dans l’établissement afin que les étudiantes puissent y avoir recours.
Favoriser la création d’une association d’étudiants de l’institut afin de développer la solidarité estudiantine, le parrainage et le soutien scolaire.

Auteur : Gilles FAURE, formateur IREIS, Savoie, France
Co-auteurs : Chantal SEGUIN, directrice IREIS, Savoie, France
Stéphane VERCRUYSSE, formateur IREIS, Savoie, France
Merci à l’ensemble de l’équipe pédagogique pour sa participation et ses apports.


i Honneth A. La lutte pour la reconnaissance, éd. Le Cerf, Col. Passages, Paris, 2000
ii Putnam R. Bowling alone : America’s declining social capital, Journal of Democracy 6(1): p .67, 1995
iii Turkâl L. La compétence d'exister, Les Cahiers de la section des sciences de l'éducation, n° 87, Genève, p.31, novembre 1999.
iv Rawls J. Théorie de la justice, éd. Points, col. Points Essais, Paris, 2009

Résumé en Anglais

Every year our institute welcomes a new class of medical-psychological assistants who commit themselves to a twelve-month block-release training programme. From year to year, the students’ social, professional and geographic backgrounds, along with their academic and professional experiences are numerous and varied. Thus we tutors, have to challenge ourselves to find a way to support each individual. Nevertheless, the data indicates that single mothers represent approximately 22% of the students in a class.

We questioned ourselves about the definition of these women’s identity, about their place as learners throughout this qualifying process, which is, in theory, scattered with constraints such as child care, social insecurity, financial issues or again, the resumption of an apprenticeship process. In order to answer our questions relating to these constraints, we undertook semi-directive interviews with single mother students who volunteered to participate with this project. Thus, at the end of the academic year, we had gathered eleven testimonies among the 2012-2013 class.

The interview grid was about the transformation of knowledge and skills, professionalization, the development of the roles of the mother and the woman along with how the training has been perceived. Then, we have been able to define three analysis axes from the interview results:

- The initial and final identification of the level of motivation to professionalization,
- The identification of newly acquired knowledge and its use within the parental role,
- These mothers’ outlooks on the evolution of their identities at the end of their training.