Fiche Documentaire n° 2423

Titre Les transformations des savoirs en lien avec la sexualité des adolescents.

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l'auteur principal

Auteur(s) FAYET Christine  
     
Thème Sur quoi se fondent les pratiques éducatives entourant la sexualité des adolescents en général, et des adolescents en situation de handicap en particulier ?  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Les transformations des savoirs en lien avec la sexualité des adolescents.

Cet atelier, en tentant de répondre à cette question, visera un triple objectif :

a) D’abord en se plaçant du côté des adolescents en situation de handicap, celui de questionner le sens de l’intervention éducative à la vie affective et sexuelle socialement admise sans pour autant travailler à son appropriation.

b) Ensuite, considérant l’ensemble des adolescents au cœur d’un monde en mutation, celui d’élargir la réflexion sur la transformation des savoirs, de la posture des professionnels et des normes sous-jacentes en se référant en autre aux apports de J.-P. Gaillard.

c) Enfin, pour les adolescents et les professionnels, celui d'examiner quels pourraient être les fondements d'une pratique éducative qui privilégierait plutôt des espaces de négociations inscrits dans un processus dynamique, où jeunes et adultes confronteraient leurs visions respectives et développeraient ensemble un savoir participatif, engagé et fondateur d'une meilleure qualité de vie sexuelle.

Pour atteindre ce triple objectif, ma présentation s’inspirera d’un exemple d’intervention éducative entourant la sexualité des adolescents en situation de handicap tel qu’il est construit et pratiqué actuellement à Genève. Nous verrons en quoi et pour quoi les savoirs qui fondent cette pratique éducative sont construits au mieux sur un mode de prévention, au pire de répression.
Ensuite nous partagerons, entre autre, l’apport théorique de J.-P. Gaillard. Selon lui, depuis une dizaine d’années, une mutation sociale aurait pris corps à travers celui des jeunes. Les modes d’expression des émotions, des perceptions, des représentations de soi et des interactions ont changé ainsi que les espaces symboliques qui définissaient jusqu’alors l’autorité et la hiérarchie entre autres. Les modifications qui touchent jusqu’aux piliers de leur psychisme vont façonner différemment leur manière de vivre, de penser et de construire leur sexualité.
Après cet ajustement théorique autour d’une transformation possible des savoirs et ce qu’elle engagerait pour la posture professionnelle et les normes en matière de sexualité des adolescents, je présenterai une pratique éducative qui intègre un changement de paradigme sur ces trois niveaux. Pour ce faire, je propose de créer des espaces de négociations sous forme de conversation égalitaire, comme le suggère J.-P. Gaillard. Il s’agit de soutenir l’expression des jeunes sur leurs préoccupations en lien avec la sexualité et de faciliter la confrontation de l’ensemble des visions dont celui de mon mandat de prévention et de promotion de la santé. Il est question là d’un modèle d’intervention qui valorise la co construction de savoirs dans un espace symbolique où se confrontent différentes expériences du réel. Nous verrons aussi comment enrichir l’expression des adolescents à l’aide d’outils, comme les techniques d’impact.
Je terminerai mon atelier en tentant de démontrer qu’une telle pratique éducative nous amène à tendre vers le concept de citoyenneté sexuelle défini comme un statut qui reconnaît l’identité sexuelle des personnes et leurs droits à une vie sexuelle de qualité.
D’autres questions resteront en suspens : si nous, adultes, acceptons de ne pas uniquement négocier avec les adolescents autour des normes en vigueur mais d’aller à la rencontre de leurs normes collectives et individuelles, jusqu’où serons nous prêts à transformer nos représentations, en prenant en considération quels risques ?

Bibliographie

Bourgeault. G. (2003), "L’intervention sociale comme entreprise de normalisation et de moralisation : peut-il en être autrement ? A quelles conditions ?". In NPS, vol 16, no2, p. 92-105.
Gaudrau, L. (1997), "Où va l'éducation sexuelle ?". In Revue Sexologique, vol.5, no2, pp.41-62.
Dupras. A, Bourget A.; (2010), " L'éducation à la citoyenneté sexuelle des usager de services en santé mentale". In Santé mentale au Québec, XXXV, 2, pp.209-226.
Gaillard J-P, (2008), "L'éducateurs spécialisé, l'enfant handicapé et sa famille". ESF. France.
Gaillard J-P, (2009), "Enfants et adolescents en mutation". ESF. France.
Iacub M., Maniglier P., (2005), "Anti manuel d’éducation sexuelle". Bréal. France.
Picod C., (1994), "Sexualité: leur en parler, c'est prévenir". Eres. Toulouse.
Tremblay R. (1998), "Guide d'éducation sexuelle. Tome 1 : L'adolescence". Eres. France.
Volckrick E., (2007), "Intervenir en tiers aujourd'hui". In Négociations, 1, Bruxelles, De Boeck, pp.75-88.
Watzlawick P., Helmick Beavin J. Jackson Don D. (1972). "Une logique de la communication". Seuil. Paris.

Présentation des auteurs

Indépendante - Formatrice/Consultante en santé sexuelle et reproductive, Intervenante Sytémique & ACS. 20%.
Office de la Jeunesse, Service Santé de la Jeunesse, Genève - Formatrice et consultante en éducation et promotion de la santé. 60%.

Centre Psychothérapeutique de l’Hôpital de l’Enfance de Lausanne - Enseignante spécialisée.
DIP, Ecoles primaires genevoises et centres de jour du service médico-pédagogique - Enseignante remplaçante.
Fondation Cap Loisirs, Genève - Animatrice socio-éducative.
Établissements Publics Socio-Educatifs, Genève - Socio éducatrice.
Caritas-Handicap, Genève - Responsable du secteur loisirs pour personnes en situation de handicap.

“Diploma of Advances Studies en Santé Sexuelle et Reproductive". Haute école de travail social, Genève. 2011-2012. Mémoire : Regard critique sur mon cours d’éducation à la vie affective et sexuelle auprès des élèves de 10ème année Harmos.

« Diploma of Advances Studies en intervention systémique dans l'action sociale et psychosociale ». Haute école de travail social, Genève, 2010-2012. Mémoire : Education à la vie affective et sexuelle auprès des adolescents-es en situation de handicap.

Master en Sciences de l’Education, 1997, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education.
Mémoire : Les représentations sociales, un frein pour l’intégration des enfants et des adolescents handicapés dans les camps de vacances ? .

Communication complète

5ème Congrès international de l’AIFRIS, Lille juillet 2013
Christine FAYET


Les transformations des savoirs en lien avec la sexualité des adolescents.

Sur quoi se fondent les pratiques éducatives entourant la sexualité des adolescents en général, et des adolescents en situation de handicap en particulier ?

Pour commencer, je me permets une brève présentation de mon contexte professionnel et de mes motivations à proposer un atelier sur les thèmes des fondements des pratiques éducatives en lien avec la sexualité des adolescents. Je suis engagée depuis 2006 au Service de Santé de l’Enfance et de la Jeunesse en tant que formatrice consultante en promotion et éducation à la santé. Ce service est « un service de santé publique de l’enfant et de pédiatrie sociale et préventive. Il est chargé de promouvoir et de protéger la santé de la jeune population genevoise et de prévenir les maladies et les conduites à risques ». En tant que formatrice consultante, j’ai, en autre mandat, les séances d’éducation sexuelle et affective auprès d’adolescents en situation de handicap ou non. La finalité de ces séances est de permettre aux jeunes d’aller vers plus d’autonomie dans leur sexualité et pour se faire ils doivent :
- Obtenir des informations, des réponses à leurs questions qui tiennent compte du biologique, du psychoaffectif et du contexte.
- Etre reconnu dans leur capacité d’acteur en fonction de leur âge biologique.
- Etre renforcé dans l’estime de soi, l’image que chacun a de soi-même et des autres, ainsi qu’être capable d’affirmer ses envies et ses non envies.

J’applique mon mandat en abordant les questions en lien avec la sexualité en général et aussi je me connecte aux interrogations plus spécifiques à la sexualité des adolescents, comme le conseille L. Gaudreau : « … toute démarche d’éducation à la sexualité s’inscrit en fait sur un continuum : apprendre sur « la sexualité en général » pour finalement mieux comprendre « sa sexualité ». La séance peut se concentrer sur la sexualité des personnes-cibles et les faire s’engager dans une démarche de compréhension plus globale, mais aussi plus fine et plus consciente de leur propre sexualité ». L’idée de base de l’intervention est de permettre à l’adolescent de s’inscrire dans la lignée de son propre développement et tirer un maximum d’enrichissement dans sa vie privée personnelle, interpersonnelle et sociale comme être sexué.

Pour ce faire, j’ai à disposition plusieurs outils d’animation qui m’autorise à passer d’un mode d’écoute passif chez les jeunes pendant lequel je transmets de l’information, même si il est toujours possible de poser des questions, il reste une forme d’enseignement sur un mode complémentaire où j’occupe la position haute, à un mode participatif, où il est question de réfléchir ensemble à des situations et répondre aux questions posées.
H. Manseau , dans son livre sur les fondements du programme qualitatif d’éducation sexuelle pour jeunes hommes, analyse l’échec des programmes de prévention de la façon suivante : « L’insuccès de plusieurs programmes d’éducation sexuelle et l’inadéquation des ressources destinées aux adolescents, tant en matière de fréquentation que de modification comportementale visant l’utilisation du condom, pourraient être bien attribués à deux facteurs principaux : 1) décalage entre les besoins des jeunes et les thèmes ciblés dans les programmes actuels (Kirby, 1997 ; Otis, Medico et Lévy 2000) ; et 2) des stratégies inaptes à susciter leur intérêt et leur motivation, comme le suggère le faible niveau de satisfaction des jeunes hommes participant aux programmes d’éducation sexuelle (Lajoie, 2001 ; Weinstein, 1989) ». Même si il est question de programmes plus spécifiques à l’utilisation du préservatif, les facteurs mentionnés pour expliquer l’échec des programmes me donnent des informations transposables à l’ensemble des séances en éducation sexuelle et affective auprès des adolescents. Les facteurs à considérer seraient donc de deux ordres. L’un est un décalage entre les besoins des adolescents et les thèmes ciblés. L’autre porterait sur les stratégies inaptes à susciter la motivation. Ce constat me confirme l’importance d’investiguer du côté des préoccupations des adolescents d’une part et d’autre part, de me questionner sur mes stratégies d’intervention, tant au niveau de ma posture professionnelle que des outils pédagogiques mobilisés.

Dès lors, je me pose la question suivante : mes séances d’éducation à la vie affective et sexuelle telles qu’elles sont construites, de par leur forme et leur contenu, répondent-elles aux préoccupations des adolescents ?

Cette question dégage en fait deux axes de réflexion. D’un côté sur le contenu, les sujets abordés sont-ils ceux qui intéressent et préoccupent les adolescents ? Et de l’autre côté sur la forme : ma manière d’interagir avec les élèves m‘autorise-t-elle à rencontrer les adolescents là où ils sont ou dit autrement, est-elle pertinente pour aller à la rencontre des préoccupations des adolescents ?

C’est donc cette réfléxion autour du contenu et de la forme des séances qui m’amène aujourd’hui à écrire une communication sur la manière de transformer des savoirs qui fondent les pratiques éducatives entourant la sexualité des adolescents en général et des adolescents en situation de handicap, en particulier. La finalité professionnelle et personnelle qui sous-tend l’ensemble de ma réflexion est la création d’un cadre d’intervention qui permette de poser mes objectifs pour ces séances en lien avec mon mandat et de rendre utile ces espaces aux adolescents, afin qu’ensemble nous puissions produire de l’information (une différence qui fait la différence) qui leur soit pertinente.


Après ce cours aperçu de mon contexte professionnel et de mon intérêt pour ces questions, je vais diviser la suite de cette communication en trois parties avec pour chacune un objectif distinct :

1.) D’abord en se plaçant du côté des adolescents en situation de handicap, celui de questionner le sens de l’intervention éducative à la vie affective et sexuelle selon des normes socialement admises sans pour autant travailler à son imposition.

2.) Ensuite, considérant l’ensemble des adolescents au cœur d’un monde en mutation, celui d’élargir la réflexion sur la transformation des savoirs, de la posture des professionnels et des normes sous-jacentes en se référant en autre aux apports de J.-P. Gaillard .

3.) Enfin, pour les adolescents et les professionnels, celui d'examiner quels pourraient être les fondements d'une pratique éducative qui privilégierait plutôt des espaces de négociation inscrits dans un processus dynamique, où jeunes et adultes confronteraient leurs visions respectives et développeraient ensemble un savoir participatif, engagé et fondateur d'une meilleure qualité de vie sexuelle.


Pour atteindre ce triple objectif, je m’inspire d’un exemple d’intervention éducative entourant la sexualité des adolescents en situation de handicap tel qu’il est construit et pratiqué actuellement à Genève.

1.) Les prestations couvrant le mandat d’éducation sexuelle sont bien offertes par le SSJ aux élèves des centres de jour spécialisés. Elles se déroulent pourtant dans un dispositif différencié de celui préconisé pour les classes dites « normales ». Nous n’intervenons que sur demande et il nous faut d’abord rencontrer les équipes avant les séances avec les adolescents. Lors de ces rencontres, la sexualité des jeunes en situation de handicap est le plus souvent décrite sous l’angle problématique. Nous sommes figés autour des représentations sociales. Il est dès lors difficile de sortir de cette vision d’une sexualité qui pose problème pour tendre vers une réflexion autour de la question de la sexualité de l’autre différent (l’alter) sur un axe qui tiendrait compte des ressources et du contexte. Il est attendu des séances d’éducation à la sexualité de donner de l’information pour contenir les comportements à connotation sexuelle jugés inadéquats. Le projet serait que les comportements des jeunes soient alors soumis à l’apprentissage d’habiletés sociales pour intégrer des comportements à caractère sexuel socialement admis. Le savoir, qui guiderait l’animation des séances, est construit depuis les préoccupations des professionnels et vers un axe de prévention voir pire de répression.

Le côté normatif des messages et le manque de retour de ce qui est compris me conduit à m’interroger sur : ne sommes-nous pas entrain d’imposer une norme à ces jeunes depuis une place surplombante ? Et quelle part est faite à l’appropriation de ces habiletés sociales hors des séances organisées par le SSJ, non seulement dans une continuité de l’apprentissage pour solidifier chaque palier à travers des activités pédagogiques, mais aussi dans la possibilité d’expérimenter ces habiletés sociales dans des espaces au sein même de l’institution.

Selon moi, ce qui émerge à travers la sexualité des jeunes en situation de handicap est simplement la sexualité d’un autre que moi, un autre qu’il est impossible d’intégrer dans une seule catégorie représentative de l’ensemble des jeunes. La sexualité fait partie de chaque être humain, elle est complexe, singulière, évolutive dans un contexte social et ne peut être réduite. Je souhaiterais, dès lors, nous amener à lire dans les manifestions sexuelles des jeunes leur volonté de nous communiquer quelque chose pour lequel ils n’ont pas les moyens d’exprimer autrement, peut-être parce qu’ils sont contraints d’agir leur sexualité dans un espace tiers incompréhensible pour eux. Pour certains jeunes en situation de handicap la manifestation de ces comportements est la seule réponse possible dans ce contexte, c’est un moyen d’être en communication. Il n’y a peut-être pas d’espace pour faire vivre autrement le langage de la sexualité en interaction avec les autres, alors ces manifestations échappent aux jeunes. Comme le dit P. Watzlawick « une communication (ou un comportement) de « dingue » n’est pas nécessairement le signe d’un esprit malade, elle peut être la seule réponse possible au contexte absurde et intenable de la communication. »

Le jeune en situation de handicap est un adolescent pris par un désir d’émancipation, poussé par la pulsion d’aller à la rencontre de l’autre et avec l’envie de plaire, de séduire, d’aimer et d’être aimé avec des manifestations sexuelles singulières. Si une des fonctions des manifestations à code sexuel relatée par les professionnels était de nous communiquer quelque chose et ainsi de confronter la norme imposée, ne devrions-nous pas prendre comme point de départ ces manifestations pour penser les séances auprès des jeunes ?

Néanmoins, les préoccupations des adolescents ne peuvent pas être appréhendées en tenant compte uniquement de leurs manifestations individuelles ou en collectif d’adolescent en situation de handicap. Ces manifestations doivent être analysées dans leur environnement, c’est pourquoi il est nécessaire d’ouvrir la réflexion à l’ensemble des comportements à caractère sexuel des adolescents. Aujourd’hui lorsque la sexualité des adolescents est évoquée, sont pointés les comportements sexuels suivants : les sexto, la séduction qualifiée d’hyper sexualisée, les activités sexuelles socialisées, la violence langagière sexuelle (pd, pute..), le visionnement d’images pornographies, les réponses à des sollicitations sexuelles, le fuck friend, l’extimité, …, bien qu’ils ne soient pas pratiqués par l’ensemble des adolescents.

Une partie des adolescents ont des comportements sexuels qui questionnent les adultes et en cela ils rejoignent les manifestations à caractère sexuel des jeunes en situation de handicap. Et cette confrontation à des codes socio-sexuelles pré-établis pose une tension dans l’interaction entre les adolescents et les adultes, elle pourrait devenir une problématique sociale et relationnelle en fonction du regard apposé sur ces comportements. Soit le regard posé sur ces comportements va cristalliser ces comportements comme des comportements problématiques, les étiqueter dans la catégorie symptômes « à redresser ». Soit nous allons formuler les questions suivantes et se donner des espaces pour y réfléchir : qu’est-ce que nous comprenons de leur comportements ? Qu’est-ce qu’ils nous montrent ? Et cela même si ces comportements bousculent nos valeurs personnelles et morales, et qu’ils transgressent des normes et des conventions socio sexuelles.

Ces comportements sexuels sont peut-être la mise en acte ou en mot d’une modification de ce qui se joue dans la relation à l’autre, aux autres et de ce fait à soi. Les adolescents construiraient de nouveaux rituels de séduction et d’interactions propres à leur génération.

Il y a sans doute plusieurs fonctions à ces tensions, car chaque manifestation d’ordre sexuelle est langage et pourrait ainsi être entendu comme une communication interindividuelle avec un message dont le sens serait à personnaliser. Néanmoins, je souhaite donner un sens collectif à ces manifestations. J’avance que le dénominateur commun à ces manifestations est la nécessité de parler des questions en lien avec la sexualité. Il faut réfléchir à la place et aux moyens à donner à ces questions pour les faire vivre.

Nous sommes là face à une transformation du savoir sur les questions en lien à la sexualité. Les manifestations des adolescents nous contraignent à nous interroger sur le dispositif à créer pour les rencontrer au plus proche de leurs préoccupations et cela pour l’ensemble des adolescent en situation de handicap ou pas. Et cela d’autant plus que la socialisation sexuelle au 21ème siècle passe par diverses influences comme celle des medias. Via internet, entre autre, l’adolescent à accès à de l’information forgeant son éducation sexuelle à travers le porno du web, à d’autres sites d’informations et de prévention, ainsi qu’à des réseaux sociaux qui fonctionnent hors champs des adultes et des institutions.


2.) La sexualité des adolescents est à inscrire dans un contexte de mutation sociale qui implique un changement de paradigme dont nous devrions tenir compte lorsque nous pensons la forme et le fond de nos interactions avec les jeunes en situation de handicap ou non.

Dès lors, quels changements seraient à intégrer dans la construction des séances pour les rendre pertinentes aux yeux des adolescents ?
Aborder les questions en lien avec la sexualité, c’est avoir à l’esprit l’omniprésence des codes sexuels dans les médias. Partout, jusqu’à sa propre chambre via son ordinateur, l’adolescent est envahi par des images à caractère sexuel, dans la rue via les panneaux publicitaires, il est impossible d’y échapper. L’incidence de la sexualisation de l’espace public et de l’omniprésence de la sexualité dans les media est un débat radicalisé : certains parlent de phénomène d’hyper sexualisation alors que d’autres en contestent l’impact. Au titre du principe de précaution, il est impératif d’outiller les jeunes à se construire avec et donc, à être équipé pour y faire face.

Selon J.-P. Gaillard , les enfants sont façonnés différemment que les générations précédentes. Il les appelle « les mutants ». Les modes d’expression des émotions, des perceptions, des représentations de soi et des interactions ont changé. Les espaces symboliques qui définissaient jusqu’alors l’autorité et la hiérarchie aussi. Les modifications qui touchent jusqu’aux piliers de leur psychisme vont façonner différemment leur manière de vivre, de penser et de construire leur sexualité. Brièvement, il écrit, hier la sexualité était façonnée par l’interdit, la transgression, l’intimité. le sexuel comme espace central d’un interdit organisant (religieux, inceste,..). La sexualité se pratiquait dans un espace particulier, un espace privé, dans lequel la sexualité pouvait un tant soit peu s’assumer , ce que nous appelions l’espace de l’intime. Aujourd’hui, les adolescents ont un accès illimité et immédiat aux jouissances directes offertes par des objets de consommation, tel que rollers, MP3, jeux en réseau. Et dans la relation à l’autre, l’autre est utilisable sur le même mode que son téléphone portable. Il n’existe ni d’interdit ni de transgression, ni de fantasme. L’acte sexuel prend alors la même fonction que les objets high-tech, c’est-à-dire qu’il montre l’existence de l’acteur, il organise sa nécessité d’extime, il donne accès à sa visibilité, voire sa notoriété. L’adolescent a aujourd’hui un impératif absolu, celui d’être visible sur un mode aussi permanent que possible. Nous devons le terme d’extimité à S. Tisseron : « tendance qui pousse les gens à tout révéler de leur vie intime, sur les plans tant physique que psychique ». Le phénomène est aujourd’hui banal grâce aux possibilités quasi illimitées des medias.

Je souhaiterais enrichir cet ajustement théorique autour d’une transformation possible des savoirs sur les fondements des pratiques éducatives en lien avec la sexualité des adolescents par des apports sur la posture professionnelle à privilégier et sur ce que cela entraîne pour les normes en vigueur en matière de sexualité des adolescents. D’abord plusieurs auteurs mentionnent l’importance de la posture professionnelle pour entrer en interaction avec les adolescents. J’en ai gardé trois pour avancer dans ma réflexion.

H. Manseau donne les facteurs de succès des programmes de prévention : « … Certaines des stratégies suggérées apparaissent comme des applications d’approches constructivistes parce qu’elles ciblent précisement les processus de construction des significations (Guba et Lincoln, 1994 ; Fisher, 1991 ; Gonçalves, 1995 ; Zuniga, 1994) ».

Pour J.-P. Gaillard , le façonnement des adolescents pose un espace relationnel où l’autorité de mode paternel est remplacée par l’autorité sur soi, ce qui implique qu’aujourd’hui chacun est chargé d’autorité sur lui-même et se doit de l’assumer. D’autre part, dans cet espace relationnel, la hiérarchie horizontale se doit d’être l’expression de l’égalité depuis la place de chacun, tout en respectant la différence et une nécessaire réciprocité. Je comprends ainsi que je n’ai plus dans la classe une place d’autorité qui va de soi et les élèves ne sont plus soumis à mon discours simplement parce que je domine la relation. Je dois établir avec eux un mode relationnel plus égalitaire où chacun a une place et est respecté à sa place. Et ce respect mutuel égalitaire mérite un co apprentissage pour l’ensemble de parties en présence. Une conversation avec un adolescent, c’est selon J.-P. Gaillard « un mode d’interaction à la fois langagière et mimique-gestuelle consistant, pour les adultes engagés dans une interaction avec un ou des mutant s, à écouter attentivement ce qu’ils disent et à se borner à questionner sur un ton égal (non autoritaire !) mais inlassablement insistant à souligner les incohérences, les arguments de mauvaise foi, les interjections non respectueuses pour d’autres ».

D. Youf part lui du principe que la sexualité est une relation à soi et surtout une relation à l’autre pour amener l’importance de la construction d’un point de vue éthique. Selon lui, dès lors que la sexualité n’est pas solitaire, un point de vue éthique est à construire. Ainsi, c’est vers la construction d’un point de vue éthique que je devrais accompagner les adolescents.

En résumé, la posture à privilégier devrait laisser de la place à un autre, c’est-à-dire lui offrir un espace pour exprimer comment décoder ses manifestations, ses besoins, ses attentes et de là co construire la séance. Dès lors, quelles sont les implications d’une telle posture pour les normes en vigueur? Actuellement, comme énoncé précédemment, les manifestations à caractère sexuel des adolescents questionnent la norme et les conventions socio sexuels. Le discours, qu’il m’est souvent donné d’entendre, reconnait ces comportements-là comme des formes d’expression possible de la sexualité, mais cataloguées sous l’angle des conduites à risque. Il est donc demandé aux adolescents d’apprendre des comportements qui rejoignent l’ensemble des comportements reconnus par la norme en vigueur, c’est-à-dire d’opérer des choix de comportements favorables à une meilleure santé.
Nous pourrions aller vers une reconnaissance de la diversité d’expression des comportements sexuels, sans trop insister sur les comportements à risques ou pas, et ensemble essayer de donner du sens à ces comportements. Nous entrerions dans une négociation de ce qui est acceptable pas seulement en fonction de la norme, mais en fonction de nouvelles règles qui accueillent ces comportements sexuels comme possible.
Possible ne veut pas dire acceptable, mais dès lors comment et dans quel espace allons-nous négocier la frontière de l’acceptable ? Que savons-nous faire pour intégrer leurs apports sachant que ce processus nous conduira à une transformation du savoir, des représentations sociales, des pratiques professionnelles et des références théoriques sans nier les normes en vigueur ?


3.) Je vais présenter une pratique éducative qui intègre un changement de paradigme sur ces trois niveaux : la transformation possible des savoirs, ce que cette transformation engage pour la posture professionnelle et les normes en matière de sexualité des adolescents.

Pour ce faire, je propose de créer des espaces de négociations sous forme de conversations égalitaires, comme le suggère J.-P. Gaillard . Auparavant, je pose deux principes fondateurs et non négociables des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle.

Le premier, c’est qu’il ne pourrait pas être question de ne tenir compte que des préoccupations des adolescents pour construire une séance d’éducation à la vie affective et sexuelle. En effet, celui-ci doit croiser différents enjeux en présence c’est-à-dire les préoccupations des adolescents en matière de sexualité , les besoins en lien avec les étapes du développement psychosexuel, selon les précepts du centre de compétences en éducation sexuelle , les valeurs actuelles portées par la société en général et le mandat SSJ tel qu’il s’inscrit en ligne de PLANes et d’Artanes . Mon mandat est attaché à un service de santé, le Service Santé de la Jeunesse, dont la mission est de développer le sens des responsabilités des adolescents pour leur permettre d’adopter des comportements favorables à la santé. Les comportements sexuels à risque sont un problème de santé publique. En effet, l’usage non systématique du condom, la précocité sexuelle et les partenaires sexuels multiples augmentent les probabilités d’un adolescent à être exposé à des IST, une grossesse à l’adolescence. L’utilisation du préservatif n’est peut-être pas une préoccupation des adolescents, mais c’est une préoccupation de santé publique.
- les adolescents ont les plus haut taux de prévalence et d’incidence de la gonnorrhée et la chlamediose dans la majorité des pays occidentaux. (McKay, 2004 ; Panchaud et al. 2000).
- Jusqu’à 95% des grossesses adolescentes sont imprévues et non-désirées (US. Centers for Disease Control and Prevention. 2000).

Le second qui découle du premier, je ne parle pas ici de transformer un savoir sur la manière de se protéger, sur cette question je rejoins M. Iacub . Il y a à séparer les préoccupations des adolescents qui nécessitent des réponses explicites et scientifiques, de celles qui ouvrent à la réflexion, « il me semble qu’on se fourvoierait grandement en croyant que les problèmes les plus aigus que nous pose la « sexualité » puissent recevoir une solution technique. Le seul point sur lequel il m’a paru nécessaire de donner des informations techniques précises, ce sont les manières dont on peut être contaminé par le virus du sida et les façons de s’en protéger ».

Ces principes posés je reviens à ma proposition de créer des espaces de négociation, dans lesquels il s’agit de soutenir l’expression des jeunes sur leurs préoccupations en lien avec la sexualité et de faciliter la confrontation de l’ensemble des visions dont celui de mon mandat de prévention et de promotion de la santé. J.-P. Gaillard amène l'idée de la nécessité de se coordonner et de converser en allant à la rencontre des codes de l'autre (alter), c'est-à-dire « aménager une place à un autre suffisamment autre, mais suffisamment semblable à moi-même pour que nous puissions converser et que nous opérions un processus de co développement ». Il n'est dès lors plus question d'outil à utiliser dans un contexte et à moment précis, mais d'une posture professionnelle à valoriser lorsque je suis en tant que professionnelle en interaction avec un ou des autres. La posture activée par ce biais est une posture axée sur la relation à l’autre. Pour aller dans cette direction, je dois faire confiance à la capacité réflexive des adolescents et la stimuler.

Si je ne veux pas « tuer » l’alter, je dois lui faire de la place en reconnaissant les compétences et les forces des adolescents. Et à cette confiance en eux, je dois ajouter la volonté d’une construction collective, entre eux et moi, c’est-à-dire la co construction d’un espace symbolique qui autorise l’expression de l’alter par la construction en situation d’un tiers réflexif au sens d’E. Volckrick . Dans cette propositon, différentes expériences du réel se confrontent. L’ensemble des réalités construites par chacun peuvent y être discutées sous une forme de conversation égalitaire pour négocier une éthique collective. Les points de vue de chacun doivent être accueillis, compris et respectés. Je favorise la mise en commun des propositions, j’enclenche une réflexion sur les divergences et les convergences des discours pour que chacun puisse élaborer individuellement des propositions qui fassent émerger une nouvelle réalité dans cet espace de construction d’un tiers réflexif.

Le fait que nous soyons dans une école, dans une séance d’éducation à la vie affective et sexuelle, qu’il y ait des normes socio-sexuelles en vigueur, que j’ai un mandat du SSJ, …, fonde le tiers généralisé. Dans cet espace de tiers généralisé nous allons à la rencontre de l’autre et donnons du sens aux préoccupations rapportées. Il est de ma responsabilité d’articuler, dans ce dispositif, tiers généralisé et tiers réflexif. C’est dans cette articulation que je véhicule les messages de prévention. J’élabore donc un moyen pour m’assurer que les jeunes et moi, nous ayons des repères pour nous situer dans le tiers réflexif ou dans le tiers généralisé. J’introduis au départ un outil d’impact, par exemple un collier Hawaîen, remis à chaque jeune. Lorsque nous le portons, ce collier va symboliser les moments de discussion dans le tiers réflexif. Dans ce dispositif, ma posture professionnelle est à classer comme intervenante en approche systémique dans la cybernétique de second ordre, ce qui signifie que je fais partie du systéme, je modifie donc le champ observé et je porte la responsabilité de mon intervention. Je ne connais pas l’effet de mes interventions sur l’équilibre du système général, il existe une part d’imprévisible. Je suis immergée dans le processus de co construction d’idées, que je pilote avec des schémas, des questions et des techniques d’impact considérant que les jeunes ont des ressources.


Pour terminer, j’ajouterais que créer des espaces de négociations possibles qui donnent la parole aux adolescents pour transformer par la participation un savoir engagé et partagé, c’est tendre vers le concept de citoyenneté sexuelle défendu par A. Dupras et qu’il défini comme « un statut qui reconnaît l’identité sexuelle des personnes et leurs droits à une vie sexuelle de qualité ».

Me reste deux incertitudes : la première nous amènera, je l’espère, à nous interroger autour du degré de régulation des normes en lien avec l’expression de la sexualité : si nous, adultes, acceptons de ne pas uniquement négocier avec les adolescents autour des normes en vigueur mais d’aller à la rencontre de leurs propres normes, jusqu’où serons nous prêts à transformer nos règles actuelles, et en prenant en considération quels risques ?
La seconde touche un enjeu au niveau institutionnel. Elle se déploie sous deux angles : si les préoccupations des adolescents en lien avec la sexualité concernent l’ensemble des acteurs en présence, ne serait-il pas pertinent pour une institution d’entrer dans une démarche d’éducation à la sexualité avec des interventions socio-éducatives pensées dans une complémentarité entre les différents professionnels ? Entrer dans une telle démarche signifie passer de l’intervention ponctuelle à un processus d’intervention qui donnerait l’opportunité aux adolescents d’être au cœur de l’action éducative. Par ce biais, ils participeraient de manière active à la production et à l’élaboration de nouveaux savoirs. N’est-ce pas là l’un des enjeux de l’éducation citoyenne ?

Genève, mai 2013 Christine FAYET

Résumé en Anglais


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