Les nouvelles technologies d’information et de communication sont en pleine expansion depuis les années 2000, laissant émerger de nouveaux questionnements chez les travailleurs sociaux. Entre méconnaissance et représentations, ce domaine impacte tant les services, que les usagers. Les travailleurs sociaux tendent à s’approprier ces nouveaux outils, mais les intérêts professionnels qui s’en dégagent ne sont pas toujours perceptibles.
Le public adolescent, cible des médias, se démarque par une assimilation rapide et une forte consommation des nouvelles technologies. Laetitia Wallyn a mené son travail de recherche, dans le cadre du DC2 au DEASS, à partir d’une enquête par questionnaires auprès de collégiens sur le sujet et a pu rencontrer des professionnels. Cette communication se base sur ses résultats. Nous pourrons évoquer les nouvelles technologies comme éventuel outil dans le travail social, et démontrer l’importance d’une veille professionnelle accrue.
1. La réalité des adolescents aujourd’hui concernant l’utilisation des NTIC.
Des questionnaires ont été distribués auprès de 79 élèves, dont 19 en classe de sixième, 21 en classe de cinquième, 17 en classe de quatrième et 22 en classe de troisième.
Plusieurs données nous permettent d’établir des constats qui vont parfois à l’encontre des idées reçues. Dans un premier temps, il est important de noter que l’âge moyen auquel les adolescents reçoivent leur premier téléphone mobile est de 10 ans et demi, et que, dès la sixième, la majorité des adolescents ont accès à de nombreux outils seuls dans leur chambre. Chez les sixièmes, sur une classe de 19 élèves, 13 ont accès au téléphone seul dans leur chambre, 12 à un téléviseur, 13 aux jeux vidéos et 9 à un ordinateur. Chez les cinquièmes, sur une classe de 21, 18 ont accès au téléphone seul dans leur chambre, 16 à la télé, 13 aux jeux vidéos et 16 à un ordinateur. Chez les quatrièmes, sur une classe de 17 élèves, 16 ont accès au téléphone, 12 au téléviseur, 12 aux jeux vidéos et 14 à l’ordinateur seul dans la chambre. Enfin, chez les troisièmes, sur une classe de 22 élèves 18 ont le téléphone, 18 ont la télé, 13 ont les jeux vidéos et 18 ont un ordinateur seul dans la chambre. Egalement, chez les sixièmes, âgés en moyenne de 11 ans, 8 admettent être inscrits sur le réseau social Facebook et chez les cinquièmes, âgés en moyenne de 12 ans, 16 sont inscrits sur Facebook. Ces données paraissent relativement importantes, surtout lorsque l’on sait que le réseau Facebook est interdit légalement aux enfants de moins de 13 ans. Cependant, contrairement aux idées reçues, sur les 79 élèves ayant répondu au questionnaire, seuls 5 d’entre eux disent parler à des inconnus sur internet. Il est également étonnant de constater que la plupart des élèves jouent plus de deux heures par jour aux jeux vidéos qui sont call of duty et black ops, ainsi que assassin’screed, alors que ces jeux vus comme des jeux particulièrement violents sont déconseillés aux moins de 18 ans. En effet, force est de constater que les adolescents passent beaucoup de temps sur les nouvelles technologies. Le temps passé sur les nouvelles technologies se ressent tout particulièrement sur la question du sommeil. En effet, dans une étude sur la santé (« 20 minutes de sommeil au quotidien perdues par an les veilles de journées de classe entre la sixième et la troisième. 21% des élèves de troisième présentent une situation de privation sévère de sommeil avec des nuits de sept heures de sommeil ou moins. 30 à 45 minutes de moins de sommeil que la moyenne de leurs camarades pour les jeunes regardant la télé ou utilisant internet le soir » ) les élèves des quatre classes admettent se coucher relativement tard. La moyenne par classe est de 21h30 chez les sixièmes, avec certains élèves qui se couchent entre 23h et minuit. Chez les cinquième, la moyenne est de 22h15 avec des élèves admettant se coucher beaucoup plus tard le week-end, parfois 3h du matin. En quatrième et troisième, la moyenne est d’environ 23h30, ce qui paraît très tard compte tenu du rythme imposé par leur scolarité. Sur 79 élèves, 58 admettent en effet rester sur les nouvelles technologies au lieu d’aller se coucher.
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, très peu d’élèves (seulement 18 sur 79) pensent que les nouvelles technologies sont un facteur de popularité au collège. La plupart des élèves ne pensent rien des élèves qui n’y ont pas accès. Seule la classe de quatrième évoque en majorité que les élèves n’ayant pas accès aux nouvelles technologies «ont raté leur vie».
Ainsi, si beaucoup pensent que les nouvelles technologies d’information et de communication peuvent enfermer les adolescents dans une bulle fictive les coupant de tout lien social réel, il est à noter que seuls 24 sur 79 ont déjà refusé de sortir pour rester sur les NTIC. De la même manière, beaucoup aimeraient échanger plus sur le sujet avec les adultes, et communiquer autour de ces outils avec leurs parents. Cela va à l’encontre des représentations mais rejoint les propos de Serge Tisseron : « Enfin arrive le troisième moment, celui où les échanges dessinent peu à peu un groupe d’internautes partageant les mêmes goûts et les mêmes centres d'intérêt. Je découvre que je fais partie d’une communauté dont j’ignorais jusque là l’existence.» . Ces technologies sont des outils de communication mais également des supports autour desquels communiquer. Un des élèves évoque l’idée même qu’il aimerait que ses parents sachent ce qu’il fait sur ses jeux vidéo, en l'occurrence Call of Duty.
Créer un blog, ou un profil sur Facebook par exemple, c’est pouvoir en parler avec ses amis, pouvoir interagir en direct sur les contenus numériques. Ce qu’ils montrent aux autres depuis leur blog ou sur leur profil, ils peuvent en discuter, à la récréation ou à la cantine, ainsi se créent de nouvelles interactions et le processus d’adhésion à un groupe tout en gardant sa spécificité se créer ceci augmente la confiance en soi.
Alexandre Coutant, et Thomas Stenger expliquent que ce processus identitaire oscille entre la volonté d’autonomie au sein du collectif, et le souhait d’inscription au sein de ce même collectif. C’est ce qu’ils appellent l’identité socio numérique. Cette identité, comme celle de l’adolescent, repose sur un paradoxe. L’adolescent, qui peut être, mal dans sa peau, ou en décalage avec sa propre image, va facilement créer des profils sur les réseaux sociaux, ou encore des blogs. Les auteurs expliquent que cette volonté des adolescents de créer des profils et des blogs puis de les effacer et de les recréer, consiste surtout en une «mue» au sens ou l’adolescent va exposer plusieurs facettes de sa personnalité, pour ensuite tout effacer et prendre «un nouveau départ». Ce sont ces processus, et la quête des commentaires des autres sur ses cyber-actions qui vont permettre à l’adolescent de s’enrichir d’estime de lui même.
2. Les professionnels face à l’outil des NTIC
L'intérêt professionnel en ce qui concerne les adolescents et les nouvelles technologies d’information et de communication est majeur lorsqu’on parle d’accompagnement. En effet, au collège, en service de pédopsychiatrie, en service d’AEMO, au département dans le cadre de la protection de l’enfance, chaque travailleur social peut être amené à accompagner un jour une famille ou un jeune dont l’une des problématiques peut être en lien avec les NTIC. Dans ce cas, avoir connaissance des outils, des risques, mais aussi de l’état «adolescent», c’est voir les choses dans leur globalité et ouvrir un dialogue avec le jeune, avec la famille, et entre le jeune et sa famille.
Les travailleurs sociaux travaillent avec les personnes et leur environnement. L’une des missions de ces derniers peut être de créer un réseau dit «primaire ou secondaire » aux personnes en situation d’exclusion. Le réseau est un ensemble de fils reliés entre eux. Le réseau primaire concerne l’entourage proche de la personne, et le réseau secondaire renvoie aux relations qui se créent de manière plus distancée. Etymologiquement, les réseaux sont donc des soutiens pour la personne. En effet celle-ci, par son réseau, est reliée aux autres par des fils qu'on assimile à des interactions sociales. Comprendre le fonctionnement de ces réseaux virtuels, c’est les prendre comme une ouverture à la réflexion sur le lien social chez ceux qui le souhaitent. Il peut s’agir de personnes âgées en structure, qui souhaitent garder le lien avec leur famille, parfois éloignée par le travail. Il peut s’agir de personnes en établissement souhaitant conserver un lien avec des amis vivant dans une région éloignée. L’histoire des personnes est à prendre en considération. Permettre aux usagers de créer, conserver, ou favoriser ces liens sociaux par des connaissances sur les nouvelles technologies, leurs risques et leurs bienfaits, pour un usage sain, pourrait être le levier d’un accompagnement.
Dans les actualités sociales hebdomadaires du 16 novembre 2012, un reportage est présenté sur les nouvelles technologies. En effet, un regroupement de l’ANPF, Association Nationale des Placements Familiaux, s’est interrogé sur les mesures de placement et leur efficacité quand les enfants sont en lien permanent avec leurs parents au travers des nouvelles technologies. Cette mesure jusqu’alors jamais remise en cause pour de telle raison, montre bien que les nouvelles technologies dégagent un intérêt professionnel particulier.
En effet, si l’on s’inquiète de voir « des enfants suspendus à un possible appel de leurs parents sur le mobile que ces derniers leur ont offert, ou qui reçoivent d’eux des SMS violemment rejetants», « une adolescente exposée aux aléas de la vie privée de sa mère via Facebook » , on se rassure également de pouvoir utiliser Skype pour des visites médiatisées lorsque les parents ne peuvent pas se déplacer.
La rapidité des interactions possibles grâce aux nouvelles technologies remet en question les présences de tiers durant l’exercice des droits de visite « le danger parental contenu (soi disant) par les portes de la famille d’accueil, de l’institution, ou de la visite médiatisée revient par la fenêtre de l’ordinateur » . Cependant il est à noter que « Comme en matière de droit de visite et d'hébergement, le juge des enfants, de même que le procureur de la république peut limiter ou suspendre le droit de correspondance des parents avec leur enfant placé en assistance éducative si l'intérêt de ce dernier l’exige (art. 375-5 al 2 et Art 375 - 7 al 4. Du code civil)».
Finalement, il est nécessaire que les jeunes soient sensibilisés à l’usage de ces outils. « Les professionnels du placement familial ne sont pas toujours très aguerris aux outils numériques. Il leur revient néanmoins d’aider les enfants à se les approprier».
3. Les perspectives
En 2000 le conseil supérieur du travail social a rendu un rapport sur l’émergence des nouvelles technologies dans le travail social. Il a été fait la distinction entre nouvelles technologies et informatisation des services. Les questions soulevées concernaient l’éthique professionnelle dans l’informatisation des données et la place de l’usager, ainsi que la confidentialité de son parcours. Ce rapport a fait des préconisations sur le fait de développer l’esprit critique des travailleurs sociaux et des usagers dans l’usage des nouvelles technologies, mettant l’accent sur la nécessité de se former. En effet, selon ce rapport, les nouvelles technologies d’information et de communication « sont à considérer non comme un remplacement de l’existant mais bien comme un complément à rajouter à la palette des autres outils déjà existants ».
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