Fiche Documentaire n° 3094

Titre Le rapport entre « ceux qui savent » et « ceux qui ne savent pas »

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l'auteur principal

Auteur(s) MOTOI Ina  
     
Thème La question, en enseignement, de la facilitation de la capacité citoyenne de questionner, de réfléchir critiquement et d’agir ensemble  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Le rapport entre « ceux qui savent » et « ceux qui ne savent pas »

Comment l’enseignement du travail social au Québec permet aux futurs travailleuses et travailleurs sociaux de comprendre ce qui construit le rapport entre eux, en tant que personnes supposées « savoir » résoudre des problèmes, intervenir socialement et l’usager des services sociaux, personne supposée « ne pas savoir » le faire? Comment ce rapport participe à la construction du pouvoir savoir intervenir socialement de façon professionnelle? Quel rapport au savoir mettons-nous ainsi de l’avant dans les services sociaux et communautaires?

D’un autre point de vue sur cette situation, quel est le savoir qui permettrait aux citoyennes et aux citoyens de questionner et de mettre en débat ce qui est vécu souvent comme une deshumanisation : l’organisation des interventions sociales selon un modèle managérial non relationnel, l’utilisation possible des connaissances scientifiques et technologiques entraînant l’objectification des usagers, l’automatisation des décisions concernant des êtres humains et l’isolement institutionnel? Au Québec, quelle est la place des citoyens dans les systèmes de santé et de services sociaux ou dans la sphère politique des décisions sociales, économiques, environnementales, municipales?

La compréhension ou la remise en question de ce rapport inégalitaire au savoir n’est pas simple. Nous parlons de participation citoyenne, de comité d’usagers, de présence des citoyens, en tant que partenaires, dans la prise de décisions les concernant, de renforcement des capacités communautaires. Mais les citoyens ne sont pas souvent au rendez-vous et, la plupart, ne sont pas motivés ou outillés pour le faire. Cette situation a des impacts multiples sur l’enjeu de la place que le citoyen ou la citoyenne occupe ou non dans sa société civile, en tant qu’être humain, et que personne d’autre que lui ou elle ne peut occuper.

D’ailleurs, nous enseignons aussi l’intervention collective de type développement communautaire, celle qui pose un processus relationnel qui facilite le développement du pouvoir citoyen de prendre en charge les réponses à ses propres besoins. C’est le pouvoir individuel d’agir avec les autres : agir ensemble. Celui-ci est d’abord appropriation démocratique de sa libre expression, de sa réflexion critique, de sa liberté d’association et de sa capacité de donner et de construire du sens par des liens significatifs avec les autres. Ce sont là des moyens de connaissance qui permettent à l’individu d’affirmer son identité positionnelle forgée par son vécu et par son expérience, de la situer et de la faire prendre en considération par les autres dans un dialogue démocratique et égalitaire. C’est poser ainsi la définition ou la « redéfinition du rapport du sujet au monde auquel il appartient » comme savoir. Cette identification de sa position, dans un contexte social et historique donné, lui permet d’explorer et de construire les conditions de sa reconnaissance par les autres. La rendre visible en tant que connaissance qui lui permet de se situer par rapport aux autres moyens de connaissance actuels ou à venir pour vivre ensemble mieux avec ses semblables humains et travailler le social. L’identité positionnelle peut être l’équivalent de ce qu’est la constitution de l’identité psychosociale pour intervention sociale individuelle.

Bibliographie

CHAMBON, A. (automne 1993). Les stratégies narratives du récit et de la parole. Comment progresse et s’échafaude une méthode d’analyse, Sociologies et sociétés, vol. XXV, no. 2.
COUTURIER, Y. (2003). Mouvements croisés et pratiques de résistance pour refuser de se poser en objet d’intervention dans le cadre d’une ligne ouverte psychologique. Revue électronique de sociologie et de sciences sociales esprit critique téléaccessible à
http://www.espritcritique.org .
LERBERT-SERENI, F. (sous la direction). (2004). L’intelligence des situations
complexes et le paradoxe de la modélisation. Paris : l’Harmattan.
MARKOVA, Ivana. (2007). Dialogicité et représentations sociales, Paris: PUF.
MOTOI, I. (2012). Is This Violence? Is This Sexual Violence? Recognizing and Defining Violence
Through Dialogue with French-Speaking Women. Chapter 3 in Cruel but not unusual: Violence in Canadian Families (2e edition, nouveau chapitre) sous la direction de R. Allagia and C. Vine. Waterloo: Laurier University.
MORIN, E., (2005). Introduction à la pensée complexe. Paris : Éditions du Seuil.
PAVEAU, Marie-Anne. (2010) La norme dialogique. Propositions critiques en
philosophie du discours. p. 141-159, http://semen.revues.org/8793.
PALOMBO, J. (fall 1992). Narratives, self-cohesion and the patient’s search for meaning, Clinical Social Work Journal, vol. 20. No. 3.
PERELMAN, C. et L. Olbrechts-Tyteca. (2008). Traité de l,argumentation. Bruxelles : éd. de l’université e Bruxelles.
POSTMAN, N. (2011, C. 1985), Se distraire à en mourir, Paris : Fayard /Pluriel.
RACINE, G. (2000). La production des savoirs d’expérience chez les intervenants sociaux, éd. l’Harmattan, coll. Action &savoir.
SCOTT, D. ( mars 1989). Meaning Construction and Social Work Practice Social Service review.
VILLENEUVE, L., R. Hébert et I. Motoi. (2010). Le chapitre Gestion des conflits dans les équipes d’étudiants. Dans B. Raucent, C. Verzat et L. Villeneuve (Dir.), Accompagner des étudiants Quels rôles pour l'enseignant ? Quels dispositifs ? Quelles mises en œuvre ? Bruxelles : De Boeck, Collection Pédagogies en développement.

Présentation des auteurs

Ina Motoi est professeure en travail social à l'UQAT

Communication complète

Comment l’enseignement du travail social au Québec permet aux futurs travailleuses et travailleurs sociaux de comprendre ce qui construit le rapport entre eux, en tant que personnes supposées « savoir » résoudre des problèmes, intervenir socialement et l’usager des services sociaux, personne supposée « ne pas savoir » le faire? Comment ce rapport participe à la construction du pouvoir savoir intervenir socialement de façon professionnelle? Quel rapport au savoir mettons-nous ainsi de l’avant dans les services sociaux et communautaires?

D’un autre point de vue sur cette situation, quel est le savoir qui permettrait aux citoyennes et aux citoyens de questionner, de mettre en débat et d’agir sur ce qui est vécu souvent comme une deshumanisation : l’organisation des interventions sociales selon un modèle managérial non relationnel, l’utilisation possible des connaissances scientifiques et technologiques entraînant l’objectification des usagers, l’automatisation des décisions concernant des êtres humains et l’isolement institutionnel? Au Québec, quelle est la place des citoyens dans les systèmes de santé et de services sociaux ou dans la sphère politique des décisions sociales, économiques, environnementales, municipales?

La compréhension ou la remise en question de ce rapport inégalitaire au savoir n’est pas simple. Nous parlons de participation citoyenne, de comité d’usagers, de présence des citoyens, en tant que partenaires, dans la prise de décisions les concernant, de consultation citoyenne, de renforcement des capacités communautaires. Mais les citoyens ne sont pas souvent au rendez-vous et, la plupart, ne sont pas motivés ou outillés pour le faire. Cette situation a des impacts multiples sur l’enjeu de la place que le citoyen ou la citoyenne occupe ou non dans sa société civile, en tant qu’être humain, et que personne d’autre que lui ou elle ne peut occuper. Doit-on accepter cette absence citoyenne comme inévitable dans une démocratie représentative où les « meilleurs » individus, « ceux qui savent », prendront les décisions? Et alors, au nom de qui parlent nos décideurs, élus ou non, ou nos intervenants sociaux? Ou doit-on faciliter, par une intervention sociale, la participation citoyenne aux décisions collectives les concernant? Et, en quoi cela est différent du bénévolat?

D’ailleurs, nous enseignons aussi, en travail social, l’intervention collective de type développement communautaire, celle qui pose un processus relationnel qui facilite le développement du pouvoir citoyen de prendre en charge les réponses à ses propres besoins. C’est le pouvoir individuel d’agir avec les autres : agir ensemble. Celui-ci est d’abord appropriation démocratique de sa libre expression, de sa réflexion critique, de sa liberté d’association et de sa capacité de donner et de construire du sens par des liens significatifs avec les autres. Ce sont là des moyens de connaissance qui permettent à l’individu d’affirmer son identité positionnelle forgée par son vécu et par son expérience, de la situer et de la faire prendre en considération par les autres dans un dialogue démocratique et égalitaire. C’est poser ainsi la définition ou la « redéfinition du rapport du sujet au monde auquel il appartient » comme savoir. Cette identification de sa position, dans un contexte social et historique donné, lui permet d’explorer et de construire les conditions de sa reconnaissance par les autres. La rendre visible en tant que connaissance qui lui permet de se situer par rapport aux autres moyens de connaissance actuels ou à venir pour vivre ensemble mieux avec ses semblables humains et travailler le social. L’identité positionnelle pourrait être l’équivalent de ce qu’est la constitution de l’identité psychosociale pour intervention sociale individuelle.

Donc, comment mobiliser chez les étudiants un questionnement du savoir qu’ils sont en train d’acquérir? Comment leur faciliter le développement d’une pensée critique, qui se trouverait au-delà de l’acquisition et de la gestion des connaissances et des compétences professionnelles, afin qu’ils ou elles puissent être en mesure de questionner celles-ci et de s’en distancer pour y réfléchir critiquement? Comment leur apprendre à sélectionner parmi les informations « sans se laisser submerger » par leur quantité? Comment leur apprendre à savoir reconnaître « le détournement des résultats d’études » par les professionnels de l’information et du marketing social et, de « prendre [ainsi] leur vraie mesure » ? Quels outils conceptuels ou méthodologiques leur donner pour qu’ils sachent faire la distinction entre les intérêts politiques, les intérêts commerciaux, les intérêts sociaux et les intérêts humains? Comment enseigner pour que les étudiants ne deviennent pas, en tant que futurs travailleurs sociaux, des « instruments dociles… [entre les mains de décideurs en position de pouvoir]… appliquant règles et procédures qu’ils n’auraient plus besoin de comprendre» ? Comment leur enseigner la facilitation de leur propre capacité citoyenne pour qu’à leur tour, en tant que professionnels, ils prennent en compte la capacité citoyenne de leurs « clients »et qu’ils les soutiennent à la développer?

Cette question, du rapport au savoir des étudiants comme des usagers, doit-elle être posée afin qu’on évite de leur administrer des traitements normalisateurs, des protocoles automatisés et des purges idéologiques, trop souvent sans les faire participer aux décisions les concernant? Doit-on agir ou non pour que le bénéficiaire ne soit pas un « objet de droit » qu’on protège avec autorité au nom de ses droits, ni un « objet de l’intervention »? Doit--il être ou non un « sujet de droit » et le sujet dans l’intervention, dont il faut prendre en considération la perspective subjective? Peut-il prendre sa place de citoyen qui désire agir ou non sur son monde et prendre en charge ou non ses besoins?

Comment enseigner aux futurs travailleurs sociaux à se positionner dans cette tension essentielle entre la perspective subjective de l’humain et la possible perspective objectivisante du professionnel, qui est un humain aussi, pour que la finalité de l’intervention sociale ne soit pas juste opérationnelle? Comment munir les étudiants à saisir dans le vif de l’intervention sociale les enjeux et les limites de leur travail social pour que leur responsabilité professionnelle ne soit pas en contradiction avec leur responsabilité humaine? Quel rapport au savoir doit-on construire dans l’enseignement afin de permettre cette prise de conscience? Doit-on le faire?




Références

CHAMBON, A. (automne 1993). Les stratégies narratives du récit et de la parole. Comment progresse et s’échafaude une méthode d’analyse, Sociologies et sociétés, vol. XXV, no. 2.
COUTURIER, Y. (2003). Mouvements croisés et pratiques de résistance pour refuser de se poser
en objet d’intervention dans le cadre d’une ligne ouverte psychologique. Revue électronique de
sociologie et de sciences sociales esprit critique téléaccessible à http://www.espritcritique.org
LERBERT-SERENI, F. (sous la direction). (2004). L’intelligence des situations complexes et le
paradoxe de la modélisation. Paris : l’Harmattan.
MARKOVA, Ivana. (2007). Dialogicité et représentations sociales, Paris: PUF.
MOTOI, I. (2012). Is This Violence? Is This Sexual Violence? Recognizing and Defining Violence
Through Dialogue with French-Speaking Women. Chapter 3 in Cruel but not unusual: Violence in Canadian Families (2e edition, nouveau chapitre) sous la direction de R. Allagia and C. Vine. Waterloo: Laurier University.
MORIN, E., (2005). Introduction à la pensée complexe. Paris : Éditions du Seuil.
PAVEAU, Marie-Anne. (2010) La norme dialogique. Propositions critiques en philosophie du
discours. p. 141-159, http://semen.revues.org/8793.
PALOMBO, J. (fall 1992). Narratives, self-cohesion and the patient’s search for meaning, Clinical Social Work Journal, vol. 20. No. 3.
PERELMAN, C. et L. Olbrechts-Tyteca. (2008). Traité de l,argumentation. Bruxelles : éd. de l’université e Bruxelles.
POSTMAN, N. (2011, C. 1985), Se distraire à en mourir, Paris : Fayard /Pluriel.
RACINE, G. (2000). La production des savoirs d’expérience chez les intervenants sociaux, éd. l’Harmattan, coll. Action &savoir.
SCOTT, D. (mars 1989). Meaning Construction and Social Work. Practice Social Service review.

Résumé en Anglais


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