Enjeux démocratiques de la circulation des savoirs

Nous parlons en tant que citoyens chez qui le cœur, le moteur et le milieu de leur vie au travail est l’être humain. Nous partageons une vision anthropologique de l'homme qui soutient de manière coriace le fil rouge de nos postures au travail : nous sommes convaincus que dès que l'homme est dans cette perspective de travail, « ce » que nous avons à faire avec lui n’a pas de sens si cette « chose-là » n'est pas faite avec lui ! Rappelons une maxime connue de vous tous : « ce que vous faites pour moi, sans moi, est contre moi ». Cela rejoint la santé psychique : qu'est-ce qui nous importe dans la vie ? Que nous soyons reconnus, valorisés, entendus pour ce que nous sommes, pour ce que nous disons, pour nos pensées, gestes et émotions, qui ont valeur de messages. Notre corps et notre pensée, notre Je-corps (1) a besoin d'identité et de reconnaissance. Nous avons un nom, nous habitons ou pas une adresse précise, nous sommes dans un quartier, nous parlons une langue, nous avons ou pas un travail, nous sommes dans une époque différente de celle de nos aïeux et des hommes du trentième siècle devant nous... Si nous pensons à tout cela dans le détail, nos assises les plus intimes sont situées par rapport à notre contexte environnant. C'est dans ce sens que nous comprenons Freud (3) lorsqu'il écrivait que la psychologie individuelle est, au fond, une psychologie des groupes. Ce qui nous amène à dire que les assises identitaires sont collées à la peau des contextes familiaux, sociaux, historiques, économiques, libidinaux à partir desquelles chacun se construit comme identique et différent selon ses innombrables critères.
De cette posture se décline notre conception selon laquelle la santé n'est pas isolée de l'éducation, ni de la culture, ni du sport, ni des loisirs, ni de la politique, ni de l’économie, ni du travail, ni des « brics à bracs » de la vie de tous les jours. C’est-à-dire que la place sociale est constitutive de l’identité et que l’aperçu du « monde interne intime » d’un être est en même temps une plongée qui donne à voir sa vie dans un espace-temps historiquement défini, socialement repéré, économiquement inséré dans des groupes d’appartenance, mais aussi dans sa ville, son pays, bref, dans des mondes à la fois fantasmatiques et très terre-à-terre.
Notre toile de fond est l’articulation entre l’individu et son expression en société, entre le particulier et l’œuvre collective prenant forme dans l’espace des institutions et des villes à partir de l’optique de la participation des personnes concernées par les projets qui les lient : publics, professionnels, familles, acteurs politiques. En instaurant un dialogue et des réflexions à deux voies, au croisement de la psychanalyse et des sciences politiques, nous parlerons des « savoirs » et de leurs vecteurs de « transmission » en réfléchissant aux expériences où la participation démocratique a été le levier de la construction collective. Nous parlerons d’un travail difficile, mais plein de richesses lorsque mondes et intérêts différents se confrontent. Les réalités des oppositions et des conflits qui traversent les personnes et leurs créations communes, nous apprennent que les transformations individuelles et sociales constituent à la fois les défis et les atouts des expériences qui se réclament de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.
Nous mettrons en relief les singularités des deux expériences – brésilienne/participation populaire dans la discussion des budgets publics municipaux, et française/recherche-action avec personnes polyhandicapées, familles et professionnels. Nous tisserons leurs frontières selon des invariants qui peuvent nous orienter vers la formalisation des réalités vécues dans l’objectif de leur transmissibilité potentielle en tant qu’outils méthodologiques, réflexifs et exploratoires des démarches où la participation se conjugue avec la circulation des savoirs et les échanges humains.

(1) Aulagnier, P. (1986), Un interprète en quête de sens, Paris, Ramsay.
(2) Freud S., « Das Unheimliche » (1919), dans Das Unheimlich und andere Texte. L'inquiétante étrangeté et autres textes, traduit de l'allemand par F. Cambon, Paris, Gallimard, 2001, édition bilingue, p. 25-139.
(3) Freud, S. (1921), « Psychologie des masses et analyse du moi », in S. Freud, Œuvres Complètes, 1921-1923, Paris, Puf, 1991, XVI, p. 1-83.
(4) Levivier A. P., 2012, « Parler de vie affective et sexuelle avec des adolescents et des jeunes adultes polyhandicapés serait-il innovant ? », Forum, N° 137, p. 37-42.
(5) Pignaton, F. (2005), Participação popular na elaboração de orçamentos publicos municipais – a experiência do Espírito Santo (1983-1994), Ediufes, Vitória.
(6) Santos de S., B. (2006), A gramatica do tempo : para uma nova cultura politica, Sao Paulo, Porto : Cortez Ed. Afrontamento.

Levivier : Psychologue clinicien, Psychanalyste, docteur en Psychopathologie Fondamentale et Psychanalyse (Université Paris 7), Chercheur associé et formateur-vacataire à l'Irts-CA et à l'Institut d'Enseignement et de Recherche sur les Maladies Addictives (Paris), Psychologue à l'Association des Papillons Blancs de Reims (I.M.E. L'Eoline, Ssad Mistral Gagnant, Sessad Galilée)
Pignaton : Médecin, Spécialiste en Politiques Publiques, Professeur du Master en Gestion des Villes à l'Université de Vitoria, Brésil (Unives), directeur de l'Institut de Recherche, d'Opinion et de Marketing Flexconsult (Vila Velha, Brésil), scientifique accrédité par l'European Society for Opinion and Marketing Reserarch (Esomar)

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