Fiche Documentaire n° 3209

Titre L'éthique du travail social en formation

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l'auteur principal

Auteur(s) COUET Damien  
     
Thème Quelle réflexion au-delà du professionnalisme?  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

L'éthique du travail social en formation

Nous œuvrons aujourd'hui dans un contexte où l'éthique professionnelle a été institutionnalisée. Elle l'a été dans la formation mais aussi dans les structures du social et du médico-social.
Il faut veiller cependant dans la transformation des formations sociales à ce que la réflexion ne soit pas introduite en trompe l’œil au travers de la seule éthique professionnelle. En effet, l'éthique professionnelle à elle seule ne suffit pas à former des professionnels aux capacités réflexives, c'est-à-dire ayant la capacité de faire retour sur eux-mêmes et leurs pratiques par la réflexion et l'esprit critique.
L'éthique professionnelle fait aujourd'hui partie des compétences du travailleur social. C'est une dimension du professionnalisme que de savoir comprendre le sens partagé que donnent les acteurs à leur pratique et d'en être soi-même le représentant éclairé. Mais cette compétence n'implique pas par elle-même qu'on soit un praticien réflexif.
Il n'est pas un seul établissement, un seul service ou une seule association aujourd'hui qui ne se donne pas l'autonomie de ses usagers pour objectif, par exemple. L'enseignement de l'éthique professionnelle va permettre de comprendre l'origine de cette valeur et de réfléchir aux moyens d'atteindre cet objectif. Mais il ne permet pas assez de réfléchir à la légitimité de cette valeur elle-même. L'éthique professionnelle donne du sens au travail mais elle ne suffit pas pour interroger ce sens lui-même.
De plus, l'éthique professionnelle peut facilement être détournée au service de la performance plutôt que de l'usager. En donnant un sens commun aux tâches quotidiennes le management galvanise les troupes mais le risque est que cet appel aux valeurs des professionnels, tel que l'appel à l'autonomisation de l'usager, soit d'abord porter par une logique de résultat plutôt que de respect de l'usager (Castillo, 2011). Les politiques sociales dites d' « activation », la prégnance de la gestion dans le management du social invitent à la circonspection devant l'usage des valeurs professionnels du travail social, et notamment celle d'autonomie (Jouan et Laugier, 2009).
Parce que la formation en travail social se calque de plus en plus sur le modèle d'une « éducation tournée vers le profit économique » (Nussbaum, 2011) et que le champ du social et du médico-social est aussi fortement traversé par une injonction à la rentabilité, il est impératif de proposer aux futurs travailleurs sociaux une « éducation [plutôt] tournée vers la démocratie » (Ibid.). Cultiver l'indépendance d'esprit, l'esprit critique, la capacité de jugement autonome : un travail social de qualité, comme la démocratie, sont à ce prix.
Or ce n'est pas nécessairement ce qui se passe lorsqu'on forme les futurs travailleurs sociaux à l'éthique professionnelle et à la déontologie. Une littérature se développe autour de ces thèmes mais comme l'indique elle-même une de ses principales auteures la pédagogie de l'éthique en travail social reste à inventer (Bouquet, 2013). En effet, au-delà de la présentation des valeurs marquantes de l'histoire des professions sociales, quels moyens se donne-t-on de prodiguer une formation à la hauteur des nouveaux enjeux éthiques en travail social ?
Je souhaite témoigner de ma recherche en tant que philosophe et formateur en formations initiale et continue au travail social pour montrer comment l'éthique et la réflexion dans la formation au travail social peuvent être « l'affaire de tous ». Seront exposés l'état de la recherche actuelle en matière d'éthique professionnelle, une manière d'associer les différentes disciplines en formation (méthodologie, sciences humaines et sociales et philosophie principalement) et les dispositifs de formation (en particulier l'alternance) au service du développement de la réflexion et enfin l'analyse de l'actuelle demande d'éthique de la part des professionnels en exercice et ce qu'elle peut nous apprendre en retour pour la formation initiale.

Bibliographie

Bouquet B., « L'éthique du travail social à promouvoir et à réaffirmer », Revue Française de Service Social, n°247, p. 10-17.
Castillo M., « Du professionnalisme à l'éthique professionnelle », Etudes, 2011/7-8, p. 55-64.
Jouan M. et Laugier S. (dir.), Comment penser l'autonomie ? Entre compétences et dépendances, PUF, 2009.
Nussbaum M., Les émotions démocratique. Comment former le citoyen du XXIème siècle ?, Climats, 2011.

Présentation des auteurs

Mr Damien Couet, professeur de philosophie en B.T.S. Economie sociale familiale et D.E. CESF, et formateur en éthique appliquée à la relation de soin et d'aide au Cnam-Iforis (Institut de Formation et de Recherche en Intervention Sociale) à Angers.

Communication complète

Mon objet sera la question de l'enseignement de l'éthique, quant à son contenu et sa pédagogie dans les formations sociales. Les transformations du contexte et des enjeux de l'intervention sociale peuvent faire craindre la réduction de l'éthique, censée développer chez le travailleur social la réflexivité indispensable à sa pratique, à une éthique professionnelle, réduite au sens commun du travail social. Comment dépasser la simple transmission d'un sens partagé légitimant les pratiques professionnelles pour faire émerger un véritable esprit critique capable de dépasser les fausses évidences du professionnalisme ?
Je montrerai tout d'abord pourquoi il me semble indispensable de dépasser l'éthique professionnelle en formation sociale. Puis quel contenu et quelle pédagogie il est possible de viser pour ce faire. Ces réflexions s'appuieront à la fois sur une expérience d'enseignant dans les filières de travail social, de formateur auprès de professionnels du secteur social et médico social et sur des recherches en éthique appliquée à ce secteur.

L'enseignement de l'éthique en formation sociale prend le risque aujourd'hui d'être réduit à la lecture des nombreuses chartes qui récapitulent les valeurs de telle ou telle institution, au rappel des principes que les travailleurs sociaux dans leur ensemble considèrent comme des repères pour l'action. Nous œuvrons en effet aujourd'hui dans un contexte où l'éthique professionnelle a été institutionnalisée, au travers de ces nombreuses chartes, de déclarations de principes ou de repères éthiques et déontologiques pour la pratique. Cette institutionnalisation a eu lieu dans les structures du social et du médico-social mais elle menace aussi la formation.
Elle n'a pas été nécessairement le fruit d'un débat et donc d'une réflexivité collective sur les pratiques sociales. Et même si elle l'avait été, nous pourrions encore douter de sa légitimité. Il faut en effet clairement opposer la pratique de l'éthique d'un côté, que nous voudrions encourager, et qui consiste en un questionnement sur le bien agir et son évaluation et l'éthique professionnelle de l'autre, terme ambigu qui pour nous désigne une dimension du professionnalisme du travailleur social consistant à savoir comprendre le sens partagé que donnent les acteurs à leur pratique.
L'éthique professionnelle est devenue une compétence parmi d'autres du travailleur social. Cette compétence pourtant n'implique pas par elle-même qu'on soit un praticien réflexif, c'est-à-dire un praticien ayant la capacité de faire retour sur soi-même et ses pratiques par la réflexion et l'esprit critique.
Arrêtons nous sur un exemple issu de ma recherche en éthique appliquée auprès d'intervenants sociaux en exercice. Il n'est pas un seul établissement, un seul service ou une seule association aujourd'hui qui ne se donne l'autonomie de ses usagers pour objectif. Parallèlement, les étudiants ont aujourd'hui parfaitement assimilé ce qui est devenu le leitmotiv de l'éthique professionnelle : rendre l'usager acteur. Nous entendons ce principe dès les entretiens de recrutement en formation de travail social. Preuve que celles et ceux qui se destinent à ces professions ont assimilé, en partie au moins, leur « morale professionnelle » et voient d'abord en celle-ci un ensemble de signes d'appartenance à manipuler convenablement si l'on veut se faire accepter du groupe qui les émet.
L'enseignement de l'éthique professionnelle va permettre de comprendre l'origine de cette valeur et de réfléchir aux moyens d'atteindre cet objectif. Mais il ne permet pas suffisamment de réfléchir à la légitimité de cette valeur elle-même. L'éthique professionnelle donne du sens au travail mais elle ne suffit pas pour interroger ce sens lui-même. Or, il y a aujourd'hui matière à s'interroger précisément sur cette valeur qu'on trouve dans toutes les chartes, toutes les déclarations de principe et bien sûr dans le droit.
Mes recherches en éthique appliquée m'ont appris à relativiser la place donnée à l'autonomie par l'éthique professionnelle. De retour en formation initiale j'ai cherché les moyens, que j'exposerai ensuite, de développer une réflexion à ce sujet. Ce qui me semble primordial, c'est d'asseoir d'emblée l'importance de soumettre les valeurs et principes de l'éthique professionnelle à l'esprit critique.
J'aimerais d'ailleurs ajouter un dernier argument contre la réduction de l'enseignement de l'éthique en formation sociale à ce que j'ai nommé l'éthique professionnelle. En effet, celle-ci peut facilement être détournée au service de la performance plutôt que de l'usager. En donnant un sens commun aux tâches quotidiennes le management galvanise les troupes mais le risque est que cet appel aux valeurs des professionnels, comme l'autonomisation de l'usager, soit d'abord porté par une logique de résultat plutôt que de respect de l'usager. Les politiques sociales dites d' « activation », la prégnance de la gestion dans le management du social invitent à la circonspection devant l'usage des valeurs professionnelles du travail social, et notamment celle d'autonomie.

Comment dès lors développer en formation un esprit critique vis-à-vis de cette éthique professionnelle ? Car voilà ce que devrait être l'éthique : interroger rationnellement le sens que nous donnons à nos actions, interroger leur légitimité quant au juste et au bien et mettre en accord, voire en harmonie, nos paroles et nos actes.
Parce que la formation en travail social se calque de plus en plus sur le modèle d'une « éducation tournée vers le profit économique » (Nussbaum M., 2011) et que le champ du social et du médico-social est aussi fortement traversé par une injonction à la rentabilité, il est impératif de proposer aux futurs travailleurs sociaux une éducation plutôt tournée vers la démocratie. Cultiver l'esprit critique, la capacité de jugement autonome : un travail social de qualité, comme la démocratie, sont à ce prix.
Une pédagogie pour l'éthique ne peut pas se passer non plus de la prise en compte des émotions qui naissent sur le terrain. Les émotions sont le signe chez l'être humain d'une vulnérabilité aux circonstances. Elles demandent à être réfléchies pour que la conduite qu'elles inspirent soit elle-même réfléchie. L'analyse de la pratique ne devrait donc pas être monopolisée par la psychologie car l'expression du vécu nécessite aussi une réflexion pour laquelle l'éthique offre le meilleur cadre.
Ce travail est rendu possible par l'alternance. Celle-ci permet aussi, par la tension qu'elle suscite entre la théorie et la pratique, de faire naître le débat. Au cours de tel moment en formation j'ai cherché dans l'éthique professionnelle d'autres valeurs permettant de faire contre-poids à celle d'autonomie. L'empathie, ou la capacité à ressentir les émotions des autres dans des circonstances données et donc à éprouver leur vulnérabilité, est un bon candidat à ce titre. Et c'est ainsi que j'ai été amené à débattre avec les étudiants-stagiaires sur ces questions : notre empathie ne doit-elle pas être soumise à l'esprit critique, une autonomie de pensée, auquel cas l'autonomie reste supérieure à la vulnérabilité ? A moins que ne pas laisser parler spontanément l'empathie pour d'abord la scruter rationnellement puisse parfois être considéré comme une faute morale, comme lorsque je vois quelqu'un en danger et que je me demande s'il faut vraiment le sauver ? Voilà un exemple de débat conceptuel, le débat philosophique entre sentimentalistes et rationalistes au sujet de la prééminence de l'empathie ou de la raison, qui devrait selon moi avoir lieu en formation. L'issue du débat est affaire de spécialistes mais ses termes doivent être rendus intelligibles pour des travailleurs sociaux qui ont besoin de débattre sur ces questions de manière à interroger les valeurs fondamentales de l'action professionnelle au-delà de celles déjà instituées.
Cela suppose cependant aussi d'encourager la recherche en éthique appliquée au travail social de manière à nourrir l'enseignement des formateurs sur ce sujet. Nous devons avoir l'ambition en formation de travail social d'amener les étudiants à ce niveau de réflexion permettant d'évaluer les finalités de son intervention ainsi que son vécu. Car les gens qui ne s'examinent pas eux-mêmes sont facilement influençables. Ainsi, le développement de l'éthique en formation sociale, doit permettre de contrer le suivisme, une culture où l'autorité et la pression des pairs vaudraient comme éthique. La réflexion sur les émotions suscitées par le terrain et le débat sur l'évaluation du bien agir in situ sont les moyens de faire un retour sur soi.
L'attention portée aux émotions des étudiants concerne aussi les sciences humaines et sociales qui ont vocation à lutter contre les représentations faites notamment d'émotions, tel le dégoût, suscitées par tel ou tel groupe, telle ou telle pratique. Le meilleur moyen de poser ces représentations et donc de travailler sur ces émotions est de les faire s'exprimer, par exemple au cours de débats.
Le débat permet de développer la capacité d'argumenter indispensable notamment à la démarche de projet. Une réflexivité défaillante conduit à un manque de clarté dans les objectifs. La démarche de projet enseignée en formation sociale ne peut pas se passer par ailleurs d'un examen des fins qui dépassent cette méthodologie elle-même. Ces fins doivent être conceptualisées et ces concepts étudiés en eux-mêmes (l'autonomie ou l'empathie par exemple). Ainsi le débat seul ne suffit pas et un apport philosophique conséquent est indispensable.

Pour contrer le risque de suivisme généralisé, la formation ne doit pas se contenter de transmettre l'éthique professionnelle. Elle doit fournir les bases théoriques d'une critique de cette éthique et favoriser un travail sur soi. Pareille ambition passe par la création d'espaces consacrés au débat et à l'examen par chacun de son vécu, de ses expériences de terrain sous l'angle de la réflexion éthique.

Résumé en Anglais

We should go beyond professionnal ethics in social work education. For social workers need a practical reflexivity that common sense do not imply. Teaching philosophy, making debates and paying attention to students emotions in link with working fields are some means to overtake general conformism. That would means to develop real ethics in social work education by contrast with simply professionnal ethics.