Fiche Documentaire n° 3229

Titre Participer à une recherche action : une démarche qui questionne les pratiques

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Auteur(s) MARECAUX Claire  
     
Thème Faire « un pas de côté », ne plus se positionner en expert « sachant », mais aller à la rencontre des « signaux faibles », reconnaître les formes du pouvoir d'agir et ainsi passer de la compétence professionnelle à l'intelligence collective avec le territoire.  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Participer à une recherche action : une démarche qui questionne les pratiques

En 2011, 6 associations médico-sociales et/ou sociales bretonnes se sont engagées dans une action commune de formation innovante. Partant du postulat que, pour construire des politiques concrètes et durables, les décideurs politiques doivent s’appuyer sur des microréalisations locales enracinées dans des situations personnelles de vie et de solidarité informelle de la collectivité proche, elles ont décidé la mise en place de Recherches Actions Qualifiantes (RAQ). Ce projet avait pour finalité une évolution des pratiques d’intervention dans des domaines d’action porteurs de nouveaux défis et de nouveaux potentiels d’action. La première RAQ, « Accompagnement de personnes handicapées vieillissantes : une approche par le territoire », s'est déroulée de décembre 2011 à décembre 2013.
Formation innovante, avant tout collaborative, elle a eu pour objectif d'amener des professionnels à sortir de l’expertise individuelle pour s'ouvrir à l’action collective. 19 salariés, issus des 6 associations, se sont engagés dans cette aventure. Professionnels du soin (infirmier, aide-soignant), de l'accompagnement (aide-médico-psychologique, éducateur, moniteur-éducateur, assistant de service social) ou de l'animation (animateur), leur projet était d’identifier les expérimentations locales portées par les acteurs de la société civile dans un territoire donné, comprendre comment les réseaux de solidarité se construisent et interagissent, cerner les mécanismes permettant d’élaborer les réponses les plus larges/ouvertes possibles. La RAQ visant à saisir des « faire ensemble » entre des professionnels de l’intervention sociale et des habitants dans leur espace de vie, les stagiaires ont été répartis sur 3 territoires, aux caractéristiques bien différentes. Il s'agissait, tout d'abord, de repérer les acteurs et les ressources de chaque territoire en identifiant notamment les initiatives disponibles et mobilisables. Puis, en décrivant les dynamiques observées, chaque groupe a pu analyser des situations et le renforcement ou la création de nouvelles modalités d’intervention en se mettant à l’écoute des «signaux faibles ». C'est alors que les pratiques professionnelles ont été interrogées afin de ne pas se positionner en expert « sachant ». Car c'est en allant à la rencontre de ces signaux faibles présents sur le territoire qui, repérés par les acteurs des territoires, sont sources d’innovations porteuses de transformations locales, qu'il a pu être possible, en fin de formation, de créer un espace d’échanges et de dialogue favorable à la prise de décision, renforçant ainsi la capacité collective à agir.

Au travers de cette recherche, nous avons été amenées à porter un regard différent sur notre travail et surtout réapprendre à entendre les paroles des habitants d’un territoire : prendre le temps, lâcher prise, écouter. La co-construction dans l’élaboration commune d’un projet a fait appel à des apprentissages négociés de partage, de réflexion, de concertation, d’intelligence, qui donnent sens au faire ensemble. L’esprit RAQ a réellement pris forme, sans que nous ne nous en rendions compte au moment où, enfin, nous avons lâché prise, quand nous n’attendions plus rien de défini, et n’avions plus l’objectif d’agir. C'est lorsque nous n'avons plus été dans le faire, mais que nous avons accepté d'être dans le ressenti, dans l’infime, que nous avons enfin pu repérer « les signaux faibles ». Ces signaux qui existent, font vivre un territoire, font que les problématiques diverses d’une commune sont prises en compte sans que les institutions n’aient encore à intervenir. Il nous a fallu accepter de ne pas savoir, de ne pas avoir de réponse mais reconnaître à l'autre, à l'habitant un savoir. C'était faire ce « pas de côté » qui permet de changer notre regard et notre posture face à l’autre, et qui conduit à développer le « pouvoir d’agir », à chercher à révéler le potentiel de chacun.

Bibliographie

LAURANS GOURVENEC, S. (2014). L'épreuve autobiographique : quand l’écriture de soi nous invente. VST, n°121, 39-46.


SCHALLER, J.-J. (2007). Un lieu apprenant : de l'habitus à l'historicité de l'action. Orientation Scolaire et professionnelle (Insertion, biographisation, éducation), n°36-1 (mars), 83-93. Paris : CNAM/INETOP.

- (2013) (dir.). L'intervention sociale à l'épreuve des habitants. Le sujet dans la cité. Actuels n°2. Paris : L'Harmattan.

Présentation des auteurs

Formatrice au sein d'un établissement de formation en travail social, ayant participé à la RAQ PHV

Communication complète

Décembre 2011, 19 professionnels s'engagent dans une aventure, avec l'université Paris XIII Sorbonne Paris-Cité, qui va durer 2 ans. Nous sommes éducateur, animateur, aide-soignant, assistant social, infirmier, aide-médico-psychologique. Nous travaillons au sein d'associations médico-sociales du Finistère et du Morbihan, certains auprès d'enfants, d'autres auprès de personnes âgées ou de personnes handicapées. Nos employeurs nous ont proposé de suivre une formation dénommée RAQ PHV. Sigle énigmatique signifiant Recherche Action Qualifiante Personne Handicapée Vieillissante. A travers cette action, nos associations ont la volonté de nous amener à changer nos pratiques, notre regard sur le public accompagné mais surtout à prendre en compte le territoire.
Les uns et les autres nous pensons suivre une formation classique sur la question des personnes handicapées vieillissantes, mais très rapidement nous nous apercevons qu'il n'en est rien. Basée sur une démarche collaborative, cette formation innovante a pour objectif de nous faire sortir de l’expertise individuelle pour nous ouvrir à l’action collective (1). Elle vise à saisir des « faire ensemble » entre des professionnels de l’intervention sociale et des habitants dans leur espace de vie. Pour cela, elle associe l’analyse des situations et le renforcement et/ou la création de nouvelles modalités d’intervention. Pas question de se positionner en expert « sachant », il nous est demandé d'aller à la rencontre d'un territoire, d'identifier les signes qui y sont présents et qui sont sources d’innovations porteuses de transformations locales.
3 groupes de recherche sont constitués sur 3 communes aux caractéristiques différentes. Notre groupe, composé de 6 professionnelles travailleur social, est positionné sur Plougastel Daoulas. commune périurbaine de Brest, située sur une presqu'île et célèbre pour ses fraises.
Nous partons donc à la découverte, guidées par notre passeur, un habitant passionné par sa commune. Première confrontation à la démarche RAQ : c'est lui qui organise notre journée, prend des contacts. Nous nous sentons dépossédées. Et dès que possible nous reprenons la main. A la recherche de réponses à nos questions, nous allons rencontrer des acteurs locaux, des habitants. Nous savons ce que nous cherchons. Mais malgré nos efforts, nous ne le trouvons pas. Nos questions sur le vieillissement des personnes handicapées restent sans réponse. Mais nos interlocuteurs nous interpellent sur les solidarités et leur place dans leur commune. Nous acceptons alors de faire un pas de côté et de nous en saisir. Nous élaborons un projet d'exposition de photographies prises par les habitants sur ce thème. Et là, à nouveau, ça nous échappe : intéressé par cette exposition, le CCAS s'en saisit et l'inclue dans le programme de la semaine bleue. Etape décisive dans notre appropriation de la démarche RAQ : sortir de notre positon de sachant, ne pas imposer notre analyse mais aller à la rencontre du territoire. Et c'est lorsque nous acceptons de nous laisser guider sans nous sentir dépossédés que les portes s'ouvrent. A l'issue de la table ronde qui clôture l'exposition, la question de la « veille » à l'égard des personnes isolées est posée. Comment, par qui peut-elle être assurée ? A nouveau il nous faut lâcher prise. C'est cette question, issue du territoire, à laquelle il faut réfléchir et non un questionnement venu d'ailleurs. Nous sommes alors invitées à participer au ciné-sénior, à nous joindre à la remise des colis de Noël, à accompagner le portage de livres à domicile. Nous décidons d'aller à la rencontre sans avoir d'attente précise. Nous fréquentons les cafés, lieux de convivialité et de solidarité. Nous organisons des cafés discut. Les habitants nous accueillent dans leur intimité pour nous parler d’eux, de leurs désirs, de leur histoire, de leurs attentes quant aux solidarités en place
Tous ces échanges nous montrent que malgré une vie associative importante sur la commune, il semble que les liens entre les associations se soient effilochés au fil du temps. Les solidarités existantes et fortement présentes ne sont pas toujours identifiées.
Face à ces observations, notre questionnement est de savoir ce qu’il est possible de faire, de construire ou reconstruire pour que tout ce qui existe soit connu et reconnu sur le territoire. Il ne s’agit pas d'envisager l’institutionnalisation des solidarités en place, mais de réfléchir ensemble à comment faire pour que ce que nous pouvons appeler « les solidarités informelles » (acteurs et habitants qui se soucient des autres, tout simplement) puissent perdurer dans le temps et se maintenir ? Comment le territoire, par l’intermédiaire des acteurs de terrain, peut se mettre au travail pour que ces actions bienveillantes soient reconnues et surtout soutenues ?

Arrivant au terme de notre formation, nous organisons un temps d'échanges avec les différents acteurs pour leur retransmettre nos observations. Faisant confiance aux habitants, nous ne voulons pas leur dire quoi faire mais simplement mettre en lien toutes ces volontés, ces initiatives citoyennes, pour qu’ils se connaissent entre eux et se reconnaissent. Avant de quitter le territoire, nous invitons toutes les personnes que nous avons rencontrées à partager des gâteaux que nous avons préparés. Nous leur remettons à chacune la trace écrite de notre démarche. Cet écrit a pu conforter certaines personnes engagées sur ce territoire, dans leur positionnement et leur approche mais aussi en redynamiser d'autres.
Cette démarche a permis de remettre les gens en lien, de redonner l’envie de faire ensemble, de voir qu’ils n’étaient pas seuls dans leur action, leur quotidien, leurs inquiétudes… mais surtout de mettre en lumière toute la richesse qu’un territoire est capable de développer. Une des actrices du territoire nous a alors dit : « maintenant que vous nous avez ouvert les yeux, nous ne pouvons plus faire comme si nous ne savions pas ».

Durant ces 2 années, nous avons appris à quitter notre position d'expert professionnel. Nous avons dû écouter, accepter de ne pas savoir et permettre à l'autre de trouver sa question, de s’en emparer, ouvrant alors la possibilité d’une intelligence collective (2). Cet esprit RAQ a réellement pris forme, sans que nous nous en rendions compte au moment où, enfin, nous avons lâché prise, le moment où nous n’attendions plus rien de défini, moment où nous n’avions plus l’objectif d’agir. C'est lorsque nous n'avons plus été dans le faire, mais que nous avons accepté d'être dans le ressenti, dans l’infime, que nous avons enfin pu repérer « les signaux faibles » (3). Ces signaux qui existent, qui font vivre un territoire, qui font que les problématiques diverses d’une commune sont prises en compte sans que les institutions n’aient encore à intervenir. Il nous a fallu accepter de ne pas savoir, de ne pas avoir de réponse mais reconnaître à l'autre, à l'habitant un savoir. C'était faire ce « pas de côté » qui permet de changer notre regard et notre posture face à l’autre, et qui conduit à développer le « pouvoir d’agir », à révéler le potentiel de chacun.

Aujourd'hui c'est dans notre pratique professionnelle que nous tentons de mettre en pratique cet esprit RAQ. Ce n'est pas toujours facile de quitter cette position d'expert du travailleur social pour aller à la rencontre des personnes que nous accompagnons. Mais c'est en acceptant de changer notre positionnement que nous leur permettons d'être acteur, de s'approprier leur projet de vie. Le « aller vers », que nous avons fait tout au long de notre démarche exploratoire, nous permet aujourd’hui de penser le territoire de vie des personnes que nous accompagnons comme porteur de lien, d’appartenance, d’attachement. Il apparaît fondamental de ne pas rester dans l’espace physique de nos institutions mais bien d’ouvrir les murs vers la cité, vers les autres. Un territoire nous construit tout autant que nous le construisons. Par exemple, lors de l'ouverture d'un nouveau foyer accueillant des personnes handicapées, le regard de la RAQ a pris tout son sens. Nous avons été attentifs à associer au plus juste les personnes vers leur devenir, vers un nouveau territoire et à prendre en compte la parole de chacun pour garantir sa singularité. La prise de conscience du potentiel et de la richesse des personnes accueillies a permis de faire de ce projet un espace de débat et de contribution. Parallèlement, il n'était pas question d'arriver sur un territoire, riche d’initiatives, en grosse institution sachante et organisée. Les savoirs et l'expertise des professionnels en matière de handicap ne peuvent suffire, ceux des habitants acteurs sont autant de pistes à explorer. Il s'agit bien de passer de la compétence professionnelle à l’intelligence collective avec le territoire. C’est la perspective de ce fameux pas de côté comme une tentative de modification des regards et des postures face à l’autre.

La RAQ fut une Aventure qui nous a fait quitter nos habitudes. Nous avons pu les uns et les autres en voir les effets sur notre pratique professionnelle : nous sommes plus attentifs à la parole des personnes que nous accompagnons. Nous avons en effet repris conscience qu'avant d’être dans l’action, l’observation et l’écoute sont primordiales.



1 - SCHALLER, J.J (2013) (dir). Le sujet dans la Cité - L’intervention sociale à l’épreuve des habitants », actuels n° 2, L'Harmattan.
2 - SCHALLER, J.-J. (2007). Un lieu apprenant : de l'habitus à l'historicité de l'action. Orientation Scolaire et professionnelle (Insertion, biographisation, éducation), n°36-1 (mars), 83-93. Paris : CNAM/INETOP.
3 - La notion de signaux faibles est utilisée en économie. Il s'agit d'éléments de l'environnement qui nécessitent une attention, une veille pour être identifiés. Mises en perspective, ces informations permettent une réflexion pour imaginer ce qui est possible.

Résumé en Anglais


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