Fiche Documentaire n° 3247

Titre Des "usagers" en recherche

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l'auteur principal

Auteur(s) CALMO Patrice
PACHOD Laurent
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Des "usagers" en recherche

Il peut être lu « comme un diagnostic, une provocation, une interrogation » peut-on lire à propos du titre de la 3ème biennale de l’Unaforis intitulé : « les formations sociales en transformation : une affaire de tous ».
Nous serions tentés d’ajouter qu’il peut être lu aussi comme une « invitation ». Invitation à voir se développer certaines des initiatives relevées dans l’appel à communication pour cette même biennale quand il est évoqué la co-animation de session de formation entre formateurs et personnes en grande précarité.

Ce dont il s’agit ici, c’est bien de la construction d’une offre de formation « aux côtés » de ceux-là mêmes qui sont les premiers concernés par l’intervention sociale, à savoir : les précaires, mal logés, en danger ou handicapés, etc …

Mais de quoi « l’usager » engagé comme tel est-il le nom ? Et pour lui, « qu’est-ce que parler veut dire » dans cette configuration ?

Courant 2013, des parents qui connaissent ou ont connu la protection de l’enfance se sont engagés, pour 3 ans, dans un travail de recherche, avec ce que cela suppose en termes de définition d’une problématique, d’élaboration d’hypothèse, de recueil de matériaux, de conduites d’entretiens, …

Pour mener cette recherche, le groupe de parents est accompagné par un enseignant chercheur (maître de conférences en sociologie) et dispose du soutien de deux praticiens d’une association de protection de l’enfance située en Savoie (l’Association le Gai Logis).

Pour avoir à occuper cette place de praticiens, nous partageons avec eux l’intime conviction que comme pour ce qui relève des réflexions sur la recherche « dans » le travail social, la formation des futurs professionnels de ce champ ne doit pas demeurer l’apanage des seuls formateurs ou intervenants « en » ou « sur » le travail social.
Dans ces conditions ou la formation pourrait-être qualifiée d’affaire « d’expert », notre conviction nous conduit à faire nôtre cette affirmation selon laquelle il manque à la connaissance transmise « une prise sur le réel tant qu’à ses côtés on ne trouve pas cet autre type de connaissance que sont les savoirs d’expérience ».

A partir de cette « expérience » vécue en qualité « d’usagers » comme on les nomme fréquemment, les « parents chercheurs » de cette université ont très tôt observé l’impact de certaines représentations de sens commun portées sur les parents par les travailleurs sociaux. Ce constat a nourri chez eux la conviction de l’impérieuse nécessité de témoigner de leur démarche le plus en amont possible des cursus de formation.

Actuellement, un projet d’intervention dans une école de formation est en cours de construction. Les parents en sont les initiateurs et ils leur appartiennent de construire avec les professionnels concernés, les objectifs de formation, les outils pédagogiques ainsi que les moyens d’évaluation de leur démarche.
En effet, il ne s’agit pas de penser ces interventions comme un « one shot », une unique intervention, un témoignage se conformant à l’injonction générale d’un toujours plus de parole brute de l’usager « par » et « sur » lui-même avec ce que cela pourrait prêter au « spectaculaire ».
L’objectif poursuivi est davantage de participer au sein d’un module de quelques jours à un changement des représentations à l’œuvre chez les futurs travailleurs sociaux en formation. Le garde-fou de cette initiative demeurant l’inscription des parents, à toutes les étapes de la conception du projet.

Bibliographie

Ouvrages :

Ardoino Jacques, « Ethique, épistémologie et science de l’Homme », Harmattan, 1996, page 23-28.

Pierre Bourdieu, « Ce que parler veut dire », Fayard, 1991

Articles :

Calmo Patrice, « D’autres chemins possibles », numéro 276 de du Journal des Droits des Jeunes, juin 2008, p.36-41.

Wresinski Joseph « Introduction du comité permanent de recherche sur la pauvreté et l’exclusion », 1980, Palais de l’Unesco, à Paris.

Liens internet :
Observatoire National de l’Enfance en Danger - ONED : http://www.oned.gouv.fr/
Agir Tous pour la Dignité - ATD Quart Monde : http://www.atd-quartmonde.fr/
Association des Collectifs Enfants Parents Professionnels - ACEPP : http://www.upp-acepp.com/
Collectif « Pouvoir d’Agir » : http://pouvoirdagir.fr/
Agence Nationale de l’Evaluation et de la qualité des établissements et Services sociaux et Médico-sociaux : http://www.anesm.sante.gouv.fr/

Autres :

Anesm : « Expression et participation des usagers dans les établissements relevant du secteur de l’inclusion sociale », 2008, p.12.

Présentation des auteurs

Patrice CALMO

Directeur de Maison d’Enfants à Caractères Social pendant de nombreuses années, habilité évaluateur externe est actuellement directeur général d’une association de protection de l’enfance.

Laurent PACHOD

Diplômé d’un master 2 en sociologie est actuellement chargé de mission dans une association de protection de l’enfance.

Communication complète

La formation en travail social est l’objet d’une « organisation sociale » pour reprendre les termes de Durkheim (« De la division sociale du travail », éd. PUF, 1960). Elle est à la fois une structure cognitive qui permet de penser le travail social et une structure sociale selon laquelle la formation en travail social se construit et se reproduit.
La conduite d’une expérience d’Université populaire de parents (UPP) vient donner à voir tout l’intérêt d’une coproduction des recherches et, s’il le fallait, toute la pertinence des savoirs et connaissances de vie, de ceux-là mêmes que l’on nomme couramment les « usagers » du travail social.

Le concept d’Université Populaire de Parents – Upp – a été pensé par l’association des collectifs enfants parents professionnels – l’Acepp. Cette association est un mouvement parental et éducatif qui promeut la prise en compte des compétences des parents ainsi que leur participation active à l’action sociale et à la couverture de leurs besoins sociaux. L’Accep est ainsi à l’origine, entre autres initiatives, de la création de 800 crèches parentales en France.

C’est dans ce collectif que le concept d’Upp va trouver son origine en 2005. Ce à un moment où l’on assiste à une montée en puissance des discours politiques et médiatiques portant sur la thématique de la démission parentale. Ce dont il s’agit alors pour l’Acepp, c’est de permettre à des parents de faire valoir la légitimité de leur parole et une parole légitimée dans l’espace social, en les accompagnants à réaliser un travail de recherche à valeur scientifique.

A partir de là vont voir le jour de nombreuses Upp portant sur des thématiques comme l’image des quartiers populaires, la différence, le handicap ou la violence à l’école, etc. En 2012, l’association Le Gai Logis située à Albertville, en Savoie, soutiendra un collectif de parents dans la constitution de la première Upp qui s’intéresse à la question de la protection de l’enfance.

Comme la trentaine d’autres Upp en France, la recherche de ce collectif de parents répond à une méthode rigoureuse qui comporte plusieurs étapes :

• une phase exploratoire où les parents problématisent une question de recherche à partir de leur expérience individuelle
• une étape d’élaboration et de définition des hypothèses à partir de laquelle les parents sont accompagnés par un universitaire
• une étape méthodologique lors de laquelle les parents arrêtent une méthodologie d’enquête sous forme : d’observations, d’entretiens, de questionnaires ouverts, fermés, etc.
• une étape de recueil et d’analyse de matériaux permettant d’aboutir à des résultats que les parents formalisent ensuite à l’écrit

L’Upp d’Albertville fait partie de la troisième génération. Cela veut dire que leur recherche a débuté en 2013 et qu’elle devra se clôturer en 2015. Toutefois bien que non encore aboutie, les travaux de recherche réalisés par les parents soulèvent déjà un certain nombre de réflexions qui interrogent l’emploi des langages professionnels et ce que leur emploi présuppose, tels que les termes de « placement » et de « prise en charge » ou encore, à titre d’exemple :

• l’absence des parents dans des espaces de travail qui les concernent mais souvent dédiés aux seuls professionnels
• les modalités de co-production du projet éducatif des enfants
• la consultation de leur dossier en assistance éducative
• etc.

Cette recherche nous semble intéresser la formation en travail social à plusieurs titres. En premier lieu parce que le collectif de parents chercheurs a formulé, aujourd’hui, le souhait de présenter l’avancement de ses travaux à des apprenants de filière d’assistant médico-psychologique, de moniteur éducateur, d’éducateur spécialisé, voire de cadre de l’action sociale et médico-sociale.
Ce souhait tient au constat que les parents chercheurs font concernant des représentations hâtives, souvent réductives et parfois stigmatisantes qui ont été portées sur eux par les professionnels qu’ils ont eu à côtoyer durant leur parcours institutionnel. Représentations, il va s’en dire, qui desservent l’instauration de liens de confiance et de respect mutuel permettant d’ouvrir à un travail collaboratif pertinent et fructueux.
Les parents argumentent en ajoutant qu’il leur semble primordiale que ces représentations soient interrogées le plus en amont possible des cursus de formation, dans l’hypothèse que leur déconstruction à postériori soit beaucoup plus difficile.

Sur ce point nous ne pouvons qu’abonder dans leur sens, tant notre pratique nous rappelle souvent que le soutien des personnes en situation d’accompagnement nécessite aujourd’hui que les professionnels expérimentent de nouvelles postures. Nouvelles postures tout particulièrement nécessaires afin de se distancer d’une place incarnant celui qui occupe une position haute, celui qui sait au dépend des personnes qu’il accompagne.

Mais si nous soutenons les parents dans leur projet, c’est aussi pour une toute autre raison dont notre expérience auprès d’eux nous a convaincu. De notre point de vue, tout comme pour la recherche « en » ou « sur » le travail social, la formation des travailleurs sociaux demeurera incomplète tant qu’on ne trouvera pas aux côtés des savoirs communément transmis, les connaissances de ceux-là mêmes qui sont les premiers concernés et que l’on nomme : précaires, mal-logés, en danger, vulnérables ou handicapés.

Ce constat sera assez banal pour ceux qui connaissent les convictions portées par les permanents et les alliés du mouvement ATD Quart monde. Dans un discours daté de 1980, le fondateur d’ATD, Joseph Wresinsky, disait à propos des connaissances légitimes et reconnues comme telles : qu’elles ne peuvent-être, comme toutes autres connaissances que partielles : « qu’il leur manque ce qui rend la connaissance mobilisatrice et provocatrice d’actions ».

Autrement dit, qu’il manque à ces connaissances, une prise sur le réel tant qu’à ses côtés on ne trouve pas cet autre type de connaissance que sont les savoirs d’expérience.

Il distinguait ainsi trois types de savoir :

• D’une part, les savoirs d’expérience ou expérientiels qui sont les savoirs de vie, détenus par ceux-là qui font l’expérience de la vieillesse, de la précarité, de la désaffiliation, du chômage, du handicap ou du danger, etc.
• D’autre part, les savoirs d’action des professionnels et bénévoles qui les accompagnent
• Et enfin, les savoirs théoriques (ou académiques) entendus comme les savoirs produits par les « Hommes de science »

Notre soutien à l’Upp s’inscrit donc dans cette perspective où la formation en travail social ne doit pas faire l’économie d’une réflexion sur la transmission des savoirs d’expérience aux apprenants. Et ce, de telle manière que ces savoirs soient transmis par les seuls acteurs qui les détiennent, c’est à dire les personnes en situation d’être accompagnées.

Si toutefois il convient d’observer qu’ici ou là, un certain nombre d’initiatives de ce type sont conduites, nous ne pouvons que constater parallèlement le peu de volontarisme en ce sens. Et comment pourrait-il en être autrement tant, la reconnaissance des savoirs d’expérience oblige à réinterroger le monopole des savoirs reconnus. Sur ce point nous serions tentés de souligner, en paraphrasant Pierre Bourdieu, que les savoirs académiques et les savoirs d’action sont une espèce particulière de capital social qui autorise ceux qui les détiennent à occuper une certaine position de pouvoir (« La spécificité du champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison », 1975).

Toujours au titre des initiatives qui promeuvent, ici ou là, la « parole » des personnes en situation d’être accompagnées, il s’agirait également d’être prudent quant à l’organisation et la forme que peut prendre certaines mises en scène de cette « parole ».

De notre point de vue, il s’agirait de penser et d’organiser la prise de parole des personnes en situation d’être accompagnées, en se demandant de quoi « l’usager » engagé comme tel est-il le nom ? Et pour lui, « qu’est-ce que parler veut dire » dans cette configuration ? Ceci, en gardant à l’esprit que si l’on veut que quelqu’un qui n’est pas un spécialiste de la parole parvienne à dire des choses, il faut faire un travail de soutien à la parole.

En effet, nous pensons qu’il convient d’être attentif à cette tendance contemporaine qui fait injonction d’un toujours plus de parole brute de l’usager « par » et « sur » lui-même, avec ce que cela peut prêter au « spectaculaire » ou relever de logiques de « la charité ». Cette injonction trouve une traduction assez nette dans le travail social contemporain, qui consiste à pallier à la complexification des problématiques des publics, en les enjoignant à mettre en scène leur histoire de vie, dans l’intention d’y trouver un sens à l’intervention sociale (Didier Fassin « Des maux indicibles. Sociologie des lieux d’écoute », éd. La Découverte, 2004). C’est une traduction qui souffre en quelque sorte d’un rabattement de la question sociale sur la question individuelle (Alain Ehrenberg, « la fatigue d’être soi » éd. Odile Jacob, 1998).

Il conviendrait donc de ne pas se suffire d’organiser leur prise de parole en référence unique au strict registre du témoignage. Pour ce faire, il s’agirait de penser certains modules de formation avec les personnes elles-mêmes et ceci en leur accordant la place qui leur revient, le plus amont possible des réflexions. Dit autrement il pourrait s’agir de penser avec eux, c’est-à-dire à partir de leur expérience et de leurs expertise, non seulement les objectifs de certains modules de formation mais aussi les outils pédagogiques tout autant que les moyens d’évaluation des effets produits.
Ce type de montage demeurant à notre sens le garde-fou d’une offre de formation qui implique les personnes en situation d’être accompagnées en leur reconnaissant une réelle expertise. En ne les reconnaissant pas seulement en tant « qu’agent » de formation mais en qualité « d’acteur » voire « d’auteur » pour reprendre les distinctions établies par J. Ardoino, (« Ethique, épistémologie et science de l’Homme », éd. L’Harmattan, 1996*).

Pour conclure, nous soulignerons que les enjeux d’une co-élaboration de modules de formation de ce type sont multiples. Comme nous l’avons souligné précédemment, nous rejoignons les parents de l’Upp quand ils formulent l’hypothèse que leurs interventions en amont des cursus de formation soient susceptibles d’interroger les représentations stigmatisantes qui sont parfois entretenues sur eux par certains professionnels en fonction.
Mais l’hypothèse de leur intervention nous semble également susceptible d’apporter du sens aux pratiques professionnelles. En effet, la reconnaissance des personnes dans leur complexité c’est à dire, pour ce qui nous concerne, la reconnaissance de leurs compétences tout autant que de leurs difficultés, dégage les professionnels d’une conception mécaniste du travail social. Conception qui les enjoint parfois à appliquer certaines recettes, supposées apporter ce qu’il faut à un sujet avant tout perçu comme essentiellement manquant.
Il retourne en effet d’une autre pratique et d’une tout autre représentation du métier, que de considérer les personnes en capacité de participer non seulement à la résolution de leurs problématiques mais aussi à l’analyse de leur parcours institutionnel voire à des actions de recherche ou de formation à partir de leurs savoirs d’expérience.
Enfin il est aussi un troisième enjeu qui n’en est pas moins porteur de sens pour les écoles de formation et qui veut que l’implication des personnes en situation d’être accompagnées engage un processus plus large qui se révèle être émancipateur pour ces personnes.




Laurent PACHOD,
Chargé de mission de l’Association Le Gai Logis



Patrice CALMO,
Directeur général de l’Association Le Gai Logis




* Selon J. Ardoino,: « L’agent » peut se représenter en termes de fonctions. Sa participation est déterminée par les règles d’organisation des interactions qui le conditionnent à être essentiellement « agi ». « L’acteur », est représenté davantage en termes de « rôles ». Il a des possibilités élargies. Sa représentation suppose déjà de partir de son intentionnalité, de son initiative propre, contribuant à une élaboration de sens. «L’auteur » quant à lui, « va être cette fois pensé en termes de particularité et va s’inscrire dans une histoire. Il se reconnaîtra et sera reconnu en tant que se trouvant explicitement à l’origine de … (actions entreprises, réalisations effectuées…) ».

Résumé en Anglais


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