Fiche Documentaire n° 3365

Titre Recherche et Formation au travail social

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l'auteur principal

Auteur(s) DUMONT Jean-Frédéric  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Recherche et Formation au travail social

Pour n’être pas nouvelle, la question de la spécificité des recherches (sur, en, dans, pour) le travail social, n’en est pas moins toujours aussi prégnante. Nous nous intéresserons ici aux conditions nécessaires et indispensables pour qu’une recherche en travail social soit scientifiquement légitime, ainsi que sur ses aspects praxéologiques.
Nous mènerons ce questionnement à partir d’une recherche sur la professionnalisation des éducateurs, que nous avons menée dans le cadre des sciences de l’éducation, dans un positionnement particulier du point de vue de la recherche, mais classique de celui du travail social : je suis à la fois chercheur en sciences de l’éducation, responsables de formation dans un Centre de Formation au Travail Social et ancien éducateur de terrain. Je suis donc à la fois un praticien et un chercheur.
Dans ces conditions, de quelle légitimité le chercheur peut-il se revendiquer quant à la fiabilité des méthodes de recueil de données et la validité des résultats obtenus ?
La fonction et les postures du praticien sont-elles compatibles avec les exigences qui déterminent l'activité de production de connaissance ?
La familiarité avec l'objet de recherche n'est pas nouvelle. Déjà, Durkheim (1967) tentait d'établir une frontière entre la connaissance du dedans, qui relève de l'introspection, d'une plongée en soi-même, et la connaissance du dehors qui impose une sortie de soi, pour observer un réel qui s'impose dans toute son altérité et son irréductibilité.
Cette posture volontariste de rupture épistémologique, n'est tout simplement pas tenable, lorsque la recherche est menée par un praticien/chercheur. Nous postulerons en effet avec Edgar Morin, que la connaissance de l'objet, même le plus physique, ne saurait être dissociée d'un sujet connaissant enraciné dans une culture, une société, une histoire. Autrement dit, l'objet de recherche me désigne tout autant que je le désigne, et il n'a d'existence que par la construction que j'en fais…
Il existe une alternative à cette stratégie qui consiste à séparer radicalement le monde de l'action et celui de la pensée, le professionnel et le scientifique. Pourquoi ces mondes devraient-ils s'ignorer ou se combattre ? Pourquoi ne pourrais-je pas chercher et produire de la connaissance, en considérant que je participe à la production du réel que j'observe, et que m'en extraire, reviendrait à le mutiler en amputant la connaissance d'une partie d'elle-même ?
Nous ferons en effet le pari avec Michèle Guigue (2005) que la posture intellectuelle de chercheur peut se construire, non pas en conflit frontal avec celle du professionnel, mais à côté, et sur un socle commun, celui des manières de faire : manières de faire professionnelles, manières de faire scientifiques, tout particulièrement celles de collectes de données.

Bibliographie

DUMONT, J-F. (2011) - Les moniteurs éducateurs en formation. Le partage professionnel des émotions - L’Harmattan
GUIGUE, M. (2005) - La familiarité avec l'objet de recherche - Les sciences de l'éducation : pour l'ère nouvelle - Vol. 38, n°1, 2005, CERSE, Université de Caen
JAEGER, M. (2011) - Recherche et travail social. Quelle voie de passage entre deux dérives : le scientisme et le romantisme ? Revue Vie sociale – N°3/2011 – Editions Eres
JAEGER, M. (2013) - Les formations en travail social : de la complexité à la perplexité – Revue Psychologie clinique – N° 35 – Editions EDK, Groupe EDP Sciences
JAEGER, M. (2014) – Le travail social et la recherche. Conférence de consensus. Editions Dunod.
LANI-BAYLE, M. (2002) - La clinique en perspective - Revue Les sciences de l'éducation "En question", cahier n° 40, C.I.R.A.D.E., Université de Provence, Aix-Marseille 1
MESNIER, P-M. & MISSOTTE, Ph. (2003)- La recherche-action : une autre manière de chercher, se former, transformer - L'Harmattan

Présentation des auteurs

Responsable de formation CFTS La Rouatière
Chercheur associé à l’Unité Mixte de Recherche de l’Enseignement Supérieur, Education, Formation, Travail, Savoirs (EFTS) Cognitions, pratiques et développement professionnels
Docteur es sciences de l'éducation
10 ans d’expérience professionnelle en tant que moniteur éducateur en MECS et en CHRS.

Communication complète

Recherche et formation au travail social

Pour n’être pas nouvelle, la question de la spécificité des recherches (sur, en, dans, pour) le travail social, n’en est pas moins toujours aussi prégnante. Nous nous intéresserons aux conditions nécessaires pour qu’une recherche en travail social soit scientifiquement légitime. Nous mènerons ce questionnement à partir d’une recherche sur la professionnalisation des éducateurs en formation, que j’ai menée dans le cadre des sciences de l’éducation, dans un positionnement particulier du point de vue de la recherche, mais classique de celui du travail social : je suis à la fois chercheur en sciences de l’éducation, responsables de formation dans le Centre de Formation où a été réalisé cette recherche et ancien éducateur de terrain. Je suis donc à la fois un praticien et un chercheur.
La familiarité avec l'objet de recherche n'est pas nouvelle. Déjà, Durkheim tentait d'établir une frontière entre la connaissance du dedans, qui relève de l'introspection, d'une plongée en soi-même, et la connaissance du dehors qui impose une sortie de soi, pour observer un réel qui s'impose dans toute son altérité.
Cette posture volontariste de rupture épistémologique, n'est pas tenable, lorsque la recherche est menée par un praticien/chercheur. Nous postulerons en effet avec Edgar Morin, que la connaissance de l'objet, même le plus physique, ne saurait être dissociée d'un sujet connaissant enraciné dans une culture, une société, une histoire. Autrement dit, l'objet de recherche me désigne tout autant que je le désigne, et n'a d'existence que par la construction que j'en fais.
En lieu et place du sempiternel affrontement entre savoirs professionnels et connaissance scientifique, il me semble bien plus approprié de tenter de rendre étrange ce qui m'est si familier, de faire émerger des idées nouvelles à partir d'un recueil de données effectué au plus près – au chevet pourrait-on dire – des pratiques et de leurs acteurs… On l'entrevoit ici, la démarche a beaucoup emprunté à la clinique, où le savoir est co-construit, où la recherche produit une connaissance élaborée en commun, dans les relations quotidiennes individuelles et collectives, que l’on établit avec les stagiaires/sujets de l'enquête. La recherche est envisagée, comme un outil de formation se construisant en situation…
Cette démarche clinique de recueil de données – être au plus près des acteurs et entretenir une très grande familiarité avec leurs pratiques – a permis d'une part, d'accéder à un vécu expérientiel/émotionnel qui serait largement resté dans l'ombre autrement, et d'autre part, d'accompagner les stagiaires dans le difficile, mais très formateur passage de ce vécu éprouvé et ressenti, au dire sur ce vécu, à l'expression d'une parole singulière et originale sur l'expérience, ainsi qu'à la production d'un discours individuel/collectif sur l'implication émotionnelle dans la relation éducative, bref, sur une représentation professionnelle du métier d’ éducateur...
Dans cette approche clinique, recherche et action de formation ne peuvent donc être pensées séparément. Ou plutôt, l'une n'est pas envisageable sans l'autre. Nous ne pouvons les appréhender qu'au sein d'une relation dialogique où ces deux termes sont en tension, dans une relation contradictoire, antagoniste et complémentaire.
Cette recherche relevait d’une tentative de recherche-action-formation…
L'expression recherche-action a longtemps été scandaleuse, dans la mesure où l'on se méfie de la subjectivité, et où l’objectivité, […] valeur prioritaire, primée, privilégiée, (ARDOINO, J. 2003, p. 41) ne semble pas devoir s’accommoder du fait que le praticien/chercheur doive souvent s’asseoir pour se regarder marcher, afin d’expliciter, d’expliquer, de déplier et de mettre à plat son implication… Le praticien/chercheur n'est donc pas à moitié praticien et à moitié chercheur, tantôt l'un ou l'autre; il est les deux à la fois, le tout étant irrémédiablement autre que la somme des parties… C’est un hybride, en recherche permanente d’un équilibre entre ces deux pôles d’attraction. L’un est irréductible à l’autre.
Or, c’est bien dans cette posture d’observateur impliqué, qu’une reliance va pouvoir s’opérer entre praticien et chercheur… Si la relation dialogique qu’ils entretiennent est irréductible, cela ne veut pas dire que les positions et les postures soient confondues. La dissociation de chacun des termes de cette relation est en effet la condition sine qua non de l’existence et de la pérennité de leur articulation. Il convient donc d'opérer une différenciation des postures, et donc des observations, dans la mesure où ce qu’observe le praticien n’est pas le même objet que celui observé par le chercheur. Ainsi: le muscle qu’observe un physiologiste est un autre objet de connaissance que la pièce de bœuf que tâte mon boucher. (BEAUVOIS, J.-L., 1994) Ainsi, l’objet représentations et implication professionnelle est-il différent selon que l’on se place du côté de l’action et de la praxis, ou de celui de l’activité scientifique basée sur l’articulation des corpus théorique et empirique. A observations différentes, discours dissemblables.
Nous rejoindrons ici, une nouvelle fois M. BATAILLE, pour qui, [...] de même que le praticien n'a rien à dire à la recherche, sauf lui poser des questions, de même le chercheur n'a rien à dire à la pratique, sauf lui fournir les réponses demandées. La seule reliance qui se justifie est donc celle qui optimise la communication dans le rapport question/réponse, à condition de reconnaître que ni le chercheur ni le praticien n'ont à céder leur place, mais à faire l'effort de se mettre à la place l'un de l'autre méthodologiquement.
Et méthodologiquement, justement, dans une démarche de recherche-action, c’est bien la notion d’interaction qui va dominer. Interactions entre deux logiques contradictoires, antagonistes et complémentaires. Celle du formateur, du praticien qui cherche à donner du sens – en tant que sensibilité, signification et direction – à ses pratiques de formation, et celle du chercheur, qui lui, cherche à déconstruire les trois dimensions de ce sens. Ainsi, l'intention de la recherche-action est-elle double : elle vise tout autant la production de connaissances nouvelles, que l’optimisation de l'action et l'aide à la décision. Cela s’est traduit pour nous, par la transformation d’un outil de formation existant – les groupes d’analyse de la pratique professionnelle – en collectifs de partage professionnel des émotions.
Deux spécificités de la recherche-action doivent être ici bien entendues : d’une part, les hypothèses de recherche s’élaborent en situation. Autrement dit, pour nous, les hypothèses se sont peu à peu forgées dans le rapport entretenu avec les stagiaires. Dans cette posture de recherche bien particulière, l'hypothèse naît [en effet] le plus souvent dans la foulée même du processus de recherche collective et non au préalable. (BARBIER, R. 2003, p. 57)
Cela définit les corpus théoriques comme des guides pour la recherche, mais des guides dont il faut savoir s’affranchir, dans la mesure où, dans ce type d’approche, la théorie vise à être réfutée. Ainsi, cette recherche se situe bien dans une orientation praxéologique, où les objectifs relèvent tout autant de la transformation et de l’actualisation des pratiques de formation, que de la production de connaissances.
Mais, d'autre part, ces avancées de la recherche, les connaissances et les résultats produits n’autorisent aucunement le chercheur à accorder un caractère prescriptif à ses interprétations. Le chercheur se doit ainsi d'affirmer que [...] les conclusions auxquelles [il] aboutit ne sont pas des vérités auxquelles [le formateur] devrait s'assujettir, mais des données particulières (qu'on peut appeler scientifiques), à partir desquelles il peut repenser ou réorganiser sa pratique. [...] Toute la question est de savoir si cette restitution prend la forme d'une confrontation entre savant et populaire (Grignon, Passeron, 1989), ou si elle est l'occasion d'un véritable échange, à partir d'expériences et de points de vue différents. (MARCHIVE, A., 2005, p. 88)
Ainsi, le praticien-formateur/chercheur que je suis et les stagiaires/sujets de l’enquête, dans la démarche de recherche-action-formation dépassent-ils la simple relation de formateur à se formant, pour accéder au statut de partenaires, où l’objectivité de la recherche est garantie par la confrontation des subjectivités, au sein d’une relation de communication authentique. Il ne s’agit donc pas de se déprendre de son implication, mais au contraire d’accepter d’être pris dans la relation à l'autre et au monde. Il s’agit in fine, de prendre le discours de l’autre, mais aussi d’être pris dans son propre discours par l’autre. La relation de communication authentique, où il n’y a pas de position neutre de la parole (FAVRET-SAADA, J., 1977) se situe ainsi dans l’entre-prendre... Entre-prise qu’il faudra re-prendre sur le versant théorique et objectif, à des fins de production de connaissances.
La recherche-action, c’est la révolte contre la séparation des faits et des valeurs qui donne sa saveur particulière à la notion d’objectivité dans les sciences sociales. C’est une protestation contre la séparation de la pensée et de l’action...
Le chercheur n’est donc plus cette figure toute puissante et omnisciente, caractérisée par la solitude et l’individualité (fussent-elles versées dans la dimension de l’équipe), mais plutôt un chercheur collectif où chacun tente d’apprendre de l’autre dans la dynamique de recherche-action-formation.

Résumé en Anglais


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