Fiche Documentaire n° 3431

Titre La formation continue comme espace de recherche

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l'auteur principal

Auteur(s) ANTOINE Jenny  
     
Thème Analyse d'un outil spécifique : l'espace collaboratif formatif  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

La formation continue comme espace de recherche

Dans le cadre de la formation continue en intra, nous avons des demandes d’accompagnement de l’écriture du projet de service. Pour accompagner au mieux les équipes dans la production collective d’un écrit partagé qui fait sens et références, nous avons développé un outil spécifique dit « espace formatif collaboratif ». Cet outil repose sur une modalité collaborative et participative dans un cadre contraignant connu (règlement et modalités de fonctionnement, de participation, objectifs, temporalité, rôles et missions des participants et du formateur, contrat). Les participants et les formateurs font régulièrement part de sa pertinence. Cependant, des questions restaient sans réponse, le sentiment de satisfaction ne reposait-il pas plutôt sur la relation au formateur, ou sur les interactions du groupe que sur l’utilisation de l’outil ? De plus, des intuitions amenaient à penser à l’existence d’étapes chronologiques dans le rapport individuel et collectif à la production d’écrits institutionnels. Ce questionnement donnait matière à saisir l’opportunité de tenter d’aller au delà des impressions des formateurs et des commentaires des professionnels bénéficiaires de l’intervention.

Dans le cadre du département recherche de l’Institut Saint Simon-ARSEAA, nous choisissons alors d’engager une enquête fondée sur l’hypothèse de liens entre la contenance du cadre de l’espace formatif collaboratif, comme nous le définissons, et la capacité à produire un écrit institutionnel co-écrit par les différents professionnels. Nous pensons que les professionnels comme l’indique B. Schwartz peuvent être dans une attitude de type « je ne sais pas ce que je sais ». La référence à une démarche de praxis pédagogique mobilisant les différents acteurs sur une démarche structurée d’émergence et de conceptualisation des pratiques amènera les professionnels à s’inscrire dans une posture de métacognition de leurs pratiques.

Nous optons pour une démarche d’enquête longitudinale (1 an) en parallèle du déroulement des interventions formatives d’accompagnement à l’écriture du projet de service. Nous effectuons une recherche documentaire, puis définissons le corpus théorique afin de finaliser la problématique et choisir la méthodologie d’enquête empirique.
L’objet de l’enquête vise à mettre à jour les effets dans le temps de la création d’un espace formatif collaboratif regroupant les différents professionnels (services administratifs, logistiques, éducatifs, thérapeutiques, rééducatifs et éducatifs) autour de l’écriture du projet de service.
La démarche d’enquête repose sur des observations participantes, des entretiens semi directifs et deux questionnaires. Parallèlement, une analyse de la littérature grise de chaque institution est réalisée.
L’échantillon est composé des professionnels de 12 établissements ou services médico-sociaux. Nous contractualisons les modalités de l’enquête et la posture de « l’enquêteur » avec chaque organisation.

Nous pourrons présenter de manière détaillée la méthode et les résultats, mais dès à présent nous pouvons faire part des éléments remarquables.
Ainsi, l’outil « espace formatif collaboratif » dans le cadre de la formation continue semble favoriser une évolution notable du rapport à la production d’écrits grâce à la définition et à la tenue d’un cadre contraignant d’élaboration qui prend en compte à la fois les réalités objectives du service et le rapport individuel et collectif à l’écrit.
De plus, la démarche d’enquête apparaît formative en ayant une incidence sur la capacité à conceptualiser les pratiques. Elle permet d’apprivoiser le rapport à la connaissance.
Nous notons ainsi, la prolongation inattendue de la démarche d’enquête par l’engagement de plusieurs organisations dans une démarche « d’apprenance ».

La formation continue apparaît comme un champ de transformation des pratiques et des outils pour accompagner les évolutions qui traversent les terrains professionnels.

Bibliographie

Antoine J., La formation continue, Forum numéro 131, mars 2011
Bachelard G., La formation de l’esprit scientifique, Vrin, 2011
Berthelot J-M., L’intelligence du social, PUF, 1998
Boucher M., La recherche dans les organisations de la formation et de l’intervention sociales : enjeux et perspectives, L’Harmattan, 2009
Braunstein J-F., L’histoire des sciences. Méthodes, styles et controverses, Vrin, 2008
Breton P., La parole manipulée, La Découverte, 1997
Bruno I., A vos marques, prêts…cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Éditions du croquant, 2008
Cadière J., L’apprentissage de la recherche en travail social, Presses de l’EHESP, 2013
Chalmers A.F., Qu’est ce que la science ? Le Livre de poche, 1990
Drouard H., Former des professionnels par recherche. Initier à la démarche scientifique, Le travail du social, L’Harmattan, 2006
Duchamp M., Bouquet B., Drouard H., La recherche en travail social, Centurion, 1989
Imbert F., Pour une PRAXIS PEDAGOGIQUE, Matrice, 1985
Latour B, La science en action, Introduction à la sociologie des sciences, La Découverte/Poche, 2010
Leplay E., La formalisation et la validation de savoirs professionnels, expression d’une culture professionnelle en travail social, Editions Universitaires Européennes, 2011
Meulders M., Crommelinck M., Feltz B., Pourquoi la science ? Impacts et limites de la recherche, collection milieux Champ Vallon, 1997
Rullac S., La science du travail social. Hypothèses et perspectives, ESF éditeur, 2012
Shinn T., Ragouet P., Controverses sur la science. Pour une sociologie transversaliste de l’activité scientifique, Seuil 2005
Trémoulinas A., Sociologie des changements sociaux, La Découverte, 2006
Forum, Des travaux préparatoires à la conférence de consensus sur la recherche dans le champ du travail social, 2012
Recherche et formation, Former sous influence internationale : circulation, emprunts et transferts, INRP, 2010
Pour, Le travail social en perspective, Privat, 1986

Présentation des auteurs

Jenny ANTOINE
Responsable du centre d’activités ingénierie - expertise – recherche de l’Institut Saint-Simon-ARSEAA
Fondatrice – Coordinatrice du Réseau européen RIPA.
Coordinatrice de la Commission UNAFORIS Formation Continue et Conseil
Rédactrice en chef de la revue de recherche en travail social FORUM
Psychologue du travail – Sociologue politique
Chargée de cours Université Jean Jaurès Toulouse et Université Capitole Toulouse.

Communication complète

Dans le cadre de la formation continue en intra, nous recevons des demandes d’accompagnement à l’écriture du projet de service. Pour accompagner au mieux les équipes dans la production collective d’un écrit partagé qui fait sens et références, nous avons développé un outil spécifique dit « espace formatif collaboratif ». Cet outil repose sur une modalité collaborative et participative dans un cadre contraignant connu (règlement et modalités de fonctionnement, de participation, objectifs, temporalité, rôles et missions des participants et du formateur, contrat). Les participants et les formateurs font régulièrement part de sa pertinence. Cependant, des questions restaient sans réponse, le sentiment de satisfaction ne reposait-il pas plutôt sur la relation au formateur, ou sur les interactions du groupe que sur l’utilisation de l’outil ? De plus, des intuitions amenaient à penser à l’existence d’étapes chronologiques dans le rapport individuel et collectif à la production d’écrits institutionnels. Ce questionnement donnait matière à saisir l’opportunité de tenter d’aller au delà des impressions des différents acteurs.

Dans le cadre du département recherche de l’Institut Saint Simon-ARSEAA, nous choisissons alors d’engager une enquête fondée sur l’hypothèse de liens entre la contenance du cadre de l’espace formatif collaboratif, comme nous le définissons, et la capacité à produire un écrit institutionnel co-écrit par les différents professionnels. Nous pensons que les professionnels comme l’indique B. Schwartz peuvent être dans une attitude de type « je ne sais pas ce que je sais ». La référence à une praxis pédagogique mobilisant les différents acteurs sur une démarche structurée d’émergence et de conceptualisation des pratiques amènera les professionnels à s’inscrire dans une posture de métacognition de leurs pratiques.

Nous optons pour une démarche d’enquête longitudinale (1 an) en parallèle du déroulement des interventions formatives d’accompagnement à l’écriture du projet de service. Nous contractualisons la démarche de recherche qui est inscrite en filigrane de la formation.
L’objet de l’enquête vise à mettre à jour les effets dans le temps de la création d’un espace formatif collaboratif regroupant les différents professionnels (services administratifs, logistiques, éducatifs, thérapeutiques, rééducatifs et éducatifs) autour de l’écriture du projet de service. L’échantillon est composé des professionnels de 12 établissements ou services médico-sociaux. Nous contractualisons les modalités de l’enquête et la posture de « l’enquêteur » avec chaque organisation.
La démarche d’enquête repose sur des observations participantes (7 fois), des entretiens semi directifs (2 fois) et un questionnaire (3 fois). La méthode est inscrite sur une temporalité précise qui vise à mesurer les effets dans le temps de la formation, soit en début, à mi temps et un an après la fin de l’intervention. L’enquête menée auprès des 12 équipes montre différents temps fondamentaux dans le déroulé d’une formation de ce type.
• Le premier temps consiste en une rencontre entre l’intervenant et l’équipe qui vise à présenter les objectifs, la méthode et l’organisation. La particularité de cette démarche de formation continue est d’ouvrir sur des chemins à co-construire, les professionnels ont besoin « d’avoir confiance » dans la personne avec qui ils s’engagent. Les professionnels entendent la commande de formation émanant de leurs cadres comme « la preuve qu’on est des nullos », « tu vas nous dire comment être moins cons » (78%). Cette disqualification, profondément voire douloureusement perçue, doit être prise en compte dans le positionnement de l’intervenant. Cependant, celui-ci doit faire part de son expérience et de ses connaissances pour que son assurance rassure sans écraser. Les professionnels sont très attentifs à la manière de faire et de dire du formateur, il doit être « un peu devant » et « à nos côtés ».
• Le deuxième temps voit la rédaction du projet de formation qui doit à la fois articuler les éléments négociés avec le terrain, les prérequis d’une prise en charge financière et la faisabilité pédagogique. Cet exercice de style constitue la mise à l’épreuve du discours de l’intervenant car il donne à voir sa fiabilité et son intégrité. C’est l’élément constitutif de la confiance nécessaire à un cheminement hasardeux, un document « martyr » est proposé à la lecture des équipes et des cadres, les professionnels interviewés ont fait part de « l’attention » qu’ils y ont porté (95% des professionnels).
Il apparaît que se joue là un moment fondateur et fondamental de la démarche.
• Le troisième temps réside dans la mise à l’épreuve dans le réel du discours de présentation (premier temps), les professionnels sont dans une attente méfiante (85%) où ils évaluent les attitudes de l’intervenant et mesurent sa posture professionnelle, son éthique, sa capacité à mobiliser un collectif et ses connaissances théoriques.
96% des professionnels attendent d’être entendus et reconnus dans les spécificités de leurs missions, de leur institution et de leur public. C’est une phase compliquée pour l’intervenant qui doit cadrer le travail sur une construction hors d’une plainte stérile contre la direction ou les cadres. Ainsi, le formateur doit être convivial et rigoureux, à l’écoute sans être démagogue. Quant cette étape est positivement dépassée, l’équipe se met au travail.
• Le quatrième temps est constitué de l’intersession. La démarche prévoit des temps de travail hors formation, négociés avec la direction et les cadres. Souvent (66%) il est nécessaire de rappeler cet accord, que le formateur sache le faire est une preuve pour les équipes de son engagement et de son éthique (87%). L’intervenant doit être clair et réaliste dans ses consignes afin que la production par les professionnels engagés dans le quotidien soit possible. Les équipes (11/12) vérifient alors ses capacités de négociation et de tenue du cadre en prenant en compte les réalités du terrain.
• Le cinquième temps se caractérise par un blues c’est à dire un arrêt, des doutes sur la démarche, une « impression de ne pas y arriver ». Cette période apparaît lors du travail sur les références conceptuelles, certainement parce qu’il est nécessaire de réaliser une réflexion approfondie qui engage individuellement au risque de « faire bouger l’équipe ». Le rôle du formateur est délicat, il doit rappeler le cadre et les échéances tout en étant compréhensif et rassurant. La stratégie la plus adéquate se trouve dans la remise en l’état du projet. Le formateur propose un document étiqueté « martyr » qui est composé du sommaire paginé, des intercalaires des différentes parties et des éléments déjà écrits. Nous avons pu noté que la remise du support papier est plus rassurant (que la vidéo projection) donc plus efficace pour relancer la dynamique car « on voit bien qu’on a avancé, y a des feuilles ». Ce temps est en quelque sorte un rétroviseur qui permet de mesurer concrètement le travail fourni.
• Le sixième temps est consacré à la lecture finale du projet de service par chaque salarié. Nous avons pu constater qu’il est particulier à divers titres. D’une part, il signe la fin de la démarche, pour les ¾ des professionnels « un sentiment de nostalgie pour cette parenthèse de travail ensemble, interservices et interprofessionnels » et aussi une crainte « c’est pas sûr que tout ça se mette en place mais bon… ». D’autre part, les professionnels disent leur « étonnement à être aller si loin, tous ensemble », « on y est arrivé, on l’a écrit ce putain de truc ».
• Le septième temps est constitué de la présentation institutionnelle du projet de service à l’ensemble des professionnels, des usagers, de leur entourage et des partenaires avec remise à chacun de la synthèse de celui-ci. Cette présentation apparaît, lors de la négociation de départ, comme « un gadget » alors que le jour « j », la large majorité des professionnels indiquent leur contentement voire leur fierté.

L’enquête montre que l’outil « espace formatif collaboratif » dans le cadre de la formation continue semble favoriser une évolution notable du rapport à la production d’écrits grâce à la définition et à la tenue d’un cadre contraignant d’élaboration qui prend en compte à la fois les réalités objectives du service et le rapport individuel et collectif à l’écrit.

De plus nous avons relever que l’enquête elle même avait des incidences sur l’image que les professionnels ont d’eux mêmes. Dés de la négociation de celle-ci, nous notons l’expression d’une satisfaction « ah ouais, ça t’intéresse ?! (sourires) », « ah bon tu veux étudier ça ? (regards vers les collègues puis rires)». L’enquête manifeste un intérêt à priori du « chercheur », identifié comme expert, son regard de « savant » donne un poids à des pratiques et des discours qui par ailleurs peuvent être jugés comme « pas à la hauteur ». Ce regard externe met, déjà, en valeur un existant qui mérite attention. Nous touchons là la question des effets induits de la recherche.
De plus, l’enquête par la réflexion métacognitive qu’elle demande aux professionnels, lors des entretiens, apparaît formative en ayant une incidence sur la capacité à conceptualiser les pratiques. Elle permet d’apprivoiser le rapport à la connaissance.
Nous notons ainsi, la prolongation inattendue de la démarche d’enquête par l’engagement de plusieurs organisations dans une démarche « d’apprenance ».

Cette enquête montre l’intérêt d’engager des démarches de recherche-action qui mobilisent directement les professionnels de terrain en place de partenaires dans un dispositif gagnant-gagnant comme le préconisait Bertrand Schwartz. La formation continue apparaît, ainsi, comme un champ de transformation des pratiques et des outils qui mérite d’être valorisé comme espace de production de connaissances par les professionnels eux mêmes.

Jenny ANTOINE

Résumé en Anglais


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