Fiche Documentaire n° 3435

Titre Les facteurs liés à la précarité des intervenants sociaux appelés à intervenir en situation d'urgence au sein des CSSS (Québec) et des CPAS (Belgique)

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Auteur(s) GERIN Nikola
MALTAIS Danielle
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Les facteurs liés à la précarité des intervenants sociaux appelés à intervenir en situation d'urgence au sein des CSSS (Québec) et des CPAS (Belgique)

Cette communication permettra à deux chercheurs de présenter le fruit de leurs recherches en ce qui concerne les facteurs (personnels et organisationnels) qui précarisent les intervenants sociaux lorsque ces derniers ont à intervenir en contexte difficile et particulièrement en situation de crise, de tragédie majeure ou de sinistre. Les recherches portent sur les réalités Québécoises (CSSS) et Belges (CPAS).

En ce qui concerne les CPAS, Nikola GERIN présentera le concept de « microcatastrophe » créé et développé pour les besoins de sa thèse de doctorat (en cours auprès de l'Université de Mons - Belgique). Au travers de ce concept spécifique, nous verrons en quoi le travailleur social peut lui-même devenir victime de sa pratique. Nous terminerons l’approche des CPAS, par un exposé des dispositifs d’urgence sociale inter-CPAS et comprendrons en quoi ce type d’organisation permet une gestion efficiente des «microcatastrophes » (GERIN, 2014) ainsi que des facteurs liés à la précarisation des intervenants sociaux.

Pour ce qui est du Québec, Danielle Maltais présentera les résultats d’une étude mixte réalisée auprès de 284 travailleurs sociaux du Québec intervenant régulièrement en situation de crise seront présentés. Dans le cadre de cette étude, il a été possible d’identifier les sources de stress de ces intervenants ainsi que certains facteurs liés à leur santé psychologique. Aussi, considérer qu’en cas de sinistre ou de tragédie majeure que son organisation n’a pas d’attentes claires envers les intervenants psychosociaux, que les tâches ne sont pas bien définies, que les horaires ne sont pas bien planifiés et qu’il y a un manque de soutien social de la part de ses supérieurs et de ses collègues seraient associés à bon nombre de variables portant sur la santé au travail des répondants (épuisement professionnel et dépersonnalisation, stress relié à son travail régulier et lors de sinistre, fatigue de compassion, satisfaction de compassion) ainsi que sur les sentiments qu’ont les intervenants en ce qui a trait à leur reconnaissance, à leur latitude décisionnelle et à la prévisibilité de leur travail.

Bibliographie

Antoine, B.,(2009).Travail social et écriture légale en CPAS.Brugge, Belgique : Vanden Broele.

Boscarino, J. A., Figley, C. R., et Adams, R. E. (2004). Compassion fatigue following the September 11 terroristattacks: A study of secondary trauma among New York City social workers. International Journal of Emergency Mental Health, 6(2), 57–66.

Collins, S. and Long, A. (2003) ‘Workingwith the psychologicaleffects of trauma: Consequences for mental health-care workers: A literaturereview’, Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing, 10, pp. 417–24.

Creamer, T. L. et Liddle, B. J. (2005). Secondarytraumatic stress amongdisaster mental healthworkersresponding to the September 11 attacks, Journal of Traumatic Stress, 18, 89–96.
Gerin, N. (2014), les CPAS confrontés à la gestion psychosociale des microcatastrophes – L’intérêt des dispositifs d’urgence sociale, CPAS Plus, Février 2014

Maltais D. et Robichaud, S. (2009). Conséquences de la tempête de verglas en Montérégie: santé psychosociale et performance au travail des intervenants.Revue Francophone du Stress et du Trauma, 9(3) :167-176.
Maltais, D., Gauthier S. (2013).Le contexte social des catastrophes naturelles ou l’importance de tenir compte du concept de vulnérabilité dans la prévention et la gestion des catastrophes. Sous la direction de De Serres A. La gestion des risques majeurs : la résilience

Présentation des auteurs

Nikola Gerin, est assistant social de formation (HEH) et licencié en sciences sociales (ULB) Il dirige depuis plusieurs années les services sociaux du CPAS de Quaregnon et est professeur invité à la Haute Ecole en Hainaut – Catégorie Sociale de Mons. Dans le cadre d’une thèse de doctorat (Umons), Nikola GERIN s’intéresse particulièrement au travail social des CPAS et à ses intervenants sociaux.

Danielle Maltais, Ph.D. en sciences humaines appliquées est professeure-chercheure au Département des sciences humaines de l'Université du Québec à Chicoutimi depuis janvier 1994 et ce au sein de l’Unité d’enseignement en travail social. Depuis plus de 15 ans, elle réalise des études sur les conséquences des catatstrophes et des événements traumatiques sur la santé des intervenants et des individus. Elle est co-auteure de plusieurs ouvrages et articles scientifiques dans ce domaine et elle est fréquemment consultée par le Ministère de la santé et des services sociaux du Québec en ce qui a trait à l'intervention sociale en cas de crise, de tragédies majeures ou de catastrophes.

Communication complète

AIFRIS – 6ème Congrès International PORTO 2015
Les facteurs liés à la précarité des intervenants sociaux appelés à intervenir en situation d’urgence au sein des Centres de santé et de services sociaux du Québec (CSSS) et des Centres publics d'action sociale de Belgique (CPAS).
Par Nikola GERIN
Directeur des services sociaux du CPAS de Quaregnon (Belgique)
Maître Assistant Référent en sciences sociales (HEH Mons – HEP Condorcet)
Doctorant Umons
et
Danielle MALTAIS, Ph.D.
Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Unité d’enseignement en travail social
Département des sciences humaines et sociales
Chicoutimi, Québec, Canada
danielle_maltais@uqac.ca

1. Introduction

La présente communication s’ancre dans l’axe 2 du congrès, traitant de la créativité des pratiques dans une situation de pouvoir faible des intervenants sociaux. En l’espèce, elle vise une réflexion quant aux facteurs liés à la précarisation des intervenants sociaux appelés à intervenir en situation d’urgence.
Cette réflexion est avant tout commune et permet à deux chercheurs en intervention sociale de présenter le fruit de leur travail respectif en la matière. Elle se veut aussi transversale dans la mesure où elle questionne deux contextes distincts, les Centres publics d’action sociale de Belgique (CPAS) et les Centres de santé et de services sociaux du Québec (CSSS). Enfin, nous comprendrons que cette réflexion se présente comme complémentaire entre les travaux scientifiques de Danielle MALTAIS, Professeur à l’Université de Chicoutimi à Québec et l’expérience de terrain de Nikola GERIN, Directeur des services sociaux du CPAS de Quaregnon (Belgique).
C’est dans ce contexte général, que notre objectif est de faire émerger un enseignement partagé, éventuellement transposable du contexte Belge vers le contexte Québécois et inversement.


2. Travail social en contexte difficile et souffrance des travailleurs sociaux

Notre postulat de départ renvoie vers la complexité du travail social et sa pénibilité potentielle pour les intervenants qui le pratiquent. En effet, la souffrance au travail des travailleurs sociaux est une réalité qui n’est plus à présenter, ni à justifier. Les travaux de recherche portant sur l’épuisement professionnel, la fatigue de compassion et autre traumatisme vicariant ont largement documenté la souffrance vécue par certains travailleurs sociaux. Ces travaux ont d’ailleurs permis de mettre en lumière les facteurs de risque et de protections, notamment organisationnels, qui sont liés aux diverses formes de souffrance que l’on peut retrouver chez certains intervenants sociaux (Bride, 2007 ; Dane et Chachkes, 2001 ; Figley, 2002a et b ; Iliffe et Steed, 2000 ; Salston et Figley, 2003 . D’autre part, de nombreux auteurs ont aussi observé que le fait d’intervenir auprès de personnes ayant vécu un événement traumatique peut également entraîner plusieurs conséquences positives chez différents types de professionnels dont les intervennats sociaux . L’existence de ces répercussions positives laisse supposer une capacité chez les intervenants à surmonter les impacts négatifs pouvant être associés à leurs interventions auprès de victimes de traumatismes ou à faire preuve de « résilience vicariante ». La notion de résilience vicariante se définit comme un processus qui amène les intervenants à être transformés positivement par le fait d’être témoin de la résilience des personnes ayant survécu à un traumatisme (Hernández, Gangsei, et Engstrom, 2007).
Ce cadre théorique de référence nous renvoie vers des situations de travail social qui peuvent impacter l’équilibre personnel et professionnel de l’intervenant. Ainsi, des situations spécifiques telles que l’intervention d’urgence sociale, lors de tragédie ou de sinistre, ou l’aide contrainte, peuvent potentiellement rendre le travail social « complexe », « difficile » pour l’intervenant social. Concernant l’intervention d’urgence sociale, nous pouvons par exemple avancer le contexte particulier des catastrophes, qui modifie les rôles habituels des cliniciens et met à l’épreuve leurs capacités d’empathie et d’écoute (Allen, 1993 ; McFarlane, 1995 ; Myers, 1994 ; Tumelty, 1990). De plus, la prise de contact avec les sinistrés oblige les intervenants sociaux à adopter des stratégies d’intervention proactives plutôt que réactives, car généralement les personnes affectées par l’exposition à un désastre ne vont pas d’elles-mêmes demander de l’aide psychosociale (Allen, 1993 ; Myers, 1994). Lors de l’application des mesures d’urgence, les intervenants sociaux doivent aussi être capables de travailler dans un contexte de collaboration interdisciplinaire et accepter de déployer autant d’activités pratiques (par exemple, inscrire les sinistrés, trouver des moyens de transport pour certaines personnes, soutenir des familles dans la recherche d’un nouveau logement, informer les victimes des modalités de recouvrement des pertes matérielles, etc.) que du soutien émotionnel. Dans certaines situations, l’intervenant devra non seulement soutenir émotionnellement les victimes, mais il devra aussi les protéger d’individus ou d’organisations qui veulent profiter du désarroi des personnes pour augmenter leur crédibilité ou leurs intérêts financiers.

De manière plus globale, la souffrance au travail des assistants sociaux a entre autre été théorisée par GLARNER (2012) autour d’un triptyque conceptuel constitué des problèmes de compétences, d’ambivalence et de reconnaissance sociale.
Nous retiendrons de la thèse de Thierry GLARNER, que les assistants sociaux vivent une souffrance, à tout le moins une insatisfaction au travail, en termes :
• D’ambivalence (sentiment d’être « entre deux ») : par exemples en ce qui concerne les valeurs (représentations du travail social différentes entre collègues, de la hiérarchie) ou l’identité (tension entre la vie personnelle et professionnelle, différence entre le désirable et le possible)
• De compétences : déficit d’outils, limites de l’action sociale, polyvalence demandée aux travailleurs sociaux,…
• De reconnaissance (considération d’autrui pour le travail accompli) : problèmes de reconnaissance en interne (collègues, direction, pouvoir politique) et en externe (autres intervenants,…).

Les concepts d’ambivalence, de compétence, de reconnaissance ainsi que leurs nombreux indicateurs, théorisés par GLARNER se manifestent dans les situations de travail social en contexte « difficile », et particulièrement d’urgence sociale telles que mentionnées ci-après.

3. L’urgence sociale : pluralité conceptuelle et impacts sur les intervenants sociaux

Au Québec, c’est dans le cadre d’une recherche multicentrique réalisée au sein de 51 CSSS qu’il a été possible de documenter le vécu des intervenants sociaux régulièrement appelés à intervenir en situation de crise, de tragédie ou de sinistre. A ce sujet, il faut souligner que pour le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), l’intervention en situation de crise implique généralement un individu, un couple ou une famille et est, la plupart du temps, réalisée par les intervenants sociaux de l’équipe Accueil-Évaluation-Orientation ou par ceux qui assurent des périodes de garde sociale (Malenfant, 2007). Lors de ce type de situation, les intervenants sociaux ne rencontrent habituellement pas de complication particulière et sont en mesure de réaliser leurs interventions dans un délai de quelques heures. Les crises peuvent être des situations impliquant une rupture amoureuse, un licenciement ou un deuil, une situation de violence conjugale, de la maltraitance d’enfants, un viol ou une mort subite à la suite d’un accident ou d’un suicide. Quant aux tragédies, il s’agit d’événements ayant des impacts sur un groupe restreint de personnes où plusieurs témoins, facilement identifiables, peuvent être affectés. L’intervention est généralement de courte ou de moyenne durée et l’utilisation des ressources locales suffit à répondre aux besoins des individus (Malenfant, 2007). Les tragédies peuvent être de l’ordre d’un incendie dans une résidence pour aînés ou dans une habitation à logements multiples, d’un suicide dans une école, d’un accident avec décès, de graves blessures dans une usine ou de la fermeture d’une entreprise. Lors de ces situations, ce sont surtout les intervenants sociaux membres de l’équipe d’urgence qui interviennent suite à une demande formulée par le responsable de cette équipe. Le MSSS différencie le sinistre d’une crise et d’une tragédie par le nombre de personnes affectées directement et indirectement, la complexité de l’événement, l’importance d’agir, la grande quantité de ressources à déployer ainsi que par le débordement des cadres d’intervention habituels (Malenfant, 2007). La réalisation de tâches non familières, la mise sur pied de nouvelles structures de réponse et de mobilisation ainsi que la coordination de ressources humaines non habituées à travailler ensemble (intervenants sociaux provenant de divers CSSS, bénévoles de la Croix-Rouge, policiers, pompiers, employés municipaux, etc.) sont aussi des caractéristiques spécifiques aux sinistres (Malenfant, 2007). Ceux-ci peuvent être naturels (inondations, tornades, tempêtes de neige, etc.) ou technologiques (manquement ou négligence de la part d’un individu, bris ou perte de contrôle sur des équipements, etc.).

La recherche dont il est question visait trois objectifs spécifiques : 1) recenser les principales sources de satisfaction et d’insatisfaction, ainsi que les difficultés rencontrées par les intervenants sociaux des CSSS du Québec qui font, sur une base régulière, de la garde sociale ou qui sont membres de l’équipe d’urgence; 2) déterminer les impacts positifs et négatifs de l’intervention en situation de crise, de tragédie ou de sinistre sur la santé biopsychosociale des répondants et ; 3) identifier les facteurs qui nuisent au travail des répondants et qui ont des impacts négatifs sur leur santé psychologique. Dans un premier temps, des entrevues semi-dirigées ont été réalisées avec les coordonnateurs régionaux des mesures d’urgence des Agences régionales de santé et de services sociaux (ASSS) et avec les responsables locaux des mesures d’urgence, volet psychosocial, des 51 CSSS ayant accepté de participer à notre étude. Par la suite, les intervenants sociaux qui sont intervenus au cours des sept dernières années dans le cadre d’une tragédie ou d’un sinistre de 12 des 51 CSSS ont été sollicités pour participer à différentes rencontres de groupe (focus group) où ils ont répondu à un ensemble de questions ouvertes portant sur différents thèmes dont : sources de satisfaction et d’insatisfaction liées au travail en situation d’urgence sociale, difficultés d’ordre personnel, familial, organisationnel et environnemental rencontrées lors de leurs interventions en situation de tragédie (micro-catastrophe) ou de sinistre et facteurs de risque et de protection personnels, familiaux, contextuels, sociaux, organisationnels, environnementaux et ceux reliés au travail en équipe. Au total, 63 répondants ont pris part à l’une ou l’autre de ces 12 rencontres de groupes. La majorité des participants est de sexe féminin (76.2 %). La moyenne d’âge se situe à 43 ans. Sur le plan professionnel, la majorité sont des intervenants sociaux (65 %), membres de leur association professionnelle et occupent leur poste actuel depuis plus de 10 ans (42.8 %). Pour la plupart, leur dernière implication dans une situation de sinistre ou de tragédie remonte à moins d’un an (50,7 %) ou se situe entre un et trois ans (38,1 %).



3.1. Sources de satisfaction

Au chapitre des éléments qui satisfont les répondants, la presque totalité des groupes a fait mention du « challenge » et de l’adrénaline que leur procure l’intervention en situation de crise, de tragédie ou de sinistre. De plus, ce travail leur fait vivre une foule d’émotions fortes liées à l’inconnu et à l’imprévu. Qui plus est, le sentiment d’utilité et de gratification est également présent chez la plupart des intervenants sociaux rencontrés. Les répondants ont aussi le sentiment de faire une différence dans la vie des sinistrés et sentent qu’ils font preuve d’altruisme. Ce sentiment d’utilité est également lié à un sentiment d’accomplissement. En effet, le sentiment du devoir accompli et la satisfaction d’avoir donné le meilleur de soi-même sont extrêmement gratifiants pour les intervenants. D’ailleurs, les intervenants sociaux reçoivent généralement un très bel accueil de la part des sinistrés. Ces derniers sont contents de pouvoir compter sur l’aide d’intervenants qualifiés et de recevoir leurs services, ce qui facilite grandement leur travail. Les interlocuteurs sont également très satisfaits de pouvoir constater à court terme les retombées positives de leurs interventions. Ainsi, comparativement à leur travail quotidien, où ils doivent réaliser des suivis à long terme auprès de clients présentant des difficultés dans la réalisation de leurs activités, l’intervention sur les lieux d’un sinistre permet aux intervenants de constater des résultats positifs immédiats et à court terme.

C’est comme une drogue, cette adrénaline-là, alors moi mon épuisement est plus quand j’en n’ai pas assez de me motiver, quand j’en n’ai pas assez d’émotions fortes au travail. J’ai beaucoup de difficultés à me stimuler puis à être performant. Je ne devrais peut-être pas dire ça là, mais c’est dit. J’ai besoin moi de situations imprévisibles. J’ai besoin d’adrénaline. Quand je n’ai pas de call, moi je suis déçu. Oui, là je suis de garde, j’en n’ai pas eu en fin de semaine. (Groupe de discussion no 9)

Par ailleurs, puisque ce type de travail comporte son lot de particularités, quelques sources de satisfaction ont été exprimées par les intervenants en comparaison avec leur travail régulier. D’une part, l’intervention en situation de sinistre provoquerait, selon certains intervenants, moins de stress de performance comparativement au travail régulier. En effet, les standards établis par les CSSS en ce qui concerne le nombre de clients à rencontrer sont moins élevés dans un contexte de tragédie ou de sinistre. Dans le même ordre d’idées, certains aiment le fait d’avoir moins de documents officiels et de papiers administratifs à rédiger alors que d’autres estiment avoir plus de souplesse dans leurs interventions lorsqu’ils travaillent en situation de crise, de tragédie ou de sinistre. Effectivement, le niveau d’autonomie est plus grand en situation d’urgence, et il arrive que les intervenants doivent oublier les protocoles d’intervention habituels et improviser selon les situations qui se présentent.

3.2. Sources d’insatisfaction

Si les intervenants ont plusieurs sources de satisfaction à la suite de leur implication lors de l’application des mesures d’urgence, certains éléments rendent leur travail un peu moins satisfaisant. Ainsi, le manque de formation, tant théorique que pratique, sur l’intervention en cas de crise, de tragédie ou de sinistre constitue la principale source d’insatisfaction pour les répondants, suivi par le manque de préparation. En effet, les intervenants ont l’impression de devoir agir tellement rapidement qu’ils n’ont pas le temps de prendre connaissance de la situation problématique ni de se préparer adéquatement à intervenir. Le manque de clarté dans les consignes et le sentiment de se déplacer inutilement sont aussi des éléments que certains intervenants n’apprécient pas. À cet égard, il arrive parfois que les policiers demandent aux intervenants d’aller au domicile d’une personne faisant preuve de désorganisation alors que la situation ne l’exige pas ou qu’une intervention auprès de la personne en difficulté aurait pu être réalisée par téléphone.

Non, et ça, je dirais que ça manque [la formation]. Moi je dirais que depuis que je travaille dans l’établissement, la crise je l’ai appris par moi-même. Les livres je les ai achetés par moi-même. Moi j’ai appris sur le tas, c’était ça. (Groupe de discussion no 4)

En ce qui concerne leur propre organisation, certains intervenants déplorent le manque de soutien et d’organisation. Par exemple, une des répondantes n’a pas reçu de soutien de sa superviseure lorsqu’elle a été victime d’une agression physique de la part d’une personne en crise, et une autre a été incapable de joindre les employés sur la liste de rappel puisque les informations présentes sur cette liste étaient erronées. Les intervenants ont aussi l’impression d’être livrés à eux-mêmes et considèrent que cette absence de structure des instances supérieures les empêche de bien se préparer à d’éventuels sinistres. Un manque d’organisation est également présent dans certaines villes en ce qui concerne la façon d’intervenir lors de sinistres de grande envergure. D’autre part, des insatisfactions sont vécues sur le plan salarial, car des intervenants déplorent de ne pas être rémunérés suffisamment lors des jours fériés ou lorsqu’ils font des heures supplémentaires. Des intervenants ont aussi souligné le manque de formation clinique de certains de leurs supérieurs. En effet, certains responsables des mesures d’urgence, volet psychosocial, des CSSS seraient davantage des gestionnaires que des cliniciens. Dans ce contexte, il est difficile pour les intervenants sociaux d’avoir des réponses claires sur les interventions à mettre en place pour résoudre certains problèmes ou diminuer l’ampleur de certaines problématiques sociales. Les intervenants sociaux vivent aussi des frustrations relatives à des attitudes et des comportements de leurs collègues et de leur supérieur immédiat. Ces derniers ne comprennent pas pourquoi les sinistrés requièrent du soutien et du suivi à long terme lors des phases de rétablissement et de retour à la vie normale. Certains intervenants sont aussi parfois déçus ou même frustrés de ne pas avoir été choisis pour intervenir dans le contexte des mesures d’urgence, alors que d’autres trouvent désolant de ne pas être remplacés au sein de leur équipe habituelle de travail quand ils interviennent lors d’un sinistre. D’autre part, des intervenants déplorent le fait de ne pas disposer de suffisamment de temps pour rencontrer leurs clients habituels lorsqu’ils appliquent des mesures d’urgence. Ils estiment que leurs clients ont, eux aussi, des besoins et ils se sentent coupables lorsqu’ils sont dans l’obligation de remettre leur rendez-vous. Des répondants ont aussi souligné ne pas apprécier l’une des principales caractéristiques de l’intervention en situation de crise, soit l’intervention ponctuelle. À ce sujet, ils aimeraient pouvoir être informés des retombées de leurs interventions ou pouvoir rencontrer de nouveau, les victimes pour constater leur niveau de bien-être et d’adaptation à leur nouvelle réalité. Un autre irritant majeur avancé à plusieurs reprises concerne la « déresponsabilisation des partenaires ». Les intervenants se retrouvent alors dans l’obligation de fixer leurs limites et de négocier les rôles de chacun. Effectivement, certains organismes auraient tendance à déléguer une partie de leurs propres tâches et mandats aux intervenants sociaux des CSSS tout en voulant retirer les bénéfices d’une couverture médiatique positive. Ces organismes auraient tendance à rechercher une plus grande reconnaissance de la part des médias et de la population en général, au détriment des intervenants sociaux des CSSS.

3.3. Retombées positives de l’intervention en situation de tragédie ou de sinistre

Travailler lors de l’application des mesures d’urgence demeure une expérience qui sort les intervenants de la routine habituelle. Cela permet à l’intervenant de diversifier sa pratique, de vivre des expériences nouvelles et stimulantes, de découvrir de nouvelles façons de travailler et d’accroître sa confiance en ses capacités professionnelles. En effet, plus les intervenants interviennent dans des situations de crise ou de tragédie, plus ils sont confiants et rassurés dans l’exercice de leur profession. Les interventions subséquentes deviennent moins anxiogènes, et ils arrivent à mieux gérer leur stress. Ils se sentent davantage aptes à prendre en charge des situations complexes et imprévues. Ce type d’intervention permet donc de développer de nouvelles habiletés et procure une richesse sur le plan professionnel, en permettant de développer une expertise d’intervention. Ils peuvent également développer une plus grande ouverture et de nouvelles compétences liées à des problématiques auxquelles ils ne font habituellement pas face dans leur travail régulier :
Je trouve que les opportunités comme ça, on n’en trouve pas beaucoup dans notre travail, puis en intervention en situation de crise on est témoin de choses, puis que les gens nous invitent qu’on partage ces moments-là, pour moi ça fait grandir d’autres clients que j’ai en suivi par la suite. J’ai appris beaucoup à gérer mon stress quand on est [en] intervention de situation de crise. Quand je suis dans le jus dans mon travail régulier ou lors [de] situations d’urgence, je suis capable de tempérer plus facilement maintenant. (Groupe de discussion no 9)

Des retombées positives sur le plan personnel sont également constatées. Ainsi, ce type d’intervention ramène aux valeurs essentielles et au sens de la vie. Ce travail permet de faire évoluer les intervenants en tant qu’êtres humains, en modifiant leur perception de la vie et de certaines clientèles. Le fait d’être fortement confrontés à la misère humaine, pousse les intervenants à apprécier davantage ce qu’ils ont, à prendre du recul et à relativiser l’ampleur de leurs problèmes personnels. Qui plus est, ce travail permet de voir certaines clientèles sous des angles différents et de faire disparaître certains jugements hâtifs à leur égard. L’intervention en contexte de mesures d’urgence permet aussi de réaliser l’importance de bien prendre soin de soi-même et de ses proches. De plus, ce travail peut redonner confiance en l’humanité. Effectivement, les situations extrêmes permettent, par exemple, de faire ressortir les bons côtés des êtres humains comme l’entraide et la résilience. Enfin, si certains apprécient davantage les moments de tranquillité à la suite d’une intervention en mesures d’urgence, d’autres sont d’avis que ce type de travail leur donne beaucoup d’énergie :

Bien, ça fait réfléchir au sens des choses ? Même si des fois on revient dans nos vieilles habitudes, là quelques mois plus tard, mais…. Quand tu interviens avec des gens qui ont tout perdu puis qui sont désespérés, puis que tu te lamentais sur ton sort… Ça relativise les choses pas mal, je dirais. (Groupe de discussion no 2)

Le déploiement de l’équipe d’urgence permettrait aussi de solidifier les liens au sein de cette équipe. Cela apporte de meilleurs liens de collaboration, une belle entraide et une grande complicité. De plus, ce type de travail permet de faire connaître la profession des intervenants sociaux aux membres d’autres corps de métier (policiers, médecins, psychologues, etc.) et leur apporte une plus grande crédibilité. Enfin, le fait d’intervenir auprès des sinistrés permet également de réprimer le sentiment d’impuissance et d’amener une notion de contrôle et de contribution pour la communauté.

3.4. Retombées négatives de l’intervention en situation de tragédie ou de sinistre

En contrepartie, plusieurs impacts négatifs peuvent découler de l’intervention en contexte de sinistre ou de tragédie. D’une part, la plupart des groupes ont nommé la fatigue comme une de ces conséquences négatives. Le sinistre qui perdure dans le temps et les interventions effectuées durant la nuit contribuent à une accumulation de fatigue. De plus, le chaos omniprésent sur les lieux d’un sinistre amène les intervenants à avoir besoin de calme, de silence et de repos. Les intervenants plus âgés auraient également plus de difficultés à récupérer physiquement. En plus de la fatigue vécue, les intervenants se heurtent à un niveau de stress élevé. Les intervenants sont aux aguets et vivent une certaine anticipation puisqu’ils peuvent être interpellés à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. Certains intervenants ont également de la difficulté à gérer l’adrénaline et la tension inhérentes aux mesures d’urgence. Selon les membres de plusieurs groupes de discussion, le travail des intervenants est difficile émotionnellement puisqu’ils doivent composer avec des émotions intenses générées par la souffrance humaine. De plus, parce qu’ils peuvent se retrouver face à des situations extrêmes, les intervenants peuvent être sujets à une diminution de leur niveau d’empathie. Ils peuvent également faire un transfert dans leur vie personnelle, s’identifier aux personnes présentant de la détresse et craindre qu’eux-mêmes ou leurs proches soient victimes du même genre d’événements :

Je mettrais le mot souffrance. Drame humain. Brute hein ? Il y a quelque chose d’humain qui nous touche toujours personnellement. Moi à chaque fois que j’ai fait des interventions, soit à l’hôpital pour un décès, un accident, un bébé qui meurt, peu importe, à chaque fois j’ai l’impression d’avoir les tripes ouvertes parce que ça pourrait être mon enfant, ça pourrait être ma sœur, ça pourrait être la situation de ma famille. Je ne suis pas capable de faire ce détachement-là. (Groupe de discussion no 4)

Les situations précédemment mentionnées peuvent être à l’origine de conséquences négatives sur la santé physique et psychologique des intervenants. En effet, des symptômes physiques et des maladies peuvent apparaître à la suite d’interventions intenses. Le stress, les émotions et l’adrénaline trop fortement sollicités fragiliseraient le système immunitaire, favorisant ainsi l’apparition de tels symptômes. L’état d’esprit des intervenants peut être également affecté. En effet, ils seraient plus impatients et intolérants à la suite de leur implication dans des situations complexes. De plus, l’intervention en situation de crise pourrait conduire à la présence de symptômes post-traumatiques, à l’effritement de la compassion et au traumatisme vicariant. Le cumul de situations éprouvantes peut amener les intervenants à devenir très émotifs, à ressentir un désintérêt envers les problèmes des autres et à présenter des symptômes d’anxiété. Tous ces éléments peuvent inciter les intervenants à prendre des congés de maladie. Les intervenants peuvent donc ressentir le besoin, à un moment ou à un autre, de décrocher de ce type de travail où ils doivent constamment affronter la souffrance des gens :

Des fois je me dis que ça prendrait une pause d’un an par cinq ans pour faire le métier qu’on fait, hors de la crise, là. Il y a de la misère qu’on entend, il y a des drames qu’on écoute puis ça, on n’est pas dans la crise, là, on est dans juste le suivi. On vit des drames quotidiens avec les gens, on écoute la souffrance, déjà ça, c’est beaucoup, l’usure de compassion. Mais si on ajoute la crise à ça, là on augmente notre usure. Mais moi j’ai dû, suite à un congé de maladie, tellement harcelée par l’employeur, ce que j’ai fait, à l’époque, pour pouvoir récupérer, c’est que je me suis pris une année sans solde. Mais c’était ma façon à moi de me dire une coupure, puis de dire ils ne pourront plus m’écœurer, ils ne pourront plus me harceler. (Groupe de discussion no 4)

Des répercussions négatives peuvent également se faire sentir sur le plan professionnel. Une accumulation de la charge de travail a été soulignée par les membres de plusieurs groupes. Comme la charge habituelle de travail des intervenants en mesures d’urgence n’est pas systématiquement gérée par d’autres employés en leur absence, celle-ci s’accumule. En plus de l’accumulation des tâches courantes, les intervenants ont également souligné le bouleversement de leur horaire au chapitre des impacts négatifs. En effet, ils peuvent être appelés à intervenir le soir, les fins de semaine, et à travailler de longues heures d’affilée. Qui plus est, il peut être difficile pour les intervenants de retomber dans la routine et le quotidien à la suite de ce type d’intervention. En effet, les situations que vivent les clients habituels peuvent leur apparaître banales comparativement aux drames vécus par les sinistrés. Certains peuvent également trouver difficile de travailler seul après avoir travaillé en équipe avec d’autres intervenants. Les répondants d’un groupe estiment aussi que certains intervenants ont tendance à trop s’approprier leurs interventions. De fait, certains intervenants se lancent des accusations lorsqu’une intervention n’apporte pas les résultats escomptés.

Les répondants de plusieurs groupes estiment aussi que l’intervention en situation de crise affecte leur vie personnelle, conjugale et familiale. En raison des horaires atypiques et de la fatigue accumulée, les intervenants n’ont pas la chance de passer autant de temps qu’ils le voudraient avec leur famille et leurs amis. De plus, les situations dans lesquelles ils sont amenés à travailler peuvent être source d’inquiétude pour leurs proches. Par ailleurs, les intervenants qui assument de la garde sociale voient leur niveau de liberté baisser en ce qui concerne leurs activités et les déplacements. Comme ils doivent demeurer prêts à intervenir à toute heure du jour ou de la nuit, ils ne peuvent s’éloigner de leur domicile. Dans un autre ordre d’idées, des intervenants ont mentionné avoir moins de tolérance envers les problématiques vécues par les membres de leur entourage. Ils désirent décrocher de leur travail et des problèmes des autres. Des sentiments d’impuissance et de frustration peuvent également être ressentis surtout lorsqu’ils se heurtent à des situations où les gens ont tout perdu et qu’ils ont alors l’impression de ne pas leur être d’une grande aide.

Bref, nous comprendrons que la recherche québécoise décrite ci-avant, laisse apparaître un concept d’urgence sociale aux multiples facettes (crise, tragédie, sinistre), et dont les effets tant positifs que négatifs sur les professionnels sont clairement observables.
Afin de croiser les contextes, nous proposons ci-dessous une illustration empirique belge de l’intervention d’urgence sociale. Illustration gérée par les Centres publics d’action sociale, et que nous qualifions de « microcatastrophe ».

4. Une illustration empirique belge : « Les microcatastrophes »

« Afin de dessiner les contours du concept de microcatastrophe, il convient d’abord de revenir quelques années en arrière. En avril 2008, le CPAS de Quaregnon (Belgique) fut confronté à un incendie qui détruisit trois habitations d’un quartier populaire de la commune. Appelé durant la nuit par les autorités communales, afin de gérer la dimension psychosociale du sinistre, nous nous sommes directement rendus compte des difficultés liées à ce type d’intervention. En effet, les limites en matière de relogement d’urgence, de formation du personnel mais également l’absence de dispositif d’action organisé, représentaient autant d’obstacles au déploiement d’un travail social de qualité.
Les travailleurs sociaux impliqués dans l’intervention, se sont retrouvés dans ce que nous qualifions de règne de la « débrouille / de l’improvisation ». Dans une forme de « bricolage social » aux conséquences négatives tant pour les victimes du sinistre que pour les intervenants sociaux eux-mêmes.
Soucieux de porter une réflexion de fond sur ce type d’événement, le CPAS de Quaregnon et l’Hôpital RHMS Baudour (Epicura) ont organisé, en 2009, un colloque traitant spécifiquement des microcatastrophes. Le concept était né… (À tout le moins sa terminologie)» (GERIN, 2014).
Cette expérience professionnelle pénible, nous a dans un premier temps, permis de poser les contours de ce que peuvent être les « microcatastrophes », pour les CPAS belges. Nous en retenons, qu’il s’agit d’un évènement soudain, de force majeure (incendie d’habitation, inondation, explosion de gaz,…) mais dont l’ampleur est trop limitée que pour déclencher les plans communaux d’intervention d’urgence.
Le travailleur social du CPAS se retrouve donc isolé, dans une situation de travail peu familière. Lui qui, habitué à un travail institutionnellement cadré (légalement et méthodologiquement) et à un appui éventuel de ses collègues, doit gérer non seulement le relogement d’urgence, mais également toute la souffrance psychosociale de la / des victime(s).
Aussi, les expériences vécues sur le terrain nous permettent d’établir un lien étroit entre les microcatastrophes des CPAS belges et les travaux de Danielle MALTAIS. En l’espèce, nous remarquerons que les microcatastrophes trouvent leur contenance théorique dans le concept de « tragédie » ainsi que dans les « stresseurs » développés par la Professeur MALTAIS. (cf. infra)
De plus, un parallélisme évident avec la souffrance des assistants sociaux, telle que théorisée par Thierry GLARNER (cf. infra) permet de saisir toute la précarisation des intervenants dans ce type de situation. A cet effet, nous avons à de nombreuses reprises, observé des problèmes de compétence (travailleurs sociaux non formés à l’intervention d’urgence en dehors des heures de bureau, manque de formation également quant à l’encadrement des victimes,…) ; d’ambivalence (difficultés familiales à intervenir dans un contexte demandant une réactivité importante en dehors du cadre « classique » de travail, absence de moyens et de procédures engendrant une impossibilité de maximiser les effets de l’intervention sociale,…) ; de reconnaissance (banalisation de la hiérarchie quant à la difficulté de l’intervention et à ses impacts possibles sur les travailleurs sociaux, manque de reconnaissance des intervenants extérieurs à la sphère sociale, tels que les services médicaux, techniques ou les forces de l’ordre,…).

Ces deux appuis scientifiques montrent à quel point la précarisation des intervenants sociaux dans certains contextes de travail social doit être pensée, reconnue et gérée.

5. Quelles pistes d’innovations sociales?

Afin de garantir le bien-être de chacun (intervenants sociaux et victimes), les différentes formes d’urgence sociales et spécifiquement les microcatastrophes telles que nous les définissons, plaident pour la mise en place de dispositifs permettant leur encadrement et leur gestion psychosociale.

Dans le contexte belge, les dispositifs d’urgence sociale inter-CPAS (DUS) se profilent comme une solution efficiente.
« Dans ce cadre, l’expérience du Dispositif d’urgence sociale de la zone boraine, nous semble représenter un exemple particulièrement indiqué.
Le DUS Borain est avant tout un partenariat unissant les CPAS de Quaregnon, de Frameries et de Boussu. Subventionné par la Région Wallonne et appuyé par le Relais Social de Mons-Borinage, il se présente comme un outil de travail privilégié pour les structures de « petite et de moyenne tailles » . En effet, le contexte institutionnel et socioéconomique particulièrement tendu, implique une logique de mutualisation des ressources et de pratique en réseau ». (GERIN, 2014).
Dans la pratique, le dispositif d’urgence sociale a permis aux CPAS partenaires de réfléchir à une définition partagée de l’intervention d’urgence sociale en dehors des heures de bureau. Sur base des indicateurs de terrain, cette définition se polarise exclusivement sur les différentes formes de relogement d’urgence, dont les causes peuvent être les suivantes : microcatastrophes, sans-abrisme, violences intrafamiliales, expulsion,… Ce travail de définition et de cadrage partagé de l’intervention entre plusieurs CPAS va clairement à l’encontre de la gestion « féodale » des problématiques sociales, pratiquée par les CPAS. Nous postulons d’ailleurs que l’avenir des CPAS belges passera par le travail social territorialisé (zones, bassins de vie). L’action sociale doit en effet être calquée sur les manifestations des problématiques sociales et pas seulement sur les limites administratives d’un territoire communal. Il en va de la cohérence, de la pertinence et de l’efficience du travail social local.
Au-delà d’une définition partagée et d’une cohérence accrue de l’action sociale, les CPAS susmentionnés ont particulièrement mis l’accent sur :
• la formation et l’encadrement du personnel (approche des victimes, gestion du stress, supervisions d’équipe,…)
• le développement de procédures spécifiques à l’intervention sociale d’urgence (liaison avec la police, procédures de relogement adaptées aux profils des bénéficiaires,…)
• la mise à disposition de moyens (véhicule, logement d’urgence spécialement dédié au dispositif, numéro d’appel gratuit, conventions avec des centres d’hébergement d’urgence et des hôtels,…)
• la reconnaissance des travailleurs sociaux (défraiement systématique des heures de garde, encadrement lié à la pénibilité de l’action,…)

Pour ce qui est du Québec : Jusqu’à présent, très peu d’attention avait été portée à la compréhension du vécu des intervenants sociaux lors de ces événements. Trop souvent, ils sont livrés à eux-mêmes, car leur organisation n’a pas les ressources nécessaires pour les soutenir. Les intervenants sociaux auraient pourtant besoin de bien comprendre les implications liées à l’intervention en situation d’urgence et les répercussions que peut avoir ce genre de travail sur leur vie personnelle et professionnelle. Il importe donc de mettre en place, dans chacune des organisations publiques du Québec, des mesures permanentes de planification, d’intervention, de formation et de rétablissement des intervenants risquant d’être affectés par le travail exercé dans un contexte inhabituel, stressant ou traumatisant. La tenue régulière de mises à jour des principes et des modalités de l’intervention en situation de crise, de tragédie ou de sinistre doit être une priorité pour les gestionnaires des équipes de mesures d’urgence, tout comme la transmission des connaissances concernant les méthodes pour gérer et contrer les effets négatifs de ce type d’intervention.
La valeur ainsi que l’utilité de ces mises à jour sont indéniables, car elles ont le potentiel d’améliorer la confiance des intervenants en leurs capacités et de s’adapter aux aléas de l’intervention en situation de crise. Si la formation scolaire des futurs travailleurs sociaux leur procure généralement les connaissances de base sur les techniques à employer lorsqu’ils doivent intervenir auprès d’un individu en crise, c’est très différent en ce qui concerne les moyens à mettre en place lors de sinistres où un nombre élevé de personnes risquent simultanément d’être en crise ou désorganisées. L’introduction des connaissances de base en situation d’urgence sociale (tragédie ou sinistre) permettrait aux futurs travailleurs sociaux de concevoir les sinistres non seulement comme des événements physiques, mais aussi comme des situations pouvant provoquer un ensemble varié de problèmes individuels, collectifs et sociaux sur les victimes et les intervenants. Connaître les impacts des événements traumatisants sur leur propre vécu permettrait également aux futurs travailleurs sociaux d’être mieux outillés pour normaliser leurs réactions lorsqu’ils sont dans un contexte de perturbations sociales.

Une fois encore, un parallélisme clair entre les contextes Belges et Québécois peut être avancé. En effet, tout comme le Québec, la formation de base des assistants sociaux belges, n’intègre en rien les compétences et connaissances à maîtriser dans des contextes de travail « difficiles », liés à l’urgence sociale.


6. Conclusions

Malgré les distances et les manières différentes de prendre en charge et de gérer les micro-catastrophes et les urgences sociales, la comparaison de nos expériences spécifiques en ce qui a trait au vécu des intervenants sociaux nous permet d’identifier des facteurs qui sont susceptibles de contribuer à la souffrance et à la précarité des intervenants sociaux. A ce sujet, il semble que les gestionnaires, les chefs d’équipe et leur organisation ont un rôle primordial à jouer en s’assurant que leurs intervenants aient les connaissances de base et les moyens de venir en aide, tant émotionnellement que concrètement, aux personnes qui sont exposées à des microcatastrophes ou qui sont victimes de sinistres.
De plus, cette illustration de deux expériences à la fois fort semblables et fort différentes sur plusieurs aspects permet de constater que les intervenants sociaux appelés à intervenir dans des contextes particuliers, vivent à la fois des conséquences négatives et positives lorsqu’ils interviennent auprès de personnes souffrantes, ce qui rejoint les conclusions de l’étude de Tehrani (2007). Nos constats respectifs suggèrent aussi que les intervenants confrontés à la détresse des personnes peuvent être amenés à développer certaines problématiques comme la fatigue de compassion, la traumatisation vicariante et le stress traumatique secondaire ou, du moins, à présenter certains des symptômes associés à ces troubles. Les symptômes les plus souvent mentionnés par les répondants demeurent toutefois la fatigue et le stress. Ces manifestations ont été décrites dans les écrits scientifiques à de nombreuses reprises comme pouvant être liées à l’un ou l’autre des trois troubles ci-haut mentionnés (Dane & Chackes, 2001; Figley, 2002a, b; Iliffe & Steed, 2000; Ortlepp & Friedman, 2002). De plus, comme en ont fait mention certains auteurs (Iliffe & Steed, 2000; Ortlepp & Friedman, 2002), un sentiment de peur accrue pour la sécurité des proches est une des caractéristiques de la traumatisation vicariante. D’autre part, des sentiments d’impuissance face aux victimes d’événements tragiques ont été soulignés par plusieurs intervenants que nous avons rencontré tant en Belgique qu’au Québec, constat qui rejoint les propos de plusieurs autres auteurs (Figley, 1995, 2002a, b; Gibson & Iwaniec, 2003 ; Leon et al., 1999). Les répondants de certains groupes de discussion ont également fait part de symptômes et de problèmes physiques (ex. : maux de tête, maux de dos, troubles du sommeil) qui, selon eux, seraient liés au niveau de stress élevé dans leur travail. D’autres répondants ont fait mention d’une baisse dans leur niveau d’empathie face aux gens souffrants. Ce phénomène a également été mis en lumière dans plusieurs autres études (Figley, 2002a; Hodgkinson & Shepherd, 1994). Enfin, comme l’a démontré Figley (2002a, b), la fatigue de compassion peut engendrer des répercussions sur la vie professionnelle des intervenants en affectant leur motivation et leur performance au travail. C’est ainsi que plusieurs répondants ont affirmé devoir prendre, à l’occasion, des congés maladies pour se distancer de leur travail.

D’un autre côté, nos observations ont permis de constater que les intervenants peuvent être positivement transformés par leur travail en situation de crise. Ce que Hernández et al. (2007) décrit comme le concept de résilience vicariante et Radley et Figley (2007) comme la satisfaction de la compassion. Ainsi, les intervenants que nous avons rencontré, ont fait mention d’un gain au niveau professionnel suite au fait d’intervenir en situation de catastrophe macrosociale, ce qui rejoint les propos de Tosone et al. (2003). Par ailleurs, des répercussions au niveau personnel peuvent survenir comme par exemples, une plus grande appréciation de la vie (Herman, 1997), la capacité de relativiser l’importance des problèmes personnels (Hernández et al., 2007) et des prises de conscience concernant plusieurs dimensions de la vie (ex. : l’humanité et la résilience de l’être humain) (Pearlman, 1998). À ce sujet, plusieurs intervenants du Québec disent apprécier davantage leur vie et ont une capacité de recul plus importante face aux épreuves qu’ils rencontrent depuis qu’ils interviennent dans les situations de tragédie ou de sinistre. Ils accordent également plus d’importance à la nécessité de prendre soin d’eux, constat qui rejoint l’étude de Bauwens et Tosone (2010). Par ailleurs, pour Radley et Figley (2007), le fait d’aider les gens en détresse à faire face à leurs épreuves permet aux intervenants de développer un sentiment de compétence et d’accomplissement professionnel. À cet égard, les intervenants sociaux rencontrés ont affirmé se sentir très utiles dans ce contexte de travail, ce qui leur apporte un grand sentiment de gratification et de devoir accompli. Ils apprécient également le fait de pouvoir créer des liens avec les gens dans le besoin et avec leurs partenaires, ce qui est en accord avec les résultats de l’étude de Laditka et al. (2009). Leur présence sur les lieux d’un sinistre ou d’une tragédie leur permettrait aussi de constater l’entraide et la résilience dont les humains font preuve, de la capacité des gens souffrants à se remettre sur pied (Hernández, et al., 2007; Schauben, & Frazier, 1995) ainsi que de la bonté et de la solidarité de l’humanité (Collins & Long, 2003; Hernández et al., 2007).

Ainsi, nous pensons que cet article permet d’avoir une meilleure compréhension du vécu des intervenants qui œuvrent dans les situations de crise, de tragédie ou de sinistre tant en Belgique qu’au Québec. En outre, nous retiendrons particulièrement, qu’il convient de garder à l’esprit que le travail des intervenants auprès d’individus vulnérables ou souffrants comporte plusieurs éléments tant positifs que négatifs, et que la reconnaissance de ces éléments, représente la première action en vue d’une amélioration globale du processus de travail social.


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Résumé en Anglais


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