Fiche Documentaire n° 3491

Titre Les formateurs en travail social : un groupe professionnel menacé ?

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Auteur(s) VERRON Christophe  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Les formateurs en travail social : un groupe professionnel menacé ?

Apparus au fil des années 1920 à 1940 avec la professionnalisation du travail social et l’invention de nouveaux métiers (Assistants de Service social, Éducateurs spécialisés, Éducateurs de Jeunes Enfants…), les premiers instructeurs étaient tous issues du métier pour lequel ils formaient et sur lequel ils appuyaient leur identité. D'abord pensée comme une activité temporaire nécessitant de retourner régulièrement à la source du terrain pour légitimer son savoir, l’instructeur a progressivement professionnalisé son activité. La création de lieux d’élaboration collective au sein des organisations professionnelles (comités d’entente des écoles, syndicats…) a favorisé la construction d’un cadre d’exercice (réglementation de l’activité, convention collective, formation ad hoc). A la suite, en s’autonomisant partiellement de son terrain d’origine, à la fin des années 60, l’instructeur est devenu formateur en travail social.
En maintenant ainsi des liens étroits entre secteur professionnel et établissements de formation, le champ social avait construit progressivement un monopole sur le marché des formations. À partir des années 1970, l’élargissement de son périmètre d’action aux formations de niveau V au niveau I l’a toutefois fait entrer de plain-pied dans un marché hautement concurrentiel. Les organismes de formation professionnelle, l’Éducation nationale et l’université se sont également positionnés sur ce marché.
Le formateur en travail social pouvait se prévaloir jusque-là d’une identité forte reposant sur une appartenance au travail social, des valeurs communes et des pratiques professionnelles caractérisées par une grande polyvalence. L’éclatement du champ a engendré une multiplication des profils : les « experts » en travail social, profil historique, sont rejoints désormais par des enseignants issus de l’université et des formateurs d’adultes.
Ne pouvant prendre appui sur un collectif tangible, le noyau historique des formateurs en travail social résiste peu aux incursions dans son domaine réservé et subit une évolution de son activité professionnelle : bureaucratisation et dérégulation de l’activité, inégalités grandissantes au sein du groupe sur les conditions de travail, les avantages acquis, les rémunérations…
La perte de repères collectifs génère des stratégies identitaires de rejet ou de passage peu repérables jusqu’alors dans un groupe où la prise de poste comme formateur représentait souvent l’aboutissement d’une carrière. C’est l’organisation même du groupe qui se trouve au cœur de processus de hiérarchisation prenant maintenant appui sur le niveau de diplôme préparé : aux animateurs de formation intervenants au niveau V sont dévolues les activités de face à face et la confrontation aux publics perçus comme les plus en difficultés ; aux ingénieurs de formation tendent à être réservées les activités nobles de conception, d’ingénierie et de recherche.
L’enquête menée par nos soins révèle un groupe professionnel qui, n’ayant pas été en mesure de faire aboutir un processus de professionnalisation initié par les pionniers, risque aujourd’hui de disparaître par absorption dans les groupes professionnels voisins.

Bibliographie

• Bach, L. (2006). Devenir formateur, une affaire de carrière - Former au travail social. Rueil-Malmaison : Ed. ASH.
• Bercot, R. Divay, S. Gadéa, C. (2012). Les groupes professionnels en tension – Frontières, tournants, régulations. (267). Toulouse : Octarès.
• Grimaldi, Y. (2005). Démarches qualité et identité professionnelle en conflit - Quand le management de la qualité s’impose à des formateurs en travail social. (5-10) Paris : L’Harmattan.
• De Lescure, E. Frétigné, C. (2010). Les métiers de la formation – Approches sociologiques. Rennes : PUR.
• Demailly, L. (2008). Politiques de la relation – Approches sociologiques des métiers et activités professionnelles relationnelles. Villeneuve d’Ascq : Septentrion.
• Demazière, D. Gadéa, C. (dir.) (2009). Sociologie des groupes professionnels, Acquis récents et nouveaux défis. Paris : La Découverte.
• Dubar, C. (2000). La socialisation. Paris : A. Colin.
• Kaddouri, M. (2008). La question identitaire dans le travail et la formation. Paris : L’Harmattan.
• Le Bianic, T. Vion, A. (2008). Action publique et légitimités professionnelles. Paris : LGDJ Lextenso.

Présentation des auteurs

Christophe Verron est responsable pédagogique à l’ARIFTS Site Nantais (Rezé – 44). Éducateur spécialisé, formateur en travail social et docteur en sociologie, il est membre du Laboratoire d'études et de recherche en sociologie de Brest (Labers). Ses travaux portent sur les formations en travail social, la professionnalisation des formateurs et les dynamiques identitaires.
Courriel : ch.verron@gmail.com

Communication complète

VERRON Christophe
Formateur en travail social – ARIFTS Nantes
Docteur en sociologie, LABERS EA 3149, Brest
ch.verron@gmail.com

Communication Biennale Unaforis – 20 novembre 2014
Les formateurs en travail social : un groupe professionnel menacé ?


La présente communication présente le processus de professionnalisation d’un groupe, les formateurs en travail social, qui n’est pas vraiment parvenu à s’adapter aux mutations de son environnement. De ce fait, ces professionnels se trouvent aujourd’hui au cœur de mouvements complexes qui interfèrent fortement tant sur leur identité que sur leurs pratiques professionnelles.
Sur la base d’une vaste enquête nationale croisant étude des archives, investigations quantitative et qualitative, nous avons repéré les évolutions du métier, ses atermoiements, les difficultés rencontrées par ces professionnels. L’enquête inédite réalisée dans le cadre d’une thèse de sociologie (Université de Brest, sous la direction d’Alain VILBROD) a permis de collecter des données par le biais d’un questionnaire destinés aux formateurs (442 répondants), complété par plus de 20 entretiens avec des formateurs, cadres des établissements de formation,…
Le cadre théorique et disciplinaire de cette recherche est principalement celui de la sociologie des groupes professionnels qui situe les professionnels dans un ensemble dynamique et s’intéresse aux processus et aux interactions, tant au sein des groupes professionnels que dans leur environnement. Ce cadre emprunte aussi à la sociologie des identités et aux sciences de l’éducation et de la formation.

Apparus au fil des années 1920 à 1940 avec la professionnalisation du travail social et l’invention de nouveaux métiers (Assistants de Service social, Éducateurs spécialisés, Éducateurs de Jeunes Enfants…), les premiers instructeurs étaient tous issues du métier pour lequel ils formaient et sur lequel ils appuyaient leur identité. D’abord pensée comme une activité temporaire, l’instructeur a progressivement professionnalisé son activité. La création de lieux d’élaboration collective au sein des organisations professionnelles (comités d’entente des écoles, syndicats…) a favorisé la construction d’un cadre d’exercice. A la suite, en s’autonomisant partiellement de son terrain d’origine, à la fin des années 60, l’instructeur est devenu formateur en travail social.
Ce passage de l’instructeur au formateur symbolise la fermeture du marché sur un territoire clairement identifié, mais segmenté par métier. Les formateurs ont construit un monopole sur l’activité. Initialement dominés et cantonnés dans des tâches subalternes, ils sont parvenus à supplanter progressivement les « spécialistes patentés », très influents au départ (médecins, psychiatres, juristes) au sein des établissements de formation. L’intégration dans le groupe de membres extérieurs, souvent psychologues, a quant à lui donné des gages de légitimité en termes de savoirs universitaires. Cette période faste pour le groupe professionnel a favorisé la conquête d’une plus grande autonomie vis-à-vis des terrains professionnels et a permis de négocier des conditions d’activités avantageuses. Repérés comme le « groupe pivot de l’organisation » , les professionnels se sont installés dans une position prestigieuse, position qu’ils ont réussi à conquérir en haut de la hiérarchie du travail social. Pourtant, plusieurs éléments nous amènent à faire le constat d’une professionnalisation inachevée.
C’est principalement au sein des Comités d’entente, organisés en filières, que les formateurs vont trouver écho à leurs revendications. Cette « autonomisation » est donc très « encadrée » au sein d’instances dirigées, rappelons-le, par des directeurs d’établissement de formation dont l’intérêt principal est la préservation du système.
Le principe de recrutement par cooptation favorise une dépendance forte entre les terrains et les écoles, dans une « fabrication » conjointe des futurs formateurs. Les règles implicites de construction des carrières ne favorisent pas, pour les professionnels, la remise en cause d’un système dont dépend leur avenir. L’idée selon laquelle « tout travailleur social peut potentiellement devenir formateur s’il respecte les règles du jeu » est peu propice à la revendication, synonyme possible d’une exclusion. Le principe de la cooptation ouvre donc un espace de domination et de consolidation des hiérarchies sociales. La résistance du secteur à la mise en place d’une formation de formateur est ainsi aisément compréhensible. Le filtrage par la qualification qu’elle induit amène inévitablement à interroger les rites d’intronisation en place et fragilise les équilibres construits aujourd’hui dans un système de dépendance réciproque.
Par ailleurs, si le partage du territoire par métier a pu se montrer efficient dans la phase de construction du secteur du travail social, la segmentation étanche en sous-groupes de professionnels centrés sur eux-mêmes a contribué à favoriser l’abandon de nouveaux territoires à la concurrence. Parfois par condescendance envers les nouvelles formations, mais également par incapacité à s’unir pour répondre aux nouvelles demandes, les établissements de formation des métiers « historiques » ont favorisé une multiplication des diplômes, l’arrivée de nouveaux acteurs et l’entrée dans un marché hautement concurrentiel.
Nous pensons que l’entrée dans le marché de la formation professionnelle, au sens large du terme, est à repérer comme un des facteurs clés à l’origine des déboires qui agitent le groupe professionnel aujourd’hui. En effet, c’est en quelque sorte un « encerclement » du territoire qui a eu lieu et qui, faute d’une régulation suffisante, a permis la porosité des frontières. Les mouvements de professionnels se sont donc multipliés et les profils des arrivants ont conduit à réinterroger les fondements de la légitimité des formateurs en place. Quelle est la légitimité du professionnel issu du travail social face à un formateur professionnel, diplômé d’un Master en ingénierie de formation, ou à un universitaire, docteur en sociologie ou en psychologie ? Interpelés en externe, mais aussi en interne, sur la validité de leurs compétences et de leurs savoirs, les formateurs ont peu à peu perdu leur prestige et se sont vus dans l’obligation de chercher d’autres voies de légitimation. C’est ainsi que l’on observe l’arrivée de nouveaux profils de formateurs, moins expérimentés, plus jeunes, mais plus diplômés, et peu enclins à faire véritablement carrière dans les établissements de formation. Le groupe se recompose, les stratégies identitaires se diversifient : devenir formateur n’est plus seulement l’aboutissement d’une carrière, mais aussi une étape possible, voire « rentable », pour aller à la suite vers d’autres postes perçus aujourd’hui comme plus prestigieux.

Ne pouvant prendre appui sur un collectif tangible, le noyau historique des formateurs en travail social résiste peu aux incursions dans son domaine réservé et subit une évolution de son activité professionnelle : bureaucratisation et dérégulation de l’activité, inégalités grandissantes au sein du groupe sur les conditions de travail, les avantages acquis, les rémunérations… Notre recherche nous a permis de mettre en lumière ces évolutions subies par les formateurs en travail social, mais repérables également dans d’autres champs d’activité.
Reprenons ces éléments de manière synthétique : les évolutions des activités professionnelles vont dans le sens d’un éloignement progressif des activités de face-à-face au profit de tâches d’administration, de coordination ou d’ingénierie, notamment pour répondre aux exigences croissantes qu’imposent les protocoles, procédures, évaluations, etc. Par ailleurs, « les pouvoirs publics, sous la pression des usagers, sont tentés d’exiger dans la mise en œuvre de l’action une individualisation accrue des services fournis par les professionnels » . Les nouvelles modalités de formation (formation à distance, autoformation, e-learning) sont au cœur de ces pratiques d’individualisation. Ce double mouvement met les professionnels face à un paradoxe. C’est celui d’une « double injonction qui consiste à vouloir tout à la fois prendre en compte tous les cas d’espèce dans les opérations quotidiennes, et de les "écraser" ensuite dans des procédures d’évaluation sous l’effet d’une série de règles générales. » Ces changements sont subis par les professionnels, dans l’incapacité de s’opposer à ce qui leur est présenté comme inéluctable.
Inhérente à ces évolutions, nous avons pu démontrer que la segmentation « historique » par métiers et par filières se doublait d’une segmentation par niveau, calquée sur la hiérarchie des niveaux de diplôme, reproduisant elle-même les hiérarchies observables dans les établissements sociaux et médico-sociaux. La description des pratiques par les professionnels atteste d’une spécialisation grandissante qui viendrait mettre un terme à la polyvalence historiquement liée au métier de formateur. Une corrélation évidente apparaît entre le niveau de formation dans lequel les professionnels interviennent et les tâches qui leur sont confiées. Les formateurs intervenants au niveau V se voient attribuer les activités de face-à-face pédagogique dans un profil que nous avons nommé d’animateur de formation. Ceux qui interviennent dans les formations supérieures sont centrés sur des tâches d’ingénierie et de coordination, déléguant le face-à-face à des « experts » vacataires.
Ces évolutions s’inscrivent dans un cadre de dérégulation de l’activité. Le flou du cadre réglementaire ne permet plus de régulation collective, mais dépend des négociations au sein de chaque institution. Les situations des formateurs sont donc très différentes les unes des autres et les écarts concernant les conditions de travail se creusent. En l’absence d’un acteur collectif en mesure de se définir comme représentatif des formateurs en travail social, les professionnels subissent ces évolutions qui touchent autant à leurs pratiques professionnelles qu’à leurs conditions de travail.

L’enquête menée par nos soins révèle un groupe professionnel qui, n’ayant pas été en mesure de faire aboutir un processus de professionnalisation initié par les pionniers, est aujourd’hui en proie à double mouvements conjugués de segmentation et de spécialisation. Se pose ainsi la question de l’avenir de ce groupe.
Les processus repérés sont ceux d’une professionnalisation par le haut, c’est-à-dire « une injonction et une politique portée par les organisations dans le but de mobiliser les travailleurs, d’améliorer leurs performances, d’intensifier le sens des responsabilités, d’encourager la compétition, de déplacer les cadres des activités » . Cette injonction au « professionnalisme » exclut les groupes professionnels de la définition de leur cadre d’intervention et peut être, de notre point de vue, perçu comme une « déprofessionnalisation » au sens d’une « inversion d’un mode spécifique de professionnalisation ». La dynamique engagée par les professionnels à la fin des années 1960 n’a pas résisté au développement quantitatif du champ professionnel et à son entrée dans le marché des formations pour adultes.

S’agit-il pour autant d’annoncer la disparition de ce groupe professionnel ? À moins d’une intégration soudaine des formations en travail social au sein de l’université, cela paraît peu probable. Nous ne pouvons toutefois pas écarter totalement cette hypothèse même si pour la majorité des acteurs que nous avons rencontrés, l’institution universitaire n’a ni le souhait, ni les moyens de réaliser cette intégration.
Une autre alternative s’appuierait sur le fait que « la déprofessionnalisation qui concerne des groupes ou des segments de groupe est rarement "sèche" dans les faits et se combine le plus souvent avec des processus de recomposition de nouvelle professionnalité ». Prenant appui sur la segmentation verticale que nous avons identifiée, les formateurs en travail social seraient alors, en quelque sorte, « absorbés » par les groupes professionnels voisins les plus proches. Les formateurs de niveau IV et V pourraient rejoindre le groupe des formateurs d’adultes auquel un grand nombre s’identifie déjà. Les formateurs intervenant dans les formations supérieures pourraient assez facilement se diriger vers l’université. Ils ont, le plus souvent déjà, le niveau de diplôme nécessaire et sont inscrits dans des réseaux qui faciliteront leur intégration. Quant aux autres, sans doute les plus nombreux, c’est au gré des stratégies individuelles que chacun devrait construire une trajectoire, construction facilitée par des logiques d’anticipation et notamment l’obtention préalable d’une qualification.
Une troisième possibilité paraît plus probable à court terme. Dans la continuité du mouvement engagé, les établissements de formation vont se structurer selon des modes d’organisation qui favorisent la constitution de « gros » opérateurs et d’organisation en réseau . Dans les deux cas, la spécialisation dans les activités s’accentuerait et les fonctions des formateurs évolueraient.
Nous avons évoqué « l’universitarisation », la « recomposition » puis la « spécialisation » comme des voies possibles. La probabilité de leur réalisation est variable, mais aucune des trois ne peut être d’emblée éliminée. La quatrième proposition ouvrirait la voie à une « re-professionnalisation ». Nous n’avons que peu d’éléments pour venir l’étayer, si ce n’est l’appui sur deux événements majeurs.
- Le projet des hautes écoles, porté par l’UNAFORIS, va nécessiter une prise de position de la part des formateurs.
- L’entrée des formations de niveau III dans le dispositif LMD aboutira inévitablement à l’obtention du grade de licence, de niveau II, pour ces travailleurs sociaux. Les formateurs en travail social se trouveront donc au même niveau de diplôme (d’un point de vue réglementaire) que les personnes sortantes de formation. La légitimité du formateur passe souvent par un niveau de diplôme supérieur à celui des personnes qu’ils forment. La reconnaissance du grade licence pour les travailleurs sociaux devrait donc entraîner une augmentation du niveau de diplôme des formateurs, c’est-à-dire l’obtention à minima d’un niveau Master.
Nous supposons donc l’émergence de collectif en capacité de porter une parole, au nom des formateurs, sur ces questions d’actualité. Nous l’avons montré dans ce travail, aucun signe n’indique cette tendance si ce n’est de prendre acte que « l’évolution de la division du travail ainsi que la réorganisation des secteurs d’activités et professionnels suscitent également des réactions collectives allant souvent dans le sens d’un renforcement identitaire collectif ou d’une revendication identitaire de la part des groupes (partageant le même métier) perçus comme étant en danger » . Il s’agit donc pour nous d’énoncer l’hypothèse d’une re-professionnalisation du groupe prenant appui sur les trois niveaux définis par Richard Wittorski : la professionnalisation des individus, la professionnalisation des activités et la professionnalisation des organisations.
La professionnalisation des individus passe donc par la définition d’une place dans l’espace professionnel. Cela peut relever d’un premier processus de désignation. Très peu de professionnels se nomment « formateurs en travail social ». Le passage d’ « instructeur » à « formateur » était tout autant significatif que le passage de « formateur » à « cadre pédagogique » puis à « cadre technique ». À ce jour, cette activité n’a pas d’appellation partagée par ceux qui l’exercent.
Pourtant, les formateurs s’identifient principalement à cette activité de formation, pensée initialement dans le face-à-face pédagogique, dont il s’éloigne progressivement. Mais s’ils sont formateurs dans des établissements de formation en travail social, c’est qu’on a estimé que leur expertise leur donnait des compétences pour préparer de futurs professionnels. Les compétences attendues ne sont donc pas tant du côté de l’ingénierie de formation que d’une capacité à partager des savoirs d’expérience. Le secret du « savoir partagé » dans une relation intime avec la personne en formation mériterait, à notre sens, d’être levé. Cet effort de formalisation favoriserait le dévoilement de ce que Florent Champy nomme « activités prudentielles » qui éloigne de fait du profil de l’ingénieur de formation. Ces activités « prudentielles » ont pour propriété « le caractère qualitatif du travail, la singularité des cas traités et des solutions adoptées, la vue d’ensemble des cas, nécessaires à leur compréhension, ou encore le temps nécessaire la délibération ». Le temps de la « délibération » a progressivement disparu du « plan de charges » des formateurs au profit de tâches d’administration et d’ingénierie alors qu’il nous semble que la nature fondamentale de l’activité du formateur n’a pas changé. Reconnaitre dans le métier des formateurs une part d’ « activités prudentielles », c’est rappeler la dimension relationnelle de cette activité, le contexte étant davantage porteur d’une valorisation de la dimension technique. Les formateurs ont à faire ce travail d’identification, de définition et de formalisation des savoirs issus de l’expérience.

La professionnalisation des activités repose notamment sur la construction de référentiel. Le projet de référentiel de la Direction générale de la cohésion sociale est pour le moment resté sans suite. Si tant est qu’il soit mis en œuvre, qui seront les professionnels qui contribueront à sa réalisation ? En l’absence d’organisation représentative des formateurs, on peut s’attendre à un référentiel qui relève du prescrit et s’impose aux professionnels comme une nouvelle norme de pratiques. Notre étude montre qu’il est urgent de repenser une répartition des tâches devenue obsolète. La distinction entre « charges directes » et de « charges indirectes » doit être repensée pour intégrer les évolutions dans les dispositifs de formation, liés notamment aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Quant à la catégorie « préparation – recherche », son abandon progressif est un puissant révélateur d’une perception du métier pensée presque exclusivement dans sa dimension technique. La redéfinition implicite du métier, et des tâches qui lui sont liées, exclut de fait le formateur en travail social de la production des savoirs, et l’écarte également de ce qui devrait être pourtant consubstantiel de son activité : l’actualisation de ses savoirs. Nous l’avons souligné, les savoirs des formateurs sont anciens et peu actualisés, le cadre de plus en plus contraint de leur activité permet-il qu’il en soit autrement ?
La professionnalisation des activités peut également passer par l’obtention, à l’issue d’une formation, d’une qualification et d’un titre. Les professionnels refusent massivement de s’y engager, en arguant d’une diversité des profils et des diplômes, source de richesse pour les établissements de formation. Nous avons relevé à plusieurs reprises que l’engagement dans une formation de formateur pouvait être un marqueur identitaire si fort qu’il risquait de provoquer un rejet de son groupe d’origine (les travailleurs sociaux) et l’engagement dans des stratégies identitaires de conversion, potentiellement génératrice de souffrance pour les individus. Malgré cela, les nombreuses recherche en sciences de l’éducation et de la formation nous invitent à dépasser l’idée selon laquelle « enseigner ou faire apprendre n’apparait pas une action experte, que cela semble une action « naturelle », à la portée de chacun pour peu qu’il maitrise le contenu à enseigner ». La voie de la qualification peut permettre l’obtention d’un titre, le partage d’une culture commune et l’acquisition de savoirs et de compétences spécifiques relevant de la « double expertise » du formateur. Une formation de formateur en travail social est au fondement de la compétence professionnelle, dont elle définit le contenu, la qualité et le niveau. Si, dans le cadre du LMD, le niveau master s’impose comme la norme, la situation des 30% de formateurs qui ont un niveau inférieur va devoir être prise en compte. Quelle formation leur proposer ? C’est sans doute une opportunité supplémentaire pour réfléchir à la formation des formateurs. Faut-il une formation de formateur, de formateur en travail social ou, plus largement, de formateur des « métiers de la relation » qui associerait les formateurs des métiers de la santé, de l’éducation… ?




Bibliographie

• Bach, L. (2006). Devenir formateur, une affaire de carrière - Former au travail social. Rueil-Malmaison : Ed. ASH.
• Bercot, R. Divay, S. Gadéa, C. (2012). Les groupes professionnels en tension – Frontières, tournants, régulations. (267). Toulouse : Octarès.
• Champy, F. (2009) La sociologie des professions Paris : PUF.
• Grimaldi, Y. (2005). Démarches qualité et identité professionnelle en conflit - Quand le management de la qualité s’impose à des formateurs en travail social. (5-10) Paris : L’Harmattan.
• De Lescure, E. Frétigné, C. (2010). Les métiers de la formation – Approches sociologiques. Rennes : PUR.
• Demailly, L. (2008). Politiques de la relation – Approches sociologiques des métiers et activités professionnelles relationnelles. Villeneuve d’Ascq : Septentrion.
• Demazière, D. Gadéa, C. (dir.) (2009). Sociologie des groupes professionnels, Acquis récents et nouveaux défis. Paris : La Découverte.
• Dubar, C. (2000). La socialisation. Paris : A. Colin.
• Kaddouri, M. (2008). La question identitaire dans le travail et la formation. Paris : L’Harmattan.
• Le Bianic, T. Vion, A. (2008). Action publique et légitimités professionnelles. Paris : LGDJ Lextenso.
• Wittorski, R., Sorel, M. (2005) La professionnalisation en actes et en questions. Paris : L’Harmattan.

Résumé en Anglais


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