Fiche Documentaire n° 3552

Titre Convoquer les arts narratifs lors de formations portant sur l'intervention avec des familles en situation de précarité

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l'auteur principal

Auteur(s) MONGEAU Suzanne  
     
Thème Récits de pratiques de formations articulant entre eux différents savoirs avec l'usage des arts narratifs  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Convoquer les arts narratifs lors de formations portant sur l'intervention avec des familles en situation de précarité

Que ce soit en milieu universitaire ou communautaire, la formation portant sur l’intervention avec des familles en situation de précarité nécessite bien souvent la mise en place d’un dispositif pédagogique particulier et ce, pour différentes raisons. En milieu communautaire, les intervenants peuvent avoir des expériences de formation et des niveaux de scolarité très différents. Ils peuvent être tous impliqués avec des familles en situation de précarité mais exercer des rôles très différents dans leurs organismes respectifs. Les étudiants quant à eux, peuvent avoir peu ou pas d’expériences d’interventions et éprouver des difficultés à se représenter les conditions de vies des familles en situation de précarité. Ceux qui arrivent de la pratique peuvent être déjà contaminés par le paradigme technique qui prévaut actuellement dans les milieux d’intervention. Aussi, que ce soit en milieu universitaire ou communautaire, le thème «famille» peut susciter des réactions à haute teneur affective. L’intervention avec des familles en situation de grande précarité peut également provoquer de l’impuissance et un sentiment d’aliénation et appauvrir ainsi la pensée des intervenants. Dans un tel contexte, il peut être tentant de glisser dans le piège d'une idéologie familialiste où la famille est perçue comme l'unique source de bonheur ou de malheur. Pour toutes ces raisons, comme formatrice, il est devenu important d’identifier un objet qui pourrait avoir un effet rassembleur, agir comme un tiers dans les situations trop émotives et stimuler des pratiques innovantes. L’usage des arts narratifs (films de fiction, romans) dans différents contextes de formation nous est apparu comme un dispositif pédagogique puissant pouvant créer un effet rassembleur, agir comme un tiers et stimuler l’imagination.

Comme formatrice, j’utilise toujours des films de fiction et des romans nous présentant des familles en situation de grande précarité et mettant en relief l’intrication entre le micro social et le macro social. Ces familles deviennent les «familles» avec lesquelles nous travaillons, apprenons, intervenons et imaginons d’autres façons de faire et d’être. Les films et les romans choisis permettent d’explorer avec sensibilité les liens familiaux et nous amènent ainsi à prendre une autre posture que celle de l’expert. En nous donnant accès non seulement à l’histoire familiale mais aussi au contexte relationnel et social en présence, ils permettent aux participants d’intégrer une optique de la complexité. Les films et les romans choisis nous aident aussi à sortir de la logique binaire «des bons ou mauvais parents» ainsi qu’à questionner les pratiques normatives. Enfin, en nous donnant accès non seulement à la souffrance mais aussi à la beauté de l’art, ils nous préservent d’un sentiment d’aliénation et d’une forme de pensée opératoire. Bref, ce dispositif pédagogique permet d’articuler entre eux savoirs réflexifs, savoirs méthodologiques, savoirs théoriques avec le savoir-faire et le savoir-être. Lors de cette présentation, nous préciserons par des exemples concrets l’usage que nous faisons des arts narratifs dans différents contextes de formation et nous présenterons le point de vue des participants sur cette façon de faire.

Bibliographie

Gingras , C. et Lacharité, J.-P. (2009). Comprendre les familles pour mieux intervenir, Repères conceptuels et stratégies d’action, Montréal, Gaëtan Morin.

Madsen, W.C. (2007). Collaborative Therapy with Multi-stressed Families (2e éd.), New York, Norton.

Mongeau, S., Asselin, P., Roy, L. (2013) « L’intervention clinique avec les familles et les proches : pour une prise en compte de la complexité-prise deux ». In Le travail social : théories, méthodologies et pratiques, sous la dir. de É. Harper et H. Dorvil, p.191-221. Québec : Presses de l’université du Québec.

Morgan , A. (2010). Qu’est-ce que l’approche narrative? , Paris, Hermann.

White, M. et Morgan, A. (2006). Narrative Therapy with Children and their Families, Adelaïde, Dulwich Centre Publications.

White, Micheal (2009). Cartes des pratiques narratives, Bruxelles, Satas.

Présentation des auteurs

Suzanne Mongeau est professeure à l’école de travail social de l’université du Québec à Montréal. Elle a une formation de travailleuse sociale et détient un doctorat en sciences humaines appliquées. Elle enseigne à l’université la méthodologie de l’intervention avec les familles et les proches au premier et au second cycle. Elle donne également des formations en milieu communautaire autour de ce thème.

Communication complète

CONVOQUER LES ARTS NARRATIFS LORS DE FORMATIONS PORTANT SUR L'INTERVENTION AVEC DES FAMILLES EN SITUATION DE PRÉCARITÉ


Mise en contexte

Que ce soit en milieu universitaire ou communautaire, la formation portant sur l’intervention avec des familles en situation de précarité nécessite bien souvent la mise en place d’un dispositif pédagogique particulier et ce, pour diverses raisons. En milieu communautaire, les participants peuvent avoir des expériences de formation et des niveaux de scolarité très différents. Ils peuvent être tous impliqués avec des familles en situation de précarité mais exercer des rôles très différents dans leurs organismes respectifs. Les étudiants quant à eux, peuvent avoir peu ou pas d’expérience d’intervention et éprouver des difficultés à se représenter les conditions de vies des familles en situation de précarité. Ceux qui arrivent de la pratique peuvent être déjà contaminés par le paradigme technique qui prévaut actuellement dans les milieux d’intervention. Aussi, que ce soit en milieu universitaire ou communautaire, le thème «famille» peut susciter des réactions à haute teneur affective. L’intervention avec des familles en situation de grande précarité peut également provoquer de l’impuissance et un sentiment d’aliénation et appauvrir ainsi la pensée des intervenants. Il peut être tentant de glisser dans le piège d’une idéologie familialiste où la famille est perçue comme la source de bonheur ou de malheur. Pour toutes ces raisons, comme formatrice, il nous est apparu important d’identifier un objet qui pourrait avoir un effet rassembleur, agir comme un tiers dans les situations trop émotives et stimuler des pratiques innovantes. L’usage des arts narratifs (films de fiction, romans) dans différents contexte de formation nous est apparu comme un dispositif pédagogique puissant pouvant créer un effet rassembleur, agir comme un tiers et stimuler l’imagination.


Films et romans choisis

Comme formatrice, j’utilise toujours des films de fiction et des romans nous présentant des familles en situation de grande précarité et mettant en relief l’intrication entre le micro social et le macro social. Certains films ou romans excellent en effet à mettre en relief l’intrication entre le tragique familial et les tourments, les caractéristiques d’une époque et d’une culture. Ces familles deviennent les «familles» avec lesquelles nous travaillons, apprenons, intervenons et imaginons d’autres façons de faire et d’être. Voici quelques exemples de films et livre utilisés :

- Nous étions guerriers: Film néo-zélandais réalisé en 1995. Nous sommes témoins d’une période très souffrante dans la vie d’une famille aborigène, issue du peuple des maoris. Nous avons un aperçu des conditions de vies de ce peuple déraciné en milieu urbain. Le film se déroule dans une banlieue pauvre d’Auckland. Jake et Beth sont mariés depuis 18 ans et ils ont 5 enfants. Thèmes abordés: le sort des autochtones, la violence, l’abus sexuel, le suicide, l’alcoolisme. Un film choc, très dur !

- Le mariage de Rachel: Film américain réalisé en 2008. Il s’agit d’une famille où les parents sont séparés et ont à nouveau chacun un conjoint dans leur vie. Ils ont eu trois enfants ensemble et le plus jeune des enfants est décédé de manière tragique. Tout le film se déroule autour du mariage de l’ainé, Rachel; nous avons donc accès à un assemblage particulier. On voit bien comment ce rituel vient réactiver le deuil et montrer à la loupe la dynamique familiale. Excellent film pour enseigner l’approche narrative car l’identité de la fille du milieu est complètement capturée par la toxicomanie. Thèmes abordés: la toxicomanie, le deuil, la famille recomposée.

- Biutiful: Film américano mexicain réalisé en 2010 se déroulant à Barcelone. La famille est composée d’un père, d’une mère et de deux jeunes enfants. Le père a la garde des enfants. La mère a reçu un diagnostic de bipolarité. Le père, survit financièrement grâce au travail d’immigrants illégaux qui produisent des produits de contrefaçon et grâce à son don particulier (il peut communiquer avec les morts). Le père apprend par son médecin qu’il est atteint d’un cancer en phase terminale. On le sent attaché à ses enfants et préoccupé de leur transmettre quelque chose. Les personnages sont très attachants. Thèmes abordés: marginalité, immigration, le travail au noir, les problèmes de santé mentale, la maladie terminale, énurésie d’un enfant.

- Le Ring : Film québécois, réalisé en 2007, se déroulant dans un quartier pauvre de Montréal. Le film présente l’histoire d’une famille où la réalité cogne dure. Thèmes abordés : problème de toxicomanie, mère travailleuse du sexe, placement en centre d’accueil, projet de vie.

- Le Château de verre: Livre autobiographique écrit par Jeannette Walls, une chroniqueuse célèbre à New York. Paru en 2005 et traduit en 2008. Ce roman raconte l’histoire de sa famille. Un père et une mère ayant eu 4 enfants. Les parents sont excentriques, amoureux des arts et lettres. Le père caresse un rêve fou: bâtir une maison de verre dans le désert. Il noie ses projets dans l’alcool. La mère écrit, peint…Son bien-être ne l’intéresse pas, celui de ses 4 enfants non plus. La famille sillonne l’Amérique pour fuir les créanciers, les travailleurs sociaux, la DPJ. Une enfance nourrie aux mythes des années 60: rejet de la société de consommation, mouvement hippies, le culte de la nature, le non-conformisme. Ce film nous laisse très perplexe. Thème abordés: pauvreté, négligence, besoins des parents, besoins des enfants.


Usage des arts narratifs dans le cadre de formations théoriques

Avant de présenter les différents usages que je fais des films et des romans choisis, il m’apparaît important de préciser que sur le plan théorique, je m’appuie principalement sur l’approche systémique s’inspirant d’une optique de la complexité (Onnis, 2013; Mongeau, Asselin et Roy, 2013) et sur l’approche narrative et l’approche participative (White, 2009 ; Madsen, 2007 ; Gingras et Lacharité, 2009 ; Duvall et Béres, 2011) dans les formations que je donne portant sur l’intervention avec les familles en situation de précarité. Les films et romans choisis nous servent donc à enseigner différents concepts et pratiques d’intervention reliés à ces approches. Voici quelques exemples d’usages qui sont fait des arts narratifs lors des formations. Ils seront explicités avec plus de détail lors de la communication.

- Questions posées avant le visionnement : identification d’une scène qui les a particulièrement interpellé ce qui permet de comprendre le concept de résonnance et de l’autoréférence. Identification d’un moment où il aurait été opportun d’offrir un accompagnement ou une intervention ce qui permet la création de mises en situation.
- Écriture spontanée d’une page portant leurs perceptions des parents. Cet exercice est réalisé au début de la formation et à la fin.
- Échange sur la définition du problème: Comment percevez-vous le problème dans cette famille? Permet l’enseignement de la compréhension d’un problème selon différents paradigmes
- Enseignement de différents concepts et pratiques : ex: résonnance, autoréférence, assemblage, questions circulaires, externalisation, sculptures familiales…
- Mise en situation: et si l’histoire s’était déroulée autrement…
- Rédaction d’une lettre narrative adressée à un membre d’une des familles ou à une famille
- Discussion de cas en présence de différents acteurs (professeur, intervenant de la DPJ, travailleur social en milieu hospitalier…): Y a-t-il nécessité d’un placement?
- Exercice de se centrer sur les forces de la famille ou l’enfant pour les connaître à l’extérieur de leur problème
- Invitation à lire des critiques de films ou de livres


Points de vue de la formatrice et des participants sur les usages faits

Au fil des ans, j’ai recueilli les commentaires des étudiants ainsi que des participants quant à l’usage qui est fait des arts narratifs lors des sessions de formations théoriques. Comme formatrice, j’ai également tenu un journal de bord où j’ai noté mes propres perceptions quant aux effets des usages faits des arts narratifs. Je les présente dans ce qui suit.

- Partage d’un même objet ce qui a un effet rassembleur que ce soit pour un groupe d’étudiants ou des milieux de pratique d’un même quartier
- Façon de mettre en relief les savoirs implicites des intervenants et des étudiants
- Intégration d’une optique de la complexité car nous nous avons accès au micro et au macro social et à un assemblage particulier
- Perception d’être tout simplement un humain comme les autres par l’analyse de la résonance et l’autoréférence (Elkaïm, 2014)
- Création d’un attachement et d’une identification avec la famille et ou ses personnages
- Réécriture de l’histoire par la richesse des mises en situation. Déconstruction de d’une histoire dominante et reconstruction d’une histoire alternative (Morgan, 2010)
- Sortir d’une logique et d’un langage d’expert par la lecture de critiques de films ou de romans
- Contrer le paradigme technique
- Être ébranlé par les échanges dans ses croyances, ses jugements et son rapport aux autres-maintenir une saine posture de doute et d’incertitude (Bourgeault,1999)
- Sortir d’une logique binaire, celle du bon ou du mauvais parent ce qui permet de maintenir une pensée complexe
- Avoir accès non seulement à de la souffrance mais aussi à une expérience esthétique (Loser, 2010) puisqu’il s’agit d’arts narratifs, ce qui peut préserver de l’aliénation
- Amplifier une posture de curiosité plutôt que de contrôle
- Questionner les pratiques normatives et en imaginer d’autres


Conclusion

Il s’agit d’un dispositif pédagogique très puissant, car il crée une alchimie féconde entre savoirs théoriques, méthodologiques, expérientiels, affectifs, et esthétiques.


Bibliographie

1. Loser, F. (2010). La médiation artistique en travail social. Enjeux et pratiques en atelier d’expression et de création. Genève : Cies éditions.
2. Duvall,J.et L.Beres (2011).Innovations in Narrative Therapy : connecting Practice, Training and Research, New York , W.W. Norton& Company.
3. Elkaim, Mony (2014). Où es-tu quand je te parle? Paris, Seuil.
4. Gingras , C. et Lacharité, J.-P. (2009). Comprendre les familles pour mieux intervenir, Repères conceptuels et stratégies d’action, Montréal, Gaëtan Morin.
5. Madsen, W.C. (2007). Collaborative Therapy with Multi-stressed Families (2e éd.), New York, Norton.
6.Mongeau, S., Asselin, P., Roy, L. (2013) « L’intervention clinique avec les familles et les proches : pour une prise en compte de la complexité-prise deux ». In Le travail social : théories, méthodologies et pratiques, sous la dir. de É. Harper et H. Dorvil, p.191-221. Québec : Presses de l’université du Québec.
7. Morgan , A. (2010). Qu’est-ce que l’approche narrative? , Paris, Hermann.
8. Onnis, Luigi (2013). Anorexie et boulimie, le temps suspendu, Individu, famille et société. Bruxelles, de Boeck.336 pages.
9. White, M. et Morgan, A. (2006). Narrative Therapy with Children and their Families, Adelaïde, Dulwich Centre Publications.
10. White, Micheal (2009). Cartes des pratiques narratives, Bruxelles, Satas.

Résumé en Anglais


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