Fiche Documentaire n° 3592

Titre Le savoir-faire des éducateurs dans des visites médiatisées

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l'auteur principal

Auteur(s) PITTET Marc
STROUMZA Kim
PONT CHAMOT Anne-Françoise
 
     
Thème l'implication au coeur de la rencontre  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Le savoir-faire des éducateurs dans des visites médiatisées

Des éducateurs d’une structure récente (Espace Contact, créé en 2008) sont mandatés pour organiser (et être présents lors) des visites entre parents et enfants qui n’ont plus le droit de se voir (pour différentes raisons) sans la présence d’un tiers. Ils reçoivent un triple mandat : protéger l’enfant des contacts qui pourraient être nocifs avec son parent ; évaluer la parentalité du parent ; soutenir la parentalité de ce même parent ainsi que le lien parent-enfant. Dans ce champ de la protection de l’enfance, plusieurs difficultés sont aujourd’hui bien identifiées : parentalisation de problèmes sociaux (Neyrand, 2011) ; idéologie du lien (Berger, 2011) ; parentalité souvent présupposée, indéfinie, évidente pour les uns ou inévidente pour les autres ; volonté de faire évoluer les pratiques de la suppléance ou de la subsidiarité vers le soutien à la parentalité (Fablet, 2010 ; Houzel, 2003 ; Sellenet, 2007, 2010), de passer d’une approche qui se base sur un diagnostic de difficultés à un inventaire des potentialités des familles (Rousseau, 2003) mais en même temps un mouvement de managérisation du social, le retour du contrôle éducatif et des dispositifs qui ont des attentes excessives à l’égard de capacités parentales décontextualisées de facteurs sociaux et économiques plus globaux (Neyrand, 2011).
Ces différentes injonctions pouvant entrer en tension, ces difficultés étant encore présentes, le travail de ces éducateurs ne peut se résumer à une simple exécution ou application de leur mandat, ils doivent inventer dans leur situation une manière de faire tenir ensemble ces injonctions, et de répondre à ces difficultés.
Plutôt que de penser la relation entre prescription/injonction et travail réel en termes de domination, d’émancipation ou d’aliénation (Latour, 2000), nous trouvons plus heuristique pour le pouvoir d’agir des professionnels de suivre l’approche développée par de Jonckheere (2010) à la suite des travaux de Stengers, et sa notion de modèle de terrain. Un modèle de terrain correspond à la manière dont les professionnels réussissent à faire tenir ensemble des éléments hétérogènes : prescriptions, idées, environnement, valeurs, …. Ce modèle n’échappe pas aux prescriptions, ni s’en distancie, mais il les redéfinit. C’est dans cette redéfinition dans le déroulement même de l’activité que se loge la créativité des professionnels (Mezzena, 2014 ; Stroumza & al, 2014).
Pour reconstruire ce modèle de terrain et comprendre comment les professionnels deviennent héritiers de leur héritage (Despret, 2001), notre recherche s’est appuyée sur des données hétérogènes : notes d’observation, films d’activité réelle et autoconfrontations (commentaires des professionnels lors du visionnement des séquences d’activités). Le processus de modélisation vise à faire tenir ensemble (et par là également à spécifier) ces données, en montrant les relations entre elles, en montrant plus que ce qui est visible, ou ce qui est dicible. Notre conception du savoir-faire professionnel considère en effet celui-ci comme n’étant ni visible, ni dicible, ni inférable des observations, et comme se distinguant des savoirs propositionnels (ce ne sont pas que des savoirs propositionnels incorporés, tacites, …) (Friedrich, sous presse). D’un point de vue méthodologique, il faut donc un travail théorique de modélisation pour le reconstruire.
Nous verrons ainsi comment le concept d’implication qui prend appui sur la phénoménologie responsive développée par Waldenfels (2000) et une conception située de la pathologie, permet aux professionnels de répondre à leur mission en orientant leurs activités pour favoriser la rencontre entre parent et enfant. Ce modèle permet ainsi une autre forme de participation des parents et des enfants, avec tact, au sens où les parents et les enfants peuvent participer à la définition des problèmes qui les concernent (De Jonckheere, 2010).

Bibliographie

Berger, M. (2011). Les séparations à but thérapeutique. Paris: Dunod.

Jonckheere C. (2010). 83 mots pour penser l'intervention en travail social. Genève: Editions Ies.
Despret V. (2001). Ces émotions qui nous fabriquent. Ethnopsychologie des émotions. Paris : Les Empêcheurs de penser en rond/Seuil.
Fablet D. (2010). De la suppléance au soutien à la parentalité. Paris : Harmattan.
Friedrich, J. (sous presse). Le savoir-faire : un savoir ou autre chose ? In Friedrich, J. & Pita Castro, J. C. (eds.), Recherches en formation des adultes : Un dialogue entre concepts et réalité, Dijon : Editions Raison et Passions
Houzel (2003). Un autre regard sur la parentalité. Enfances & Psy, no 21.
Latour B. (2000). Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement. In Micoud A. & Peroni M. Ce qui nous relie. La Tour d’Aigues : Ed. de l’Aube.
Mezzena S. (2014). Connaissance et professionnalité dans la pratique comme territoire à équilibrer. Enquêtes et perspective dans l’activité des éducateurs. Thèse Fapse, Université de Genève.
Neyrand G. (2011). Soutenir et contrôler les parents. Le dispositif de parentalité. Toulouse:Erès.
Rousseau, P. (2003). L’accompagnement éducatif à la parentalité, Espace Social 2.

Sellenet, C. (2007). La parentalité décryptée. Pertinence et dérives d’un concept. Toulouse : Érès.

Sellenet, C. (2010). Les visites médiatisées pour protéger des familles séparées. L’Harmattan, Paris

Stroumza K. & al (2014). L’ajustement dans tous ses états : règles, émotions, distance et engagement dans les activités éducatives d’un centre de jour genevois. Genève : éditions ies.
Waldenfels B. (2000).Réponse à l’autre. Eléments d’une phénoménologie responsive. In Escoubas E. & Waldenfels B. Phénoménologie française et phénoménologie allemande. Paris : L’Harmattan.

Présentation des auteurs

Marc Pittet, Kim Stroumza : HES-SO Genève, Haute Ecole de Travail Social.
Anne-Françoise Pont Chamot, stagiaire master travail social, professeure Haute école de travail social, EESP, Lausanne

Communication complète

Des éducateurs d’une structure récente (Espace Contact, créé en 2008) sont mandatés pour organiser (et être présents lors) des visites entre parents et enfants qui n’ont plus le droit de se voir (pour différentes raisons) sans la présence d’un tiers. Ils reçoivent, de la part du service placeur, un triple mandat : protéger l’enfant des contacts qui pourraient lui être défavorables, voire nocifs avec son parent ; évaluer la parentalité à l’œuvre du parent biologique ; soutenir cette parentalité ainsi que les liens parent-enfant. Ces injonctions peuvent bien sûr entrer en tensions : comment à la fois favoriser le lien parent-enfant, avec un parent dont le contact avec son enfant a été jugé comme potentiellement inadapté, voire destructeur, et en même temps protéger cet enfant ; comment à la fois soutenir et évaluer une parentalité ?

Dans ce champ de la protection de l’enfance, plusieurs difficultés sont également aujourd’hui bien identifiées et confrontent les professionnels à des problèmes dont aucune réponse n’est stabilisée dans le champ : parentalisation de problèmes sociaux (Neyrand, 2011) ; idéologie du lien (Berger, 2011) ; parentalité souvent présupposée, indéfinie, évidente pour les uns ou inévidente pour les autres ; volonté de faire évoluer les pratiques de la suppléance ou de la subsidiarité vers le soutien à la parentalité (Fablet, 2010 ; Houzel, 2003 ; Sellenet, 2007, 2010), de passer d’une approche qui se base sur un diagnostic de difficultés à un inventaire des potentialités des familles (Rousseau, 2003) mais en même temps un mouvement de managérisation du social, le retour du contrôle éducatif et des dispositifs qui ont des attentes excessives à l’égard de capacités parentales décontextualisées de facteurs sociaux et économiques plus globaux (Neyrand, 2011). Une autre difficulté tient à la lourdeur et à la complexité des situations prises en charge par Espace Contact : des diagnostics psychopathologiques souvent posés, des traumatismes à répétition, des parcours de vie déjà fortement institutionnalisés pour les parents, et pour les enfants, …
Comme si tout concourait à un très faible pouvoir d’agir pour les intervenants. Comment en 1h30 environ par semaine répondre à l’ensemble de ces injonctions, ces difficultés et favoriser le développement d’une autre histoire pour ces parents et ces enfants ?

Ces différentes injonctions pouvant entrer en tension, ces difficultés étant encore présentes, le travail de ces éducateurs ne peut se résumer à une simple exécution ou application de leur mandat, dans le moment même des visites, ils doivent en effet inventer des manières de faire tenir ensemble ces injonctions, pour répondre à ces difficultés ; tout en ouvrant d’autres possibles dans ces histoires qui paraissent déjà écrites.

Plutôt que de penser la relation entre prescription/injonction et travail réel en termes de domination, d’émancipation ou d’aliénation (Latour, 2000), nous trouvons plus heuristique pour le pouvoir d’agir des professionnels de suivre l’approche développée par de Jonckheere (2010) à la suite des travaux de Stengers, et sa notion de modèle de terrain. Un modèle de terrain correspond à la manière dont les professionnels réussissent à faire tenir ensemble des éléments hétérogènes : prescriptions, idées, environnement, valeurs, …. Ce modèle n’échappe pas aux prescriptions, ni s’en distancie, mais il les redéfinit. C’est dans cette redéfinition dans le déroulement même de l’activité que se loge la créativité des professionnels (Mezzena, 2014 ; Stroumza & al, 2014), dans la réponse (et non la réaction) à des situations (Waldenfels, 2000).

Pour reconstruire ce modèle de terrain et comprendre comment les professionnels deviennent héritiers de leur héritage (Despret, 2001), notre recherche s’est appuyée sur des données hétérogènes : notes d’observation, films d’activité réelle et autoconfrontations (commentaires des professionnels lors du visionnement des séquences d’activités). Le processus de modélisation vise à faire tenir ensemble (et par là également à spécifier) ces données, en montrant les relations entre elles, en montrant plus que ce qui est visible, ou ce qui est dicible. Notre conception du savoir-faire professionnel considère en effet celui-ci comme n’étant ni visible, ni dicible, ni inférable des observations, et comme se distinguant des savoirs propositionnels (ce ne sont pas que des savoirs propositionnels incorporés, tacites, …) (Friedrich, sous presse). D’un point de vue méthodologique, il faut donc un travail théorique de modélisation pour le reconstruire.

Nous verrons ainsi comment le concept d’implication qui prend appui sur la phénoménologie responsive développée par Waldenfels (2000) et une conception située de la pathologie, permet aux professionnels de répondre à leur mission en orientant leurs activités pour favoriser la rencontre entre parent et enfant, pour susciter des moments joyeux de contact qui, c’est le pari des professionnels, ouvrent à d’autres devenirs. Ce modèle permet ainsi une autre forme de participation des parents et des enfants, avec tact, au sens où les parents et les enfants peuvent participer à la définition des problèmes qui les concernent (De Jonckheere, 2010).

Bibliographie
Berger, M. (2011). Les séparations à but thérapeutique. Paris: Dunod.
Jonckheere C. (2010). 83 mots pour penser l'intervention en travail social. Genève: Editions Ies.
Despret V. (2001). Ces émotions qui nous fabriquent. Ethnopsychologie des émotions. Paris : Les Empêcheurs de penser en rond/Seuil.
Fablet D. (2010). De la suppléance au soutien à la parentalité. Paris : Harmattan.
Friedrich, J. (sous presse). Le savoir-faire : un savoir ou autre chose ? In Friedrich, J. & Pita Castro, J. C. (eds.), Recherches en formation des adultes : Un dialogue entre concepts et réalité, Dijon : Editions Raison et Passions
Houzel (2003). Un autre regard sur la parentalité. Enfances & Psy, no 21.
Latour B. (2000). Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement. In Micoud A. & Peroni M. Ce qui nous relie. La Tour d’Aigues : Ed. de l’Aube.
Mezzena S. (2014). Connaissance et professionnalité dans la pratique comme territoire à équilibrer. Enquêtes et perspective dans l’activité des éducateurs. Thèse Fapse, Université de Genève.
Neyrand G. (2011). Soutenir et contrôler les parents. Le dispositif de parentalité. Toulouse:Erès.
Pittet M. (2015). Face à un enfant turbulent : répondre, In L’engagement des corps dans le travail, Revue [petite] enfance 117.
Pont A.F. (2015). Mise en tension et redéfinition de la notion de (soutien à la) parentalité au cœurs des pratiques de visites médiatisées, travail dans le cadre du master romand en travail social (HES-SO).
Rousseau, P. (2003). L’accompagnement éducatif à la parentalité, Espace Social 2.
Sellenet, C. (2007). La parentalité décryptée. Pertinence et dérives d’un concept. Toulouse : Érès.
Sellenet, C. (2010). Les visites médiatisées pour protéger des familles séparées. L’Harmattan, Paris
Stroumza K. & al (2014). L’ajustement dans tous ses états : règles, émotions, distance et engagement dans les activités éducatives d’un centre de jour genevois. Genève : éditions ies.
Waldenfels B. (2000). Réponse à l’autre. Eléments d’une phénoménologie responsive. In Escoubas E. & Waldenfels B. Phénoménologie française et phénoménologie allemande. Paris : L’Harmattan.

Résumé en Anglais


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