Fiche Documentaire n° 3598

Titre Les familles d'accueil (FA) québécoises et le phénomène du déplacement d'enfants : analyse des savoirs tacites et enjeu de reconnaissance professionnelle.

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Auteur(s) Guénette Martine  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Les familles d'accueil (FA) québécoises et le phénomène du déplacement d'enfants : analyse des savoirs tacites et enjeu de reconnaissance professionnelle.

L'importance du maintien des liens significatifs pour l'enfant a été prouvée au plan scientifique et la littérature est abondante à ce sujet (Berger 2004, Chapon-Crouzet 2005). Plusieurs initiatives gouvernementales ont d’ailleurs été déployées pour garantir la préservation de ces liens chez les enfants placés en FA. Toutefois, il demeure encore difficile de faire perdurer ces liens, spécifiquement pour cette catégorie d’enfants qui se retrouvent ballottés entre différents milieux d'accueil. Si ce constat est réel au Québec, il a aussi été dénoncé dans plusieurs autres pays tels que la France et la Norvège. Face à ce phénomène, des recherches ont été entreprises pour connaître les conséquences des multiples placements chez les enfants. Il en résulte que les déplacements ont non seulement un impact négatif sur l'avenir des enfants, mais affectent également la FA de façon importante. Selon certains auteurs, ces dernières vivraient un processus s'apparentant au deuil (Edelstein 2000, Hebert 2013). De plus, le fait de vivre un ou des déplacements d'enfants aurait un impact majeur sur la rétention de ces ressources (Newquist 2012, MacGregor, Rodger, Cummings et Leschied, 2006).

Certaines FA, œuvrant depuis plusieurs années, semblent toutefois avoir réussi à s'adapter à ces changements. Or, en ce moment, aucune recherche ne semble s’être intéressée aux connaissances que détiennent ces FA qui réussissent à vivre relativement bien les déplacements d'enfants. Ces familles possèdent certainement des savoirs spécifiques qu’elles mettent en œuvre lors de déplacements d’enfants et qui leur permettent de s’adapter aux situations que ces derniers occasionnent. Il apparait donc intéressant, voire essentiel, de documenter les savoirs tacites que ces familles ont développés pour comprendre et vivre sainement, de façon répétitive, les déplacements des enfants qu'elles accueillent.

Ce type de recherche nous apparait d’autant plus essentiel qu’actuellement, au Québec comme ailleurs, les FA peinent à faire valoir leur travail. En effet, durement critiquées par la société et non reconnues par les services d'aide à l'enfance (Bagirishya et Gilbert 2002, Beaumier 2011 et Unrau 2007), elles cherchent à développer une identité professionnelle tout en tentant de faire admettre leurs fonctions comme un travail légitime et important pour le bon fonctionnement de la société. Dans cette perspective, il est nécessaire que les FA puissent démontrer qu'elles ont développé, au cours des années, un important corpus de savoirs leur permettant d'effectuer efficacement un travail ardu amalgamant une clientèle aux prises avec des problématiques complexes et un besoin de grande disponibilité.

Cette communication vise à présenter un projet de recherche qui sera réalisé dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. S’inscrivant dans une approche qualitative et dans une visée descriptive et exploratoire, le projet de recherche proposé a pour objectif général de définir les savoirs tacites qu'ont développés certaines FA face aux déplacements d’enfants. À partir d’entrevues semi-dirigées réalisées auprès de familles ayant vécu de telles situations, il sera possible de dégager les savoirs sur lesquels elles s’appuient afin de bien s'adapter aux déplacements d'enfants. Après avoir problématisé la question des impacts du déplacement d’enfants sur les FA et la méconnaissance de leurs rôles et savoirs au sein de la société, la communication soulèvera les défis et enjeux qui se présentent aux FA dans leur volonté de faire reconnaitre leur travail, et ce, afin d'éviter l'exclusion du processus décisionnel des différents services d'aide à l'enfance. Il sera dès lors possible de comprendre que les savoirs qu’elles déploient dans le cadre de leurs fonctions s’apparentent bel et bien à un véritable travail professionnel.

Bibliographie

Bagirishya, H.et Gilbert, S. (2002). Les familles d'accueil Québécoises : travailleurs autonomes ou familles de substitution. Rapport soumis à la fédération des familles d'accueil du Québec. Département de sociologie de l'Université Laval.

Beaumier, I. (2011). Les représentations sociales des parents d'accueil concernant leur rôle auprès des enfants et leur famille (Doctoral dissertation, Université Laval).

Berger, M. (2004). L'échec de la protection de l'enfance. Dunod.
Chapon-Crouzet, N. (2005). Un nouveau regard sur le placement familial : relations affectives et mode de suppléance : Parentalité et famille d’accueil. Dialogue, 17-27.

Christiansen, Ø., Havik, T., & Anderssen, N. (2010). Arranging stability for children in long-term out-of-home care. Children and Youth Services Review, 32(7), 913-921.

Edelstein, S. B., Burge, D., & Waterman, J. (2000). Helping foster parents cope with separation, loss, and grief. Child welfare, 80(1), 5-25.

Hebert, C., Kulkin, H. S., & McLean, M. (2013). Grief and foster parents: How do foster parents feel when a foster child leaves their home?. Adoption & Fostering, 37(3), 253-267.

Herbert, H. (2005).Le savoir des familles d’accueil : Analyse du vécu des familles d’accueil de la région de Chaudière-Appalache. (Mémoire de maîtrise, Université Laval).

MacGregor, T. E., Rodger, S., Cummings, A. L., & Leschied, A. W. (2006). The needs of foster parents A qualitative Study of Motivation, Support, and retention. Qualitative social work, 5(3), 351-368.

Newquist, J. (2012). How foster parents experience and perceive the loss of foster children through the lens of contextual family stress theory (Doctoral dissertation, TEXAS WOMAN'S UNIVERSITY).

Unrau, Y. A. (2007). Research on placement moves: Seeking the perspective of foster children. Children and Youth Services Review, 29(1), 122-137.

Présentation des auteurs

Étudiante de Maîtrise en travail social à l'Université du Québec de Rouyn-Noranda.
Membre étudiante de l’Équipe de recherche et d’analyse des pratiques professionnelles (ERAPP)
Bachelière en criminologie depuis 2004 (Université d'Ottawa).
Intervenante au Centre d'Aide aux Victimes d'Actes Criminels depuis 2004.
Famille d'accueil pour le Centre jeunesse depuis 2011.

Communication complète

Au Québec(Qc), lesnombreux déplacements vécus par les enfants à l'intérieur des Centres jeunesse(CJ)sont une préoccupation depuis plusieurs années. Cette situation fut dénoncée dès 1994 (Beaudoin et Carrier, 1994). En 2006, pour tenter d'enrayer ce fléau, des modifications étaient apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse. Elles visaient à favoriser le maintien des liens significatifs s'étant créés entre l'enfant et son milieu de vie, et ce, en insérant des durées maximales de placement. Malgré cela, le Qc enregistrait, en 2011, une moyenne de 2,23 déplacements (Turcotte et al. 2011). À l'intérieur de cette moyenne, il est possible de constater que 28% des enfants avaient subi plus de trois déplacements (Esposito et al., 2014). L'instabilité résidentielle consistait essentiellement en un ballottement entre diverses familles d'accueil(FA). Ce constat n'est pas propre au Qc puisqu'en Norvège, Christiansen et al. (2010) dénoncent une moyenne similaire (2,5).Du côté français, Potin (2009) explique que près de 19% des enfants de sa recherche avaient visité plus de trois lieux d'accueil. Le déplacement d'enfants est donc un phénomène inquiétant tant au Qc que dans certains autres pays.

Les conséquences des multiples déplacements d'enfants sont connues. Ainsi, ce phénomène créerait un sentiment de perte significative, une empreinte de sentiments négatifs, un trouble de l'attachement et une difficulté d'adaptation sociale chez les enfants le vivant (Mathieu, 2012, Unrau et al., 2008,Esposito et al., 2014). L'impact de ces déplacements pour les FA a toutefois été peu documenté. Hebert 2013 et Edelstein 2001, parlent d'un sentiment de deuil alors que Newquist (2011) nomme un état de stress similaire au choc post-traumatique.

Quant aux causes énumérées pour expliquer les déplacements, il semble que quatre acteurs jouent un rôle important, soit le jeune, la FA, le réseau d'aide à l'enfance et les parents biologiques. Afin de comprendre comment chacun favorise le déplacement d'un enfant, nous vous référons à la figure dans l'article complet.

À la lueur de ces informations, il est possible de constater que les travaux sur la question ont principalement porté sur l'impact vécu par les enfants. Peu de recherches se sont penchées sur l’une des composantes essentielles du déplacement : les FA. Bien que les conséquences vécues par ces acteurs ont été soulevées, leurs savoirs sur ce phénomène reste encore méconnus. Trop souvent les FA restent dans l’ombre et leur rôle demeure flou et sous-estimé.

Au Qc, bien que le métier de FA ait fait de nombreux gains au niveau législatif (syndicalisation et reconnaissance gouvernementale normative), les FA demeurent un groupe exclu et marginalisé. En effet, la société ne considère pas leur travail comme un travail légitime. À ce propos, Bagirishya et Gilbert (2002) mentionnent que «l’image sociale des familles d’accueil souffrirait aussi de nombreux préjugés, (...) certains soupçonnent ces familles d’être profiteuses et de jouer leur rôle à des fins lucratives et sans aucun souci humanitaire» (p.17). De plus, Herber (2005) nomme que « lorsqu'il est question d'elles dans les médias, c'est habituellement pour dénoncer une situation d'abus sur des enfants » Les FA vivent aussi ces préjugés à l’intérieur de leur famille où elles sont confrontées aux commentaires tels que : « Quand je suis invité à une fête, je laisse mon truck dehors» (Bagirishya et Gilbert, 2002), lorsqu'elles amènent les enfants qu'elles accueillent dans des fêtes familiales.

Même à l'intérieur des CJ, les FA bénéficient de peu de soutien. Ainsi, le groupe de travail sur la politique de placement en FA (2000) explique que les FA se sentent jugées et non supportées par les intervenants. De plus, Beaumier (2011) rapporte que les FA ressentent «un manque en ce qui a trait au support émotionnel, à la confiance et à la bonne communication entre les parents d’accueil et les intervenants. Les parents d'accueil ne se sentent pas considérés de la part de l’équipe de soins» (p.10). Ce sentiment est questionnant puisque les FA sont un acteur majeur des CJ.

En plus d'avoir peu de soutien, les FA déplorent être démunies de tout pouvoir quant au processus décisionnel. Ainsi, les FA ne sont pas consultées quand l'établissement doit prendre des décisions pour l'avenir des enfants accueillis (McGregor et al.,2006, Newquist 2012, Herbert 2005) et elles se sentent aussi mises à l'écart par le système d'aide à l'enfance (Cavazzi et al., 2009).

De même, les FA se sentent discréditées par le CJ quant au travail qu'elles font, aux connaissances qu'elles ont acquises et aux émotions qu'elles vivent. Ainsi,le Groupe de travail sur la politique de placement en FA (2000) nomme que les FA ne sentent pas que leurs connaissances des jeunes sont reconnues et prises en compte quand une décision sur l'avenir de l'un d'eux doit être prise. Quant aux sentiments vécus par la FA lors du déplacement d'un jeune, Hebert (2013) explique que «they felt that the care system did not recognise or validate their feelings surrounding the loss of their children» (p.261).

Il va de soi que tout le contexte entourant le travail des FA tend à rendre difficile leur professionnalisation. En effet, le CJ entretient une relation instrumentale envers les FA, ressource n'ayant pas de statut reconnu et peu de pouvoir, et ce, en lien avec leur capital qui reste symbolique. L'approche de gestion et de reconnaissance des FA demeure très fonctionnaliste et normative. Ainsi le cadre de référence de 2014, édité par le Ministère de la Santé et des services sociaux québécois pour encadrer le travail des Ressources de Type Familial (RTF) et les ressource intermédiaire (RI) dicte: «Les services de soutien ou d’assistance, (...) ne constituent pas des services professionnels en matière de santé ou de services sociaux» (p.58). Les FA se retrouvent donc avec plusieurs enjeux de professionnalisation. Selon la définition de Dubar, l'identité professionnelle est la «conjonction complexe de quatre processus» (Couturier et Legault, 2002, p.219), soit l'identité pour soi, la transaction subjective, l'identité pour autrui et la transaction objective.

Au niveau de la transaction objective, depuis l'avènement de la loi 147, loi donnant le droit aux RTF et RI de se regrouper pour négocier avec le gouvernement, on sent que l'identité professionnelle des FA tend à se développer. Ainsi, les conditions de travail de cette organisation sont de plus en plus définies. Toutefois, les aires de pouvoir et le statut des FA restent encore à négocier et à définir. Ici, il semble donc primordial de rappeler les propos de Lenoir et Vanhulle (2006) qui soulignent que la professionnalisation ne peut être légitimée sur le simple discours normatif.

Au niveau de l'identité pour soi et pour autrui, un obstacle est celui de la multiplicité des syndicats auxquels les FA peuvent adhérer. Ainsi, en les divisant, il s'avère difficile, pour elles, de créer une cohésion et d'établir des valeurs qui leur sont propres. Comme le syndicat a pour fonction de promouvoir le travail des FA, d'assurer la mise à jour de leurs compétences et de revendiquer pour améliorer leurs conditions de travail, il est intéressant de faire la comparaison entre leurs tâches et celles d'un Ordre professionnel. Or, aucune profession ne peut adhérer à plus d'un Ordre. En divisant les FA à travers deux ou trois syndicats, il sera difficile de favoriser l'appartenance identitaire des FA.

De plus, l'éclatement syndical rend difficile la légitimité et reconnaissance sociale de ce groupe. Toutefois, selon Couturier et Legault (2002), l'identité professionnelle passe par «reconnaissance sociale de la pertinence même de la profession» (p.219). Or, même le partenaire principal de la FA ne semble pas reconnaître l'importance de cette ressource. De plus, la mauvaise estime de la société face aux FA n'aide pas à promouvoir la pertinence de cette profession. Or, sans FA, il n'y a pas de placement possible. Les FA devront donc travailler ardemment pour faire reconnaître leur valeur au sein du CJ et de la société. Cette reconnaissance sociale sera essentielle afin que les FA aient envie de s'identifier au travail qu'elles effectuent, à leurs pairs et se sentent valorisées par leur métier.

Quant à la transaction subjective, présentement, il existe peu d'endroits permettant aux FA de se regrouper et d'échanger sur leur réalité et vision du travail. Il y a certaines occasions telles que l'assemblée générale annuelle des syndicats et les formations, mais ces occasions ne sont pas régulières et ne transcendent pas la syndicalisation éclatée.

Enfin, il est important de rappeler que Lenoir et VanHulle (2006) mentionnent l'importance des savoirs et pratiques qui doivent être maîtrisés par un individu pour s'identifier au groupe. Or, présentement, très peu de recherches explicitent ces savoirs propres aux FA. Ce constat est certainement un obstacle important au développement de l'identité professionnelle des FA puisqu'elles ne connaissent pas leur singularité. Autre obstacle non négligeable au développement de cette identité est la difficulté de recension de la production des FA puisqu'il s'agit d'un métier relationnel.

Il est donc possible de constater qu'il y a plusieurs obstacles que les FA devront surmonter avant de pouvoir affirmer qu'elles ont développé une forte identité professionnelle. Une recherche descriptive exploratoire sur les savoirs tacites des FA quant aux déplacements d'enfants semble être appropriée pour aider ce groupe dans son processus de professionnalisation. Bien qu'il soit important de connaître les conséquences du déplacement, il s'avère essentiel d'aller vérifier les savoirs tacites que les FA ont colligés pour s'y adapter. Ces données permettront aux FA d'être mieux outillées face aux déplacements ; d'avoir une meilleure compréhension de leur rôle et enfin, d'avoir un impact sur le nombre de déplacements. Ces connaissances pourront aussi permettre de donner plus de crédibilité aux FA.

Résumé en Anglais


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