Fiche Documentaire n° 3600

Titre Immigration, deuils et morts : témoignages d'endeuillés du Québec et défis pour l'intervention

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Auteur(s) RACHEDI Lilyane
MONTGOMERY Catherine
MONGEAU Suzanne
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Immigration, deuils et morts : témoignages d'endeuillés du Québec et défis pour l'intervention

Les immigrants admis au Québec sont très diversifiés par leur statut d’immigration, (immigrant économique, regroupement familial, et réfugié) et par leur pays de provenance. Ainsi, l’Afrique est le premier continent de naissance (34,9 %) des immigrants arrivés au cours des cinq dernières années. Arrivent ensuite, les immigrants natifs de l’Asie (26,0 %), et ceux de l’Amérique (21,8 %). Enfin, 17,2 % sont nés en Europe. De plus cette immigration est caractérisée par sa jeunesse et son potentiel à fonder une famille : « 69,8 % d’entre eux (des immigrants admis dans la période 2009-2013) ont moins de 35 ans à leur arrivée ». (MICC, 2014). L’immigration a ainsi a modifié le portrait culturel de la société québécoise. Ces données sociodémographiques nous invitent alors à faire au moins trois constats : les immigrants d’aujourd’hui seront les personnes âgées de demain, la diversité des pays de provenance des immigrants amènent aussi des religions différentes au Québec et, enfin, compte tenu des mobilités contemporaines et des diasporas familiales ces immigrants ne sont pas épargnés par l’éventuel perte d’un proche installé à l’étranger (au pays d’origine mais aussi ailleurs). Pourtant, au Québec, la revue de la littérature montre qu’il existe encore trop peu d’études directes sur la mort et le deuil en contexte migratoire, (Rachédi, et al. 2010, Lestage&Raulin, 2012). En revanche, des événements scientifiques pionniers ont mis en évidence certains enjeux autour de la mort et de la fin de vie des communautés ethniques installées au Québec (Colloque de Chicoutimi, (2010).La présente communication s’inscrit dans le cadre d’une recherche qualitative subventionnée par le Conseil canadien de la recherche en sciences humaines (Rachédi,L. et al.CRSH 2013-2016) et dont la thématique porte sur le deuil en contexte migratoire. L’objectif général de ce projet est de mieux comprendre l’expérience du deuil des immigrants installés à Montréal (ville qui accueille le plus grand nombre d’immigrants au Québec et dont la diversité religieuse est éloquente) et sa grande région. Ainsi trois objectifs spécifiques sont posés :
1. Décrire l’expérience du processus de deuil chez des immigrants ayant vécu la mort d’un proche à l’étranger et/ou en terre d’immigration;
2. Comprendre la place des réseaux (liens ici) notamment des réseaux transnationaux (liens au pays d’origine et ailleurs dans le monde) dans ce processus;
3. Identifier le sens et la transformation des pratiques rituelles entourant le deuil des immigrants.
Pour ce faire des entrevues individuelles avec des informateurs clés, représentants de trois religions importantes à Montréal (chrétienne, musulmane et hindouiste) ont été réalisées. Des rencontres individuelles avec des personnes immigrantes (hommes et femmes) ont également été effectuées et constitueront le coeur de notre communication.
Dans un premier temps nous présenterons et analyserons les spécificités de la mort et du deuil pour les immigrants. Nous expliciterons les défis du « mourir chez l’autre" et du "mourir à distance". Nous nous arrêterons sur la nécessaire transformation des pratiques rituelles funéraires pour les immigrants enterrés dans la société d’accueil, société québécoise, dite laïque. Dans un deuxième temps, toujours catalysé par ce même événement de la mort et du deuil, nous mettrons en évidence des pratiques d’entraide et de soutien, propres aux familles immigrantes. En effet, des solidarités multiformes se manifestent via les réseaux transnationaux. Au cœur de ces réseaux l’utilisation des Technologies de l’information et des communications (Tics) deviennent incontournables. . Dans un troisième temps nous dressons des pistes de réflexions pour l’intervention avec les familles immigrantes endeuillées. Nous conclurons sur des enjeux éthiques et de droits qui découlent de cet « impensé » politique : immigration et mort.
L’illustration de plusieurs cas traversera l’ensemble de la présentation.

Bibliographie

BACQUÉ, Marie-Frédérique, « Vers une mondialisation des rites funéraires », dans Études sur la mort, no 121, L'avenir de la mort, L’Esprit du temps, 2002.
CHERBLANC, J. (2011) Rites et symboles contemporain, Québec, Presses de l’Université du Québec
DÉCHAUX, J-H. (2007). Réalité et limites de l’entraide familiale, in Serge Paugam (dir.), Repenser la solidarité : l’apport des sciences sociales, Paris, PUF, pp. 205-217.
DIMINESCU, D. 2006. « Genèse d’une figure de migrant », Cosmopolitiques, no 70, p. 63-72.
LEGAULT, G. et L. RACHÉDI. 2008. L’intervention interculturelle, 2e édition, Montréal, Gaëtan Morin Éditeur.
LESTAGE, F. et A. RAULIN (dir.). 2012. « La mort en migration», Revue européenne de Migration, vol. 28, no 3.
Ministère de l’immigration et des communautés culturelles (MICC) « L’immigration permanente au Québec selon les catégories d’immigration et quelques composantes » Bulletin-Portait statistiques 2009-2013. Mai 2014 Site Internet consulté en juillet 2014
MONTGOMERY, C., S. Xenocostas, L. Rachédi, et S. Najac. 2011. «Migration et continuités dans les histoires de familles immigrantes.», dans Familles d’origine immigrante : polysémie des pratiques sociales. Enjeux sociaux, de santé et d’éducation, sous la dir. de F. Kanouté et G. Lafortune, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 29-44.
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PETIT, A. 2005. « Des funérailles de l’entre-deux. Rituels funéraires des migrants Manjak en France », Archives de sciences sociales des religions, no 131-132, p. 87-99.
POURETTE, D. 2002. « Pourquoi les migrants guadeloupéens veulent-ils être inhumés dans leur île ? », Hommes et migration, no 1237, p. 54-61.
RACHEDI, L., S. MONGEAU; J. LE GALL, J., C. MONTGOMERY, M. BOISVERT et M. VATZ-LAAROUSSI, M. (CRSH 2013-2016). Deuils des immigrants : pratiques rituelles funéraires et réseaux transnationaux.
RACHÉDI, L., MONTGOMERY, C; MONGEAU, S. (UQAM-IM, 2009-2010). La mort, le deuil dans une perspective interculturelle : comprendre pour mieux intervenir. Programme d’appui aux nouveaux professeurs-chercheurs. RACHÉDI, L., MONTGOMERY, C; MONGEAU, S. (UQAM-IM, 2009-2010). Les visions de la mort dans différentes communautés issues de l’immigration à Montréal : quelques principes pour outiller les travailleurs sociaux. Subvention de démarrage.
RACHÉDI, L., LEDUC, V. et MONTGOMERY, C. et MONGEAU, S. (2010a). Accompagner les familles immigrantes. Mieux comprendre pour mieux intervenir, Bulletin synthèse, no. 1, mai. En ligne. . RACHÉDI
RACHÉDI, L., J. LE GALL et V. LEDUC. 2010. « Réseaux transnationaux, familles immigrantes et deuils », Lien social et politiques, no 64, p. 175-187
SAMAOLI, O. 1999. « Mourir dans la différence », Gérontologie et Société, n° 91, p. 153-155.
SARENAC, J.2013. Le vécu et les besoins des communautés culturelles lors d’un décès au Québec. Essai de Maîtrise, département de travail social, Université de Sherbrooke.
THERRIEN, S. 2005. « La diversité religieuse et les institutions publiques : quelques orientations », dans La religion dans la sphère publique, sous la dir. de S. Lefebvre, Montréal, PUM, p. 70-90.
THOMAS, L.-V. 1985. Rites de mort. Pour la paix des vivants, Paris, Fayard.
UNGUREANU, A. 2013. « Organisation et gestion des services de soins spirituels en contexte de diversité dans les hôpitaux montréalais ». Entre-vues, Vol. 4(3), 1-4. http://www.sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/2013/10/entre_vues_vol4_no3_mars2013_en_ligne.pdf
VATZ_LAAROUSSI, M. et C. BOLZMAN (dir.). 2010. « Les réseaux familiaux transnationaux : nouvelles familles, nouveaux espaces de citoyenneté ? », Lien social et politiques, no 64.


Colloques et séminaire.
Migration et ethnicité dans les interventions en santé et en services sociaux (METISS), 2014. Qu’est-ce qu’un accompagnement de fin de vie réussi ? Séminaire. Montréal, 5 novembre .
Congrès de l’Association canadienne française pour l’avancée des sciences (ACFAS), 2014. La figure méconnue de celles et ceux qui accompagnent la fin de la vie : les proches aidants et les intervenants professionnels. 13 mai.
Laboratoire d’Expertise et de Recherche en Anthropologie, Rituels et Symbolique (LERARS) 2013. La mort en son temps regards croisés sur la temporalité des pratiques du mourir, de la mort et du deuil Montréal. 9-10 Mai.
Chaire d’enseignement et de recherches interethniques et interculturels (CERII) (dir.). 2010. La mort musulmane en contexte d’immigration et d’islam minoritaire : pratiques, normes, revendications, "accommodements" au Québec et ailleurs en Occident. Chicoutimi, 26-27 avril.

Présentation des auteurs

Lilyane Rachédi est professeure à l'école de travail social de l'UQAM. et enseigne l'intervention en contexte interculturel.Membre de plusieurs centres et équipes de recherches canadiens et internationaux sur l’immigration, elle a participé à l’avancée des connaissances concernant les histoires familiales des immigrants et les processus identitaires et d’adaptation des immigrants.Elle a aussi une très bonne connaissance des réalités des services et des professionnels qui travaillent auprès des immigrants.
Suzanne Mongeau, professeure à l’École de travail social(UQAM), a plusieurs années d’expériences en intervention familiale ainsi qu’en santé. Toutes les recherches qu’elle a dirigé portent sur la maladie grave, terminale et le deuil.
Catherine Montgomery, sociologue et professeure au département de communication(UQAM), a assumé la direction scientifique de l’Équipe FQRSC-METISS (Migrations, Ethnicité et Int erventions dans les services sociaux et de santé). Depuis plusieurs années, elle mène une programmation de recherche portant sur l’immigration et l’intervention sociale.

Communication complète

Lilyane Rachédi (École de travail social, UQAM);Suzanne Mongeau (École de travail social, UQAM); Catherine Montgomery (Dépattement des communications sociales et publiques, UQAM) avec la collaboration de Béatrice Halsouet (Doctorante département des sciences religieuses, UQAM)

Les immigrants admis au Québec sont très diversifiés par leur statut d’immigration, (immigrant économique, regroupement familial, et réfugié) et par leur pays de provenance. Ainsi, l’Afrique est le premier continent de naissance (34,9 %) des immigrants arrivés au cours des cinq dernières années. Arrivent ensuite les immigrants natifs de l’Asie (26,0 %) et ceux de l’Amérique (21,8 %). Enfin, 17,2 % sont nés en Europe. De plus, cette immigration est caractérisée par sa jeunesse et son potentiel à fonder une famille : « 69,8 % d’entre eux (des immigrants admis dans la période 2009-2013) ont moins de 35 ans à leur arrivée (…). 20,2 % des immigrants ont de 35 à 44 ans et seulement 9,9 % sont âgés de 45 ans et plus ». (MICC, 2014). L’immigration a ainsi modifié le portrait culturel de la société québécoise. Ces données sociodémographiques nous invitent alors à faire au moins trois constats : les immigrants d’aujourd’hui seront les personnes âgées de demain, la diversité des pays de provenance des immigrants amènent aussi des religions différentes au Québec et, enfin, compte tenu des mobilités contemporaines et des diasporas familiales, ces immigrants ne sont pas épargnés par l’éventuelle perte d’un proche installé à l’étranger (au pays d’origine mais aussi ailleurs). Pourtant, au Québec, la revue de la littérature montre qu’il existe encore trop peu d’études directes sur la mort et le deuil en contexte migratoire (Rachédi, et al., 2010; Lestage&Raulin, 2012). En revanche, des événements scientifiques pionniers ont mis en évidence certains enjeux autour de la mort et de la fin de vie des communautés ethniques installées au Québec (Colloque de Chicoutimi, 2010; ACFAS, Montréal, 2014 et séminaire METISS, Montréal, 2014).
La présente communication s’inscrit dans le cadre d’une recherche subventionnée par le Conseil canadien de la recherche en sciences humaines (Rachédi, L., Montgomery,C., Mongeau, S., LeGall, J., Boisvert, M., Vatz-Laaroussi, M. CRSH 2013-2016) et dont la thématique porte sur le deuil en contexte migratoire. L’objectif général de ce projet est de mieux comprendre l’expérience du deuil des immigrants installés à Montréal (ville qui accueille le plus grand nombre d’immigrants au Québec et dont la diversité religieuse est éloquente) et sa grande région. Ainsi, trois objectifs spécifiques sont posés :
1. Décrire l’expérience du processus de deuil chez des immigrants ayant vécu la mort d’un proche à l’étranger et/ou en terre d’immigration;
2. Comprendre la place des réseaux (liens ici), notamment des réseaux transnationaux (liens au pays d’origine et ailleurs dans le monde), dans ce processus;
3. Identifier le sens et la transformation des pratiques rituelles entourant le deuil des immigrants.
Pour ce faire, des entrevues individuelles avec des informateurs clés de trois religions importantes à Montréal (chrétienne, musulmane et hindoue) et des professionnels des Maisons funéraires ont été réalisées. Ont également été menées des rencontres individuelles avec des personnes immigrantes endeuillées (hommes et femmes) provenant de l’Amérique latine, du Maghreb, de l’Afrique noire et des grands lacs, et enfin de l’Asie du sud.
Que nous ont-ils dit ?
Nous rendrons compte essentiellement de l’analyse des résultats préliminaires des entrevues avec les personnes endeuillées. Dans un premier temps, nous présenterons et analyserons les spécificités de la mort et du deuil pour les immigrants. Nous expliciterons ici la notion de distances culturelle et cultuelle qui se cristallisent davantage lors de la perte d’un proche ici au Québec (« mourir chez l’autre ») mais aussi ailleurs (« mourir à distance »). Nous nous arrêterons sur la nécessaire transformation des pratiques rituelles funéraires pour les immigrants enterrés dans la société d’accueil, société québécoise, dite laïque. Dans un deuxième temps, nous mettrons en évidence des pratiques d’entraide et de soutien, propres aux familles immigrantes. En effet, des solidarités multiformes se manifestent via les réseaux transnationaux. Au cœur de ces réseaux, l’utilisation des Technologies de l’information et des communications (Tics) devient incontournable pour transmettre la nouvelle à l’ensemble du réseau concerné, mais aussi pour soutenir les endeuillés et les proches. Dans un troisième temps, nous dresserons des pistes de réflexions pour l’intervention avec les familles immigrantes endeuillées. Nous conclurons sur des enjeux éthiques et de droits qui découlent de cet « impensé » politique que sont l’immigration et la mort.
Que nous ont-ils dit ?
I Spécificités de la mort et du deuil pour les immigrants : des distances plurielles et des transformations nécessaires
Quand la mort se produit ici, les personnes rencontrées témoignent d’écarts par rapport au vécu du deuil qui se déclinent à plusieurs niveaux : le premier niveau est d’ordre géographique et relationnel. On exprime ici la difficulté d’être loin de son réseau familial (distance géographique et relationnelle) pour partager et se soutenir dans l’épreuve de la perte de l’être cher. Un deuxième niveau est d’ordre symbolique: il démontre les différences entre les pratiques culturelles et cultuelles des immigrants et celles de la société d’accueil autour de l’événement de la mort et du deuil. Beatriz, une endeuillée chrétienne, en parle ainsi : «Je me suis rendu compte que personne en Colombie vit comme on vit ici. Ici, sont plus importantes les affaires économiques que les sentiments des personnes ; ici, on perd son travail et le décès d’un être cher n’est pas une raison valide pour s’absenter ». Balaji, un hindou, remarque le même état de fait : «Here is different because sometimes some people have time, sometimes no. But back home, back home is different. Back home, somebody know that the person is passed away, they’re coming everyday, and everyday they participate, they come...».
Enfin, le troisième niveau se situe davantage d’un point de vue juridique et législatif. Les témoignages révèlent alors la méconnaissance, voire l’ignorance des immigrants quant aux procédures immédiates qui suivent un décès au Québec : contraintes sanitaires entourant la dépouille, démarches administratives et obligations légales. Ici, les professionnels des Maisons funéraires et des coopératives funéraires deviennent des médiateurs pour traduire le système québécois, mais aussi considérer les demandes des minorités pour tenter de transformer l’offre de services aux familles immigrantes. N’oublions pas que ces procédures ont été générées par et pour la société majoritaire, originalement catholique mais qui se dit aujourd’hui laïque. Mélanie, informatrice clé, expose bien cette posture d’interface occupée par la Coopérative funéraire : « Quand on a des demandes particulières de communautés immigrantes qui arrivent avec des rituels qu’on ne connaît pas, si c’est possible de le faire, on va le faire. Si ça ne l’est pas, bien on va chercher, parce qu’on est régi par la loi, ce n’est pas une question, on veut, on ne veut pas par croyance personnelle. C’est vraiment par la loi ».
Finalement, ce sont probablement ces distances multiples qui différencient le deuil des immigrants à celui des natifs québécois.
De plus, à l’instar de Droz et Froidevaux, (2002), nous constatons que les pratiques rituelles funéraires sont fondamentales pour les endeuillés : « ces pratiques obéissent à un rituel qui définit souvent le destin post-mortem du décédé. (…) L’absence de ces rituels met donc en péril les vivants et les morts, ainsi que les relations qu’ils entretiennent parfois » (p.5).
Compte tenu de la portée de ces rituels, les endeuillés vont adapter leurs pratiques pour obéir au contexte de lois de la société majoritaire. On assiste alors à des transformations qui vont de l’aménagement, au renoncement, voire à l’invention d’autres pratiques parfois contre indiquées par la religion de référence.
Du côté des arrangements possibles, les hindous par exemple trouvent d'autres solutions pour leurs cendres qui initialement doivent être jetées dans le Gange, fleuve sacré en Inde : « si on pense qu’une rivière c’est Ganga par exemple, on peut penser au décès et on peut faire toutes les activités comme il faut dans une rivière ici, à Saint-Jérôme. Ce n’est pas grave pour moi. […] Toutes rivières, c’est Ganga.» dit Narayan (informateur clé, hindou). De même, Shamser, un réfugié bhoutanais endeuillé, a remercié le prêtre de sa tradition qui l'a accompagné dans ses rituels par de l'argent et non pas par une vache, comme le veut pourtant la tradition dans son lieu d'origine. Du côté des musulmans, les adaptations vont dans le sens de la conformité à la législation en vigueur ici. Ainsi, Abebi, un informateur musulman, a expliqué que le corps d'un défunt musulman décédé ici est mis dans un cercueil (contrairement à être enroulé dans un linceul) et enterré à une profondeur d’environ 2,5 m (et non à 1m au pays d’origine) pour respecter les normes sanitaires québécoises. De même, un cimetière exclusivement musulman est fortement recommandé pour enterrer le corps. Pour cela, il existe actuellement un "carré musulman", à Laval. Mais les demandes de terrain confessionnel ne sont pas toujours bien reçues par la société d’accueil comme le signifie Omar un Imam installé en région : « (Le problème) c’est le voisinage du cimetière. Et, tout dépend des conditions de la ville où qu’il soit (carré musulman), et même des gens, ceux qui veulent vendre leurs terres. Ils ont demandé au cimetière de leur laisser un endroit juste pour enterrer les musulmans et ils ont refusé. Le problème est en train d’être étudié …C’est le travail de l’administration....Il faut aussi ramasser de l’argent aussi pour acheter. C’est la première préoccupation après le renouvèlement de la mosquée là.». Malika, informatrice clé, ajoute qu’il existe maintenant des carrés musulmans intégrés dans les cimetières catholiques. En effet, l’Association de la sépulture Musulmane a fait la publicité d’une entente avec la Maison funéraire Magnus Poirier pour l’acquisition d’un carré à l’intérieur d’un cimetière multiconfessionnel. Malika insiste et projette sa mort ici; elle déclare : Moi, je suis éducatrice qualifiée, je travaille à la petite enfance. J’ai une garderie. J’ai un assistant, en même temps. Et j’ai immigré ici à Québec depuis 12 ans, et j’ai trouvé une société extraordinaire, un beau pays que j’adore. Je veux y vivre, je veux élever mes enfants et mes petits-enfants, et y mourir aussi. Et être enterrée ici! »
Enfin, certaines personnes décident de changer radicalement certaines pratiques de leur religion de référence pour leur permettre de mieux vivre leur deuil. En ce sens, Amina, d’Ex-Yougoslavie, nous confie :
« Après le décès, le plus important était le fait que je pouvais garder l’urne chez moi. Ce n’était pas un rituel religieux, mais c’était une opportunité positive pour moi, pour nous, que je ne pourrais pas avoir dans mon pays. Je ne serai jamais totalement séparée d'elle. J’étais tellement contente, tellement heureuse…Même aujourd’hui, ma fille est à la maison, elle est avec nous… toujours. Ça m’a sauvé la vie. Merci au Québec pour cette possibilité. J’ai été critiquée beaucoup par les gens de ma communauté, surtout par les musulmans de l’Ex-Yougoslavie. Ils me disaient: "ca ne se fait pas", "ce n’est pas notre rituel", "ce n’est pas normal", etc. Pour moi, ça, c’était "le soleil" dans toute cette obscurité ».


Dans les aménagements opérés, on remarque que certains suscitent des efforts du côté des immigrants et d’autres, du côté de la société d’accueil pour entendre et prendre en compte les demandes spécifiques.


2. Entraide, réseaux transnationaux et technologies de l’information et des communications (Tics) au cœur de l’événement de la mort et du deuil
D’abord, il ressort que lorsque la mort se produit à distance, les réseaux de soutien locaux et transnationaux entourant l’endeuillé ici se mobilisent pour diffuser la nouvelle (via des courriels, des téléphones et facebook) et l’accompagner (psychologiquement, matériellement, et financièrement) dans sa peine. Faisal, sénégalais, exprime très bien cette présence bienveillante et apaisante :
« D’abord, de façon locale, ici, au niveau de Montréal. On a reçu des gens qui étaient présents, des gens qui sont venus nous présenter leurs condoléances, ils nous ont donné quand même un soutien financier. Ça, il faut le mentionner, c’est très important. C’est la tradition et je pense que toute famille endeuillée a besoin de soutien pour préparer les obsèques. Donc, ça, c’est la tradition au niveau de la communauté musulmane donc à laquelle j’appartiens. Donc, ils nous ont donné du soutien financier le même jour. On a reçu des enveloppes de soutien financier de part et d’ailleurs. Donc, des transferts, des gens qui nous ont aussi aidés. Donc, pour pouvoir organiser le deuil.»
Ensuite, face à l’impossibilité d’assister aux funérailles pour diverses raisons (financières, obligations professionnelles et familiales, problèmes de visa pour les personnes en attente du statut de réfugiés, etc.), les endeuillés vont utiliser les Tics, le plus souvent Skype pour vivre la cérémonie à distance. Ces funérailles on line aident les immigrants dans leur processus de deuil :
“Yo los vi todo el tiempo por internet, por skype, siempre estuve pendiente de todo, en su entierro, sus rezos, una misa, yo los escuchaba, había tanta gente que yo no podía intervenir, solamente veía lo que pasaba, me comunicaba con mis hermanos ellos me llamaban o yo los llamaba, también fue muy duro para ellos”.Jacinta, Colombie.
Parfois s’organisent aussi des doubles funérailles simultanées ou non avec le pays du défunt comme le décrit l'informateur clé Paskal, au sujet d’une personne décédée en Pologne :
« We have just done this funeral mass without his ashes and his coffin. But the same day, when was in Poland the funeral, we just have extra prayer or extra mass, then people just coming with quite great number, they say well, that’s his day, you need to have just at least the same day the mass with our relatives or with our friends who are just mourning in Poland. That’s making us really comfortable ».
Cette multimédiatisation des rituels caractérisent les endeuillés interviewés qui sont tous des immigrants « connectés » (Diminescu, 2006).

3. Réflexions pour mieux accompagner les familles immigrantes endeuillées
L’analyse des résultats a mis en relief les aspects suivants à intégrer dans les stratégies d’accompagnement des familles immigrantes endeuillées :
Complexification du deuil lorsque les proches vivent à l’étranger;
Nécessité que les intervenants et professionnels soient conscientisés à la complexité d’un tel phénomène;
Importance de mobiliser les réseaux locaux et transnationaux lors de cet événement;
Besoin d’un accompagnement tenant compte du statut différent octroyé par les immigrants à leurs morts;
Adaptation et bricolage des pratiques rituelles entourant la mort et le deuil;
Barrières administratives rencontrées pour assister aux funérailles dans le pays du défunt;
Place fondamentale des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans un tel contexte.
Tout ceci a été incarné dans une mise en situation sous forme de vidéo de 13 minutes, intitulée « Chez nous, les morts ne sont pas morts », et qui est utilisé comme outil de formation auprès des travailleurs sociaux.
Conclusion : nous mettrons en évidence de quelques enjeux éthiques, professionnels et de droits qui découlent de cet « impensé » politique que sont l’immigration et la mort.


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Bibliographie :

CHERBLANC, J. (2011) Rites et symboles contemporain, Québec, Presses de l’Université du Québec
DÉCHAUX, J-H. (2007). Réalité et limites de l’entraide familiale, in Serge Paugam (dir.), Repenser la solidarité : l’apport des sciences sociales, Paris, PUF, pp. 205-217.
DIMINESCU, D. 2006. « Genèse d’une figure de migrant », Cosmopolitiques, no 70, p. 63-72.
LESTAGE, F. et A. RAULIN (dir.). 2012. « La mort en migration», Revue européenne de Migration, vol. 28, no 3.
Ministère de l’immigration et des communautés culturelles (MICC) « L’immigration permanente au Québec selon les catégories d’immigration et quelques composantes » Bulletin-Portait statistiques 2009-2013. Mai 2014 Site Internet consulté en juillet 2014
PETIT, A. 2005. « Des funérailles de l’entre-deux. Rituels funéraires des migrants Manjak en France », Archives de sciences sociales des religions, no 131-132, p. 87-99.
POURETTE, D. 2002. « Pourquoi les migrants guadeloupéens veulent-ils être inhumés dans leur île ? », Hommes et migration, no 1237, p. 54-61.
RACHEDI, L., S. MONGEAU; J. LE GALL, J., C. MONTGOMERY, M. BOISVERT et M. VATZ-LAAROUSSI, M. (CRSH 2013-2016). Deuils des immigrants : pratiques rituelles funéraires et réseaux transnationaux.
LEGAULT, G. et L. RACHÉDI. 2008. L’intervention interculturelle, 2e édition, Montréal, Gaëtan Morin Éditeur.
RACHÉDI, L., J. LE GALL et V. LEDUC. 2010. « Réseaux transnationaux, familles immigrantes et deuils », Lien social et politiques, no 64, p. 175-187
SAMAOLI, O. 1999. « Mourir dans la différence », Gérontologie et Société, n° 91, p. 153-155.
SARENAC, J.2013. Le vécu et les besoins des communautés culturelles lors d’un décès au Québec. Essai de Maîtrise, département de travail social, Université de Sherbrooke.



Colloques et séminaire
Migration et ethnicité dans les interventions en santé et en services sociaux (METISS), 2014. Qu’est-ce qu’un accompagnement de fin de vie réussi ? Séminaire. Montréal, 5 novembre .
Congrès de l’Association canadienne française pour l’avancée des sciences (ACFAS) La figure méconnue de celles et ceux qui accompagnent la fin de la vie : les proches aidants et les intervenants professionnels (2014
Laboratoire d’Expertise et de Recherche en Anthropologie, Rituels et Symbolique (LERARS) 2013. La mort en son temps regards croisés sur la temporalité des pratiques du mourir, de la mort et du deuil Montréal. 9-10 Mai.
Chaire d’enseignement et de recherches interethniques et interculturels (CERII) (dir.). 2010. La mort musulmane en contexte d’immigration et d’islam minoritaire : pratiques, normes, revendications, "accommodements" au Québec et ailleurs en Occident. Chicoutimi, 26-27 avril.

Résumé en Anglais


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