Fiche Documentaire n° 3636

Titre Immigration, handicaps et services : discours des parents et stratégies des intervenants.

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Auteur(s) RACHEDI Lilyane
DESMARAIS Chantal
ST-GERMAIN Daphney
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Immigration, handicaps et services : discours des parents et stratégies des intervenants.

Au Canada, les immigrants constituent un pourcentage important (19%) de la population (CIC, 2012). L’immigration accueillie au Québec constitue, quant à elle, 12,6 % de la population totale. Cette immigration se caractérise par l’hétérogénéité des pays de provenance, par sa jeunesse, et par l’arrivée de familles (MICC, 2014). Sachant qu'entre 20 et 35 % des enfants sont vulnérables et peuvent présenter un trouble du développement (TD) (atteinte motrice, langagière, sensorielle, cognitive ou comportementale), les familles immigrantes ne seront pas épargnées. On sait aussi que le contexte d’immigration complexifie le vécu des familles ayant un enfant en situation de handicap. Cette communication s’inscrit dans une recherche en cours et subventionnée par le Conseil canadien de la recherche en sciences humaines (Desmarais, C.et al. CRSH 2013-2016) : « Expérimentation d’une approche communicationnelle adaptée au contexte de l’immigration (ACCI) afin d’optimiser le développement des enfants ». Ce projet a pour finalité de développer une approche communicationnelle adaptée au contexte des familles immigrantes qui pourrait favoriser l'empowerment et contribuer au développement du jeune enfant. Deux des questions abordées dans ce projet sont le discours des parents et les stratégies des intervenants pour que la communication en contexte interculturel soit le plus harmonieuse possible. En ce sens, l’objectif de cette conférence est de documenter les obstacles et les facilitateurs à la communication du point-de-vue de parents immigrants qui ont un enfant avec un trouble de développement et du point-de-vue d’intervenants en réadaptation et en milieu communautaire qui œuvrent auprès d’eux.

La méthodologie utilisée est qualitative. Les résultats d’une étude de la portée sont mises en relation avec une analyse qualitative d’entrevues semi-dirigées effectuées auprès de 31 parents immigrants et de 58 intervenants qui travaillent avec ces familles. Ils proviennent de 3 régions (Gatineau, Montréal, Québec). Les deux stratégies de collecte d'informations, le scoping review (étude de portée) et les entrevues, ont mis en évidence les éléments nécessaires à proposer une première version de l’ACCI. La présente communication s’attardera à l’analyse des entrevues effectuées auprès des parents immigrants. La panoplie des stratégies développées par les intervenants pour répondre aux besoins de ces familles immigrantes constituent également le cœur de cette présentation. D'abord nous résumerons les besoins recensés (du côté des parents et du côté des intervenants) à travers l’étude de portée et, besoins corroborés par nos propres entrevues. Nous soulignerons aussi les obstacles rencontrés par les deux groupes d’acteurs dans la trajectoire de fréquentation des services (pour les parents) et dans la trajectoire des soins offerts à l’enfant (pour les différents intervenants).L’illustration d’une trajectoire-type permettra de bien comprendre les défis respectifs pour promouvoir un partenariat entre la famille et l’intervenant. Ensuite, à travers la présentation de chocs culturels vécus par les parents, nous développerons la notion de « filtre » qui constitue en fait des biais interculturels qui peuvent orienter les interventions auprès des familles immigrantes. Enfin, nous terminerons sur quelques stratégies d’intervention créatives déployées par les professionnels pour accompagner les familles immigrantes. Nous conclurons sur une réflexion autour de l'ACCI dont les bases ont été discutées en groupe focus avec des experts.

Bibliographie

Baker, D. L., Miller, E., Dang, M. T., Yaangh, C.-S., & Hansen, R. L. (2010). Developing culturally responsive approaches with Southeast Asian American families experiencing developmental disabilities. Pediatrics, 126, S146-150. doi: 10.1542/peds.2010-1466I
Choquette, A., Blanchard, D., & Guay, M.C. (2007, juin). Impacts des facteurs environnementaux sur le développement cognitif des enfants issus de familles originaires de pays en développement. Affiche présentée au 68e Congrès annuel de la Société canadienne de psychologie, Ottawa, Canada.
Citoyenneté et Immigration Canada, CIC (2012). Canada Faits et chiffres. Aperçu de l’immigration Résidents Permanents et temporaires 2012. Ottawa : Gouvernement du Canada.
Desrosiers, H., Tétreault, K., & Brown, M. (2012). Caractéristiques démographiques, socioéconomiques et résidentielles des enfants vulnérables à l’entrée à l’école (vol. 14, fascicule 2). Québec : Institut de la statistique du Québec.
Heer, K., Larkin, M., Burchess, I., & Rose, J. (2012). The cultural context of care-giving: qualitative accounts from South Asian parents who care for a child with intellectual disabilities in the UK. Advances in Mental Health & Intellectual Disabilities, 6(4), 179-191.
King, G., C. Desmarais, S. Lindsay, G. Piérart and S. Tetreault (2014). "The Roles of Effective Communication and Engagement in Delivering Culturally Sensitive Care to Immigrant Parents of Children with Disabilities." Disability & Rehabilitation.
Legault, G. & Rachédi, L.(dir.) (2008) L’intervention interculturelle. 2ièeme édition. Gaetan Morin, éditeur.
Madding, C. C. (2000). Maintaining focus on cultural competence in early intervention services to linguistically and culturally diverse families. Infant-Toddler Intervention: The Transdisciplinary Journal, 10(1), 9-18.
Ministère de l’immigration et des communautés culturelles (MICC) 2014. L’immigration permanente au Québec selon les catégories d’immigration et quelques composantes Portait statistiques 2009-2013. Mai.

Présentation des auteurs

Lilyane Rachédi, phd, est travailleuse sociale de formation et professeure-chercheure à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle enseigne l'intervention sociale et les relations interculturelles.Membre de plusieurs centres et équipes de recherches canadiens et internationaux sur l’immigration, elle a participé à l’avancée des connaissances concernant les histoires familiales des immigrants et les processus identitaires et d’adaptation des immigrants.Elle a aussi une très bonne connaissance des réalités des services et des professionnels qui travaillent auprès des immigrants.
Chantal Desmarais, Ph.D. est orthophoniste et professeure-chercheure à l’Université Laval et au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale. Documenter les obstacles et facilitateurs de l’intervention auprès des jeunes familles est un de ses principaux intérêts de recherche. Comme clinicienne, elle a œuvré auprès de familles immigrantes et, depuis 2011, effectue des travaux de recherche portant sur l’intervention en contexte d’interculturalité.
Daphney St-Germain (santé publique) est professeure agrégée à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval et chercheuse régulière au CIRRIS. Elle s’intéresse aux approches humanistes et interculturelles dans la dispensation des soins et services. Elle est spécialiste dans les méthodologies qualitatives de recherche (phénoménologie, ethnographie, analyse de contenu, etc.). Elle a développé une expertise particulière autour des soins à la petite enfance et sur le contexte d’immigration.

Communication complète

Immigration, handicaps et services : discours des parents et stratégies des intervenants
Lilyane Rachédi (UQAM), Chantal Desmarais et Daphney St-Germain (Université Laval) avec la collaboration de Claudia Prévost (Université Laval).

Au Canada, les immigrants constituent un pourcentage important (19 %) de la population (CIC, 2012). L’immigration accueillie au Québec constitue, quant à elle, 12,6 % de la population totale. Cette immigration se caractérise par l’hétérogénéité des pays de provenance, par sa jeunesse, et par l’arrivée de familles (MICC, 2014). Sachant qu’entre 20 et 35 % des enfants sont vulnérables et peuvent présenter un trouble du développement (TD) (atteinte motrice, langagière, sensorielle, cognitive ou comportementale), les familles immigrantes ne seront pas épargnées par cette réalité. On sait aussi que le contexte d’immigration complexifie le vécu des familles ayant un enfant en situation de handicap (Tétreault et al. 2014).
Cette communication s’inscrit dans une recherche en cours et subventionnée par le Conseil canadien de la recherche en sciences humaines (Desmarais, C. et al. CRSH 2013-2017) : « Expérimentation d’une approche communicationnelle adaptée au contexte de l’immigration (ACCI) afin d’optimiser le développement des enfants ». Ce projet a pour finalité de développer une approche communicationnelle adaptée au contexte des familles immigrantes qui pourrait favoriser l’empowerment et contribuer au développement du jeune enfant. Deux des questions abordées dans ce projet sont le discours des parents et les stratégies des intervenants pour que la communication en contexte interculturel soit la plus harmonieuse possible. En ce sens, l’objectif de cette conférence est de documenter les obstacles et les facilitateurs à la communication du point de vue de parents immigrants qui ont un enfant avec un trouble de développement qui apparait durant la période prénatale, périnatale ou au début de l’enfance et du point de vue d’intervenants en réadaptation et en milieu communautaire qui œuvrent auprès d’eux.
La méthodologie utilisée est qualitative. Les résultats d’une étude de la portée sont mis en relation avec une analyse qualitative d’entrevues semi-dirigées effectuées auprès de 31 parents immigrants et de 58 intervenants qui travaillent avec ces familles. Ils proviennent de 3 régions (Gatineau, Montréal, Québec). Les deux stratégies de collecte d’informations, l’étude de portée, dont les résultats ont été publiés dans Tétreault et al., (2014), et les entrevues, ont mis en évidence les éléments nécessaires à l’élaboration d’une première version de l’ACCI. La présente communication s’attardera à l’analyse des entrevues effectuées auprès des parents immigrants. La panoplie des stratégies développées par les intervenants pour répondre aux besoins de ces familles immigrantes constitue également le cœur de cette présentation.
D’abord, nous résumerons les besoins recensés (du côté des parents et du côté des intervenants) à travers l’étude de la portée et des besoins corroborés par nos propres entrevues.
Les difficultés liées aux différences culturelles, à la barrière de la langue ou celles en lien avec l’accessibilité des services sont identifiées unanimement par les parents et les intervenants rencontrés. Les besoins nommés sont donc directement en lien avec ces difficultés et ils sont bien illustrés dans les propos suivants :
Cette mère originaire de l’Europe de l’Est déclare :
« On n’était pas informé non plus. On ne savait pas c’était quoi le chemin à prendre. La garderie voulait nous aider, mais ils ne savaient pas plus non plus. Ou peut-être ils savaient, mais ils ne pouvaient pas rien faire, peut-être plus que ça. Je ne sais pas ».
Cette psychoéducatrice étaye aussi cette méconnaissance des services pour les familles immigrantes et les efforts déployés pour traduire le système : « Moi personnellement là, dans les familles que j’ai eues, je trouve qu’elles s’adaptent très difficilement. Très difficilement (sous-entendu au contexte des services sociaux et de la santé). C’est une autre chose aussi puis je sais que ce n’est pas mon mandat, mais (…) je m’assis avec eux autres puis je leur explique c’est quoi le système de santé et services sociaux puis je leur fais des organigrammes s’il faut. Pour les aider à comprendre, parce qu’eux autres, (…) eux autres ce sont toutes des madames qui rentrent, des visages nouveaux, parce qu’il y a beaucoup de changement dans les services sociaux de nos jours (...) , ça fait qu’ils ne savent plus c’est qui qui est quoi, puis qu’est-ce qu’un ergothérapeute fait puis qu’est-ce qu’un physiothérapeute fait puis, ça fait que moi je prends le temps de leur expliquer c’est quoi puis c’est pour quoi ».
De façon générale, l’adaptation des parents au contexte des soins de santé et des services sociaux québécois est donc assez difficile et le « manque d’information quant au fonctionnement des services est souvent mentionné dans les écrits consultés. En ce sens, la plupart des familles issues de minorités ethniques disposent de peu de renseignements sur les programmes et services offerts » (Gannotti, Kaplan, Handwerker et Groce, 2004; Nawaz, 2006, dans Tétreault et al. 2014 : 183).
En plus de la nécessité de considérer la barrière linguistique et culturelle, il ressort donc le besoin de définir clairement les rôles et mandats des divers intervenants et professionnels des soins et mieux informer les parents sur le système de santé et des services sociaux. Et, ceci, pour ultimement mieux comprendre le développement, les limites et le potentiel des enfants de familles immigrantes. Pour les intervenants, cela leur permettrait de mieux accompagner ces familles pour un développement optimal de l’enfant. En plus, l’importance de prendre le temps et d’adapter les pratiques organisationnelles demeurent également des éléments névralgiques dans le travail des intervenants.
Les besoins cités mettent aussi en exergue les obstacles rencontrés par les deux groupes d’acteurs dans la trajectoire de fréquentation des services (pour les parents) et dans la trajectoire des soins offerts à l’enfant (pour les différents intervenants).
Pour les parents, ces défis sont multiples : comprendre le diagnostic posé, identifier et comprendre le travail de tous les professionnels des différents services, comprendre le « jargon » utilisé pour chaque corps de métier et les pratiques de collaboration et se familiariser avec une représentation culturelle du développement de l’enfant. Par exemple,
cette mère d’origine maghrébine, raconte ne pas avoir apprécié du tout la façon dont le médecin lui a fait l’annonce du diagnostic : « Moi, ce que je n’ai pas aimé, il y a une chose que je n’ai vraiment pas aimée, quand ils m’ont annoncé le diagnostic, donc pour [nom de l’enfant], c’était comme ça, sec. C’est comme : “Oui, il a eu un problème dans le cerveau et il va être handicapé.” Là, comme ça. Ça, ça m’a vraiment. J’ai dit : “Ils auraient dû être, préparer ou avoir quelqu’un qui s’occupe de ça, de l’annonce.” Donc l’annonce, ça a été vraiment, là, c’est la seule chose qui m’a dérangée. Après, c’était bien, tout le monde a été correct, ils savent comment te parler. Mais là, là, c’était très rude ».
En ce qui concerne les intervenants, on relève essentiellement des questionnements constants sur les compréhensions ou incompréhensions face aux informations données sur le développement de l’enfant et les exercices à faire avec l’enfant. S’ajoutent à cela les difficultés à dissocier ce qui relève de la culture, de la barrière linguistique et d’une volonté ou non de collaboration de la part des parents et enfin un certain malaise à composer avec la représentation du professionnel comme expert de leur enfant. Ce dernier aspect est bien explicité dans la remarque de cette ergothérapeute au sujet des parents qui demandent tout le temps : « Dites-moi comment il fonctionne, dites-moi ce que je dois faire, dites-moi ce qu’il faut que je travaille avec lui, donnez-moi des devoirs, je vais les faire ». [...] Ils veulent des devoirs, ils veulent ... C’est un peu plus « thérapeute-expert », « évaluez-le, dites-moi ce qu’il faut que je fasse et je vais le faire ».
Ensuite, l’illustration d’une trajectoire-type de famille immigrante ayant un enfant présentant un handicap permettra de bien comprendre comment ce dernier s’inscrit toujours sur fond de processus migratoire. Comme le déclare cette ergothérapeute :
« La particularité avec les familles immigrantes c’est qu’elles arrivent un petit peu
n’importe quand. C’est-à-dire que j’en ai qui ont immigré et que la référence arrive pendant que l’enfant a 2 ans, 3 ans. Ce n’est pas nécessairement systématiquement quand ils sont tout petits, parce que les enfants ne sont pas tous nés ici ou ils n’ont pas tous été dépistés en même temps en très bas âge, quand ils arrivent d’un autre pays ».
Il y a lieu donc de considérer les trajectoires pour saisir les défis respectifs pour promouvoir un partenariat entre la famille et l’intervenant. Ces défis, lorsqu’ils sont travaillés dans leur sens instructif, constituent les fondements d’une communication en contexte d’immigration. Au contraire, ces défis lorsqu’ils sont incarnés dans leur sens négatif, peuvent se cristalliser en difficultés et provoquer des chocs culturels (Cohen Emerique, 1993). C’est ce que nous voulons traduire avec la notion de « filtre » (Vatz-Laaroussi, Rachédi et Pépin, 2002). Les filtres constituent en fait des biais interculturels qui peuvent orienter de manière tronquée ou inadéquate les interventions auprès des familles immigrantes ayant un enfant présentant un handicap. Au regard des entrevues menées, nous en avons relevés quatre : le filtre de l’ici et maintenant, le filtre culturaliste, le filtre organisationnel et enfin le filtre pathologique. Pour chacun des filtres, on peut mettre en tension des principes clés qui permettent d’accompagner les familles en tenant compte de ce qu’elles sont, de leur parcours migratoire, de leur situation, de ce qu’elles souhaitent, de leurs représentations culturelles associées au handicap de leurs enfants et permettent enfin de composer avec ce dont elles sont capables. À titre d’exemple, le filtre de l’ici et maintenant consiste à travailler dans l’immédiateté et à partir du diagnostic et des besoins présents (réels et importants) de l’enfant (ex : nécessité de faire un plan d’intervention, d’évaluer les besoins). À l’excès, ce filtre, « cette paire de lunettes », exclut l’enfant de son contexte plus large, sa famille, et son histoire migratoire. En lien avec les efforts démontrés par les intervenants pour prendre en considération le facteur « culturel » et familial plus large dans la relation, cette participante est d’avis que : « Bien, comment dirais-je, oui, il y a lieu qu’ils soient plus sensibles, mais en même temps, il n’y a pas beaucoup de lieux pour ça. Je m’explique parce que les intervenants, là, ils n’interviennent pas nécessairement sur les parents, ils interviennent beaucoup sur l’enfant. Donc même si je dis : “Oui, mais dans ma culture, telle affaire.” Ça ne change rien parce que eux, ils interviennent auprès de l’enfant, et tout ça. Mais en fait, ce n’est pas ça l’idée. L’idée, c’est de, puis, comment dirais-je, évaluer la situation familiale et ce que la famille vit et tout ça. Ce n’est pas, la majorité des professionnels, ce n’est pas de leur ressort. Pas de leur ressort donc ils ne vont pas poser la question, quoi ».
Or, oser et considérer l’enfant en lien avec sa famille et son histoire permet aussi de valoriser ce dont les parents ont été capables en montrant, entre autres, leur force et leur compétence dans leur trajectoire de vie, trajectoire qui est composée d’une rupture majeure : l’exil. Dans l’exigence et les efforts à déployer pour accompagner leurs enfants en situation de handicap, reconnaitre et rendre visible ces ressources familiales et migratoires nous semble fondamental.
Autre exemple, le filtre organisationnel amène quant à lui une vision du développement de l’enfant à partir des repères organisationnels et culturels québécois. Cette mère de l’Europe de l’Est exprime bien la difficulté à saisir le rôle précis de chacun des spécialistes et intervenants qui l’entourent : « Donc ça, ça prend un peu de temps pour se démêler là-dedans parce que, il y a des professionnels, à un moment donné, on est entouré par beaucoup de monde, et chacun à son rôle, mais on ne sait pas à qui poser telle question et tout ça donc c’est un travail sur soi-même. Puis tout ça à travers le fait qu’on a de la difficulté à accepter le diagnostic, et on a de la difficulté à vraiment. C’est ce qui arrive. C’est parce qu’on a des difficultés, disons, au quotidien. Puis au niveau du quotidien, disons qu’il y a un vide. Bon, c’est sûr que les professionnels peuvent nous donner des conseils, mais il n’y a personne qui va nous accompagner là-dedans ».
Cette mère marocaine parle de nécessité de « Suivre la vague » avec le sentiment d’impuissance que ça suppose :
« On peut dire que j’ai suivi la vague. Je ne comprenais pas comment le système marchait ici. Il y avait comme, si je me rappelle bien, il y a comme une réunion qui s’est organisée par tous les intervenants. Ils disaient, bon, discutaient des choix d’écoles et finalement le choix s’est reposé vers [nom de l’école], mais moi je n’étais pas informée, mais je ne savais pas quoi, sur quoi (…) Vous comprenez? C’est parce que, moi je ne savais pas. C’est comme, je croyais que la meilleure des choses va être faite pour elle. Mais je ne comprends pas jusqu’à maintenant pourquoi ils n’ont pas dirigé vers… »
Cette vision homogénéisante et normative des besoins compresse les vécus et les multiples processus d’adaptation des familles immigrantes dans des cadres structurels qui exigent une compréhension quasi immédiate du système de santé et des services sociaux. Donc, la relativité dans le processus d’adaptation de ces familles est un peu ignorée. Cette tendance à diluer les spécificités et la diversité des familles immigrantes dans les services offerts aux Québécois. La promotion d’une vision globale des services est possible en favorisant le développement de services complémentaires et coordonnés. Par ailleurs, ces familles dont la continuité est déjà mise à mal par le mouvement migratoire sont en quête de continuité et de cohérence. Des référents personnalisés et réguliers constituent donc pour eux de grands supports à l’accompagnement.
Enfin, nous terminerons sur quelques stratégies d’intervention créatives déployées par les professionnels pour accompagner les familles immigrantes. Ces stratégies peuvent se représenter à travers des figures d’intervenants qui sont des idéaux-types :
L’intervenant-passeur veut transmettre à tout prix et de n’importe quelle manière l’information nécessaire au développement optimal de l’enfant. Il s’efforce de traduire et vulgariser le système et tous les documents adressés aux familles.
L’intervenant-avocat, c’est aussi un passeur d’informations, mais qui en plus, est très engagé du côté des familles. Il s’inscrit davantage dans une forme de défense et promotion des droits des « usagers » des services.
L’intervenant-médiateur, quant à lui, interfère dans l’organisation et auprès des professionnels pour les sensibiliser aux besoins spécifiques des enfants d’immigrants. Il agit et n’hésite pas à mobiliser son réseau pour obtenir des services et des références adaptés aux familles côtoyées.
Nous conclurons sur la pertinence de l’ACCI dont les bases ont été discutées en groupe focus avec des experts.

Bibliographie :
Baker, D. L., Miller, E., Dang, M. T., Yaangh, C.-S., & Hansen, R. L. (2010). Developing culturally responsive approaches with Southeast Asian American families experiencing developmental disabilities. Pediatrics, 126, S146-150. DOI: 10.1542/peds.2010-1466I
Choquette, A., Blanchard, D., & Guay, M.C. (2007, juin). Impacts des facteurs environnementaux sur le développement cognitif des enfants issus de familles originaires de pays en développement. Affiche présentée au 68e Congrès annuel de la Société canadienne de psychologie, Ottawa, Canada.
Cohen-Emerique, M. (1993). « L’approche interculturelle dans le processus d’aide », Santé mentale au Québec, vol. 18, no 1, p. 71-91.
Cohen-Emerique, M. & Hohl, J. (1999). « La menace identitaire chez les professionnels en situation interculturelle : le déséquilibre entre scénario attendu et scénario reçu », Études ethniques au Canada XXI, no 1.
Cohen-Emerique, M. (2011), Pour une approche interculturelle en travail social, théories et pratiques. Presses de l’EHESP : Rennes.
Citoyenneté et Immigration Canada, CIC (2012). Canada Faits et chiffres. Aperçu de l’immigration Résidents Permanents et temporaires 2012. Ottawa : Gouvernement du Canada.
Desrosiers, H., Tétreault, K., & Brown, M. (2012). Caractéristiques démographiques, socioéconomiques et résidentielles des enfants vulnérables à l’entrée à l’école (vol. 14, fascicule 2). Institut de la statistique du Québec : Québec.
Heer, K., Larkin, M., Burchess, I., & Rose, J. (2012). « The cultural context of care-giving: qualitative accounts from South Asian parents who care for a child with intellectual disabilities in the UK ». Advances in Mental Health & Intellectual Disabilities, vol. 6, no. 4, p.179-191.
King, G., Desmarais, C., Lindsay, S., Piérart G. & Tétreault, S. (2014). « The Roles of Effective Communication and Engagement in Delivering Culturally Sensitive Care to Immigrant Parents of Children with Disabilities ». Disability & Rehabilitation. DOI: 10.3109/09638288.2014.972580
Legault, G. & Rachédi, L. (dir.) (2008). L’intervention interculturelle. 2e édition. Gaétan Morin: Montréal.
Madding, C. C. (2000). « Maintaining focus on cultural competence in early intervention services to linguistically and culturally diverse families ». Infant-Toddler Intervention: The Transdisciplinary Journal, vol. 10, no. 1, p. 9-18.
Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) (2014). L’immigration permanente au Québec selon les catégories d’immigration et quelques composantes Portait statistiques 2009-2013. Mai.
Tétreault, S., Desmarais, C., Marier-Deschênes, P., St-Germain, D., Rachédi, L. & al. (2014). « Communication entre intervenants œuvrant auprès de l’enfant d’âge préscolaire et les familles immigrantes : étude de la portée ». Revue francophone de la déficience intellectuelle, vol. 25, p.176-192
Vatz Laaroussi, M., Pépin, L. & Rachédi, L. (2002). Accompagner des familles immigrantes : paroles de familles, principes d'intervention et moyens d'action. Université de Sherbrooke.

Résumé en Anglais


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