Prendre soin d’un enfant avec des besoins particuliers : des défis à relever
Lorsqu’un enfant présente un trouble du développement ou une déficience, les parents s’en trouvent affectés dans leur santé physique et psychique (Cantwell, Muldoon & Gallagher, 2014; Miodrag, Burke, Tanner-Smith & Hodapp, 2015). Les conséquences directes et indirectes des difficultés de l’enfant altèrent également les ressources financières et le soutien social de la famille (Ouyang et al., 2014; Whiting, 2013). Toutefois, l’ampleur de ces répercussions varie notamment selon le type d’atteinte de l’enfant, le statut socio-économique des parents, leur capacité à faire face à la situation, leur niveau de stress ressenti ainsi que leur sentiment de maîtrise sur les événements (Cantwell et al., 2014; Emerson, Hatton, Llewellyn, Blacker & Graham, 2006; Gallagher & Whiteley, 2013).
Le défi des familles se complexifie encore davantage lorsque celles-ci vivent un parcours migratoire tout en prenant soin d’un enfant avec des besoins particuliers (Khanlou, Haque, Sheehan & Jones, 2014; Neely-Barnes & Dia, 2008). Les déplacements territoriaux accentuent l’altération du réseau social et la diminution des ressources économiques plongeant les familles dans une situation de vulnérabilité au sein du pays d’accueil (Bustamante, 2010; Pondé & Rousseau, 2013; Xue, 2007). Par ailleurs, les populations migrantes sont sous-représentées parmi les bénéficiaires des services de soins, de réadaptation et des mesures de soutien (Baker, Miller, Dang, Yaangh & Hansen, 2010; Gannotti, Kaplan, Handwerker & Groce, 2004; Khanlou et al., 2014). Cette situation a plusieurs causes dont le manque d’information et de connaissances du fonctionnement du système de soins et des services sociaux ainsi que la barrière de la langue (Khanlou et al., 2014; Neely-Barnes & Dia, 2008). De surcroît, le sens donné au diagnostic de l’enfant, les représentations culturelles de la santé et de la maladie ainsi que l’image construite des services de réadaptation et de soutien peuvent varier selon les origines culturelles des parents migrants (Baker et al., 2010; Ben-Cheikh & Rousseau, 2013; Zuckerman et al., 2014). Il arrive que les parents refusent d’utiliser les mesures d’aide disponibles par conviction que la charge de leur enfant leur revient entièrement ou parce que l’offre de services ne correspond pas à leurs attentes (Baker et al., 2010; Canary, 2008; Jegatheesan, Miller & Fowler, 2010). Si le parcours migratoire module l’accès aux services de santé et au réseau social des parents, des représentations culturelles semblent influencer leurs décisions en matière d’intervention auprès de leur enfant et dans le recours aux mesures de soutien.
Développer le pouvoir d’agir : des adaptations pour les parents migrants
Selon plusieurs études, l’augmentation du pouvoir d’agir des parents s’impose comme une stratégie de soutien recommandée et largement utilisée par les professionnels de la réadaptation (Dempsey, Keen, Pennell, O'Reilly & Neilands, 2009; Dunst, Trivette & Hamby, 2007; Jansen, van der Putten & Vlaskamp, 2013). L’approche centrée sur la famille est documentée comme un facteur de protection du bien-être des parents et de leur sentiment de maîtrise des événements (Dempsey et al., 2009; Dunst & Trivette, 2009). Ce cadre d’intervention met en avant la pleine participation des parents comme partenaires dans les décisions relatives à l’intervention par le partage des informations et le choix des services (Dunst et al., 2007). Pour les familles migrantes, la mise en place d’une approche centrée demanderait des mesures particulières afin de veiller à la transmission des connaissances vis-à-vis du système de soin et des services sociaux (Khanlou et al., 2014). De plus, des adaptations de la communication pourraient s’avérer nécessaires si la langue du pays d’accueil n’est pas maîtrisée (Brach & Fraser, 2002; Zuckerman et al., 2014). Par ailleurs, les valeurs et les attentes des parents occupent une place fondamentale dans l’intervention centrée, laquelle se veut flexible pour correspondre aux ressources disponibles des familles (Dunst et al., 2007). Afin de miser sur l’augmentation du pouvoir d’agir des parents migrants, il serait nécessaire de prendre en compte leurs représentations des difficultés de l’enfant, influençant leurs choix de services (Jones et al., 2014; Mandell & Novak, 2005). Sachant que la position des intervenants est davantage documentée dans le domaine de l’intervention en contexte multiculturel (King, Desmarais, Lindsay, Piérart & Tétreault, 2014; Lo, 2010), la perception des parents migrants s’avère essentielle dans un but de compréhension de leur interprétation de la situation.
Recueillir l’avis des parents migrants : une étude québécoise
Afin de recueillir l’avis des parents migrants sur les services offerts dans une perspective centrée sur la famille, une recherche qualitative a été menée au Québec. Elle se base sur vingt-huit entretiens semi-dirigés (24 mères et 4 pères migrants) effectués lors d’une étude de plus grande envergure portant sur une approche communicationnelle en contexte d’immigration visant à améliorer le développement de l’enfant. Ces parents ont tous un enfant de sept à dix-huit ans qui présente un trouble du développement. Celui-ci devait avoir reçu des services avant l’âge de six ans pour permettre un regard rétrospectif des parents sur leur expérience de vie.
Description des participants
Parmi les vingt-huit parents interrogés, treize (47%) sont arrivés au Canada par regroupement familial, obtenant ainsi le statut de résident permanent. Quatre parents (14%) sont réfugiés politiques. Les onze restants (39%) évoquent un processus d’immigration pour le travail et pour des raisons personnelles. Vingt (71%) des vingt-huit participants sont mariés (ou équivalent) et six (21%) sont célibataires. Une mère (4%) est divorcée et une autre est veuve (4%). Dix-sept parents (65%, n=26) possèdent un diplôme universitaire, deux participants (8%) disposent d’un niveau collégial. Quant aux sept autres parents (27%), ils ont obtenu un certificat du secondaire ou inférieur. En outre, quinze participants (60%, n=25) occupent un emploi et huit (32%) prennent soin de leur(s) enfant(s) à plein temps. Deux parents (8%) sont étudiants. Un peu plus de la moitié des vingt-huit participants (16, 57%) ont quitté l’Afrique (du nord ou centrale) pour venir au Québec. Les autres familles arrivent d’Europe (5, 18%), d’Amérique du sud (5, 18%) ou d’Asie (2, 7%). Parmi les vingt-huit enfants qui présentent des besoins particuliers (20 garçons, 8 filles, moyenne d’âge de 10 ans), quatorze (50%) ont reçu un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA), sept (25%) présentent une infirmité motrice cérébrale ou une hémiparalysie et deux enfants (7%) ont un syndrome de Down comme diagnostic principal. Les cinq derniers présentent d’autres types d’atteintes physiques et intellectuelles.
Analyse qualitative des propos des parents migrants
L’analyse qualitative des propos des vingt-huit parents migrants est en cours. L’emphase est posée sur la connaissance du système de soins et des services sociaux, la barrière de la langue ainsi que les représentations des difficultés de l’enfant.
Selon un premier constat, les participants expriment un manque de connaissances du système de soins et des services sociaux malgré le soutien informationnel obtenu. Une mère évoque les difficultés d’orientation suite au diagnostic de son enfant :
« La chose que je n’ai pas aimée, c’est juste le manque d’information. (…) il faut que [le parent] reçoive quand même de l’information, des choses qui l’aident, qui lui donnent accès, à savoir les services qu’il doit chercher pour son fils, pour faciliter la vie pour les parents (…). » (B9)
Les mêmes difficultés se retrouvent face aux services de soutien dont la majorité des participants interrogés ignorent la teneur. Sans les connaissances adéquates, le rôle de partenaires dans les décisions qui touchent à la prise en charge de l’enfant ne peut être endossé par les parents migrants, comme le décrit cette mère : « On peut dire que j’ai suivi la vague. Je ne comprenais pas comment le système marchait ici. » (B13).
Contrairement au manque d’information, la barrière de la langue apparaît peu dans les entrevues avec les parents migrants. Toutefois, plus des deux tiers des personnes rencontrées parlaient français à leur arrivée au Canada (19 parents sur les 28 interrogés, 68%). Une mère évoque tout de même des difficultés dans l’interaction avec les intervenants et son sentiment de mise à l’écart lié au manque de maîtrise de la langue :
« C’était vraiment dur parce que comme immigrante, vous savez que les gens profitent quand vous ne parlez pas bien la langue, quand vous êtes immigrante. Et comme vous ne parlez pas la langue, vous n’êtes pas capable de vous défendre. » (B8)
Le partenariat et l’écoute des attentes du parent semblent alors compromis lorsque le parent se représente ses contacts avec les professionnels de cette manière.
Le dernier élément concerne la prise en compte de la représentation des difficultés de l’enfant par les parents migrants. Avant tout, il apparaît que ces construits se modifient avec le temps. Les connaissances des parents évoluent par rapport à la condition de l’enfant tout comme l’acceptation de ses difficultés. Une mère parle de la trajectoire du père de son enfant : « Mon [conjoint] était toujours en questions. Il n’a jamais voulu croire. Et même après, longtemps après le diagnostic, il a nié le diagnostic. Maintenant il accepte. » (A4) Plusieurs parents mentionnent une période de déni, en particulier chez les pères. Suivant les étapes de leur cheminement, certains participants disent ne pas avoir espéré d’amélioration des capacités de leur enfant alors que d’autres parents ou les mêmes mais à d’autres périodes de leur trajectoire ont envisagé une « guérison ».
« Puis au moment qu’elle voyait l’intervenante travailler avec [nom de l’enfant], elle a vu qu’elle, même comme parent, sa fille, elle n’allait pas plus loin que ce qui était là, là. » (B2, traduction de la belle-sœur)
« (…) Dans ma tête aussi, je pensais : "C’est parce que j’ai fait le suivi et tout ça que [nom de l’enfant], ça, entre guillemets, là, [il] va guérir." » (B10)
Les attentes des parents envers les services de réadaptation et les intervenants sociaux qui les entourent devraient différer du point de vue de la sollicitation de ces derniers. Il est toutefois difficile d’en avoir la preuve. Dans le premier cas, la mère nomme les longues listes d’attente et la fréquence trop faible des services laissant peu d’espoir quant à l’évolution des difficultés de l’enfant. La deuxième mère dit s’informer sur tous les services disponibles (thérapie, éducation, activités extra-scolaires). Mais loin de constituer le seul point de comparaison entre ces parents, des analyses plus poussées doivent être poursuivies sur cette question.
Conclusion provisoire
Dans leurs discours, les parents migrants mettent l’accent sur le manque d’informations auquel ils font face par rapport au réseau de la santé et des services sociaux. La barrière de la langue, peu présente, renforce toutefois les difficultés des parents migrants à l’impliquer dans une démarche centrée collaborative. Quant à la représentation de la condition de l’enfant, son influence sur les choix des parents demande de plus amples analyses. Il apparaît tout de même que l’espoir d’un développement futur des capacités de l’enfant constitue un moteur d’implication du parent dans la recherche de services.
Agir sur le terrain : les perspectives d’avenir
Dans le cadre de la formation des intervenants, un accent tout particulier devrait être mis sur la sensibilisation aux défis et enjeux rencontrés par les parents migrants. L’amélioration de l’information et de la communication paraît nécessaire. L’approche centrée sur la famille dans une adaptation au contexte de la migration reste une approche en émergence qui devrait se concrétiser afin de permettre aux professionnels d’acquérir des outils concrets à appliquer sur le terrain (Fellin et al., 2014; King et al., 2014; Lindsay et al., 2012). En outre, une meilleure flexibilité de mesures de réadaptation et des services sociaux leur permettrait de s’adapter davantage aux besoins des parents migrants. En parallèle, les gestionnaires doivent être sensibilisés davantage aux retombées positives à long terme du temps investi dans la création de liens privilégiés avec les familles migrantes dès le début de l’intervention.
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