Cette contribution a pour but d’exposer le socle des légitimations d’un projet de recherche transfrontalier établi dans le cadre du POCTEFA-ETFERSASO , un programme européen de coopération trinational Espagne-France-Andorre qui vise le développement et la promotion de liens transpyrénéens notamment dans les domaines sociaux, médico-sociaux et la formation.
Parmi les propositions de recherche soumises à validation, celle soutenue par une équipe de formateurs du CRFMS Erasme de Toulouse qui ambitionne d’établir une enquête de terrain comparative des centre d’accueil de demandeurs d’asile entre versants midi pyrénéens et ibéro-catalans des Pyrénées ( CADA en France, CAR – Centro de Acogido de Refugiados - en Espagne) en adoptant, pour entrée, la question de la prise en charge des troubles psychiques et traumatiques des publics accueillis en institution. Pour les porteurs du projet qui ont une expérience pratique et théorique auprès de migrants en situation de souffrance psychique, l’accès à la connaissance du champ des psychopathologies de l’exil constitue non seulement un outil déterminant de l’agir des professionnels intervenant auprès des demandeurs d’asile mais également un enjeu de formation pour des professionnels régulièrement confrontés aux expressions de maladies et de traumatismes qui puisent à différentes étapes du parcours d’exil : en amont, pendant ou au terme d’une trajectoire de migration .
Ce projet de recherche ethnographique vise par conséquent à apporter un éclairage compréhensif sur ce qui a valeur d’inconnue, à savoir les formes d’accompagnement et de prises en charge des migrants en situation de vulnérabilité psychique accueillis de l’autre côté de la crête frontière. En effet, malgré la proximité géographique et culturelle entre la France et la Catalogne ; outre le fait que ces territoires soient traversés par l’une des principales veines de la remontée des Suds vers l’Europe (Tarrius, 2007), les connexions sont rares - pour ne pas dire souvent inexistantes - entre dispositifs d’accueil français et ibériques. Les données recueillies dans le cadre d’une première prospection auprès professionnels de structures d’accueil en Ariège (Pamiers) et à Gérone (Catalogne) confirment non seulement une absence de contacts mais également un défaut de connaissances des contextes, structures et modalités d’interventions auprès des migrants dans le territoire contigu. En repérant ici et là-bas la place accordée au trouble psychique et traumatique dans l’institution et à son traitement, il s’agira d’établir un état des lieux de l’existant en mobilisant la perspective comparatiste autour d’un certain nombre de thèmes significatifs.
Délimiter l’espace réservé à la souffrance psychique et aux réponses qui y sont apportées dans l’institution suppose dans un premier temps d’interroger l’intérêt porté à la question dans les structures. Comment se traduit-il ? Peut-on le mesurer à travers, par exemple, des références à un corpus spécifique ou encore à une autorité locale, nationale ou internationale? Comment les professionnels sont-ils sensibilisés à la question ? Par quel biais ? (rencontres, formations, lectures…)
Cette première interrogation ouvre sur la question des savoirs cliniques et thérapeutiques utilisées dans l’institution. Dans un contexte de généralisation des approches anglo-saxonnes du type DSMV ou de l’evidence based psychiatry, quels sont les outils diagnostiques et thérapeutiques rencontrés - psychothérapies, traitements médicamenteux, modèle interculturel, systémique ou psychanalytique… Se réfèrent-on à des approches spécifiques à l’instar des modèles d’interventions héritées de l’ethnopsychiatrie de Georges Devereux (Devereux, 1971) : ethnopsychiatries à la Tobie Nathan (Nathan, 1986) ou psychiatrie transculturelle développée par Marie Rose Moro et son équipe (Moro et alii, 2004), Expérimente-t-on éventuellement des formes d’innovation ou d’hybridation ?
La référence à un modèle d’intervention historiquement rattaché à la France et pour être plus précis, à sa capitale amène à considérer la question de l’influence des traditions nationales et locale - en particulier la culture du « lieu » - sur les prises en charges à l’instar de la psychanalyse en France ou du rôle de l’Eglise catholique en Espagne. Quelles sont ces influences indexées à un territoire et à une histoire et comment imprègnent-elle les pratiques actuelles ?
D’autres thèmes sont appelés à constituer matière à comparaison à l’instar des valeurs soutenant la pratique, des formes et des orientations respectives du travail en équipe et en réseau, du recours à l’interprétariat ou encore de la formation des personnels.
Dans un contexte général de renforcement des échanges transfrontaliers, ce travail vise dans un premier temps la mise en place d’un réseau entre structures françaises et catalanes là où il faisait jusqu’alors défaut. Les données produites dans cette enquête sont appelées à être valorisées dans le champ de la formation en travail social sous la forme d’une mutualisation des connaissances entre les deux versants des Pyrénées en formation continue, d’une part, et en formation initiale à travers un projet de co-diplomation franco-espagnole. Notons que la recherche a vocation à intégrer un volet critique en orientant la prospection ethnographique vers un repérage des formes de violence institutionnelle et politique à l’égard de migrants toujours plus forcés à un nomadisme erratique ; les résultats publiés étant mis à profit pour une amélioration qualitative de l’accueil en institution dans les différents stades de l’accompagnement ( qualité de l’accueil, gestion du quotidien, anticipation de la sortie et de ses conséquences etc…). Enfin, outre l’acquisition de savoirs pratiques et théoriques, l’ouverture à d’autres expériences nationales et locales peut potentiellement aider les acteurs du travail social à reconsidérer, par effet de décentrement, le sens de l’action en faveur de la défense de l’Autre à l’heure où le discours antiraciste s’essouffle ce, dans un contexte de poussée sensible des xénophobies qui, régulièrement, viennent délégitimer, avec la complicité des élites politiques, le travail social dévolu auprès des migrants.
Bibliographie indicative :
AMNISTIA INTERNACIONAL, Respeten mi derechos. Los refugiados hablan, Madrid, 1997.
AMNISTIA INTERNACIONAL, El asilo en España: una carrera de obstáculos, Madrid., 2001.
BENSLAMLA(F), « Qu’est-ce qu’une clinique de l’exil ? » L'Évolution Psychiatrique, Volume 69, Issue 1, Pages 23-30, 1990.
COMEDE, Migrants et étrangers en situation précaire. Soins et accompagnement. Guide pratique pour les professionnels, 2013.
GRIMA M-A, Re-panser la vulnérabilité psychiques observée chez certains enfants de migrants, Thèse de doctorat en psychologie sous la dir. de Jean François Hamon, Université de la Réunion, 2006.
GUELAMINE (F), Action sociale et immigration en France, repères pour l’intervention, Dunod, Paris,2008.
ORVATH (J). y MISEREZ, (D), El trabajo con refugiados y solicitantes de asilo”, Cruz Roja Española, 1994.
MORO(M.R), Parents en exil. Psychopathologie et migrations. Paris: P.U.F, 1994
MORO(M.R) MOUCHENIK (Y), Manuel de psychiatrie transculturelle. Travail clinique, travail social, Grenoble, La Pensée sauvage, 2004.
NATHAN(T), La Folie des autres. Traité d’ethnopsychiatrie clinique, Paris, Dunod, collection "Psychismes", 1986.
TARRIUS (A), La remontée des Sud. Afghans et Marocains en Europe méridionale, Éditions de l’Aube, Paris,2007.
VERBUNT (G), La question interculturelle dans le travail social, Repères et perspectives, Ed La Découverte, Paris, 2004.
VV.AA, Guya del apoyo para el profesional de la intervencion social con immigrantes economicos y refugiados, Colegio Oficial de Psicólogos, Madrid, 1994.
Présentation des auteurs :
Slimane Touhami, Docteur en anthropologie sociale de l’EHESS, formateur éducateur spécialisé CRFMS-ERASME.
Henry Santiago-Sanz, formateur moniteur éducateur. Master 2 Recherche en Education Formation et Pratiques Sociales. CRFMS ERASME
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