Fiche Documentaire n° 3664

Titre Développer la réflexivité de futurs formateurs d’adultes aux prises avec la précarité à travers la sociologie visuelle

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Auteur(s) BOURDET Dany  
     
Thème Une expérience pédagogique d'initiation à la sociologie avec et par les images  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Développer la réflexivité de futurs formateurs d’adultes aux prises avec la précarité à travers la sociologie visuelle

Dans cette communication, nous nous proposons, après l’avoir contextualisée, de présenter, d’expliciter et d’analyser une expérience pédagogique d’initiation à la sociologie visuelle menée dans le cadre d’une formation universitaire de formateurs d’adultes, dans le but de développer leur réflexivité. Nous intervenons depuis plusieurs années dans la formation menant à l’obtention du Diplôme Universitaire de Formateur d’Adultes (DUFA), au sein du service Formation Continue et Éducation Permanente (FCEP) de l’université Charles-de-Gaulle de Lille (Lille 3). Le DUFA mène aux métiers de la formation, de l’accompagnement et de l’insertion, métiers qui s’exercent essentiellement aujourd’hui auprès de publics adultes confrontés à la précarité ou étant passés dans le précariat (Castel, 2009a, 2009b). Il s’agit d’une formation en alternance, avec un stage durant lequel doit être conçue, mise en œuvre et évaluée une action de formation, et les stagiaires sont principalement des personnes en reconversion professionnelle. Nos interventions dans le DUFA concernent les unités "Organisation, pratique et conduite de projet de formation" et "Initiation aux sciences de l’éducation et à la sociologie de la formation". C’est dans le cadre de cette seconde unité que, durant l’année universitaire 2013-2014, nous avons voulu initier les stagiaires à la sociologie visuelle en vue de développer leur réflexivité. Après leur avoir fait découvrir ce qu’est et en quoi consiste la sociologie visuelle, un exercice d’application de celle-ci sur et par rapport à leur terrain de stage leur a ensuite été proposé : dans une logique de monstration et de compréhension par l’image (La Rocca, 2007b), il s’agissait pour eux de choisir et de donner à voir et à comprendre par le biais de la photographie certains aspects significatifs de ce qu’il s’y passait et de les expliciter. A travers cet exercice de sociologie avec et par les images (La Rocca, 2007a), le but était de les amener à construire un regard réflexif (Maresca et Meyer, 2013) sur et par rapport au terrain sur lequel se construisait leur professionnalité en tant que formateur d’adultes. Nous considérons en effet que la réflexivité est une composante majeure et même essentielle de ce métier (Bourdet, 2012), et elle est plus généralement inhérente à la formation des/pour adultes, c’est-à-dire à l’andragogie (Boutinet, 2013). En outre, dans la mesure où les formateurs d’adultes sont amenés à travailler sous des statuts bien souvent précaires (contrats à durée déterminée, vacations, etc.) auprès de publics en situation d’illettrisme ou de faibles niveaux de qualification et/ou en insertion ou reconversion professionnelle, donc en situation de précarité, nous pensons que cette réflexivité, en tant que réflexion sur l’action (Masciotra, 2005), peut contribuer à objectiver leurs pratiques et le contexte dans lequel elles prennent place, dans une logique à la fois d’auto-formation et d’émancipation. Nous allons donc décrire les modalités de réalisation de cette initiation pratique à la sociologie visuelle des stagiaires préparant le DUFA, puis exposer et expliciter quelques exemples parmi les travaux produits, pour enfin tirer un bilan critique de cette expérience pédagogique.

Bibliographie

- Bourdet Dany, "Réflexions sur l'andragogie : Au-delà de la formation professionnelle continue et pour la professionnalisation des formateurs d'adultes", Le Portail des sciences humaines, www.anthropoweb.com, 18 octobre 2012, URL : http://www.anthropoweb.com/Reflexions-sur-l-andragogie-Au-dela-de-la-formation-professionnelle-continue-et-pour-la-professionnalisation-des_a525.html.
- Boutinet Jean-Pierre, "Chapitre VI – L'andragogie, une préoccupation équivoque pour aborder des problèmes nouveaux" in Psychologie de la vie adulte, 5ème édition, Presses Universitaires de France, 2013, pp. 81-95.
- Castel Robert, "Entretien", Diversité Ville-École-Intégration, n°158, 2009, pp. 7-12.
- Castel Robert, "Les ambiguïtés de l'intervention sociale face à la montée des incertitudes", Informations sociales, n°152, 2009, pp. 24-29.
- La Rocca Fabio, "Introduction à la sociologie visuelle", Sociétés, n°95, 2007, pp. 33-40.
- La Rocca Fabio, "L'instance monstratrice de l'image. La sociologie visuelle comme paradigme phénoménologique de la connaissance", Visualidades, Revista do programa de maestrado em cultura visual, Goiana, Brésil, vol. 5, n°1, 2007, pp. 114-121.
- Maresca Sylvain et Meyer Michael, Précis de photographie à l’usage des sociologues, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
- Masciotra Domenico, "Réflexivité, métacognition et compétences", Vie pédagogique, n°134, février-mars 2005, pp. 29-31.

Présentation des auteurs

Dany Bourdet est sociologue, professeur contractuel en Sciences de l’Éducation à l'Université Charles-de-Gaulle de Lille (Lille 3). Il s'intéresse à l'éducation et au changement social dans la société roumaine contemporaine, ainsi qu'à l'andragogie et à la sociologie visuelle.

Communication complète

Dans cette communication, nous présenterons tout d’abord le cadre institutionnel, le contexte sociétal et les enjeux d’une initiation pratique à la sociologie visuelle auprès de futurs formateurs d’adultes, et nous en préciserons les fondements. Nous indiquerons ensuite la manière dont cette initiation a été menée, et nous verrons deux exemples d’exploration visuelle réflexive parmi celles réalisées. Nous dresserons enfin un bilan critique de cette expérience pédagogique.

Une initiation pratique à la sociologie visuelle auprès de futurs formateurs d’adultes
Le Diplôme Universitaire de Formateur d’Adultes (DUFA) est proposé conjointement par le service Formation Continue et Éducation Permanente (FCEP) de l’université Lille 3 et par le Centre Université-Économie d’Éducation Permanente (CUEEP) de l’université Lille 1. Le DUFA se prépare en un an dans le cadre d’un cursus en alternance : en effet, à côté du suivi de cours (en pédagogie, psychologie, etc.), il inclut la réalisation d’un stage dans un organisme de formation ou faisant entre autres de la formation, durant lequel doit être conçue, mise en œuvre et évaluée une action de formation. Le cursus préparant au DUFA est accessible uniquement aux adultes en reprise d’études et ils ont le statut non pas d’étudiant mais de stagiaire de la formation continue. Les stagiaires sont principalement des personnes en reconversion professionnelle.
Le DUFA mène aux métiers de la formation, de l’accompagnement et de l’insertion. Ces métiers s’exercent essentiellement aujourd’hui auprès de publics d’adultes en situation d’illettrisme ou ayant un faible niveau de qualification et/ou en insertion ou reconversion professionnelle. Ce sont par conséquent des publics confrontés à la précarité ou étant passés dans le précariat lorsqu’il y a installation durable dans la précarité (Castel, 2009a). Le précariat constitue en effet, selon Robert Castel (2009b), une nouvelle strate de la division du travail caractérisée par des formes instables d’emploi et une moindre protection sociale. Intervenant auprès de ces publics adultes en situation de précarité ou relevant du précariat, les formateurs d’adultes sont en outre eux-mêmes amenés à travailler sous des statuts bien souvent précaires (contrats à durée déterminée, vacations, etc.).
C’est au regard de cela qu’il s’avère alors important, voire nécessaire, que les futurs formateurs d’adultes apprennent à pouvoir objectiver leurs pratiques et le contexte dans lequel celles-ci prennent place, dans une visée à la fois d’auto-formation et d’émancipation. Il s’agit donc de les amener à développer une posture réflexive, c’est-à-dire à amorcer et à conduire une réflexion sur l’action, laquelle "[…] représente une réflexion réelle ou une conscience réflexive" (Masciotra, 2005, p. 31). Comme nous l’avons déjà soutenu ailleurs (Bourdet, 2012), la réflexivité constitue une composante majeure et même essentielle du métier de formateur d’adultes. Plus généralement, elle s’avère inhérente à la formation des/pour adultes, c’est-à-dire à l’andragogie (Boutinet, 2013).
C’est en vue de contribuer au développement d’une posture réflexive chez les futurs formateurs d’adultes que nous avons proposé une initiation à la sociologie visuelle aux stagiaires du DUFA dans le cadre de l’unité "Initiation aux sciences de l’éducation et à la sociologie de la formation". La sociologie visuelle a pour objectif "[…] d’impliquer l’utilisation de la photo, de la vidéo, du film pour étudier la société : cette combinaison entre image et sociologie est au service d’une compréhension du monde social" (La Rocca, 2007a, p. 37). Puisque "[…] l’image doit être traitée comme une donnée et comme un medium pour présenter une recherche" (ibid.), la sociologie visuelle comprend trois composantes majeures : la sociologie avec les images, celle sur les images et la restitution des résultats par des images. Pour Fabio La Rocca, la sociologie visuelle peut cependant être appréhendée "non seulement comme partie d’une méthodologie intégrée mais aussi comme un paradigme cognitif qui nous permet de regarder le monde social" ; ce faisant, "[…] il est facile de penser alors à l’image comme un medium de connaissance qui nous fait apparaître le sens caché des choses" (2007b, p. 118). Il propose par conséquent de considérer la sociologie visuelle aussi comme un paradigme phénoménologique de la connaissance et il met alors en avant la monstration par l’image comme modalité de connaissance. En suivant cette idée, on voit en quoi la sociologie visuelle peut s’articuler à une posture réflexive et la nourrir. La photographie, lorsqu’elle est employée en sociologie visuelle, permet ainsi de montrer et de donner à voir et à comprendre ce à quoi on a fait attention, mais plus encore elle "[…] renseigne autant sur les personnes photographiées que sur la personne qui les photographie" (Maresca et Meyer, 2013, p. 58) : elle permet donc une double prise de recul, un double regard réflexif. En référence à cela, après leur avoir fait une présentation de la sociologie visuelle, il a été proposé aux stagiaires du DUFA de la promotion 2013-2014 un exercice de mise en pratique de celle-ci sur et par rapport à leur terrain de stage : suivant une logique de monstration et de compréhension par l’image, il s’agissait pour eux de choisir et de donner à voir et à comprendre par le biais de la photographie certains aspects significatifs de ce qu’il s’y déroulait et de les expliciter.

L’exercice de sociologie visuelle proposé et quelques exemples d’exploration visuelle réflexive
Les stagiaires devaient tout d’abord réfléchir aux aspects des situations et/ou des activités de formation qu’ils souhaitaient explorer visuellement en vue de les donner à voir et à comprendre, puis ils devaient mettre en œuvre cette exploration visuelle en mobilisant la photographie, et enfin ils devaient choisir entre trois et cinq photographies dont ils jugeaient qu’elles permettaient de montrer et d’appréhender tels et/ou tels aspects des situations et/ou des activités de formation prenant place sur leur terrain de stage. Les photographies devaient au final être mises en ligne sur la plate-forme de e-learning employée pour le DUFA (la plate-forme ACCEL du CUEEP), dans un espace spécifiquement créé pour chaque stagiaire, et chacune des photographies devait être présentée et explicitée de la façon suivante : 1°) énonciation de ce qu’elle montre et du contexte qui entoure ce qu’elle montre, 2°) explicitation du choix de monter cela et de ce que cela permet de savoir, et 3°) indication de la manière dont la photographie a été prise. Vingt-cinq explorations visuelles réflexives ont ainsi été réalisées par les stagiaires et nous choisissons ici de rendre compte de deux d’entre elles.
Une stagiaire avait intégré une association de lutte contre l’illettrisme dans le département du Nord. Cette association mettait en œuvre des actions de formation auprès d’un public d’adultes en situation d’illettrisme, cependant il y avait aussi des cours de Français Langue Étrangère (FLE) pour un public de migrants. L’association comprenait quelques salariés, mais elle mobilisait et était surtout portée par des bénévoles. Les photographies de cette stagiaire et leurs commentaires ont permis de relever différents aspects des situations et des pratiques de formation dans cette association et portent aussi sur les publics et sur l’association elle-même : la convivialité des échanges entres formateurs et apprenants ; l’impossibilité de pouvoir distinguer a priori une personne en situation d’illettrisme d’une personne maîtrisant la lecture et l’écriture ; l’importance des bénévoles, la diversité de leurs profils, et leur valorisation dans et par l’association ; le dialogue entre personnes de cultures différentes, l’hétérogénéité des publics, et la prise en compte de cette diversité dans les pratiques de formation (pédagogie différenciée) ; et enfin, la place accordée à la lecture et à sa valorisation (sur un registre sensitif-émotionnel : le plaisir de lire) dans l’association.
Une autre stagiaire avait pour sa part intégré un organisme de formation dans le département du Pas-de-Calais. Cet organisme de formation proposait différentes formations qualifiantes et non qualifiantes, ainsi que diverses prestations telles que des bilans de compétences. La stagiaire intervenait spécifiquement sur un dispositif Formation Insertion Jeunes (FIJ) : c’est une formation non qualifiante, financée par le Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais, qui s’adresse à des jeunes de 18 à 25 ans éloignés de l’emploi et qui a pour visée leur insertion socioprofessionnelle (orientation vers une formation qualifiante, vers un contrat d’apprentissage, etc.). Les photographies faites par cette stagiaire et leurs commentaires ont ici donné à voir et à comprendre plusieurs aspects des situations et des activités menées, ainsi que du métier de formateur : le lien entre l’espace de travail, sa configuration, et l’apprentissage (participation ou non des apprenants) ; la cohésion du groupe d’apprenants lors de moments informels (les pauses) et son importance pour l’apprentissage de chacun ; la place de la communication entre les formateurs dans et pour le suivi de l’action de formation et des apprenants ; l’importance de la valorisation des apprenants et de l’instauration d’une relation de confiance pour l’apprentissage.
Dans les deux cas, on voit que l’exploration visuelle a permis un certain recul réflexif par rapport à ce qui se déroulait sur le terrain de stage et a contribué à la construction de la professionnalité des stagiaires en tant que futurs formateurs d’adultes.

Bilan critique de cette expérience pédagogique
Cette expérience pédagogique d’initiation à la sociologie visuelle des stagiaires du DUFA s’est avérée intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord, les stagiaires ont tous adhéré à la démarche et celle-ci a d’ailleurs permis de les remobiliser à un moment où beaucoup d’entre eux manifestaient une certaine fatigue, voire une certaine lassitude. Ensuite, l’expérience a pris place à une étape du cursus du DUFA où les stagiaires devaient débuter l’évaluation de l’action de formation qu’ils avaient mise en œuvre, pour ensuite établir un retour réflexif sur celle-ci. Enfin, et surtout, la plupart des explorations visuelles réflexives se sont avérées satisfaisantes, voire très satisfaisantes.
Il y a eu néanmoins des explorations visuelles réflexives moins satisfaisantes. Dans ces quelques cas, le commentaire accompagnant chaque photographie ne permettait pas de bien saisir ou de comprendre complètement ce qu’elle donnait à voir : ainsi, il y avait certes monstration par l’image de quelque chose auquel le stagiaire avait fait attention, mais la compréhension n’était pas suffisante car le texte n’était pas suffisamment clair, précis, ou tout simplement bien formulé. En sociologie visuelle, "[…] les deux formes de communication sont complémentaires et peuvent […] générer un degré élevé de compréhension" (La Rocca, 2007a, p. 35) : il est dès lors nécessaire que la photographie et le commentaire qui l’accompagne s’articulent afin de clarifier et d’approfondir la compréhension de ce qui est donné à voir.
Dans la mesure où nombre d’entre eux seront doublement confrontés à la précarité (celle affectant les publics et celle liée à leurs conditions d’exercice professionnel), il est important d’amener les futurs formateurs d’adultes à développer leur réflexivité et à travers cela leur pouvoir d’agir. Les initier à la sociologie visuelle nous a alors paru une modalité ludique, stimulante et heuristiquement pertinente pour leur faire acquérir une posture réflexive. Reste à savoir si une fois devenus formateurs, ils cultiveront cette posture réflexive, et s’ils mobiliseront pour cela la sociologie visuelle ?

Résumé en Anglais


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