Fiche Documentaire n° 3695

Titre Exploration de l’usage du sport comme action sociale : émancipation ou contrainte ?

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Auteur(s) BOURNISSEN Chantal  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Exploration de l’usage du sport comme action sociale : émancipation ou contrainte ?

Le sport par sa pratique massive et sa médiatisation occupe depuis des décennies une importance prépondérante dans notre société, il est souvent appelé à servir de vecteur éducatif car entre autres, il favorise la création des liens sociaux et développe la citoyenneté. Selon les études, il peut favoriser le développement des ressources physiques, intellectuelles et psychiques des jeunes et transformer de manière positive l’image corporelle.
La littérature montre en outre que le sport comme outil éducatif est d’une part relativement peu évalué et que d’autre part, il est la majeure partie du temps, peu intégré dans un programme pédagogique élaboré. Les activités ne sont pas proposées de manière égalitaire pour tous les types de populations institutionnalisées, les activités suggérées ne sont pas les mêmes pour toutes et tous. Elles ne sont pas non plus équitables, certaines filles, certains garçons, les personnes en situations de handicap n’y sont que tolérés.
Une enquête préliminaire dans dix institutions sociales de la région valaisanne (canton suisse) montre que les activités sportives sont très prisées dans les milieux socio-éducatifs, auprès de populations fragilisées. Dans ces institutions, nous avons constaté que les pratiques sportives sont plus ou moins formelles, elles mettent en jeu différents concepts, éducatifs, thérapeutiques, ludiques. Le sport est promu sans que soient forcément questionnées les valeurs et les éventuelles difficultés qu’il amène, par exemple la reproduction de la domination masculine ou l’augmentation de violences ou le traitement des questions de genre.
Cette communication s’inscrit dans une phase de dépôt de projet de recherche. Elle va relater l’état des connaissances sur le sport comme outil éducatif à travers les enquêtes exploratoires que nous avons menées et la revue de la littérature. Elle va questionner l’activité sportive au sein des institutions sociales sous l’angle éducatif mais également sous l’angle de l’émancipation des normes de genre menant à une participation accrue à la cité.
La recherche prévue donnera la parole aux bénéficiaires de l’intervention sociale, ceci dans le but d’évaluer la place qu’a réellement le sport, au niveau du développement l’identité sexuée et sexuelle des jeunes en institution.

Bibliographie

ARNAUD L. (1999) Politiques sportives et minorités ethniques : le sport au service des minorités ethniques, Paris, L’Harmattan.
ATTALI M. (2004) Le sport et ses valeurs, Paris, La Dispute.
COMPTE R. (2010) Sport et handicap dans notre société : un défi à l’épreuve du social, Empan, n°79, vol. 3, pp. 13-21.
FALCOZ M. & KOEBEL M. (2005) Intégration par le sport : représentations et réalités, Paris, L’Harmattan.
GASPARINI W. & KNOBE S. (2005) Le salut par le sport ? Effets et paradoxes d'une politique locale d'insertion, Déviance et Société, n° 4, vol. 29, pp. 445-461.
LE BRETON D. (2011) Anthropologie du corps et modernité, Paris, Presse Universitaire Française.
LE YONDRE F. (2012) Des corps incertains. Redynamisation des chômeurs par le sport, Le sociographe, n° 38, vol. 2, pp. 83-92.
LEFEVRE N. (2012) Sport et éducation spécialisée. Prévenir la délinquance ?, Le sociographe, n° 38, vol. 2, pp. 43-51.
LIOTARD P. & TERRET T. (dir.) (2005) Sport et Genre. Excellence féminine et masculinité hégémonique, Paris, L’Harmattan.
LOUVAU C. (2006) Inégalité sur la ligne de départ : femmes, origines sociales et conquête du sport, Clio. Histoireˏ femmes et sociétés, n° 23, pp. 119-143.
MARCELLINI A. et al., « L'intégration sociale par le sport des personnes handicapées », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2003/20 Vol. IX, p.
59-72.
MENNESSON C. (2007) Etre une femme dans le monde des hommes. Socialisation sportive et construction du genre, Paris, L’Harmattan.
PANTALEON N. (2003) Socialisation par les activités sportives et jeunes en difficultés sociales, Empan, n°51, vol. 3, pp. 51-53.
RIVIERE D. & HORNUS-DRAGNE D. (2010) Sport et handicap mental, Empan, n° 79, vol. 3, pp.22-27.
SAINT MARTIN J.-P. & Terret T. (2006) Apprentissage du genre et institutions éducatives, Paris : L’Harmattan.

Présentation des auteurs

Master en sciences de l’éducation, professeure à la Haute Ecole de Travail Social HES-SO Valais - Wallis

Communication complète

Exploration de l’usage du sport comme action sociale : émancipation ou contrainte ?

Le sport par sa pratique massive et sa médiatisation occupe depuis des décennies une importance prépondérante dans notre société il est devenu un réel fait social. Il est également souvent appelé à servir de vecteur éducatif car il est considéré comme un formidable moyen d’intégration sociale. Il est le lieu par excellence pour acquérir et développer le « goût de l’effort » (Le Breton, 1993), et augmenter le capital santé. Comme outil éducatif, il est notamment utilisé auprès des enfants et adolescent•e•s, principalement chez les jeunes en institution ou les jeunes à problèmes, mal intégré•e•s socialement ou délinquant•e•s. Le sport est un « formidable vecteur d’insertion et/ou de réinsertion sociale ou professionnelle, un réel tremplin vers un mieux-être individuel et collectif.» (Jouve et al., 2010 : 11).
Nous nous intéressons à la manière dont les activités sportives sont pratiquées. Nous considérons ces modalités de pratique comme déterminantes pour favoriser ou non la capacité, de la part des résident•e•s, de s’affranchir des contraintes, liées au système de genre, qui influencent leur identité sexuée et sexuelle.
Dans le cadre d’un dépôt de projet de recherche, une enquête préliminaire a été effectuée auprès de 10 institutions socio-éducatives afin de savoir comment étaient mises en œuvre les activités sportives et quels en étaient les objectifs visés. Les institutions visitées accueillent des jeunes en rupture, des adultes souffrant d’addictions et des personnes handicapées. Nous ne retenons ici que les institutions pour jeunes en rupture et pour jeunes personnes handicapées dont l’objectif est l’insertion socio-professionnelle (7 au total). Les jeunes, accueilli•e•s, sont souvent en déficit au niveau de la scolarisation, de l’employabilité et des habiletés de la vie quotidienne en général et d’une faiblesse de liens sociaux. L’ensemble de ces structures socio-éducatives, proposent dans le cadre de leur programme socio-pédagogique, des activités sportives. Les pratiques professionnelles éducatives sont à la recherche de moyens favorisant l’autonomisation de la personne, son épanouissement et son insertion sociale et professionnelle. Comme le dit Bonnefond (2006 : 81), « quand un jeune rentre, on devrait penser à sa sortie ». Cette philosophie induit la mise en place de différents programmes dont le sport fait partie (Goyette, 2006). En croisant les résultats de notre enquête avec la littérature du domaine, différents éléments sont mis en évidence.
De manière générale, nous avons constaté que dans l’ensemble des établissements visités, le sport est considéré par les professionnel•le•s interviewé•e•s comme un moyen efficace d’émancipation et d’autonomisation des jeunes. Pour ces personnes le sport favorise entre autres, l’estime de soi, le respect des règles, la discipline, la responsabilisation, l’intégration, le goût de l’effort, le dépassement de soi ou le flirt avec les limites. Elles sont persuadées que le transfert des compétences acquises par le sport est possible voire même pour certaines, relativement automatique et que les bénéfices se feront nécessairement sentir sur le développement psychologique et social des jeunes dont elles s’occupent. Pourtant des études ou réflexions montrent que l’intégration des vertus sportives et l’assimilation des bénéfices du sport ne se font pas de manière aussi systématique qu’on veut bien le laisser entendre. La mise en place d’un programme sportif nécessite certaines conditions pour que les potentiels bénéfices soient observables (Falcoz et Koebel, 2005, Gasparini et Knobe 2005).
Dans les institutions visitées, différents types de sports sont proposés, du plus encadré par des règles (sport d’équipe) au moins formel (marches, escalade, sorties à vélo, etc.). Les activités sportives proposées mettent en jeu différents concepts : éducatifs, thérapeutiques ou ludiques. Parfois la même activité peut avoir un caractère de récompense ou de punition. La littérature nous dit que la manière dont est mise en œuvre l’activité physique joue un rôle déterminant sur ses effets (Falcoz, 2012, Pantaléon, 2003). Le type d’activités proposé et le fait que les jeunes acceptent ou non cette activité sont déterminants pour assoir les vertus émancipatrices du sport (Guérandel, 2011). Par exemple, les activités sous forme de compétition, auront d’autres objectifs éducatifs (par exemple, le dépassement de soi) que des activités occupationnelles (passer le temps, combattre l’inactivité).
Si l’on rentre par la focale genre, les modalités de la pratique sportive représentent également une composante importante. Lors de l’enquête, les questions de genre, la reproduction de la domination masculine ou la perpétuation des violences subies ou agies dans le sport ne sont notamment pas prises en considération comme si dans le contexte particulier de l’institution sociale la pratique sportive restait à l’abri des stéréotypes de sexe et de la domination symbolique masculine. Signalons, au niveau des pratiques que la majorité des sports proposés dans les institutions visitées sont ceux que l’on peut caractériser de masculins et souvent, ils sont assortis de conditions difficiles : camps de survie, longues marches dans la montagne, escalade. Et lorsque l’activité n’est pas mixte, il s’agit de sports sexués, par exemple, aux hommes la musculation et aux femmes le gainage.
Pour Saint-Martin et Terret (2006) le genre s’apprend dans les corps et les institutions éducatives et leur programme d’éducation physique jouent un rôle primordial sur le rapport au corps des bénéficiaires et les processus de féminisation et de masculinisation à l’œuvre. Les institutions veillent à construire des garçons, qui soient de « vrais » garçons, et qui ne peuvent en aucun cas être associés à l’homosexualité (Liotard, 2013). Ainsi, ce sont les garçons qui reçoivent le plus de remarques désobligeantes, voire humiliantes, les filles étant « naturellement » considérées comme inaptes (Mennesson, 2007). Les jeunes expérimentent par l’activité sportive l’incorporation d’un modèle corporel masculin ou féminin.
Il est à relever que la plupart des personnes interviewées ont souligné le caractère particulier des interactions (professionnel•le•s /jeunes ou jeunes/jeunes) développées durant la pratique sportive, du fait que ces activités sortent du cadre institutionnel ordinaire. Les interactions sont plus riches, plus empreintes de confiance, le registre sollicité est exceptionnel, il déborde du cadre éducatif stricto sensu. Cependant ces interactions peuvent varier, particulièrement si la pratique est mixte ou non mixte, et ceci ouvre naturellement la réflexion sur les rapports sociaux de genre produits par la relation particulière entretenue par le personnel d'encadrement et les jeunes en fonction de leur sexe respectif. Précisément, dans le champ de l’action socio-éducative, il semble que la mixité soit relativement peu questionnée dans les activités proposées par les professionnel•le•s de l’intervention sociale. La plupart du temps, elle se résume à encourager la présence de filles et de garçons dans les activités.
Nous avons également relevé, lors des entretiens, des dimensions plus instrumentales du sport. Il offre selon les intervenant•e•s, des possibilités de changer son rapport au corps, d’apprendre à le connaître, de le redécouvrir, il s’agit de « réincarner » son corps et apprendre à l’aimer. Ces phénomènes sont d’autant plus importants au moment de l’adolescence, où les jeunes découvrent et expérimentent de nouvelles dispositions corporelles. La perception de leur corps est différente, en fonction de leur sexe et elle influence la pratique de tel ou tel sport : « les garçons expriment le souhait d’avoir un corps plus large que celui qu’ils ont alors que les filles expriment le souhait d’être plus minces » (Dany et Morin, 2010 : 326). Elles et ils accordent à leur image corporelle une importance prépondérante.
Au terme de cette brève synthèse des informations récoltées, on peut faire l'hypothèse qu'au sein des institutions, les pratiques sportives permettent, dans une certaine mesure, d'entrer dans un processus « de réunification d'un "moi" » (Sorignet, 2010 : 261) et d’émancipation. Et ce particulièrement pour les jeunes qui s'éloignent d'une forme de normativité corporelle ou qui peinent à s’approprier leur image corporelle. Ces filles et ces garçons peuvent ressentir leur corps comme une contrainte en regard des aspects spécifiques liés à la situation de handicap, aux changements physiques et psychiques associés à la puberté, au manque d’assurance, ou à une forme d’incertitude quant à leur identité sexuée ou sexuelle.
En définitive, l’activité physique est un lieu de construction sociale du corps, les conventions de la féminité et de la masculinité y sont observables et reproduites. Que ce soit dans la définition de l’identité de genre (se sentir homme ou femme et s'y sentir bien), dans la construction et l’acceptation de la féminité et de la masculinité, pratiquer une activité sportive rattachée à un sexe, a des effets sur la construction de l’identité sexuée et l’identité sexuelle des jeunes. La mise en scène du corps opérée par le sport peut-elle dès lors devenir un facteur de libération et d’émancipation ?
En conclusion, le croisement des informations récoltées sur le terrain et la littérature sur le sujet, nous amènent à nous poser deux grandes questions. La première concerne les modalités des pratiques sportives institutionnelles, elles divergent fortement selon les établissements et la question est de savoir si elles participent à l’égalité de traitement des personnes accueillies en regard du système de genre. La seconde porte sur les effets du sport perçus par les jeunes et de savoir si celui-ci a un impact sur leur socialisation dans ses différentes dimensions (autonomisation, rapport au corps et à l’identité sexuée et sexuelle, notamment).

Bibliographie

BONNEFOND G. (2006) De l’institution à l’insertion professionnelle. Le difficile parcours des jeunes déficients intellectuels, Toulouse, ERES « Trames ».
DANY L. & MORIN M. (2010) « Image corporelle et estime de soi : étude auprès de lycéens français », Bulletin de psychologie, n° 509, vol. 5, pp. 321-334.
FALCOZ M. (2012) « Des formations incertaines. La difficile insertion par le sport », Le Sociographe, n° 38, vol. 2, pp. 70-81.
FALCOZ M. & KOEBEL M. (2005) Intégration par le sport : représentations et réalités, Paris, L’Harmattan
GASPARINI W. & KNOBE S. (2005) « Le salut par le sport ? Effets et paradoxes d'une politique locale d'insertion », Déviance et Société, n° 4, vol. 29, pp. 445-461
GOYETTE M. (2006) « Préparation à la vie autonome et l’insertion socioprofessionnelle des jeunes pris en charge par l’Etat : quelles interventions ? », Revue Sociétés et jeunesses en difficulté. N°2, URL : http://sejed.revues.org/159
GUERANDEL C. (2011) » Sports, genre et jeunesse populaire: le rôle central des professionnels », Agora débats/jeunesses, n° 59, vol. 3, pp. 93-106
JOUVE A., RANCHIN B. & RUEL M. (2010) « Sport et corps…social introduction ». Empan, 2010/3, pp. 11-12
LE BRETON D. (1993) La chair à vif. Usages médicaux et mondains du corps humain, Paris, Editions Métailié
LIOTARD P. (2013). Conférence : Corps et construction sociale de la masculinité : devenir homme et le rester. Colloque : Ecole loisirs, sports, culture : la fabrique des garçons, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, mai 2013.
MENNESSON C. (2007) Etre une femme dans le monde des hommes. Socialisation sportive et construction du genre, Paris, L’Harmattan.
PANTALEON N. (2003) Socialisation par les activités sportives et jeunes en difficultés sociales, Empan, n°51, vol. 3, pp. 51-53.
SAINT MARTIN J.-P. & Terret T. (2006) Apprentissage du genre et institutions éducatives, Paris : L’Harmattan
SORIGNET P.-E. (2010) Danser : enquêtes dans les coulisses d’une vocation, Paris : La Découverte

Résumé en Anglais


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