Fiche Documentaire n° 3700

Titre La formation des cadres dans les mailles de l’efficience des dispositifs, du management d’équipes et de l’émancipation des usagers

Contacter
l'auteur principal

Auteur(s) THOMASSET Elisabeth
GARNIER SAMUEL
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

Résumé | Bibliographie | Les auteurs... | Article complet | PDF (.fr) | Résumé en anglais | PDF .Autre langue | Tout afficher

Résumé

La formation des cadres dans les mailles de l’efficience des dispositifs, du management d’équipes et de l’émancipation des usagers

Les précarités ne cessent d’augmenter et se manifestent sous des formes diverses. Les pouvoirs publics afin de pallier les difficultés générées par un contexte socioéconomique en tension multiplient les dispositifs et l’encadrement des pratiques des professionnels de l’intervention et de l’action sociale. A l’instar d’Edgar MORIN, force est de constater que nous sommes en train de changer de paradigme et qu’il est nécessaire de développer une pensée complexe pour faire face à la complexité des situations.
Les cadres que nous formons à l’Institut de Formation des Travailleurs Sociaux d’Échirolles doivent être formés à ce défi : trouver de nouvelles modalités d’action et de décision pour accompagner les personnes vulnérables. Les centres de formation ont une responsabilité dans la production des acteurs à laquelle ils ne peuvent pas déroger. Comment permettre aux étudiants de développer une pensée réflexive et réfléchie de l’action sociale ?
Les pratiques des cadres peuvent parfois sembler se résumer à des activités de mise en conformité et de performance de l’organisation oubliant par là-même leur mission première, l’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité (logique opératoire versus logique libératoire). Comment éviter que ces étudiants ne soient pas dans une logique « agentique » (cf. MILGRAM et BEAUVOIS) ?
Lorsque nous intervenons auprès de professionnels ou auprès d’étudiants dans nos formations, ils attendent bien souvent que nous leur apportions des solutions simples et pratiques, des techniques très opératoires pour sortir des dilemmes et tensions dans lesquelles les situations qu’ils éprouvent les convoquent.
Nous sommes toujours vigilants et veillons à ce que l’efficience recherchée par les professionnels pour les usagers ne devienne pas une aliénation de plus enfermant les personnes concernées par l’intervention ou l’action sociale. Comment soutenir l’idée que l’usager puisse expérimenter par lui-même ses capacités et puissent être dans un processus d’auto-efficacité ? Si les équipes pédagogiques montrent l’importance de réfléchir ensemble sous le mode de co-construction, peuvent-elles favoriser « l’apprentissage social » (BANDURA) des étudiants ?
Pour répondre à ce défi pédagogique, il nous faut innover, bricoler (au sens de LÉVI-STRAUSS, 27). C’est toute l’institution qui porte cette question (cf. projet d’établissement). Depuis un an nous tentons de dépasser le paradoxe dans lequel les cadres se trouvent parfois piégés : comment concilier efficience des dispositifs, management d’équipe et émancipation des usagers ?
En prenant appui sur la journée d’étude que nous avons mise en place en avril 2014, sur nos interventions sur les terrains professionnels et sur l’accompagnement pédagogique des étudiants en formation d’encadrant (cadres intermédiaires et cadres de direction), nous tenterons d’apporter un éclairage sur cette question.
Comment accompagner ces dissonances cognitives dans le processus de formation pour éviter les effets pervers de tels conflits psychiques ? Comment favoriser, en tant que formateurs, le champ des possibles (le Développement du Pouvoir d’Agir) ? En quoi la formation permet-elle d’affronter les tensions actuelles et à venir dans la fonction de cadre ?
Pour répondre à ce questionnement nous allons administrer un questionnaire auprès des étudiants en formation de cadres au sein de notre établissement et auprès de professionnels. Il s’agira en fonction du contexte des répondants de discerner les espaces de dissonances et de congruences que les cadres (ou futurs cadres) affrontent. Ainsi nous proposerons une réflexion sur la manière de préparer les futurs professionnels pour éviter qu’ils ne deviennent de simples exécutants de prescriptions institutionnelles, entrainant ainsi dans leur sillage les professionnels et in fine les personnes concernées.

Bibliographie

BANDURA, Albert. (2003) Auto-efficacité : Le sentiment d'efficacité personnelle : « Self-efficacy », (trad. Jacques Lecomte), Paris, De Boeck.
BEAUVOIS, Jean-Léon et JOULE, Robert-Vincent (1981) Soumission et idéologies. Paris, PUF.
BEAUVOIS, Jean-Léon. ; MUGNY, Gabriel ; OBERLE, Dominique (1995) La Psychologie Sociale : Relations humaines, groupe et influence sociale. Grenoble, PUG.
LÉVI-STRAUSS Claude (1962) La pensée sauvage, Paris, Plon.
MILGRAM Stanley (1997) Soumission à l’autorité : un point de vue expérimental, Paris, Calmann-Lévy.
MORIN Edgar (2000) Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Seuil.
MORIN Edgar (2005) Introduction à la pensée complexe, Paris, Le Seuil.

Présentation des auteurs

Élisabeth THOMASSET, responsable du pôle encadrement à l’IFTS d’Échirolles, Docteur en socio-anthropologie.
Samuel GARNIER, formateur dans le pôle encadrement à l’IFTS d’Échirolles, Master2 en sciences de l’éducation.

Communication complète

Les précarités ne cessent d’augmenter et se manifestent sous des formes diverses. Les pouvoirs publics afin de pallier les difficultés générées par un contexte socioéconomique en tension multiplient les dispositifs et l’encadrement des pratiques des professionnels de l’intervention et de l’action sociale. A l’instar d’Edgar MORIN , force est de constater que nous sommes en train de changer de paradigme et qu’il est nécessaire de développer une pensée complexe pour faire face à la complexité des situations.
Nous sommes tous d’accord , les cadres sont des acteurs indispensables au sein des organisations… Tous nous soulignons les besoins en formations de cette catégorie de professionnels et plus précisément auprès des cadres intermédiaires.
Les cadres que nous formons à l’Institut de Formation des Travailleurs Sociaux d’Échirolles et ailleurs, doivent être formés à ce défi : trouver de nouvelles modalités d’action et de décision pour accompagner les personnes vulnérables. Les centres de formation ont une responsabilité dans la production des acteurs à laquelle ils ne peuvent pas déroger. Comment permettre aux étudiants de développer une pensée réflexive et réfléchie de l’action/de l’intervention sociale ?
Pour répondre à ce défi pédagogique, il nous faut innover, bricoler (au sens de LÉVI-STRAUSS, p.27) . C’est toute l’institution qui porte cette question (cf. projet d’établissement). Depuis un an nous tentons de dépasser le paradoxe dans lequel les cadres se trouvent parfois piégés : comment concilier efficience des dispositifs, management d’équipe et émancipation des usagers ?
Notre intervention vise à partager et échanger sur la mise en œuvre des formations de cadres en prenant en compte les réalités expérimentés et éprouvées par les cadres dans leur exercice. Les réformes des diplômes du Code de l’Action Sociale et des Familles en France depuis 2004 ont produit une véritable révolution copernicienne (pas nécessairement activé par tous les acteurs de la formation) : former à l’acquisition de compétences et non plus enseigner des savoirs. Ces derniers sont désormais subordonnés aux pratiques professionnelles et ainsi nous devons mieux cerner les réalités construites par les acteurs (professionnels ou non professionnels).
Pour tenter de répondre à ce questionnement, nous nous appuierons, entre autres, sur un questionnaire que nous avons administré du 7 au 25 avril 2015 auprès des étudiants en formation de cadres au sein de notre établissement (Cadres intermédiaires et Cadres de direction) mais aussi de professionnels encadrants. Nous avons obtenu 30% de retours sur une population mère de 215 personnes contactées .
Ce questionnaire est construit en deux grands volets. Le premier est structuré à partir des résultats des ateliers de la journée d’étude des cadres que nous avons organisée le 3 avril 2014 portant sur l’efficience des dispositifs, le management d’équipe et l’émancipation des usagers qui a réuni près de 150 cadres de tous horizons. Le second volet porte plus particulièrement sur les dimensions psycho-sociales des cadres telles qu’elles sont perçues et vécues face aux salariés et personnes accompagnées.
Les pratiques des encadrants
Si la mission première des travailleurs sociaux est d’accompagner les publics vulnérables, les cadres, quant à eux, doivent veiller à la mise en œuvre de ces accompagnements dans le souci constant du respect aux personnes concernées (usagers). Ils doivent, non seulement, connaître les modalités d’action et d’intervention des intervenants sociaux mais ils doivent concilier les logiques du travail social et les logiques technocratiques de plus en plus fortes.
En ce qui concerne l’efficience des dispositifs
Les pratiques des cadres peuvent parfois sembler se résumer à des activités de mise en conformité et de performance de l’organisation oubliant par là-même leur mission première, l’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité (logique opératoire versus logique libératoire). Comment éviter que ces cadres ne soient pas dans une logique « agentique » au sens de MILGRAM (1997) et BEAUVOIS (1981) ?
Pour les cadres ou futurs cadres, l’environnement professionnel dans lequel ils évoluent se manifeste par la complexité des dispositifs (81,6%), un manque de moyens pour mettre en œuvre les finalités de la Loi (80%), le morcellement des pratiques (75%), un manque de cohérence (66,7%), une confusion des dispositifs (60%), et enfin, une mise en concurrence des institutions (58,3%). Le paysage dépeint est plutôt sombre.
Lorsque l’on se centre plus spécifiquement sur leur terrain professionnel, le paysage s’éclaircie. S’ils rencontrent des difficultés, elles recueillent moins de suffrages. Les difficultés rencontrées dans les pratiques des cadres portent en premier lieu sur l’épuisement professionnel des salariés (51,7%), puis vient la difficulté à associer organisation horizontale et verticale dans les institutions (48,3%), les difficultés à coopérer entre partenaires (40%), la défiance vis-à-vis de la direction (36,7%)… Ils ne sont que 6,7% à signifier qu’ils ne rencontrent pas de difficulté.
Dans l’environnement externe, les cadres à 95% déclarent coopérer entre partenaires afin d’impulser un travail ensemble et travaillent (91,6%) au repérage et à la connaissance des acteurs sur le territoire. L’image des cadres repliés au sein de leur institution semble désormais un souvenir lointain.
Entre l’environnement interne et l’environnement externe, quelles places les institutions laissent-elles aux personnes accompagnées ? À 66,7%, les cadres observent que les besoins des institutions priment parfois sur ceux des usagers et que la multiplicité des dispositifs ne facilite pas l’accompagnement global des usagers (50%).
Afin de palier l’ensemble de ces difficultés ils préconisent de faire évoluer les modes de faire ensemble (56,7%) et de sortir des injonctions paradoxales en clarifiant les places, rôles et fonction de chacun (55%). En ce qui concerne l’environnement externe, ils préconisent les notions d’ouverture et de souplesse afin de sortir des logiques qui peuvent paraître rigides (61,7%).
En ce qui concerne le management
Les points de vigilance majeurs en matière de management pour les cadres interrogés sont en premier lieu le fait de donner du sens (81,7%) et en second lieu de développer l’autonomisation des salariés (sortir de l’assistance) (45%).
Les tensions qu’ils rencontrent en matière de management porte sur la gestion des temporalités (temps des politiques versus temps des usagers) et sur l’accompagnement aux changements (entre les injonctions à innover et les résistances) (76,7%) puis sur la prévention de l’usure professionnelle et les réponses aux attentes des usagers (75%).
Afin d’accompagner les futurs cadres dans l’environnement en tension dans lequel ils vont évoluer, nous développons à chaque fois que cela est possible des débats, un dialogue faisant émerger les confrontations d’idées entre les professionnels. Il est important de développer l’esprit critique vis-à-vis des théories managériales qui sont parfois transmises de manière dogmatique.
Malgré un environnement en tensions, ils sont 83,3% à penser qu’il est possible de dépasser les contraintes pour les transformer en opportunité. En se penchant sur les fonctions occupées par les répondants, ce sont les cadres intermédiaires qui sont le plus optimistes (84,85%). Pour y parvenir ils préconisent de fédérer les équipes en s’appuyant sur le sens et les valeurs (68,3%) et de trouver (56,7%) des espaces de réflexion, d’échange et de partage (entre cadres, équipes, confrères et publics). Le contexte dans lequel ils évoluent est certes difficile mais il est loin d’être désespéré…
Nous avons ouvert les cours des formations cadres (comme d’autres) et nous rencontrons un succès certains. Pour les personnes les plus âgées (plus de 40 ans), nombreux sont celles qui viennent assister à des cours pour actualiser leurs connaissance et/ou prendre de la distance et réfléchir leur pratique.
En ce qui concerne la participation des usagers
Ils sont 80% à penser que la participation des usagers est une liberté et non une injonction à la participation. Si la quasi majorité des cadres (91,7%) sont persuadés que les professionnels accordent une réelle place à l’usager dans la construction de son advenir, en revanche, ils sont 25% à penser que les professionnels n’ont pas assez de connaissances dans les modes d’intervention pour favoriser la participation des usagers et encore plus nombreux à penser qu’ils ne développent pas suffisamment d’intervention collective (31,7%). Afin de favoriser la participation des usagers, les cadres préconisent de faire du projet d’établissement ou de service un objet vivant (63,3%) et de soutenir les équipes (valoriser, rassurer, droit à l’expérimentation et à l’échec…) (63,3%), cela en mettant en place une culture éthique et déontologique (55%).
Lorsque nous intervenons auprès de professionnels sur site ou auprès d’étudiants dans nos formations, ils attendent bien souvent que nous leur apportions des solutions simples et pratiques, des techniques très opératoires pour sortir des dilemmes et tensions dans lesquelles les situations qu’ils éprouvent les convoquent. Nous sommes toujours vigilants et veillons à ce que l’efficience recherchée par les professionnels pour les usagers ne devienne pas un effet pervers enfermant les personnes concernées par l’intervention ou l’action sociale. Il est si tentant de savoir ce qui est bon pour l’autre. Comment au contraire soutenir l’idée que l’usager puisse expérimenter par lui-même ses capacités et puissent être dans un processus d’auto-efficacité positif ?
Le « cadre » en pratique…
Le contexte actuel de crise économique, sociale, voire identitaire, augmente les problématiques de l’intervention sociale : de plus en plus d’accompagnements difficiles, avec une réduction des budgets de manière constante. Les cadres et leurs équipes font face à une injonction paradoxale faire plus (en terme d’innovations des pratiques avec l’accueil de problématiques plus complexes au sein des institutions ou des services) avec moins (les subventions publiques et les financements pour soutenir les plans de formation diminuent).
La remise en question des pratiques et la demande générale sur l’efficacité des accompagnements provoque une dissonance cognitive chez les salariés (FESTINGER,1954) : conflit psychique entre leur volonté de participer au mieux à ces innovations dans ce contexte et entre leurs principes éthiques, issus des modèles de pratiques sur lesquels ils ont construit leurs compétences. Comment accompagner au mieux cette dissonance ? C’est ce que nous tenterons de répondre dans cette partie.
… De l’usure professionnelle
Dans la formation des cadres à l’IFTS, les étudiants sont mis régulièrement dans une posture difficile : remises en questions de leurs propres pratiques et remise en question des pratiques de leur institution.
Cela génère des conflits psychiques, sociaux parfois graves : dénonciation de maltraitance, prud’homme, burn out (par exemple, sur les 150 étudiants en formation CAFERUIS, 10 étudiants ont abandonné et 26 ont dû demander des suspensions de formation).
Le cadre en pratique est également soumis à l’usure professionnelle. Usure au niveau de lui-même et usure au niveau de ces équipes composés de travailleurs sociaux. À ce sujet, l'équipe de recherche pluridisciplinaire (PEZET, VILLATE, LOGEAY,1996) (psychologie sociale, Ergonomie, psychopathologie du travail) a réalisé, il y a 20 ans, des recherches sur le burn out des travailleurs sociaux et sur la nécessité de s'intéresser à la souffrance des salariés.
Une préoccupation majeure se retrouve chez l’ensemble des salariés qui sont en difficulté. Un non-dit sur la souffrance psychique, parce qu’il y a la crainte d’avouer sa peur, son ennui, sa dissonance, ses doutes, « la peur de reconnaître pour soi et pour les autres, que l’on craque… ». Des sentiments que l’on retrouve dans différentes études.
Pour cette équipe de chercheurs « il était nécessaire de décentrer le discours tenu sur le client vers le travailleur social. Il s’agit de prendre le contre-pied des approches sociologisantes ou managériales qui hypertrophient le client et se soucient avant tout de la qualité et de la rentabilité du service » (1996, P45). Cette démarche, qui selon eux, se retrouve aussi bien dans le monde de l’entreprise que dans le travail social, peut-être dans le fond humaniste. Néanmoins, ils considèrent qu’il est temps de se pencher plus précisément sur la façon dont le travailleur social conduit et vit sa relation avec la personne accompagnée, « lui aussi peut connaître la souffrance, avoir ses faiblesses… malgré le déni et l’interdiction d’en parler » (1996, P46).
… à l’efficacité personnelle…
En regardant l’étude menée avec Elisabeth THOMASSET, il est intéressant de comprendre le regard que portent les cadres sur eux-mêmes. Quelle est leur efficacité personnelle ? BANDURA définit l’efficacité personnelle comme « la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités » (2003, P12) .
Ce concept rejoint celui de la théorie de la comparaison sociale (FESTINGER, 1954) , nous avons besoin de nous comparer les uns aux autres pour développer une évaluation exacte de nos aptitudes. BANDURA définit le sentiment d’efficacité personnelle comme la croyance que « l’individu a en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire les résultats souhaités » (2003, p.12)7. Cela concerne davantage le jugement qu’il porte sur ce qu’il croit être en mesure de faire que sur la détention des compétences elles-mêmes.
Il est intéressant dès lors de favoriser un travail de collaboration entre les étudiants, en évitant les dynamiques de comparaison sociale négative mais en favorisant le partage expérientiel valorisant chaque acteur. C’est cette conscientisation qui permettra au futur cadre diplômé CAFERUIS ou CAFDES d’avoir un sentiment d’efficacité personnelle. C’est à partir de ce postulat qu’il pourra entendre d’autant plus l’expertise de ces collaborateurs et favoriser à son tour la dynamique de collaboration, en toute confiance.
En conclusion, le sentiment de compétence agit comme un puissant régulateur des aspirations et des comportements des personnes (BANDURA, 1986) et l’influence des pairs peut jouer un rôle important dans la comparaison professionnelle (BOISSICAT, PANSU, BOUFFARD, & COTTIN, 2011) .
Par ailleurs, il nous semble que les cadres comme les salariés doivent bénéficier et accéder à un niveau de recherche en favorisant l’ouverture et la rencontre de chaque établissement et service du social, du médico-social, de la formation et des universitaires pour favoriser la rencontre avec les citoyens que sont les personnes accompagnées. Comme le propose Pierre LONGEAY, Psychiatre-ergonome : « il y a un lien entre le statut, la situation concrète, la reconnaissance professionnelle de chaque salarié d’un côté, et les connaissances produites et vulgarisées auprès des acteurs sociaux de ces branches, de l’autre côté ». (1996, p. 43).
Comment lutter contre l’usure et la lassitude… Valoriser les « savoir-faire ». Derrière les banalités du quotidien de chaque travail apparaissent de vraies compétences. Encore faut-il en avoir conscience. La formation permet de conscientiser ses savoirs. La formation se doit de favoriser l’efficience personnelle. Soutenir la créativité, consulter et écouter ces professionnels favorise une reconnaissance nécessaire au sentiment d’efficacité personnelle.
On perçoit également dans les réponses du questionnaire des cadres qui généralement identifient les étayages, les outils nécessaires à l’innovation des pratiques professionnelles mais qui rencontrent des difficultés pour les mettre en place. Ceci peut renforcer la mécanique de la dissonance cognitive et au final renforcer des comportements managériaux désadaptés aux situations professionnelles rencontrées. À cela se substituera le sentiment d’épuisement professionnel renforcé par une innovation des problématiques des équipes professionnelles et des personnes accompagnées.
… à la participation des personnes accompagnées
En écho avec la souffrance des cadres, il convient de s’interroger sur celles des usagers. Le cadre règlementaire français et européen depuis bien longtemps et plus particulièrement depuis plus de 10 ans nous oblige à nous intéresser davantage aux besoins, aux droits des usagers. Le cadre réglementaire et législatif en matière de droits des usagers est désormais conséquent. On compte en outre de nombreuses recommandations de bonnes pratiques de l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) et maints rapports sur le sujet. Il s’agit pour le groupe de travail des états généraux du travail social, sur la places des usagers, rapport remis par Marcel JAEGER, président de la commission du rapport du Conseil Supérieur du Travail Social « d’affirmer la primauté de la valeur de la personne citoyenne dans le sillage des principes affirmés en particulier par les lois du 2 janvier 2002, du 11 février 2005 et celles du 5 mars 2007 » (2015).
Il paraît donc nécessaire de continuer à rassembler ces deux dynamiques et de ne pas les opposer. Une conception qui s'élabore nécessairement dans la Co-construction au travers d'expériences partagées d'abord s'appuyant sur la parole des personnes accompagnées, des personnes concernées, puis en écho (sans opposition), sur les ressentis des professionnels. L'espace de rencontre (écho-formation) peut être celui de la formation continue, espace neutre qui supporte aussi bien la personne en souffrance qu'elle soit accompagnée ou qu'elle soit salariée. Cette rencontre n'a de sens que si la représentation des salariés est importante que ce soit de la maîtresse de maison au Directeur Général des structures. Et bien évidemment au niveau des personnes concernées, que ce soit celle qui manifeste clairement ses ressentis ou celle qui n'a pas accès à la parole. Ces rencontres nécessitent du temps, de l'aménagement, de la réflexion, de l'accessibilité, bref de la créativité. Et nos enquêtes montrent que chacun est pourvu de cette capacité si l'étayage est suffisant.
… les outils pédagogiques
Comment favoriser, en tant que formateurs, le champ des possibles : le Développement du Pouvoir d’Agir ? À travers les différentes interventions proposées nous tentons de provoquer des débats contradictoires. Nous tentons de réduire la pensée Univoque et simpliste.
• Mettre en œuvre de manière effective l’Ec(h)o formation ;
• Accueillir des intervenants venant d’univers variés avec des trajectoires variés (Universitaires, professionnels avec ou sans le diplôme de référence, formateurs...) ;
• Favoriser la rencontre entre ces mondes de manière à générer des synergies ;
• Prendre en compte la multiplicité des dimensions d’un étudiant : mise en place de l’analyse de la pratique…
• Tenter de favoriser du travail collaboratif : espace virtuel et réel ;
• Inscrire les étudiants dans la dynamique institutionnelle et participative ;
• Faire du centre de formation un espace de ressources pour les professionnels en développant la formation toute au long de la vie (FTLV) et en facilitant l’accès aux savoirs et aux rencontres entre professionnels : Conférences, ouverture de cours à la FTLV, séminaires sur les problématiques de terrain ;
• La Formation Continue de l’école doit pouvoir se nourrir des terrains et de leur préoccupation car ce sont les premiers acteurs à se coltiner les problèmes et à tenter d’y répondre ;
• La Formation Continue est au service des Institutions et se déplace sur site (en proposant des formations ajustées).
Si les équipes professionnelles montrent l’importance de réfléchir ensemble sous le mode de co-construction, elles favoriseront chez les étudiants l’apprentissage social (BANDURA) . Ils sont très partant sur les innovations dans le travail pour accompagner aux mieux les salariés (conscience qu’ils sont un atout majeur) générant un bienfait pour les personnes accompagnées. Ainsi Claire JOUFFRAY semble avoir raison en favorisant la participation des usagers, on favoriserait celle du pouvoir d’agir des professionnels, initiant ainsi un cercle vertueux.
Cet étayage, nous tentons de le concevoir dans nos démarches à travers des outils pédagogiques, parfois innovants comme les protocoles de Mindfulness proposés par le laboratoire universitaire de Psychosociale de Grenoble-Chambéry (SHANKLAND, STEILER, STRUB, GARNIER, BOISSICAT, 2015) à travers notre posture d'accompagnement, en écoutant et en valorisant les propos de chacun (entretien d'explicitation de VERMERSCH, 1994) . Nous nous laissons aussi nous surprendre par les différents savoirs des personnes rencontrées (savoirs situés). À cela s'ajoute l'expérience en Entreprise que nous avons la chance de mener parallèlement dans un projet de thèse avec une société « Naceol », soutenu par le laboratoire de psychologie de Grenoble pour Suez environnement à Nice. Nous retrouvons dans cette recherche les mêmes ingrédients, les mêmes propos chez les salariés, chez les clients, chez les dirigeants. Chacun a besoin de l'autre mais se méfie, se protège, critique l’autre. La rencontre ne s'opère plus. Personne n'a le sentiment d'être entendu. Finalement en créant ces espaces de rencontre les paroles se délient, la compréhension réapparaît (la dissonance cognitive opère de nouveau) et l'apprentissage social (BANDURA) favorise les pensées par ses process d'identification.
Au final je reprendrais l’expression de Laurent SOCHARD, psychosociologue, lors du dernier congrès de l’UNAFORIS-2014 à Paris « Il est interdit de désespérer quand on travaille dans le social ». On se doit de quitter la place d’expert du travail social et que la parole des personnes concernées soient enfin entendues au même titre que celles des professionnels que nous rencontrons et partager le patrimoine éducatif, culturel, professionnel, comme nous l’indique Charles GARDOU « la société inclusive, parlons-en ! ». (GARDOU, 2012)
Enfin l’expérience du collectif SOIF, recherche action entre les écoles de formation, ESSSE-IFTS et Odenore (Observatoire des Non Recours aux Droits et Services- Philippe Warin) et la FNARS Rhône-Alpes (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale), montre là encore son intérêt et ses limites. Nous tentons de travailler autour de la participation des personnes exclues et en forte précarité sur le territoire Rhône-Alpes-Auvergne. Nous construisons la recherche autour des notions de « coformation » et de « travailleurs pairs ». En effet, les personnes accompagnées sont présentes dès la conception de la formation destinée dans le cadre de la formation continue aux professionnels du secteur, travailleurs sociaux, élus et dans le cadre de la formation initiale aux étudiants Assistant de Service Social et Éducateur Spécialisé. Les personnes concernées sont rémunérées dans ce travail au même titre que les formateurs traditionnels.
L’objectif de ces coformations est multiple, entre autre « Entendre comment l’autre nous perçoit ». On travaille sur les conditions de l’interaction. Les travailleurs pairs ne déballent pas leur vie. Prendre en compte les significations de l’autre et de ses mots est indispensable. Avant la parole, il faut créer les conditions de la parole. L’analyse des plus pauvres est irremplaçable et décisive, au même titre que l’expert de la question.
Dès la conception, nous rencontrons de beaux idéaux sur la question. Mais en pratique les actions ne suivent pas toujours les mots. Certains travailleurs sociaux, chefs de service et formateurs pensent qu’il est compliqué d’inviter les personnes concernées dès la conception. Certains ne souhaitent même pas leur présence. Que ce soit difficile certes, mais leur présence reste capitale. L’innovation perturbe, change les repères et reste dynamique. Ainsi on peut utiliser la méthodologie de l’apprentissage expérientiel (BOURASSA, SERRE, ROSS, 2003) qui consiste selon Yann LE BOSSE et Bernard VALLERIE « à s’appuyer sur la réalité de chaque participant ; la réflexion s’opère à partir de l’action. Chacun est ainsi susceptible de faire l’expérience de son propre pouvoir d’agir, pour le promouvoir, par la suite, auprès des personnes concernées par les interventions éducatives ». (2006, p. 92).

Comme tout professionnel nous rêvons d’avoir une incidence active sur les étudiants que nous formons ! Nous n’aurons une chance d’y parvenir que si nous sommes attentifs aux questions que se posent les acteurs/auteurs de terrain. Pour cela, il faut que prenions aux sérieux les difficultés qu’ils affrontent et que nous nous appuyons sur leurs propres ressources.
Les résultats de l’enquête montrent un vif intérêt des cadres, soucieux des salariés et des personnes accompagnées, malgré un contexte qui peut paraître contraignant. Pour autant, ils sont convaincus de pouvoir agir de leur place à la transformation de leur environnement en s’appuyant sur le sens de l’action et le travail ensemble, que cela soit en interne ou en externe.
Comme eux, nous devons en centre de formation, expérimenter par essai-erreur de nouvelles voies pour tenter de trouver de nouvelles manières de faire ensemble.
Pour véritablement accompagner les professionnels dans leurs fonctions d’encadrement, il nous faut, en permanence, prendre en compte les réalités complexes auxquelles ils doivent faire face en devenant un espace périodique de rencontre et de questionnements partagés. Pour cela nous devons également initier des pratiques co-constructives, développer le pouvoir d’agir des cadres afin que ces pratiques innovantes deviennent réelles. Ainsi une des idées forces qui peut permettre d’y parvenir est que le cadre ne soit plus seul, mais qu’ils puissent se reposer sur une équipe (équipe de cadres, voire équipes de direction). Nous avons sciemment voulu dans notre enquête ne pas discriminer les cadres (en devenir, en fonction de cadre intermédiaire ou cadre de direction). Non pas qu’il n’y ait pas de distinction dans les périmètres d’action et dans leurs pratiques, mais parce qu’il y a de fait des éprouvés partagés et communs.
Les réalités sont diverses et les représentations qui leur sont associées sont parfois en tensions et font débat au sein des organisations sociales et médico-sociales et au sein des centres de formations. Les discours que l’on dispense sont parfois encore au stade de l’idéal. Faire intervenir les personnes accompagnées dans la formation parce qu’elles ont des choses à nous apprendre est encore loin de faire l’unanimité dans les pratiques…

Résumé en Anglais

Instabilities never stop increasing and they manifest themselves through different forms. Governments, in order to get round the difficulties, which are created by a socioeconomic tense context, increase the packages and the supervising of professional practises concerning intervention and community care. Following the example of Edgar MORIN, we have to notice that we are about to change paradigm and that it is necessary to develop a complex thought to face the complexity of the situations.
We all agree, the executives are essential stakeholders among the different organisations… We all underline needs in training of this professional category and more precisely among middle executives.
The executives we form at the Training Institute of Social workers in Echirolles and elsewhere have to be formed to this challenge that is to say find some new modalities of action and decision to guide vulnerable people. Training centers have a responsibility in the production of stakeholders and they can't depart from it. How can we allow students to develop a reflexive and considered thought of action / social intervention?
To answer this educational challenge, we have to innovate, fiddle with (as LÉVI-STRAUSS means, p.27). It's the whole institution, which carries this questioning (see school plan). For one year, we have tried to go over the paradox in which the executives are sometimes trapped - How to conciliate between the efficiency of packages, team management and the emancipation of the users?