Fiche Documentaire n° 3754

Titre Soutenir la participation citoyenne dans les quartiers vulnérables : une question de posture chez les intervenants

Contacter
l'auteur principal

Auteur(s) FOISY Dominic  
     
Thème Modèles de trajectoires de participation citoyenne dans les maisons de quartiers de l'Outaouais québécois  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

Résumé | Bibliographie | Les auteurs... | Article complet | PDF (.fr) | Résumé en anglais | PDF .Autre langue | Tout afficher

Résumé

Soutenir la participation citoyenne dans les quartiers vulnérables : une question de posture chez les intervenants

Avec la mission spécifique de stimuler la participation citoyenne de personnes vivant au sein de quartiers vulnérables, les maisons de quartier de l’Outaouais réussissent avec succès à mobiliser des citoyens en marge des mécanismes de participation habituels. Comment expliquer leur succès ?

À partir d’une démarche de recherche inductive misant sur la théorie enracinée, nous avons exploré le phénomène de participation dans trois maisons de quartier de l’Outaouais. Alliant recherche documentaire, observation participante et entrevues semi-dirigées, notre recherche a permis de dégager un modèle de trajectoires qui décrit et explique la construction de la capacité de participer de personnes et communautés souvent marginalisées dans la société. Essentiellement, les activités des maisons de quartier peuvent être perçues par les résidants des quartiers comme des dispositifs internes de participation qui offrent à chacun une façon différente de participer selon sa volonté, ses aptitudes et sa disponibilité. Simultanément, chacun de ces dispositifs de participation représente une opportunité de mise en place et d’amélioration des conditions de vie permettant la participation des citoyens, ce que nous avons défini comme les dispositions à la participation. Les dispositifs internes et les dispositions interagissent de sorte à conduire les résidants du quartier sur des trajectoires de participation où ils peuvent avoir différents statuts : client, participant et citoyen. L’ensemble de ce modèle de trajectoires repose sur l’idée centrale que la réinsertion politique et sociale de personnes et de communautés vivant en marge de la société peut se construire au quotidien, par des gestes et des activités simples, en autant que les intervenants et organismes adoptent une posture d’intervention qui invite à la participation citoyenne. Cette posture repose sur certains principes : croire au changement et au potentiel des personnes et des communautés, voir toute activité comme un prétexte à la participation et à l'appropriation du pouvoir d'agir, miser sur le temps, s’assurer de la proximité physique et sociale des acteurs impliquées dans l’intervention. Au plan de l’intervention sociale, l’étude des maisons de quartiers démontre l’importance de l’utilisation d’une stratégie d’intervention misant sur la mixité des méthodes d’interventions : individuelle, de groupe et collective. Enfin, les résultats de notre recherche concluent à la centralité de la question de la sociabilité et l’importance de considérer l’amélioration des conditions matérielles immédiates de vie des citoyens afin de stimuler l’engagement civique.

Bibliographie

BACQUÉ, M-H, H. REY et Y. SINTOMER (2005). Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative. Paris, La Découverte.
BREUX, S. (2008). « Représentations territoriales et engagement public individuel premières explorations ». Politique et Sociétés, vol. 27, n° 3 : 187-210.
DION, M. (2007). Lutte à la pauvreté et intervention de quartier en Outaouais urbain : le cas du quartier Jean-Dallaire/front. Cahiers du CÉRIS, Pratiques sociales, n°13.
FOISY, D. (2013). De l’aide à l’engagement civique, modèle de trajectoires de participation citoyenne : le cas des maisons de quartier de l’Outaouais, Thèse de doctorat présenté à l’École de science politique de l’Université d’Ottawa, Ottawa.
HARDINA, D. (2005). « Ten Characteristics of Empowerment-Oriented Social Service Organizations ». Administration in Social Work, vol. 29, n° 3 : 23-42.
LE BOSSÉ Y. (2008). « L’empowerment : de quel pouvoir s’agit-il ? Changer le monde (le petit et le grand) au quotidien ». Nouvelles pratiques sociales, vol.21, n° 1 : 137-149.
LEROUX K. (2005). « Nonprofits as Civic Intermediaries The Role of Community-Based Organizations in Promoting Political Participation ». Urban Affairs Review, vol. 42 n° 3 : 410-422.
OHMER, M. L. (2008). « The relationship between members’ perceptions of their Neighborhood organization and their involvement and perceived benefits from participation. ». Journal of community psychology, vol. 36, n° 7: 851–870.
PAUGAM, S. (2008). Le lien social. Paris, Presses Universitaires de France.
SCHNEIDER, J.-A. (2008). « Small Nonpofits and Civil Society: Civic Engagement and social Capital ». Handbook of community movements and local organizations. Sous la dir. de R A. Cnaan et C. Milofsky, Springer, New York : 74-88.
TALPIN, J. (2008). « Pour une approche processuelle de l’engagement participatif : les mécanismes de construction de la compétence civique au sein d’institutions de démocratie participative ». Politique et Sociétés, vol. 27, n° 3 : 133-164.

Présentation des auteurs

Dominic Foisy est professeur au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais. Il est chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire. Préalablement, il a pratiqué l'organisation communautaire pendant 13 ans au Centre local de services communautaire (CLSC) Vallée-de-la-Lièvre de 1995 à 2008. Il détient un doctorat en science politique (Université d'Ottawa) et une maitrise en travail social (UQO). Ces intérêts de recherche portent sur les questions de participation citoyenne, de l'intervention collective, de la gouvernance et de la pauvreté.

Communication complète

Avec la mission spécifique de stimuler la participation citoyenne de personnes vivant au sein de quartiers vulnérables, les maisons de quartier de l’Outaouais réussissent avec succès à rejoindre et mobiliser des citoyens en marge des mécanismes de participation habituels. L’objectif de cette communication est de rendre compte de cette pratique d’intervention territorialisée qui existe dans une région du Québec depuis plus d’une vingtaine d’années. En étudiant la pratique des intervenants et des organisations, on remarque que l’intervention qu’on y retrouve présente des traits particuliers permettant de voir un renouvellement de pratique faisant contre poids à des tendances lourdes pesant sur l’intervention sociale actuelle dans plusieurs milieux, institutionnels et communautaires : individualisation des interventions, établissement de rapports expert/client, fragmentation des besoins des personnes et des familles, etc. Notre communication se décline en quatre temps durant lesquels nous présentons successivement les maisons de quartiers et leur contexte d’émergence ; la méthodologie de recherche, certains résultats de recherche et une discussion autour d’enjeux identifiés parmi les thèmes du colloque.


1. Définition et contexte d’émergence des maisons de quartiers
L’intervention sociale à partir d’une base territoriale n’est pas nouvelle au Québec puisque depuis plus de 50 ans, nous pouvons recenser plusieurs expériences en ce sens. Particulièrement à partir de la fin des années 1980, nous avons assisté à l’émergence de plusieurs initiatives misant sur la proximité territoriale afin de lutter contre la pauvreté. Cette tendance s’explique par différents constats, notamment le lien existant entre pauvreté et territorialité (Côté, 1988; Leclerc, 1989), l’évolution et la consolidation du secteur communautaire québécois et le constat de certaines limites des interventions institutionnelles visant, et organiser, autour du concept de clientèle ou problématiques cibles. « Encore aujourd’hui, les services d’aide gouvernementaux, à la fois cloisonnés et compartimentés, arrivent difficilement à répondre aux besoins des individus ou des groupes d’individus qui sont aux prises avec un cumul de problèmes interreliés ». (Duval et Bourque, 2007 :7)

Depuis plusieurs années, une littérature abondante expose comment les quartiers urbains sont perçus comme des lieux propices à la reconstruction de liens sociaux (Giddens, 1998) et deviennent ainsi des terreaux fertiles pour l’émergence de nouvelles formes d’engagement civique (Breux, 2008) et d’action politique (Agrikoliansky et Dufour, 2009). Les maisons de quartiers représentent en Outaouais l’une de ces initiatives d’intervention territorialisées apparues au Québec depuis les dernières décennies (Bourque, Proulx et Fréchette, 2007).

Les maisons de quartier, à une exception près, ont émergé en Outaouais à partir du milieu des années 1990 (Bouchard et Deslauriers, 1995 ; Baril et Deslauriers, 1995 ; Favreau et Fréchette, 2002 ; Dion, 2002). Elles sont souvent la résultante d’une intervention préalable, appelée intervention de quartier, d’acteurs externes à la communauté : membres de congrégations religieuses ou équipe d’organisation communautaire de CLSC. Elles se développent au sein des quartiers appauvris du milieu urbain, territoires regroupant entre 3000 ou 5000 personnes. Elles sont de petites organisations au sens où leur équipe est composée de 2 à 4 permanents entourés de résidants bénévoles ou militants du quartier. Leur financement résulte d’un montage provenant de plusieurs bailleurs de fonds : ministères, municipalités, congrégations religieuses, fondations, etc.

Actuellement, on compte sept maisons de quartier en Outaouais. Elles sont regroupées au sein de l’Inter-Quartiers, regroupement volontaire des maisons. Elles se sont dotées d’un cadre de référence permettant de se définir.
Une Maison de quartier est un lieu physique géré par un Comité de quartier en milieu appauvri. La composition du comité varie selon les quartiers. La plupart du temps, ce sont des résidants ou des personnes ayant un intérêt au milieu. [...]. Elles [...] sont le reflet de la réalité du quartier composée majoritairement de petits salariés, de sans-emplois ou de personnes prestataires de la sécurité du revenu. […] Le mandat des Maisons de quartier est de travailler au développement du quartier par la participation citoyenne. Cette participation se fait dans un processus de démocratisation permanente qui favorise le processus d'intervention de quartier [qui] lui favorise le développement d’une identité collective fière et solidaire. Cette identité collective se bâtit avec les personnes qui s’impliquent, découvrent leur capacité d’analyse critique, développent leur pouvoir d’agir et de transformer leur réalité personnelle, sociale et communautaire en solidarité avec leurs concitoyens « empowerment » et deviennent parties prenantes de la société civile (Inter-Quartiers, 2008 : 6).

Les maisons appuient leurs actions autour de cinq valeurs : 1) le respect de la dignité et de la liberté des personnes; 2) la reconnaissance des droits sociaux de tous les citoyens 3) l’adhésion à des pratiques de démocratie participative où les citoyens prennent réellement la parole; 4) la promotion de l’égalité entre les personnes et la redistribution équitable de la richesse; et 5) la revendication que l’État met en place des mesures assurant l’égalité des chances entre tous les citoyens et les citoyennes (Duval et Bourque, 2007).

Au quotidien, les activités des maisons de quartiers varient considérablement d’une à l’autre puisqu’elles planifient celles-ci avec les citoyens de leur milieu, et ce, en regard des besoins et intérêts exprimés par ceux-ci et des opportunités qui se présentent. De manière générale, cependant, chaque maison est un lieu « ouvert » où tout citoyen, tous âges confondus, peut arriver à tout moment pour simplement prendre un café, venir utiliser des jeux de société ou discuter avec les personnes présentes. On ajoute ensuite des activités de groupes telles que des cuisines collectives, des groupes de stimulation pour les enfants, des haltes-garderie, etc. On organise et participe régulièrement à des activités à plus grande échelle telle que des fêtes de quartiers, des bazars, des manifestations, etc. Tout se fait uniquement s’il y a des citoyens directement impliqués dans l’organisation de ces dernières. Bref, les maisons de quartiers sont d’abord un milieu de vie et non un milieu d’intervention.




2. La méthodologie de recherche

À partir d’une démarche de recherche inductive misant sur la théorie enracinée, nous avons exploré le phénomène de participation dans trois maisons de quartier de l’Outaouais. Les données proviennent d’une démarche s’étant échelonné sur plus d’une année où nous avons utilisé diverses sources d’informations notamment des activités d’observations directes (9 activités/36 heures), d’observations participantes (22 activités/109 heures) et des entrevues semi-dirigées (20). Les entrevues ont été menées auprès de résidents des quartiers et des permanents des maisons.


3. Une pratique d’intervention particulière
Les premiers résultats de notre recherche nous ont permis de mettre en lumière un modèle de trajectoires de participation citoyenne qui expose en fait le processus d’intervention ayant cours au sein des maisons de quartier. Essentiellement, chaque activité des maisons de quartier peut être perçue différemment selon les attentes des résidents. Compte tenu de cette variabilité perceptuelle des activités, nous avons traduit ces différentes perceptions par le concept de dispositifs internes de participation. En fait, la même activité offre à chacun une façon différente de participer selon sa volonté, ses aptitudes et sa disponibilité. Simultanément, chacun de ces dispositifs internes de participation représente une opportunité de mise en place et d’amélioration des conditions de vie favorisant la participation des citoyens, ce que nous avons défini comme les dispositions à la participation. En somme, les résidents participent à certaines activités avec une intention de répondre à un ou plusieurs besoins simultanément. Les dispositifs internes et les dispositions à la participation interagissent de sorte à conduire les résidants du quartier sur des trajectoires de participation où ils peuvent cumuler, selon une intensité variable, différents statuts : client, participant et citoyen. Nous avons traduit ce modèle de trajectoires de participation dans le schéma suivant (voir le texte en format PDF):


Ce modèle de trajectoires de participation repose sur un constat particulier. L’intervention des maisons de quartiers, visant la réinsertion politique et sociale de personnes et de communautés vivant en marge de la société, se construit au quotidien, par des gestes et des activités apparemment simples. Pourtant cette apparence de simplicité repose sur une posture d’intervention particulière. Nous présentons, dans les prochains paragraphes, une posture d’intervention reposant sur l’application systématique de trois principes suivis par les intervenants des maisons de quartiers.


4. L’intervention des maisons de quartiers : expression d’un contre mouvement en intervention sociale

La pratique des intervenants en maisons de quartier démontre qu’à tout mouvement il y a contre mouvement. Il est possible d’intervenir de façons différentes et la pratique des intervenants des maisons de quartiers nous apparaît comme porteuses d’un contre mouvement aux tendances lourdes qui influencent les pratiques d’intervention sociale aujourd’hui. Voici trois exemples qui expose ce contre mouvement.

Le premier principe repose sur l’idée de reconnaître l’importance de la proximité et de l’accessibilité. La proximité représente plus qu’une dimension géographique, elle implique des dimensions sociale et émotive. « Une personne qui rentre ce n’est pas comme la deuxième ou la troisième qui va rentrer. ». Cette proximité c’est la reconnaissance de l’importance et de la valeur de chaque individu, peu importe son apparence et ses difficultés. Chaque personne est accueillie dans son individualité : ses besoins, ses attentes, ses capacités, etc. Une fois la personne accueillie, la proximité physique et sociale permet de laisser les temps aux individus impliquer dans cette relation de s’apprivoiser. Ce qui nous amène au deuxième principe.

Le deuxième principe repose sur une idée de plus en plus galvaudée en travail social : le respect du rythme de la personne. Dans un texte paru en 2001, Jocelyne Lamoureux faisait référence au concept de « temps long » pour imager comment ce principe s’applique en contexte de pauvreté. Respecter le rythme des personnes et des communautés chez les intervenants des maisons de quartiers c’est accepter que la réinsertion au politique et au social prenne inévitablement du temps. Le modèle de trajectoire de participation démontre que le temps long s’explique par l’importance des sphères de vulnérabilité auxquelles sont confrontés plusieurs résidents des quartiers. Cette posture d’intervention remet en question de manière fondamentale la culture de performance que l’on tente d’intégrer aux interventions sociales.

Enfin, le troisième principe est de croire au changement et au potentiel des personnes et des communautés. Ainsi, les intervenants sont en mesure d’envisager chaque activité comme un prétexte à la participation et à l'appropriation du pouvoir d'agir. La plus simple des discussions informelles qu’un intervenant entretient avec un résident du quartier est vue comme une opportunité de mieux connaître les personnes, d’identifier des forces et des intérêts et ultimement à inviter les citoyens à s’approprier la maison de quartier. Le modèle de trajectoire de participation démontre ainsi que chaque activité peut devenir un dispositif interne de participation citoyenne qui prend un sens singulier pour chaque personne.









Résumé en Anglais


Non disponible