Introduction
L’intervention sociale territoriale n’est pas une nouvelle pratique au Québec. Dès le milieu des années 1980, à l’initiative d’intervenants locaux, apparaissent sur le territoire québécois des tables de concertation qui permettent d’aborder le développement local autrement que par l’approche technocratique centralisée et compartimentée préconisée par l’État au cours de la décennie précédente (Bourque, 2009). L’intérêt renouvelé des chercheurs pour ce type d’intervention vient du fait que depuis la fin des années 1990, le gouvernement québécois préconise les approches territoriales intersectorielles dans certaines politiques en emploi et solidarité sociale et en développement local (St-Germain, 2013) notamment dans sa stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
La revitalisation urbaine intégrée comme stratégie de développement territoriale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale
La revitalisation urbaine intégrée (RUI) s’inscrit dans les pratiques regroupées par Caillouette, Roos et Aubin (2013) sous l’appellation d’intervention sociale territoriale (développement des communautés, approches territoriales intégrées, développement local communautaire, développement social intégré, pratiques ou mesures gouvernementales à visée intersectorielle ou territoriale). St-Germain (2013) quant à elle inscrit plusieurs de ces approches, dont la revitalisation urbaine intégrée, dans ce qu’elle qualifie de paradigme de l’intervention socio-territoriale intégrée, mettant ainsi en exergue, outre la dimension du territoire, certaines caractéristiques partagées par ces différentes approches : mobilisation d’acteurs en provenance de différents secteurs de la société, action concertée, vision intégrée ou multidimensionnelle de la pauvreté, participation citoyenne. La RUI aurait comme caractéristique particulière, la volonté d’agir sur l’ensemble des caractéristiques d’un quartier (CREXE, 2010).
Cette communication a comme objectif de présenter les résultats d’une recherche portant sur le projet de revitalisation urbaine intégrée (RUI) d’un quartier dévitalisé de Gatineau. Elle portera plus précisément sur l’analyse de deux volets du projet : celui de la gouvernance et de la concertation des acteurs et celui de la participation citoyenne.
La revitalisation urbaine intégrée du Vieux-Gatineau (RUI-VG)
La RUI dont il est question prend racine dans un territoire qui inclut quatre communautés dites vulnérables, et identifiées depuis plusieurs années comme des milieux dévitalisés nécessitant une action de lutte contre la pauvreté (Favreau, 1995 ; Ville de Gatineau, 2013). Le projet a été initié par la ville de Gatineau qui a retenu les services d’une firme externe, à la ville et à la région, pour mobiliser et accompagner des acteurs du milieu, en vue d’élaborer un plan d’action dont les objectifs sont d’améliorer les conditions sociales et économiques de la population du secteur de la RUI; d’agir dans un grand nombre de domaines et sur des facteurs et les conditions de vie qui engendrent la pauvreté; d’agir sur le cadre bâti pour améliorer le milieu physique (logement, aménagements urbains, infrastructures, transport, espaces verts, équipements collectifs, etc.); d’agir dans une optique de développement durable; de favoriser la prise en charge par les citoyens et les instances qui les représentent de la mise en œuvre et du suivi des actions planifiées (Ville de Gatineau, 2013). Cette première phase du projet s’est déroulée entre les mois de janvier 2014 et juin 2015 sous la gouverne d’un comité visant à favoriser le partenariat entre des acteurs en provenance de différents secteurs de la société (santé et services sociaux, municipal, économique, communautaire, politique).
Le projet de recherche
La recherche a été menée par un comité formé d’acteurs de la RUI et de chercheurs, sous la forme d’une recherche action. Il s’agit d’une recherche qualitative de nature exploratoire et descriptive puisque les intentions des acteurs sont de documenter leur démarche tout en faisant ressortir les facteurs favorisant ou limitant ce projet axé sur l’action intersectorielle et la participation citoyenne. Le choix de cette approche dans l’étude des conditions favorisant le bon fonctionnement et l’efficacité des collaborations intersectorielles a soulevé des questions éthiques et déontologiques partagées par les chercheurs et les acteurs du milieu mais ne seront pas discutées au cours de cette présentation.
Les résultats présentés dans la prochaine partie de la présentation sont issus de l’analyse du matériel recueilli par l’entremise de trois méthodes de cueillettes de données : l’observation directe et participante (des réunions du comité de la RUI-VG, des activités de consultation des citoyens, de rencontres de travail des acteurs municipaux), des entretiens semi-dirigés avec des acteurs impliqués directement ou moins dans le projet de la Rui (par exemple, les intervenants de certaines institutions et leur supérieur ne siégeant pas sur le comité RUI-VG); et l’analyse du contenu de documents produits dans le cadre, ou concernant la démarche (comptes rendus de réunions, rapport des activités de consultation). L’utilisation d’une diversité de sources d’information permet la triangulation des informations (Karsenti et Demers, 2004).
Gouvernance et concertation
Le concept de gouvernance rallie plusieurs chercheurs sur le fait qu’il est polysémique. Il est employé ici dans le sens proposé par la définition de Lacroix et St-Arnaud (automne 2010, p. 26.)
« La gouvernance est l’ensemble des règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et à la mise en œuvre des actions publiques. Ces règles et ces processus, comme les décisions qui en découlent, sont le résultat d’une négociation constante entre les multiples acteurs impliqués. Cette négociation, en plus d’orienter les décisions et les actions, facilite le partage de la responsabilité entre l’ensemble des acteurs impliqués, possédant chacun une certaine forme de pouvoir. »
Concrètement, les collaborations intersectorielles, arènes des jeux de négociation entre les acteurs, se distinguent par leur méthode de coordination. Certaines adoptent le modèle d’une coordination par une instance centrale forte dominée par une organisation ou véritablement collégiale alors que d’autres se caractérisent par une coordination plus décentralisée (Divay, Belley, & Prémont, 2013).
La question de la coordination peut être abordée sous l’angle du leadership et des caractéristiques personnelles d’un acteur désigné ou identifié comme tel. Il est aussi intéressant d’aborder cet aspect en considérant davantage les dispositifs institutionnels susceptibles d’influencer la collaboration (Divay, Belley, & Prémont, 2013 et Clavier & Gagnon, 2013).
Dans le cas de la RUI-VG, c’est la ville, en collaboration avec la firme externe qu’elle a embauché, qui a principalement assuré la coordination du projet. En plus de posséder les ressources financières qui ont permis l’embauche de la firme, la ville regroupe différentes expertises non seulement utiles mais nécessaires à l’actualisation d’un plan d’action visant à agir sur des enjeux d’urbanismes et de développement économique et social. Par contre, malgré des projets (Gatineau ville en santé, par exemple) et des efforts récents en ce sens (Bureau de l’ombudsman de la ville de Gatineau, s.d), la ville a peu d’expérience comme acteur de développement social en partenariat intersectoriel. Les différents services de la ville n’ont pas, non plus, l’habitude de travailler ensemble en concertation sur des projets communs. Malgré la volonté de plusieurs et même un certain enthousiasme de quelques acteurs de la ville pour le projet, les pratiques administratives en place, et le manque de mécanisme de communication entre des acteurs de départements différents n’ont pas facilité l’élaboration d’un plan d’action réalisable à courts termes.
Participation citoyenne
La question de la participation citoyenne représente une préoccupation de plus en plus importante au sein des sociétés dites démocratiques. La volonté d’inclure les citoyens dans les projets de revitalisation des quartiers en témoigne d’ailleurs. Il semble toutefois que les mécanismes mis en place à ce jour seraient inefficaces pour mobiliser et impliquer les citoyens « ordinaires », particulièrement ceux provenant des classes populaires, puisqu’ils sont désormais perçus davantage comme des usagers que des membres (Greason, 2012). En fait la parole du citoyen « ordinaire » se veut filtrée ou réinterprétée par des organismes pris dans une dynamique partenariale ou contractuelle avec l’État duquel ils reçoivent leur financement (Bresson, 2007).
Le cas de la RUI du Vieux-Gatineau nous permet de faire écho à ces critiques même si certains des acteurs interrogés au cours de la recherche soutiennent qu’il s’agit là d’une réussite de la démarche à ce jour. Il semble en effet que, pour certains, la participation citoyenne se résume à un exercice de consultation qui ne s’inscrit pas clairement dans un processus de reprise de pouvoir des citoyens sur leur conditions de vie. Il faut dire toutefois que les préoccupations au sujet de la méthode de gouvernance et du passage du projet à sa phase de mise en œuvre du plan d’action a pour le moment décentrer le regard qui aurait pu être porté vers les citoyens.
Bibliographie
Bourque, D. (2009) Transversalité et concertation : entre facteur de développement ou d’enfermement des initiatives locales, Les Politiques Sociales, (1 & 2), 18-30.
Bureau de l’ombudsman de la ville de Gatineau ( s.d) La participation citoyenne à Gatineau. Rapport de la commission sur l’implication du milieu. file:///C:/Users/mio/Downloads/rapport_commission_implication_milieu.fr-CA.pdf
Caillouette, J. Roos , J.-F. & Aubin, J.-F. (2013) Les enjeux de l’intervention sociale territoriale : présentation du dossier , Nouvelles pratiques sociales, 26 (1), 19-34.
Centre de recherche et d’expertise en évaluation (CREXE), (juillet 2010) Évaluation des processus et développement des connaissances sur la revitalisation urbaine intégrée de cinq territoires de Montréal. Rapport de recherche final, ÉNAP.
Clavier, C. & Gagnon, F. (2013) L’action intersectorielle en santé publique ou
lorsque les institutions, les intérêts et les idées entrent en jeu, La Revue de l’innovation : La Revue de l’innovation dans le secteur public, 18(2), article 2.
Divay, G., Belley, S. & Prémont, M.-C. (2013). La collaboration intersectorielle : spécificités questionnements et perspectives, La Revue de l’innovation : La Revue de l’innovation dans le secteur public, 18(2), article 1.
Lacroix, I & St-Arnaud, P.-O. (automne 2012) La gouvernance : tenter une définition, Cahiers de recherche en politique appliquée, IV (3), p. 19-37.
St-Germain, L. (2013) Initiatives de lutte contre la pauvreté et intervention socioterritoriale intégrée, Nouvelles pratiques sociales, 26 (1), 35-49.
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