Fiche Documentaire n° 3844

Titre Pour faire face aux changements: des espaces de créativité au service de la professionnalisation des cadres d'institutions

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l'auteur principal

Auteur(s) KOLLY OTTIGER Isabelle
RONCHI Anne
 
     
Thème L'analyse des pratiques professionnelles comme moteur à l'intelligence collective  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Pour faire face aux changements: des espaces de créativité au service de la professionnalisation des cadres d'institutions

Faire face aux inégalités induites par l’arrivée des nouvelles politiques de gouvernance est devenu incontournable pour les directions d’institutions. Obligées de redéfinir leurs missions, forcées à des restructurations, des fusions, les directions d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires sont au cœur de la tourmente. Les directions ont pour mandat de conduire ces changements, alors que leur vision du fonctionnement des institutions sociales, historiquement inscrite dans une idéologie de la coopération, est en décalage avec une vision plus managériale imposée par les contextes socio-politiques et économiques.
Les déterminants externes à l’organisation (restrictions budgétaires ; modifications des cadres légaux ; contraintes sécuritaires ,.. ) pèsent lourdement sur le management organisationnel. Alors que les directeurs et directrices occupent des postes d’intermédiaires entre les pouvoirs décisionnels et les équipes de professionnels; ils se retrouvent au carrefour de plusieurs logiques, souvent en contradiction, si ce n’est en opposition, et cherchent, au prix d’investissements multiples, à maintenir un équilibre dans des dynamiques de changement en perpétuel mouvement. Dans ce contexte, les directeurs et directrices sont régulièrement interpellés à l’interne par leurs équipes sur leur mise en difficulté, voir leur souffrance ou même leur sentiment d’impuissance, pour répondre aux besoins toujours plus complexes des usagers. Dès lors dans une période de mutations sociales et de restrictions budgétaires, les directeurs et directrices se doivent d’imaginer de nouvelles manières de travailler avec les équipes, de penser le travail collaboratif à l’interne comme à l’externe. .Les données récoltées lors d’une recherche portant sur le travail réel des directions d’établissements sociaux et scolaires en Suisse romande (Gather Thurler, Kolly Ottiger, Losego, Maulini, à paraître) démontrent que tout en étant confrontées à de nombreuses épreuves et difficultés, les directions ne manquent pas de ressources pour traverser les tensions qu’ils rencontrent.
Dans le cadre du Master of Advanced Studies HES-SO en Direction et Stratégie d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires qui vise à qualifier des directeurs et directrices d’établissements des domaines éducatif, social et socio-sanitaire en Suisse romande, les constats énoncés ci-dessus sont au cœur des réflexions de l’équipe d’encadrement : comment former des directeurs et directrices pour faire face aux défis actuels ? En leur permettant d’intégrer des connaissances indispensables au management, mais aussi en leur proposant des espaces pour affiner leur posture réflexive, pour penser leurs actions.
Une des spécificités de cette formation MAS DSIS HES-SO est de mettre une priorité sur l’apprentissage de la réflexivité (Schön, 1996; Perrenoud, 2004 ; Donnay&Charlier, 2008). Un dispositif d’analyse des pratiques occupe une place centrale dans le programme de formation. Il offre un espace pour aborder les situations complexes vécues par les protagonistes, en particulier la complexité révélée par la mise en place de changements. Le cadre d’un groupe d’analyse des pratiques offre un lieu privilégié pour identifier les enjeux, décortiquer les obstacles et les difficultés rencontrées et envisager des pistes pour améliorer la qualité des prises de décision, notamment autour de l’accompagnement des équipes. Il permet aussi de sortir les directions de leur isolement et de donner du pouvoir d’agir à un collectif de professionnels qui œuvrent à défendre la mission et l’éthique de leurs établissements pour répondre aux attentes des usagers, des partenaires dans un souci d’efficacité et de qualité.
L’intention de cette contribution est d’apporter des éclairages inédits sur l’importance, dans une formation des cadres, d’articuler les expériences vécues par les professionnels avec les apports théoriques, l’analyse de l’activité et un retour réflexif sur les pratiques.

Bibliographie

Barbier, J.-M., Chauvigné, Ch. & Viali, M.-L. (coord.) (2011). Diriger : un travail. Paris : L’Harmattan, Coll. Action et savoir.
Cifali, M., André A. (2007). Ecrire l’expérience. Vers la reconnaissance des pratiques professionnelles. Paris : PUF
Chauvière, M. (2007). Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation. Paris : La Découverte.
de Gaulejac, V. (2005). La société malade de la gestion. Paris : Seuil.
de Gaulejac, V., Mercier, A. (2012). Manifeste pour sortir du mal-être au travail. Paris : Edition Desclée de Brower.
Donnay, J., Charlier E., (2008). Apprendre par l’analyse de pratique. Initiation au compagnonnage réflexif. Namur : PUF
Fablet, D. coord. (2012). Supervision et analyse des pratiques professionnelles dans le champ des institutions sociales et éducatives. Paris : L’harmattan
Gather Thurler M., Kolly Ottiger I., Losego P., Maulini O., Denecker C., Jan A., Meyer A., Progin L., Tchouala C. (2011). Le travail réel des directeurs d’institutions scolaires et sociales, annexe au rapport scientifique final déposé auprès du FNS, Suisse.
Kolly Ottiger I., Monier S., Tissot S., Tschopp, F. (2007). Supervision et intervention. Espace réflexif pour les professionnels. Revue Les Politiques Sociales, 1-2/2007, 22-34.
Martuccelli, D. (2006). Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin.
Mezirow J. (2001). Penser son expérience. Une voie vers l’autoformation. Lyon : Chronique Sociale.
Perrenoud, Ph. (2004). Adosser la pratique réflexive aux sciences sociales, condition de la professionnalisation. Education permanente, 60, 35-60.
Réflexivité et pratique professionnelle. (2013). Revue éducation permanente, 196.
Schön Donald A. (1996). Le tournant réflexif, pratiques éducatives et études de cas. Montréal : Logiques.
Vacher Y. (2011). La pratique réflexive. Recherche et formation [En ligne], 66. Mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le septembre 2014. URL : http://rechercheformation.revues.org/1133

Présentation des auteurs

- Nom : Kolly Ottiger: Isabelle
- Organisation/institution : Haute Ecole de Travail Social de Genève, Suisse
- Fonctions : Professeure HETS, directrice du Master of Advanced Studies HES-SO en Direction et Stratégie d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires (MAS DSIS HES-SO)
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- Nom : Ronchi Anne
- Organisation/institution : Haute Ecole de Travail Social de Genève, Suisse
- Fonction : adjointe scientifique du Master of Advanced Studies HES-SO en Direction et Stratégie d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires (MAS DSIS HES-SO)
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Communication complète

Pour faire face aux changements: des espaces de créativité au service de la professionnalisation des cadres d'institutions
L'analyse des pratiques professionnelles comme moteur à l'intelligence collective
Isabelle Kolly Ottiger
Professeure Haute Ecole de Travail Social de Genève, Suisse HETS, directrice du Master of Advanced Studies HES-SO en Direction et Stratégie d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires (MAS DSIS HES-SO) Anne Ronchi
Adjointe scientifique du Master of Advanced Studies HES-SO en Direction et Stratégie d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires (MAS DSIS HES-SO) Haute Ecole de Travail Social de Genève, Suisse

Le constat est devenu évident : les précarités vécues par les bénéficiaires de l’action sociale se multiplient et les questionnements auxquels sont confrontés les intervenants de l’action sociale se complexifient. Les professionnels sont mis en présence régulièrement face à de nouvelles problématiques et en particulier face à de nouvelles formes de violence (colères, incivilités, troubles du comportement et de la santé mentale). Les cadres et les directeurs qui pilotent les institutions sociales sont conscients des effets déstabilisants produits sur les collaborateurs (perte de confiance en soi, souffrances au travail, absentéisme, burnout, etc.) et sont soucieux de prévenir les risques d’épuisement professionnel des collaborateurs, et de trouver des ressources pour leur permettre de durer avec professionnalisme dans le métier.
L’intention de cette intervention est d’apporter un éclairage concret sur des actions de directions mises en place pour répondre à l’augmentation de situations de précarités, en témoignant d’un dispositif pédagogique de formation vecteur de transformation et permettant d’intégrer une dynamique réflexive dans la vie professionnelle.

Que dire du travail de direction d’institutions aujourd’hui ?
Si l’augmentation des précarités vécues par les bénéficiaires est un constat incontournable, elle se confronte aux inégalités induites par l’arrivée des nouvelles politiques de gouvernance. Obligées de redéfinir leurs missions, forcées à des restructurations, des fusions, les institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires vivent des moments de transformation qui entraînent tous les partenaires dans la tourmente. Les directions ont pour mandat de conduire ces changements, alors que leur vision du fonctionnement des institutions sociales, historiquement inscrite dans une idéologie de la coopération, est en décalage avec une vision plus managériale imposée par les contextes socio-politiques et économiques. Les directeurs et directrices occupent des postes d’intermédiaires entre les pouvoirs décisionnels et les équipes de professionnels; ils se retrouvent au carrefour de plusieurs logiques, souvent en contradiction, si ce n’est en opposition, et cherchent, au prix d’investissements multiples, à maintenir un équilibre dans des dynamiques de changement en perpétuel mouvement. Comme l’a démontré la recherche sur le travail des directeurs d’institutions scolaires et sociales, les directeurs et directrices vivent des situations éprouvantes et sont régulièrement interpellés à l’interne par leurs équipes sur leur mise en difficulté, voir leur souffrance ou même leur sentiment d’impuissance, pour répondre aux besoins toujours plus complexes des usagers. (Gather Thurler et al., 2011)
Dans le cadre du Master of Advanced Studies HES-SO en Direction et Stratégie d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires qui vise à qualifier des directeurs et directrices d’établissements des domaines éducatif, social et socio-sanitaire en Suisse romande, les constats énoncés ci-dessus sont au cœur des réflexions de l’équipe d’encadrement: comment former des directeurs et directrices pour faire face aux défis actuels ? Les intentions pédagogiques se centrent autour de deux axes : intégration des connaissances indispensables au management et mise à disposition d’ « espaces protégés » (Bourgeois&Nizet, 1999) pour affiner leur posture réflexive, pour penser leurs actions. Dans ce contexte de formation à l’attention de cadres, il s’agit d’articuler les expériences vécues par les professionnels avec les apports théoriques, l’analyse de l’activité et un retour réflexif sur les pratiques.

De la pratique réflexive …
Schön (1996) Perrenoud (2004) et Donnay & Charlier (2008) montrent que la posture de praticien réflexif et de praticienne réflexive vise à développer la conscience que le professionnel, la professionnelle a de ses actes pour répondre avec professionnalisme aux situations complexes rencontrées dans l’exercice de sa fonction. Schön (1996) précise qu’avant de définir ce que le professionnel a besoin d’acquérir comme savoir, il importe de mettre en évidence ce que le professionnel sait faire tout en l’aidant à expliciter son savoir-faire. Dans cette perspective, l’auteur distingue plusieurs temps réflexifs, en particulier la réflexion dans l’action et la réflexion sur l’action (réflexion menée a posteriori).
Dans le cadre de la pratique réflexive, l’expérience vécue devient source d’apprentissage lorsqu’elle initie la réflexion. Le pourquoi de l’action, son sens, prime sur le comment. Elle vise à aborder des « questions plus fondamentales d’ordre éthique, politique, émotionnel […] en référence à des valeurs ou aux exigences sociales […] » (Paquay & Sirota, 2001, p. 11). En tant que processus cognitif, la pratique réflexive se décompose en trois étapes distinctes. Tout commence par un temps de réfléchissement durant lequel le professionnel exprime de manière subjective ses perceptions de la situation. Cette expression passe par « la mise en mots faisant surgir des tensions affectives, cognitives et sociales » (Vacher, 2011, point 7). Il s’agit d’un temps durant lequel une prise de conscience d’éléments pré-réfléchis s’opère. Ce temps introduit l’abstraction réfléchissante soit la réflexion. Cette partie du processus s’engage face à une situation précise. La réflexion reste limitée à l’analyse de cette dernière. (Vacher, 2011, point 9). Dans cette seconde étape, l’objectif de la pratique réflexive se centre sur l’analyse et la résolution de situations professionnelles ciblées. Enfin pour que la pratique réflexive soit aboutie, la dernière étape englobe la réflexion pour devenir réflexivité ou méta-analyse. Le processus est à la fois réflexion sur la situation et réflexion sur la réflexion. Dans cette dernière étape, l’objectif de la pratique réflexive est le développement professionnel. Cette distinction entre réflexion et réflexivité (Charlier & Donnay, 2001, cités dans Vacher, 2001, point 9) rappelle que réfléchir à sa pratique ne suffit pas à désigner la pratique réflexive.
Pour que pratique réflexive se passe, un certain nombre de conditions doivent être réunies: démarche méthodique, régulière et instrumentée nécessitant un entrainement périodique. Dès lors, dans un contexte de formation, le dispositif choisi doit mettre le professionnel dans des conditions qui favorisent une prise de conscience des composantes d’une situation vécue pour parvenir à conceptualiser à nouveau cette situation. Cette opération est particulièrement difficile car elle nécessite une mise en dialogue des concepts scientifiques et des concepts quotidiens, des savoirs d’expériences et des savoirs théoriques. Paquay et Sirota (2001, p.12) relèvent qu’il ne suffit pas de redécrire ou revivre une situation, ce qui importe est que la démarche choisie apporte « des lectures nouvelles des événements passés et de nouvelles propositions d’action. » (Paquay & Sirota, 2001, p.12). Il faudra alors dépasser trois types de difficultés : « difficulté de passer à l’action, difficulté de nommer ses intentions, difficulté de s’autoréguler dans l’action. » (Saint Arnaud 2001, cités par Paquay & Sirota, 2001, p.14). Enfin, l’écrit comme support à la pratique réflexive apparaît comme particulièrement adapté pour entrainer le praticien réflexif en devenir comme le souligne un participant du MAS HES-SO DSIS « l’écriture de ce document m’a semblé difficile. J’ai recommencé. Je me suis perdu encore dans des détails […]. J’ai coupé du texte, pour en rajouter de trop. […] Je pose un point final qui n’est qu’une virgule dans les réflexions que cet exercice a fait naître dans ma tête » . De manière générale, dans un contexte de formation, le processus de décentration (construction de points de vue différents) et la prise de recul (prise de distance affective, mise en relation de champs jusque-là disjoints) sont à favoriser par différents moyens tels que l’écriture et les échanges. « Précieuses aussi cette obligation de m’éloigner du bateau ivre pour quelques journée et me rendre compte […].que le bateau ne coulait pas ! Précieuse distance qui m’a aidé à relativiser. »

… aux groupes d’analyse de la pratique dans la formation à la direction d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires (MAS HES-SO DSIS)
Une des spécificités de la formation à la direction d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires (MAS HES-SO DSIS) est de mettre une priorité sur l’apprentissage de la réflexivité. Dans un contexte de formation, Perrenoud (2004, p.18) rappelle qu’il existe différentes modalités pour former à la pratique réflexive : séminaires d’analyse des pratiques, groupes de réflexion, mémoire professionnel, apprentissage par problème. Depuis plus de 10 ans, la formation MAS HES SO DSIS a choisi de développer la pratique réflexive dans un dispositif d’analyse en groupe de la pratique de direction. Ce dispositif occupe une place centrale dans le programme de formation. Durant trois ans, les directeurs et les directrices d’institution vont travailler leur posture réflexive en groupe, composé d’une dizaine de personnes, à raison d’une séance mensuelle de trois heures, ce qui représente un 1/6ème du temps d’enseignement. Conçues de manière structurée, ces séances d’analyse de la pratique permettent de s’intéresser aux actions professionnelles en donnant la parole aux acteurs concernés. Ces espaces de réflexion sont animés par des formateurs –rices d’adultes possédant une solide expérience des problématiques de gestion et de direction.
Les compétences visées par le dispositif d’analyse de la pratique de direction sont :
o Développer une posture réflexive dans l’intention d’améliorer la conscience de ses actes professionnels
o Etre capable de verbaliser ses propres modes de sentir, de penser, d’agir et de décider
o Accroître ses capacités à réfléchir sur l’action en amont et en aval des moments de vifs engagements dans une tâche ou une interaction
o Participer à la construction d’une réflexion collective
o Savoir prendre de la distance et porter un regard critique sur les actions liées à la fonction de direction

Du réfléchissements à la réflexion
Durant les deux premières années de formation, afin de s’exercer à la pratique réflexive, chaque participant-e présente une situation complexe rencontrée dans l’exercice de sa fonction à l’ensemble des participant-e-s du groupe d’analyse de la pratique de direction. A tour de rôle, chaque participant rédige une situation. Il diffuse son écrit au groupe afin qu’il puisse en prendre connaissance préalablement à la séance. L’exercice a pour objectif de problématiser des situations professionnelles. En soumettant l’analyse de la situation au regard des pairs, les directeurs et les directrices confrontent leurs expériences. Ils apprennent au fil des séances à mieux argumenter leurs positions, mais surtout à construire un sens nouveau à des situations concrètes grâce aux apports du collectif. « Ce moment de restitution m’a amené à requestionner de manière différentes les interrogations que j’avais et à les voir sous un autre angle. » L’animation des séances est sous la responsabilité d’un formateur ou d’une formatrice.
De ce point de vue, la troisième année marque une rupture par l’introduction d’un nouvel objectif. Les directeurs en formation s’entraînent à l’animation d’un groupe d’analyse des pratiques de direction. L’intention est de favoriser le passage vers des groupes d’analyse des pratiques de direction animés par un formateur ou une formatrice à des groupes d’intervision gérés entre professionnels. Cette dernière année de formation va ainsi permettre d’approfondir la démarche d’analyse en groupe des pratiques de direction en modifiant les rôles des participants afin de poursuivre la pratique réflexive au-delà du cadre de la formation et de manière autonome. Chaque séance s’organise alors en deux parties: la première partie de la séance est consacrée au travail d’analyse d’une situation proposée par un-e participant-e sur la base d’un document écrit préalablement envoyé à l’ensemble du groupe. Un autre participant anime ce temps d’analyse. Durant cette période, le-la formateur-trice est présent-e, en tant que participant-e. Elle-il participe à l’élaboration de la réflexion. Durant la seconde partie de la séance, le-la formateur-trice reprend la gestion du groupe, incitant l’animateur-trice, puis le-la participant-e qui a amené une situation à porter un regard réflexif sur cette séquence de travail. Le groupe, de son côté, amène des apports sur ce qui a favorisé ou limité le développement de la réflexivité. Le focus est mis à ce moment-là sur la compréhension des éléments qui facilitent ou non un dispositif de réflexivité sur les pratiques.

De la réflexion à la réflexivité
Durant les trois années de formations, les participants sont encouragés à mobiliser les concepts développés dans le cadre des cours afin de croiser les savoirs d’expériences avec les savoirs acquis en formation. Ainsi, le savoir collectif se construit au fur et à mesure des séances, « l’appropriation d’une reconceptualisation des situations […] à la lumière de la dialectique, mis en lumière par Vygotski, entre concepts quotidiens et concepts scientifiques» (Paquay & Sirota, 2001, p.13) favorise le changement de regard du professionnel sur la situation vécue. Les participants relèvent de manière unanime combien le dispositif de formation des groupes d’analyse de la pratique de direction est un lieu privilégié pour identifier les enjeux, décortiquer les obstacles et les difficultés rencontrées et envisager des pistes pour améliorer la qualité des prises de décision. Il permet aussi de sortir les directions de leur isolement et de donner du pouvoir d’agir à un collectif de professionnels qui œuvrent à défendre la mission et l’éthique de leurs établissements pour répondre aux attentes des usagers, des partenaires dans un souci d’efficacité et de qualité.
Comme nous l’avons montré, la pratique réflexive est un processus cognitif individuel, « une conversation avec une situation » (Schön, 1994, cité dans Perrenoud, 2004, p. 1), qui nécessite de faire appel à de multiples ressources pour trouver une solution à une situation. En revanche, l’analyse des pratiques en groupe est un dispositif qui s’appuie sur les ressources du collectif pour analyser des pratiques professionnelles, et pour trouver des issues innovantes aux thématiques abordées. En ce sens, dans un contexte de formation, l’analyse des pratiques professionnelles est un moyen pour développer de l‘intelligence collective et renforcer le développement de l’identité professionnelle des cadres.

Eclairage sur des actions de direction
Fort de ce dispositif d’analyse de pratique de direction, dans le cadre du MAS HES SO DSIS, quel apport le développement de la posture réflexive offre-t-il aux directeurs et directrices sur leur mise en difficulté, voir leur souffrance ou même leur sentiment d’impuissance, pour répondre aux besoins toujours plus complexes des usagers ?
Pour illustrer notre propos, nous avons choisi de travailler sur des situations présentées lors des séances d’analyse de la pratique de direction qui se sont déroulées entre 2012 et 2015 durant les trois années de formation. Les éléments récoltés sont issus d’une part des écrits produits par les participants et d’autre part d’observations directes lors de séances.
Le contexte
En période de mutations et de restrictions budgétaires, les déterminants externes pèsent lourdement sur le management organisationnel. L’augmentation des inégalités modifie les caractéristiques des usagers. Les établissements se voient de plus en plus obligés de prendre en charge des usagers aux précarités diverses et multiples. Dès lors les directeurs et les directrices sont contraints de développer au sein de leur établissement une culture organisationnelle et un aménagement de travail permettant aux équipes d’intégrer les nouveautés issues du contexte sociopolitique et économique. Les pouvoirs politiques suisses privilégient l’action éducative en milieu ouvert, l’école inclusive, le foyer de jour, soit toutes formes de maintien à domicile pour une population de tous les âges comme le souligne un participant : « Sur le plan politique, la volonté intégrative est forte malgré les réticences qui s’amplifient dans les établissements scolaires. […] traduite en dispositifs légaux […] la volonté politique aboutit à l’arrivée en internat d’élèves ayant des difficultés sévères […] » . Les prises en charges institutionnelles concernent de plus en plus une population en grande précarité morale, psychique e/ou physique obligeant les organisations à imaginer de nouvelles manières de travailler avec les équipes, de penser le travail collaboratif à l’interne comme à l’externe. Ce sont ces éléments, ces questionnements en lien avec la diversification des publics et leur prise en charge qui sont au cœur des situations vécues présentées lors des séances en groupe de l’analyse de la pratique de direction.
Quelques jours avant la séance d’analyse de la pratique de direction, le groupe de 3ème année de formation a reçu une présentation de la situation dans laquelle le participant questionne sa pratique de direction par rapport à une problématique institutionnelle. Le texte est bref, de type descriptif. Des constats sont énoncés « Depuis son engagement, je rencontre diverses difficultés avec CG que je vais classer en 3 catégories», des pistes sont évoquées « J’ai entamé une demande de licenciement auprès des RH » et des questions sont posées à l’attention du groupe « Comment identifier ce que j’estime nécessaire en terme de savoirs pour les intervenants dans de l’institution? » ; « Faut-il rapprocher les intervenants de famille des groupes éducatifs ? »
Le jour J, ils sont sept directeurs et directrices autour d’une table dans une salle de classe. Un des leurs tient le rôle d’animateur, il ouvre la séance et invite le groupe à poser des questions de compréhension relatives aux documents reçus (la situation et un organigramme). Le participant en charge de présenter la situation informe le groupe qu’il en a écrit une nouvelle version. Il distribue le nouveau document et apporte quelques compléments d’information à cette situation qui se déroule dans un contexte institutionnel dont la mission est la prise en charge des jeunes en difficulté. Le groupe pose des questions de compréhension, puis à la lecture de l’organigramme plusieurs membres du groupe s’interrogent sur qui fait quoi. Des questions relatives aux profils des postes dans les structures socio-éducatives de type internat sont posées : quel profil de compétences pour les éducateurs travaillant dans des institutions qui accueillent des jeunes en difficultés, avec des problèmes familiaux, des troubles de santé mentale, etc.?
Ce questionnement fait rapidement écho dans le groupe. Dans une ambiance bienveillante, des échanges d’expériences, des interrogations émergent autour de la manière de concevoir l’intégration du monde de la psychiatrie dans une institution socio-éducative. Cette réalité est décrite comme difficile à vivre pour le personnel éducatif. La discussion est animée faisant apparaître des tensions entre les référentiels issus du domaine de la psychiatrie et celui du domaine socio-éducatif. Au fil des échanges des constats sont posés puis des pistes d’action sont évoquées.
L’animateur, garant du temps, clôt les échanges. Puis, le participant visiblement satisfait de ce moment remercie chaleureusement le groupe qui lui a permis « une nouvelle lecture de sa vignette » à la lumière de trois angles qu’il vient d’identifier « pratique de direction, pratique de praticien et pratique managériale » .
Quelques semaines plus tard, le participant se présente à un oral en individuel à l’occasion duquel il est amené à analyser une nouvelle situation professionnelle complexe à l’aide de concepts issus de la formation. L’écrit préalable décrit un contexte dans lequel « la direction, de plus en plus sollicitée en renfort, fait simultanément l’expérience de son impuissance à résoudre immédiatement et durablement les problèmes. Plus les demandes de soutien, de recadrage etc. se multiplient et plus le système est saturé d’information et de sollicitations. […].On a donc affaire à un vrai cercle vicieux. » En mobilisant des savoirs d’expériences et des savoirs théoriques acquis durant la formation, le participant a élargi sa grille de lecture de la situation offrant des solutions originales. « La formation, notamment au travers des outils valorisant la prise en compte du contexte (PESTEL) ou celle de facteurs de risques comme d’opportunité (SWOT) m’a amené à me décentrer des enjeux strictement liés à l’internat […]. »
De manière générale l’analyse du rendu des situations à l’oral a tendance à montrer que les savoirs d’expériences sont prioritairement mobilisés. En revanche, à l’écrit alors que la consigne encourage à croiser les savoirs d’expériences avec de nouveaux savoirs théoriques, un déplacement de la posture paraît s’opérer pour passer de la réflexion à la réflexivité.
Cet élément se confirme à la lecture des écrits de fin de 1ère et 2ème année pour lesquels la consigne relative à l’écrit ne mentionne pas la référence aux savoirs théoriques travaillés durant la formation. Dès lors, bien que le processus de décentration (construction de points de vue différents) et qu’une prise de distance principalement affective s’opère, la réflexion prime sur la réflexivité. « A la suite de la présentation de la situation je me suis sentie très en panique, davantage dans l’incertitude. Après réflexion, l’analyse de la situation m’a permis de me structurer […] de réfléchir entre autre autour des notions de temps, de neuro-miroir, de confiance. » ou encore « je dois faire évoluer mon regard sur cette équipe ».
Dans un contexte de formation qui vise le développement de la pratique réflexive, il convient de solliciter activement les nouveaux savoirs acquis en formation dans les dispositifs de type analyse de la pratique professionnelle pour permettre aux participants de dépasser la réflexion et entrer dans la réflexivité. Si le travail collectif participe bien à la mobilisation des savoirs d’expérience, l’écrit reste un moteur pour convoquer les savoirs théoriques nouvellement acquis et ainsi ouvrir à une nouvelle lecture du réel. « Cette analyse […] met en évidence un environnement mouvant, de tonalité plutôt hostile, favorable à une fragilisation du corps enseignant. En même temps, ce contexte est probablement favorable à l’émergence de pratiques nouvelles, voir expérimentales. »

Conclusion
Comme nous l’avons vu face à la multiplication des précarités des bénéficiaires de l’action sociale et aux injonctions des pouvoirs politiques, les cadres et les directeurs des institutions sociales sont particulièrement soumis aux pressions et aux attentes de leurs collaborateurs. Afin de réduire le climat anxiogène induit par ce contexte socio-politique, les directions d’institution tentent de trouver des solutions pour réduire le sentiment d’impuissance qui guette leurs collaborateurs. « Pour le directeur, la difficulté de ce travail et sa part d’incertitude ne tiennent pas tant dans ce que l’environnement offre comme opportunités ou menaces [..]. La difficulté tient plutôt dans le danger d’être à la fois redevable d’une action impérativement attendue et toujours en risque d’être la traduction amplifiée de l’impuissance vécue au quotidien (les professionnels attendent parfois … des miracles. ».
Dans ce contexte, une des responsabilités des directions est de mesurer si l’équipe a les compétences appropriées pour répondre aux nouveaux besoins des bénéficiaires. Les directions sont alors en charge de penser de nouveaux espaces de travail et de favoriser la formation continue pour permettre l’intégration de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences.
Le cadre d’un groupe d’analyse des pratiques offre un lieu privilégié pour identifier les enjeux évoqués ci-dessus, décortiquer les obstacles et les difficultés rencontrées et envisager des pistes pour améliorer la qualité des prises de décision, notamment autour de l’accompagnement des équipes. Cet espace permet aussi de sortir les directions de leur isolement et de donner du pouvoir d’agir à un collectif de professionnels qui œuvrent à défendre la mission et l’éthique de leurs établissements pour répondre aux attentes des usagers et des partenaires dans un souci de qualité et d'efficacité. Aujourd’hui, la formation a permis à certains de dire « Les choses me touchent mais ne me déstabilisent plus ! »
Pour faire face à l’évolution du contexte social, économique et culturel, (à supprimer: et en lien avec les nouveaux modèles de gouvernance,) les directeurs et les directrices qui ont suivi le cursus MAS HES-SO DSIS continuent de s’appuyer sur les apprentissages développés dans les groupes d’analyse de la pratique de direction en participant régulièrement à des groupes d’intervision avec leurs anciens collègues de formation qui fonctionnent sur le même modèle d'analyse de situation. Le sentiment de solitude si souvent évoqué par les dirigeants est ainsi amoindri. Les directeurs et les directrices diplomé-e-s ont intégré la nécessité de prendre du recul et du temps pour réfléchir aux enjeux des situations rencontrées au quotidien avant de décider de passer à l’action. Comme affirmé par l’un d’eux « On avance plus vite en allant lentement !»

Bibliographie
Barbier, J.-M., Chauvigné, Ch. & Viali, M.-L. (coord.). (2011). Diriger : un travail. Paris : L’Harmattan.
Bourgeois E. & Nizet J. (1999). Regards croisés sur l'expérience de formation. L'Harmattan, Paris. ,
Cifali, M., & André A. (2007). Ecrire l’expérience: vers la reconnaissance des pratiques professionnelles. Paris : Presses universitaires de France.
Chauvière, M. (2007). Trop de gestion tue le social : essai sur une discrète chalandisation. Paris : La Découverte.
De Gaulejac, V. (2005). La société malade de la gestion. Paris : Seuil.
De Gaulejac, V. & Mercier, A. (2012). Manifeste pour sortir du mal-être au travail. Paris : Desclée de Brouwer.
Donnay, J. & Charlier, E. (2008). Apprendre par l’analyse de pratiques : initiation au compagnonnage réflexif. Namur : Presses universitaires de Namur.
Fablet, D. (coord.). (2012). Supervision et analyse des pratiques professionnelles dans le champ des institutions sociales et éducatives. Paris : L’Harmattan.
Gather Thurler, M., Kolly Ottiger, I., Losego, P., Maulini, O., Denecker, C., Jan, A., Meyer, A., Progin, L., & Tchouala, C. (2011). Le travail réel des directeurs d’institutions scolaires et sociales : annexe au rapport scientifique final déposé auprès du FNS, Suisse.
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