Situations de handicap et autodétermination : les artistes outsiders présentant une déficience intellectuelle
Notre contribution se rapporte à la première étape d’une investigation que nous menons actuellement dans quatre ateliers d’art visuel fréquentés par des artistes outsiders qui présentent une déficience intellectuelle, type de dispositif qui se développe, en Suisse, comme ailleurs, dans les domaines liés au travail social. Précisions d’emblée que les dispositifs que nous avons choisi d’investiguer sont orientés sur des finalités artistiques en rien comparables aux ateliers de production, d’occupation ou d’art-thérapie.
Selon nous, ces ateliers peuvent être envisagés comme des mondes de l’art (Becker, 2010). Si l’on suit Becker, l’artiste « se trouve […] au centre d’un réseau de coopération de tous les acteurs accomplissant un travail indispensable à l’aboutissement de l’œuvre » (Ibid. : 49). Ainsi, l’activité de l’artiste en situations de handicap, comme celle de tout artiste, peut être abordée dans une perspective interactionniste, qui, selon Goffman, consiste dans « l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives » (Becker, 1973 : 23).
Un parallèle peut être ici tissé avec les concepts du handicap qui, d’un modèle biomédical focalisé sur la personne et ses incapacités, ont évolué en faveur d’un modèle social qui considère l’interaction personne-environnement (OMS, 2001 ; Fougeyrollas, 1998).
Sans occulter les limitations fonctionnelles des artistes qui présentent une déficience intellectuelle, notre recherche vise à comprendre comment, dans le cadre des interactions relatives à leur accompagnement, émergent une série de mutations. Ces dernières concernent notamment les formes de collaboration entre acteurs (animateurs d’ateliers, proches, public, galeriste, etc.) et les artistes au gré de leur professionnalisation ou encore l’évolution relative à la réception des œuvres et au processus d’artification dont celles-ci sont l’objet (Heinich, Shapiro, 2012). Ces différentes transformations se situent au cœur du processus par lequel les personnes en situation de handicap acquièrent la dénomination supplémentaire d’artiste.
Afin de saisir le processus de transformation qui affecte les artistes outsiders pris en considération dans notre enquête, nous avons opté pour une méthode ethnographique couplée aux travaux de Goffman. Dans le cadre de la présente contribution, nous nous limiterons toutefois à apporter quelques éclairages sur les questions suivantes : La progressive acquisition d’une identité d’artiste conduit-elle les personnes en situation de handicap à développer leurs capacités d’autonomie ? Au-delà de la question artistique, le processus dynamique et interactif entre les artistes et l’environnement élargi de leur atelier favorise-il l’autodétermination des artistes outsiders (Lachapelle & Boisvert, 2000, Haelewyck & Nader-Grosbois, 2004) et renforce-t-il leur pouvoir d’agir (Le Bossé, 2003) ?
Pour nourrir notre réflexion, nous interrogerons différents acteurs qui composent l’environnement des artistes et examinerons la carrière de ces derniers. Nous accorderons aussi du poids aux observations in situ que nous menons actuellement dans les ateliers et dans les lieux d’exposition lors des vernissages. Lors de ces temps d’immersion sur le terrain, les réaménagements des situations de handicap sont observés au travers des répertoires de pratiques figuratives (Goffman, 1974) – mouvements, rythmes, signes corporels – et des situations d’embarras et jeux de recadrage (Ibid., 1991) actualisées lors des interactions de face à face entre les artistes outsiders et les différents acteurs qui gravitent autour d’eux.
Notre enquête devrait contribuer à saisir comment les acteurs composent avec une situation qui relève du stigmate (Goffman, 1975) en vue de la faire évoluer en direction d’une meilleure autodétermination des artistes outsiders.
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