Fiche Documentaire n° 3873

Titre Du développement du savoir expérientiel des professionnels du travail social

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l'auteur principal

Auteur(s) SORIN François
BLANCHARD MARIANNE
WINTER Anne
 
     
Thème L’exemple de travailleurs sociaux engagés dans des actions de réquisitions de logement  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Du développement du savoir expérientiel des professionnels du travail social

En 2011 et 2013, deux réquisitions de bâtiments municipaux à Lorient sont menées par le collectif « un toit pour tous ». Pour ses membres, ces réquisitions doivent permettre de mettre à l'abri et d'accompagner des adultes et des familles vulnérables, sans solution de logement.
Deux aspects ont suscité notre intérêt, motivant l’étude que nous souhaitons mener et présenter, relatifs à la part active jouée par les travailleurs sociaux dans ces réquisitions. D’une part, le collectif assume des fonctions d’hébergement, d’accompagnement et d’accès aux droits en direction d'un public qui relève du travail social. D’autre part, des travailleurs sociaux ont pu, en tant que salariés des structures d'accueil et d'accompagnement d'urgence, constater la non prise en charge des personnes et alerter sur leur situation, avant de participer concrètement, dans un cadre militant, à l'investissement des lieux réquisitionnés et à l'accompagnement des personnes hébergées.
La question de l'investissement des travailleurs sociaux, leur temps, leurs savoirs (notamment expérientiels), leurs compétences, est centrale dans cette réflexion ; autant que celle des dimensions axiologiques à l’œuvre. Il ne s’agit pas d’interroger le cadre juridique de la réquisition mais bien de prendre appui sur ce dernier afin d’envisager ses effets sur les postures professionnelles, les positionnements personnels et le développement de compétences expérientielles pour les travailleurs sociaux. La relation dialogique entre le cadre courant (secteur social habileté, légitimé et financé par l'état, salariat) et le cadre né de l'action (militance s'appuyant sur différents niveaux du droit, bénévolat) est considérée dans sa dimension heuristique.
Notre question est la suivante : En quoi la participation de professionnels diplômés du travail social, exerçant par ailleurs dans des institutions ayant une mission de service public, influe le fonctionnement, l’organisation du lieu réquisitionné ? Et réciproquement, en quoi ce dernier influe sur la professionnalisation de ces personnes ?
Ce travail de recherche qui débutera en début d’année 2015 vise plusieurs objectifs :
- Soulever la complexité des enjeux sous-tendant ces « réquisitions citoyennes », en étant attentif au contexte (temporel, politique, social et économique) et aux expériences vécues de ces travailleurs sociaux
- Présenter les méthodologies du travail social mises en œuvre dans un cadre bénévole et militant et les compétences développées par ce savoir expérientiel
- Rendre compte, le cas échéant, du hiatus entre position personnelle et posture professionnelle
- Mettre en évidence les risques et bénéfices pour les collectifs d’actions dites « militantes » d’avoir en leur sein des professionnels du travail social en qualité de bénévoles
Nous réaliserons une série d’entretiens semi-directifs auprès des personnes concernées par ces actions (bénévoles/militants − pour certains travailleurs sociaux – et usagers), ainsi que des professionnels et des élus non impliqués, en charge des problématiques liées au logement. Nous recueillerons des données qualitatives portant d’abord, et pour les uns, sur leur motivation à y prendre part et les modalités d’investissement des lieux et pour les autres, sur leur représentations de ces actions. Ensuite, il s’agira d’appréhender plus globalement le rapport au cadre juridique, les conflictualités, les idéalités et le sens de l’engagement. Nous procèderons à une analyse croisée des discours, suivant une approche pluridisciplinaire compte-tenu de nos formations respectives (professionnels du travail social, formateurs en travail social, psychologue, juriste).
Des perspectives seront proposées en termes de pratiques, d’intervention sociale et de formation des futurs travailleurs sociaux, sur les aspects liés à l’éthique, la déontologie, l’expertise, la communication, le Droit, les politiques sociales et le partenariat.

Bibliographie

Alter, N., (2000). L’innovation ordinaire, Paris : PUF, Coll. Quadrige.
Barbant, J.C., (2011). Sociologie de l'expertise de l'intervention sociale. Modèles et éthiques de l'ingénierie dans le champ social, Paris : L’Harmattan, Coll. Recherche et transformation sociale.
Circulaire DGAS/4A no2008-392 du 31 décembre 2008 relative à la formation et à la certification du diplôme d’Etat d’assistant de service social.
Circulaire interministérielle DGAS/SD 4A n° 2007-436 du 11 décembre 2007 relative aux modalités des formations préparatoires et d'obtention du diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé (DE ES) et du diplôme d'Etat de moniteur éducateur (DE ME)
Courtois, B., Pineau, G. (1991). La formation expérientielle des adultes, Délégation à la Formation professionnelle, Paris : Editions La documentation Française, Col. Recherche en formation continue.
De robertis, C., (2007). Méthodologie de l’intervention en travail social, Paris : Bayard Culture, Coll. Travail social.
Rouzel, J., Rouzel, F., (2009). Le travail social est un acte de résistance, Paris : Dunod, Coll. Santé social.
Weber, M., (1963). Le savant et le politique, Paris : Union générale d’Editions, Coll. Le monde en 10-18.

Présentation des auteurs

Marianne Blanchard, formatrice à Askoria Lorient - association de formation en intervention sociale de Bretagne (France). Juriste. Intervenant dans les domaines du droit, de l’éthique et des politiques sociales.
François Sorin, éducateur spécialisé, Formateur à Askoria Lorient - association de formation en intervention sociale de Bretagne (France).
Anne Winter, formatrice à Askoria Lorient - association de formation en intervention sociale de Bretagne (France). Docteur en psychologie, chercheur associé au CIAPHS (EA 2241).

Communication complète

DU DEVELOPPEMENT DU SAVOIR EXPERIENTIEL DES PROFESSIONNELS DU TRAVAIL SOCIAL
L’EXEMPLE DE TRAVAILLEURS SOCIAUX ENGAGES DANS DES ACTIONS DE REQUISITIONS DE LOGEMENT
6ème congrès International de l’AIFRIS [ISSSP Porto – Juillet 2015]

Marianne Blanchard, formatrice à Askoria Lorient - association de formation en intervention sociale de Bretagne (France). Juriste. Intervenant dans les domaines du droit, de l’économie, de l’éthique et des politiques sociales.
François Sorin, Formateur à Askoria Lorient - association de formation en intervention sociale de Bretagne (France). Educateur spécialisé.
Anne Winter, formatrice à Askoria Lorient - association de formation en intervention sociale de Bretagne (France). Docteur en psychologie, chercheur associé au CIAPHS (EA 2241).

1. Contexte de l’étude

En 2011 et 2013, deux réquisitions de bâtiments municipaux sont menées à Lorient par le collectif « Urgence, un toit pour tous ». Pour les membres de ce collectif , l’objectif est de mettre à l'abri et d'accompagner des adultes et des familles vulnérables, sans solution de logement. Deux aspects suscitaient notre intérêt au vu de la part active jouée, entre autres, par des travailleurs sociaux dans ces réquisitions : premièrement, l’effet des connaissances et des compétences des professionnels impliqués sur l’organisation et le fonctionnement de ces réquisitions, et deuxièmement, le hiatus possible entre une position personnelle relevant de l’engagement militant et une posture professionnelle soumise aux contraintes institutionnelles.
Afin de réaliser ce travail, nous avions prévu un protocole méthodologique de recueil de données auprès des différents membres du collectif, travailleurs sociaux engagés à titre bénévoles, et bénévoles non formés au travail social. Nous souhaitions également rencontrer des professionnels en charge de problématiques liés au logement, mais non impliqués dans l’action. L’évolution des relations au sein du collectif comme l’évolution de l’action elle-même, ainsi que nos propres contraintes au sein de notre institution , ne nous ont pas permis de rencontrer le nombre de personnes attendu au sein du collectif. Cela nous a amené à modifier le projet initial pour engager une démarche davantage exploratoire, et nous centrer sur la question des formes d’engagement.

2. Pour une déconstruction des figures de militance

Au printemps 2011, les professionnels d’une association présente sur le territoire Lorientais, chargée d’accompagner les personnes en situation de vulnérabilité sociale, sont confrontés à l’afflux important des demandeurs d’asile, orientés notamment par l’OFPRA et les centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Le système de domiciliation mis en place ne leur permet pas d’accéder à des solutions d’hébergement et met à mal les professionnels, amenés à renvoyer à la rue les familles après les avoir enregistrées . Une circulaire du Ministère de l’intérieur du 24/05/2011 portant pilotage du dispositif de l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile et rappelant le cadre des crédits budgétaires alloués, indique clairement que des catégories de demandeurs d’asile ne seront pas admissibles. Démunis face à cette situation, ils interpellent le délégué du personnel de l’association. Une action de fermeture du service d’accueil est décidée afin de dénoncer les conditions d’accueil des personnes migrantes, relayée par la presse et soutenue à travers plusieurs manifestations. Le collectif « Urgence, un toit pour tous » nait de ces initiatives. Au cœur des revendications : le respect du droit. En l’absence de solutions proposées par la préfecture et le conseil général, une première réquisition est ouverte. Une seconde suivra un an plus tard. Ces arguments liés au Droit ont été récurrents dans les entretiens que nous avons réalisés auprès de trois professionnels, étayant pour les uns, une posture militante, pour les autres, une posture professionnelle.

2.1. Des figures observables sur le terrain

Les entretiens menés nous ont permis d'identifier deux formes d'engagement des travailleurs sociaux dans ce contexte. Nous ne prétendons pas constituer à travers elles une typologie des formes militantes dans le cadre du travail social, mais ces expériences individuelles permettent néanmoins de considérer, dans ce qu'elles ont de commun et de différent, les enjeux de l'engagement pour les travailleurs sociaux. Plusieurs aspects sont ressortis des entretiens menés, liés au sens de leur engagement, aux bénéfices mais aussi aux risques et aux coûts de cette implication :
Les travailleurs sociaux rencontrés fondent leur engagement sur un certain rapport d'appartenance revendiquée : diplômés d'état avant que d'être salariés, citoyens avant d'être travailleurs sociaux. Un des travailleurs sociaux s'est engagé comme porte-parole du collectif « un toit pour tous ». Cette fonction confèrera à ce professionnel une exposition médiatique et politique importante et le confrontera à des difficultés professionnelles vis-à-vis de son employeur et de certains collègues. Cette situation rend compte des effets de croisement et de frontière entre position personnelle et posture personnelle.
Un second professionnel, ayant participé à la mobilisation initiale et aux manifestations, nous dira ne pas s'être impliqué dans les réquisitions, considérant que « sa lutte était interne ». Il identifie la nécessité de porter l'opposition auprès de ses employeurs, qui, confrontés aux injonctions préfectorales ne respectaient pas le droit des personnes. La stratégie consiste donc à investir les espaces institutionnels pour « rappeler le droit » et s'opposer à toute disposition qui y contreviendrait.

2.2. Un continuum pour formaliser un engagement (militant ?)

Les positions et postures qui se dégagent dans le discours des professionnels que nous avons rencontrés ne se posent pas en contraire mais bien en contraste, nous amenant à envisager un continuum sur lesquelles elles peuvent s’inscrire simultanément. La position du militant, porte-parole, qui se rend visible en dehors de l’institution, trouve écho dans la posture du professionnel, engagé, qui cherche à agir sur les positions au sein de l’équipe professionnelle. Et c’est la promotion du droit, au dedans et au dehors, en interne et en externe, qui relie ces deux positions. Militance et sens des missions professionnelles se situent en ce lieu commun, qui est aussi l’espace d’une nécessaire alliance.

3. L’évolution du droit avant et après 2007

L’évolution du droit joue un rôle important dans la formation des positionnements et des mobilisations observés.

3.1. Quelques éléments législatifs sur la situation des demandeurs d’asile

Le comité de suivi de la Loi DALO indique que « Entre 2001 et 2012 le nombre de personnes sans abri a augmenté de 44 %... En décembre 2014, 43 % des sollicitions au 115 n’ont pu donner lieu à une proposition d’accueil » . Le droit de séjour, le droit d’asile, le droit de tout être humain d’être respecté et de bénéficier de la protection de son intégrité physique et morale, le droit au logement et à un hébergement sont liés. Dans le parcours des personnes arrivant de l’étranger en France, il est une étape qui est celle de l’hébergement. Différents services sociaux interviennent en fonction des situations, et spécialement les centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). En 2003, une Directive européenne enjoint les Etats membres de faire bénéficier les demandeurs d’asile, quelle que soit la procédure appliquée, d’un logement à compter de leur demande, dans la mesure où les personnes sont admises au titre de l’asile. Des familles en ont été exclues alors même qu’elles remplissaient ces critères. Cette prise de position de l’Etat français en 2011 est contraire au droit européen et national.

3.2. L’avant et l’après Loi DALO (Droit au Logement Opposable)

Grâce à un mouvement largement médiatisé, mené par l’association "les enfants de Don Quichotte", le droit au logement et plus spécifiquement le droit à l’hébergement d’urgence a été introduit dans notre législation en 2007 . Il a été consacré comme nouvelle liberté fondamentale par la plus haute instance de l’organisation judiciaire de l’ordre administratif en 2012 . La conséquence en est que « les personnes pourront introduire un recours en référé dit « liberté »…dans ce cas le juge administratif doit statuer dans les 48h. la personne doit donc apporter la preuve de l’urgence de sa situation et que le refus d’hébergement porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l’hébergement d’urgence…le préfet [l’Etat] n’est tenu qu’à une obligation de moyen et non de résultat. » Toutefois, la haute juridiction qu’est le Conseil d’Etat n’a pas examiné le principe de continuité et de non remise à la rue de la Loi dite droit au logement opposable (loi DALO ) repris dans l’article L.345-2-3 du Code de l’action social et des familles . Des tribunaux administratifs (1er niveau de juridiction) ont, entre 2012 et 2013, pu enjoindre au préfet d’indiquer un lieu d’hébergement à des familles dans un délai allant de 24 à 96 h, sous astreinte allant jusqu’à 125 € . Depuis lors, suite à une conférence nationale contre la pauvreté et l’inclusion sociale en décembre 2012, le nouveau gouvernement s’est engagé à ouvrir 4000 places en CADA, 3000 ont d’ores et déjà été ouvertes .

4. Des perspectives en termes de formation des Travailleurs sociaux

Comment alors sensibiliser les professionnels en formations, nos étudiants, aux enjeux ici soulevés ? Dans le cadre des formations en travail social, le droit à une place relative, enseigné le plus souvent dans le domaine de compétence touchant aux dynamiques partenariales et institutionnelles. Dans ce cadre, le droit est restreint à la connaissance des programmes d’actions des autorités publiques. Pour renforcer les compétences des travailleurs sociaux, il apparaît nécessaire de favoriser leurs capacités à analyser, du point de vue du droit, les situations des personnes et cela indépendamment d’une quelconque appartenance institutionnelle. L’expertise sociale apparaît également comme un levier possible pour encourager les professionnels en formation à développer leurs connaissances des problématiques spécifiques et partant de celles-ci, interroger les dispositifs existants et juger de leur cohérence comme de leur légalité. La figure du parajusriste telle qu’elle tend à se développer à l’étranger, notamment en Argentine ou sur le continent Africain, sous des désignations parfois différentes, ne pourrait-elle pas inspirer une partie des logiques de formations en travail social pour donner au professionnel les outils nécessaires à la mise en œuvre de ses interventions ? La question reste ouverte.

Bibliographie (indicative) :

Barbant, J.C., (2010). Demande d’expertises dans le champ de l’intervention sociale : quels enjeux éthiques. Communication présentée lors du Séminaire interdisciplinaire – Intervention Sociale et Innovation. Document consultable en ligne sur : http://www.msh-m.fr/IMG/Demande_D_ expertises_Dans_Le_Champ_De_L_intervention_Sociale_MSH-M_2010-03-30.pdf
Burlet, L., Les pros de l’urgence sociale relancent le droit au logement, in Lien social, n°17, mars 2011
Calinon, T., Zone d’incertitudes, in ASH magazine, n°26, mars/avril 2008.
CNAF, Le droit à…de l’émergence à l’effectivité, in Informations sociales, n°81, 2000.
« Chronique ordinaire de l’urgence sociale… entre scène et coulisses » (Dossier), in Les cahiers de l’actif, n°44/345, janvier/février 2005.
Duquesne, C., Pour un travail social refondé sur l’information et l’accès aux droits fondamentaux – Colette Duquesne, in Journal du droit des jeunes, - N°338 et 339, 2014.
Duquesne, C., (1995). Journal d’une assistante sociale, Paris : Syros.
FIAS et ANAS, (1998). Droits de l’homme et travail social : Manuel à l’usage des centres de formation et des professionnels en travail social, Paris : ENSP
Guellil, A., Guitton-Philippe, S., (2010). Construire une démarche d’expertise en intervention sociale, Paris : Broché
Helfter, C., Le travail social à l’épreuve du droit ? in Actualités sociales hebdomadaire, n°2342, 16 janvier 2003
Langlet, M., Plantet, J., Des familles dans les méandres de la demande d’asile, in Lien social, n°1034, octobre 2011
« Le travail social à l’épreuve du droit des personnes » (Dossier), in Vie sociale, n°1, 2006.
Paquet, M., Les travailleurs sociaux confrontés à la « surexclusion », in Actualités sociales hebdomadaire, n°2840, 3 janvier 2014
Plantet, J., La tentation du militantisme - Les travailleurs sociaux peuvent ils s’accommoder d’une politique du logement…très peu sociale ? in Lien Social, n°701, mars 2004.

Résumé en Anglais


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