Se former à l’approche communautaire Une Formation Action en Hôpital
Partant du constat d'un manque d'expérimentation des étudiants Assistants de Service Social en formation en matière de travail social collectif, l'équipe de formateurs ASKORIA de Lorient a souhaité proposer aux professionnels une formation continue à l’Intervention Sociale d’Intérêt Collectif1, sur site, avec les professionnels et institutions intéressés. Le cycle était proposé sur plusieurs mois et se présentait à la fois sur le versant apport de connaissances : sur ce que recoupe l’appellation ISIC, les aspects méthodologiques des différents types d’ISIC…mais surtout comme un accompagnement à une élaboration partant de l’équipe en formation. Pour que la réalisation d’un projet soit envisageable, les séances de formation suivaient un rythme d’une séance par mois environ. Entre chacune d’entre elles, les professionnels devaient pouvoir avancer pour amener matériaux et questionnements à l’étape suivante. Il était aussi prévu des temps d’échanges et de validation avec les responsables hiérarchiques des personnes concernées. L’ouverture du groupe formé à d’autres personnes pouvant «s’inscrire dans la démarche » était envisagée. La composition du groupe « noyau de départ » pouvait ne pas rester figée. Mettre en place ce type de formation suppose une prise en compte du contexte, une adaptation de la démarche à l'objectif visé et le choix d'une méthodologie de travail, fruit d'une réflexion partagée. Le nécessaire ajustement d’une proposition de formation au contexte institutionnel : Les étudiants ASS stagiaires en hôpital explicitent souvent un problème en ce qui concerne la pratique du collectif dans ce cadre : la durée des hospitalisations, les contraintes financières et organisationnelles empêcheraient toute pratique collective ou les limiteraient à l’information. Le service social de l’hôpital de Morlaix s’est pourtant montré intéressé par cette démarche. L’offre correspondait à une demande de certains professionnels et au souci de la cadre de plus « faire équipe », en mixant dans une même formation des ASS des services généraux et des services spécialisés en psychiatrie. La démarche de travail collectif était peu pratiquée par les ASS. Des expériences menées avec des stagiaires avaient montré toute la complexité de ce type d’intervention en milieu hospitalier. Les stagiaires ASS avaient par exemple envisagé de travailler le diagnostic sous forme de questionnaire, ce qui avait généré des inquiétudes dans certaines équipes soignantes. Ces dernières craignant parfois que les ASS viennent empiéter sur leur champ de compétences. Par ailleurs, certains médecins, chefs de service attendaient clairement de l’ASS une intervention individuelle… Les ASS et la cadre avaient analysé les réactions des équipes et les avaient prises en compte ce qui entraînait de leur part, une certaine prudence, dans l’attente de la formation. Cette dimension devrait être prise en compte et faire partie même de la formation.
1 Intervention sociale d'intérêt collectif, rapport à Monsieur le Ministre, Conseil Supérieur du Travail Social, octobre 1987 .
Du fait des rythmes de l’hôpital, le calendrier proposé a du s'adapter. Le contenu de l’offre s’est aussi modifié en fonction de ce contexte particulier : mixant ASS issues de services très différents (généraux et spécialisés en psychiatrie), formées à des périodes différentes et ayant donc suivis de cursus incluant plus ou moins les notions de travail social avec les groupes, communautaire et Développement Social Local ou encore l’empowerment. Certaines avaient déjà pratiqué ou pratiquaient au moment de la formation un travail social avec les groupes, d'autres n'avaient pas d'expérience de ce type. Le travail s’est déroulé sur sept séances d’une journée chacune, sur le site de l’hôpital. Sept assistantes de service social dont six en hôpital spécialisé et une en hôpital général ont suivi la formation de façon assidue sur l’ensemble de la période. Une formation/action : quand la démarche de formation rejoint la philosophie de l’action. C’est en étant accompagné dans un projet et en agissant ensemble qu’un groupe se construit une réflexion. Ce travail d’élaboration progressive et de réflexion partagée lié à l’expérimentation créé une cohésion de groupe elle-même porteuse de changements dans les relations entre les membres et avec leur environnement. Cette démarche, présente au début dans l’entreprise et aujourd’hui dans les mouvements coopératifs, d’éducation populaire ou dans les démarches de développement repose sur des principes invariables : "Elle consiste à traiter dans une formation le problème réel d'un groupe de personnes dans son milieu professionnel. La formation-action est une démarche pragmatique de résolution de problème ; elle suppose une bonne implication des personnes qui prennent en charge leurs problèmes."2 Dictionnaire de la formation et du développement personnel - E.S.F. 1996 Elle s’appuie donc sur une question/problème à résoudre auquel le groupe va essayer de répondre. Ici, les assistantes de service social sont confrontées à des questions de différents ordres: De compréhension : Pourquoi ne pouvons-nous agir qu’en individuel en hôpital ? Quels freins nous faudrait-il lever pour développer une démarche plus collective de travail avec les personnes ? Sur quoi serait-il pertinent de travailler avec les personnes accueillies à l’hôpital ? Mais aussi stratégiques : Comment lever les freins identifier ? Sur quelles ressources prendre appui ? Ou de méthode : Qu’est-ce qu’un diagnostic au niveau collectif ?... Les apports de connaissances sur l’approche communautaire ont amené d’autres questionnements, que l’on pourrait qualifier de « positionnement » ou d’orientation: Quand et comment associer les « autres » à notre réflexion pour que le projet soit partagé ? Comment faire comprendre cette démarche ? Comment identifier les compétences des personnes et les valoriser ? « La formation sera construite par alternance avec des périodes d'acquisition de connaissances, de méthodologies, et des périodes de travail, de mise en œuvre de ces apports dans la situation professionnelle jusqu'à la formulation de solutions. » 3 Si dans un premier temps, c’est la formatrice qui a apporté des connaissances sur l’ISIC, les ASS ont pu expliciter ce qu’elles en avaient expérimenté. L’alternance a permis, par la suite, de mettre à plat des constats, d’élaborer puis de tester des outils de recueil de données, synthétiser des informations 2 Dictionnaire de la formation et du développement personnel - E.S.F. 1996, article sur la formationaction 3 Ibid
mais aussi à la formatrice de proposer la formalisation des outils, de proposer des « documents martyrs », supports à questionnement et à reformulation ou encore d’adresser aux participantes des références bibliographiques ajustées aux sujets traités lors de la séance précédente, des articles en ligne pour éclairer un point… Le choix de dérouler deux démarches pensées comme complémentaires. « L'association Espoir Goutte d'Or-Ego définit la démarche communautaire comme le souci d'une reconnaissance des différents champs d'expertise des citoyens-acteurs (professionnels, habitants, usagers ), le refus de l'organisation hiérarchique des rôles, et l'innovation permanente liée à l'adaptation des actions aux spécificités contextuelles. » Espoir Goutte d'Or. Intervention communautaire et réduction des risques, projet 282, septembre 2004. 4 Les assistantes sociales de l'hôpital déjà très impliquées dans des questionnements éthiques ont été très intéressées par cette approche. Alors que les patients sont pensées essentiellement à partir de leurs symptômes et maladies diagnostiquées, l'approche communautaire les situe comme « personnes capables ». Un travail d'identification des problèmes a bien été décidé, conjugué à un repérage des potentialités tant au niveau des patients que des professionnels. Les ASS, en grande majorité centrées sur des services spécialisés en psychiatrie et en addiction ont identifié deux types de questionnement chez les personnes accompagnées : En quoi les problèmes de budget peuvent fragiliser le bien-être des patients ? Et un questionnement sur l'isolement social et ses conséquences en terme de mal-être voire de retour à l'hôpital. Des personnes ressources mais aussi des institutions s’inscrivant déjà dans des démarches de développement et de valorisation des savoirs et compétences ont été rencencées. Quatre ASS rencontraient des personnes pour mieux comprendre avec elles les questions qui se posaient en ce qui concerne les budgets. Il en ressortait une confirmation des constats soit : des ressources très souvent très faibles, des attentes de décision ou de versement très longues, des charges parfois disproportionnées aux charges. Elles repéraient aussi chez les personnes des habiletés, des compétences pour gérer ces budgets serrés. Les trois autres ASS se concentraient sur la question de l'isolement pour mieux le qualifier, repérer les éléments qui y contribuaient, et trouver des personnes ressources intéressées pour travailler ce point. Deux projets ont donc été lancés en parallèle. La thématique du budget a été traitée assez rapidement : les ASS sont en lien direct avec les personnes concernées, elles même demandeuses. Les ASS sont reconnues comme compétentes sur cette question et ne risquent pas d'inquiéter les autres professionnels en travaillant sur ce thème. Les ASS ont donc pu, lors des sept séances dérouler le début d'un projet de travail social avec les groupes. Très impliquées dans la réflexion sur l'approche communautaire, elles ont teinté leur démarche de certains de ses composants. Elles n'ont par exemple pas fait de programme par séquence ou construit des « cours » sur les bonnes pratiques budgétaires mais ont réfléchi à une « mallette ressource » qui serait ouverte au gré du programme qui se co-construirait avec les personnes. Le groupe travaillant sur l'isolement a connu plus de difficultés car l'analyse de causes de l'isolement l'avait mené à privilégier l'approche communautaire. Or, quelle légitimité les ASS en hôpital peuvent
4 Extrait de: Développer et réussir l'intervention sociale d'intérêt collectif, rapport du CSTS, Presse de l'EHESP, 2010, p48.
elles avoir à dérouler ce type de démarche qui suppose de sortir des murs, de rencontrer des partenaires, de coopter, de convaincre...Elles ont été confrontées à des problèmes concrets de moyens et d'incompréhensions. Si elles ont pu engager un travail de repérage et de sensibilisation pendant la formation, la possibilité de poursuivre semblait incertain en fin de formation. Ce projet, par les questions qu'il a soulevé illustre bien les complexités en jeu lorsque les ASS se veulent actrices de changement. L'approche communautaire bouscule les cadres et règles de fonctionnement habituels et de ce fait génère incompréhensions, craintes et potentiellement des blocages. A l'heure où l'empowerment est enseigné dans les formations initiales, les institutions sont interpellées sur leur capacité à accepter voire développer une pratique qui, chez certaines « évoque un danger potentiel ».5 La démarche communautaire questionne non seulement la méthodologie, mais aussi les organisations dans leur ensemble, les délégations faites aux professionnels et donc les systèmes de management. Le développement de cette approche demande l'acquisition d'une culture commune à tous les acteurs, dont les élus mais aussi les dirigeants et cadres intermédiaires.
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