Fiche Documentaire n° 3900

Titre Heurs et malheurs de l’innovation sociale, quels investissements et pour quels transformations sociales ?

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Auteur(s) PALAZZO Clothilde  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Heurs et malheurs de l’innovation sociale, quels investissements et pour quels transformations sociales ?

Dans cette communication, je relaterai une action collective à savoir la mise sur pied d’une exposition cherchant à visibiliser les femmes dans la société. Elle a été menée avec des étudiant•e•s en Bachelor Travail social, en 3ème année et divers partenaires de la cité. Cette exposition a été réalisée pour Via Mulieris, une jeune association qui s’est créée à la suite du constat d’une forme d’oubli des femmes dans les projets célébrant la commémoration de l’entrée du Valais dans la Confédération Helvétique.
Dans un premier temps je rendrai compte de l’expérience en me basant sur les processus mis en œuvre pour faire aboutir ce projet, sur les commentaires recueillis auprès étudiant•e•s et sur les appréciations du public. Puis, sur la base des travaux de Carrel, dans une perspective évaluative et critique, j’analyserai les effets de cette réalisation sur le développement de la citoyenneté de l’ensemble les partenaires. Je questionnerai les modalités de participation mises en œuvre et leur impact en termes de formation des professionnel•le•s du travail social : en quoi une telle expérience participe-t-elle d’une forme de conscientisation ? Quels sont les acquis en termes de professionnalité et d’engagement ? Comment les différentes alliances ont joué pour la réalisation de ce projet ? Puis d’une manière plus générale, je terminerai par les questions que ce type d’expérimentation pose en termes de rapport de genre : en quoi une telle action change-t-elle les représentations liées aux rapports sociaux de sexe ? Comment une telle expérience participe-t-elle à l’émancipation des normes de genre ? Comment participe-t-elle au pouvoir d’agir des femmes et des hommes et au développement de la mixité dans la société?

Bibliographie

CARREL, Marion. Pauvreté, citoyenneté et participation. Quatre positions dans le débat sur la « participation des habitants ». In Neveu, Catherine (Ed). Cultures et pratiques participatives. Perspectives comparatives. Paris: L’Harmattan, 2007.
CHAPONNIÈRE C. et CHAPONNIÈRE M (2006), La mixité. Des hommes et des femmes, Paris, in Folio, collection Illico.
GIRAUD, Isabelle. Pour une grille de lecture féministe des politiques publiques. Utinam, n° 5, 2001-2002.
HANSOTTE, Majo. Paroles partagées et intelligences citoyennes. Colloque Paroles Partagées, Lyon: 2008.
PALOMARES, Elise et RABAUD Aude. Minoritaires et citoyens? Faites vos preuves! L’homme et la société, n ° 160-161. 2006.
PALOMARES, Elise et TESTENOIRE, Armelle. Indissociables et irréductibles : les rapports sociaux de genre, ethniques et de classe. L’homme et la société, n° 176-177, 2010/2.

Présentation des auteurs

Clothilde Palazzo-Crettol est sociologue-chercheuse, elle enseigne à la Haute Ecole de Travail Social Valais/Wallis. Ses sujets de prédilection sont les questions de genre et de corporéité en lien avec la professionnalité et l'analyse des rapports sociaux de sexe et d'âge.

Communication complète

Dans cette communication, je relaterai une action collective à savoir la mise sur pied d’une exposition cherchant à visibiliser les femmes dans la société, qui a permis la collaboration d’étudiant•e•s en Bachelor Travail social de 3ème année et de divers partenaires de la cité. Dans un premier temps je rendrai compte de l’expérience en me basant sur les processus mis en œuvre pour faire aboutir ce projet, sur les commentaires recueillis auprès des étudiant•e•s et sur les appréciations du public. Puis, dans une perspective évaluative et critique, j’analyserai les effets de cette réalisation sur le développement de la citoyenneté de l’ensemble les partenaires. J’interrogerai les modalités de participation mises en œuvre, l’impact d’une telle expérience en termes de formation des professionnel•le•s du travail social et son influence sur les rapports sociaux de sexe.
Je vais aborder les questions suivantes : En quoi une telle expérience participe-t-elle d’une forme de conscientisation ? Quels sont les acquis en termes de professionnalité et d’engagement ? Comment les différentes alliances ont joué pour la réalisation de cette action ? En quoi une telle intervention change-t-elle les représentations du masculin et du féminin ? Comment une telle expérience participe-t-elle à l’émancipation des normes de genre ? Comment participe-t-elle au pouvoir d’agir des femmes et des hommes et au développement de la mixité dans la société?
Une intervention au cœur de la vie sociétale…
Au mois de mars 2014, un petit groupe de femmes réunissant notamment des historiennes, des sociologues, des politiciennes, des retraitées et des jeunes femmes actives, fait le constat d’une forme d’oubli des femmes dans les projets célébrant la commémoration de l’entrée du Valais dans la Confédération Helvétique (200 ans). Il se réunit afin de réfléchir sur les actions possibles pour mettre en lumière l’importance des transformations vécues et initiées par les femmes. Quelques enseignantes de la Haute Ecole de Travail Social Valais/Wallis font la proposition de monter une exposition grand public, bilingue, itinérante et interactive avec la collaboration d’étudiant•e•s dans le cadre d’un module d’approfondissement sur la corporéité.
Au mois de juillet 2014, la nécessité de doter d’un cadre plus formel les différents travaux effectués amène à la création de l’association Via Mulieris. En très peu de temps, environ une quarantaine de personnes (majoritairement des femmes !) se disent intéressées à participer à ce projet de valorisation de l’histoire des femmes.
Trois activités principales sont retenues dans un premier temps : la création d’un site internet relatant les travaux de l’association, l’exposition et la production d’articles dans un quotidien régional sur l’histoire de femmes valaisannes marquantes.
Au mois d’août 2014, la recherche de documentation et de fonds bat son plein. Le 22 septembre 2014, le module débute et les enseignantes présentent le projet aux 18 étudiantes et 2 étudiants. Le travail effectué pour la production de l’exposition servira de validation. Les membres de Via Mulieris se mettent à disposition gracieusement pour être interwievées, pour fournir des références bibliographiques ou des noms de personnes à contacter. Un partenariat avec une société locale d’histoire : Patrimoine Hérémence se met en place.
Le 20 octobre, les thématiques sont choisies (6 en tout : elles interrogent le travail de reproduction des femmes : dans la cuisine au quotidien, dans l’agriculture et dans l’accouchement, et leur place dans l’espace public au travers du sport et de la fanfare). Des promesses de soutien ont été récoltées auprès de la HETS et d’un établissement bancaire (en nature et en espèce pour une petite somme d’environ 3000.- CHF) mais pratiquement aucun autre fonds n’a été trouvé. Un graphiste professionnel accepte de concevoir le design de l’exposition gratuitement.
Le 30 novembre les photos et les textes sont réunis et envoyés à la traduction. Le 15 décembre, la mise en scène est réalisée par le graphiste. Les membres de l’association se démènent pour trouver des ressources financières, le secrétariat à l’égalité et à la famille leur alloue une somme de 13’000.- CHF, une autre association : Solidarité Femmes, offre 1000.- CHF.
Le 20 décembre l’impression des panneaux est lancée. Les enseignant•e•s impliquées directement dans l’organisation du module, leurs collègues et les étudiant•e•s oeuvrent pendant les fêtes à la relecture finale, aux dernières précisions et compléments. L’imprimerie travaille pendant les vacances de Noël et doit livrer les panneaux le 6 janvier mais n’y parvient pas, les étudiant•e•s qui se déplacent pour le montage de l’exposition se retrouvent désoeuvré•e•s et déçu•e•s.
Tout le réseau médiatique de la Haute Ecole et des membres de l’association est mobilisé pour que l’événement, qui n’en n’est pas encore un, ait lieu. Le gratin politique au complet est invité. Le temps commence à presser… et on ne sait pas encore à quoi va ressembler véritablement l’exposition !
Le 13 janvier 2015, le vernissage de l’exposition « Des voix et des femmes…Stimmen der Frauen » a lieu : 13 panneaux format mondial avec textes et photos, un jeu de l’oie, deux courtes vidéo, et un tableau interactif remplissent le hall de la Haute école de travail social. Environ 200 personnes de tous horizons, monde politique, médiatique, amis, parenté, étudiant•e•s sont présentes. Une prestation originale est offerte par des collègues faisant partie d’une troupe de théâtre forum : Silex.
Un processus qui soulève des réticences…
La réalisation de ce projet a été un défi conséquent en raison des contraintes matérielles (éloignement géographique des étudiant•e•s, surcharge des enseignantes et complexité du travail) mais également à cause de l’audace que cela requiert.
La participation des étudiant•e•s à ce type d’action se heurte à des injonctions contradictoires : d’un côté, une relative liberté, de l’autre les exigences du mandant et de l’école. Monter une exposition demande des compétences artistiques, de l’inventivité, une certaine autonomie et des capacités de réseautage (faire un dessin original, contacter ses connaissances pour obtenir une caricature, sélectionner des photos d’époque et en créer les cadres, etc.) mais comme l’exposition est mandatée par l’association sous l’égide d’une Haute Ecole, elle ne peut se résumer à un bricolage trop grossier et doit être scientifiquement pertinente.
Une petite part des étudiant•e•s ont été déstabilisé•e•s par le timing très serré, les moyens aléatoires, l’hésitation ou le doute inhérents à ce type de projet. Pris•e•s de panique, certain•e•s ont requestionné l’organisation, mis en cause leur propre légitimité à créer une exposition publique, se sont plaint•e•s de l’ampleur de la tâche ou encore ont changé de thématique au cours du processus sans en informer l’équipe encadrante. Lors du montage de l’exposition, la tension était palpable et les quelques mécontent•e•s ont communiqué leur angoisse aux autres. Les personnes le plus déstabilisées ont été celles qui s’inscrivent dans des trajectoires de « bonnes élèves sur-adaptées », à l’instar de ce qui a été montré dans les études sur l’école, elles sont attentives au travail bien fait, mais chronophage, se font du « souci », anxieuses elles assument plus difficilement ce qu’elles voient comme en échec, alors que ce n’en est pas un comme nous le verrons plus bas.
Sachant que nos étudiant•e•s, encore relativement protégé•e•s lors de leurs stages, seront confronté•e•s dans le travail social à l’urgence et à la nécessité de faire preuve d’une bonne dose d’adaptabilité, la difficulté éprouvée par nos étudiant•e•s à composer avec l’incertitude soulève des questions. En tant qu’enseignant•e•s ne sommes-nous pas trop prudent•e•s quant à la liberté que nous octroyons à nos étudiant•e•s ? Dans quelle mesure, la formation que nous proposons parvient-elle à dépasser les inégalités entre les sexes qui parcourent la scolarité et à rendre les jeunes femmes que nous formons moins timorées ? Quelle place donnons-nous dans le cursus à l’émergence d’alternatives ?
Des bénéfices en termes de rapports sociaux
L’exposition est une réussite, appréciée du public, elle a eu une bonne presse (nombre de médias locaux y ont consacré quelque attention). Un ethnologue renommé s’y est même arrêté dans un article d’un magazine régional… Elle traverse les principales villes du Valais et se trouvera dans la capitale au moment des célébrations officielles du bicentenaire. Une galerie bien connue de la place tiendra ses portes ouvertes durant la période estivale tout exprès pour accueillir l’événement. Les déplacements prévus au mois d’octobre et novembre, dans les médiathèques francophones et germanophones, permettront d’intensifier les liens unissant les deux parties linguistiques du Canton et de diffuser du savoir sur les femmes. Des historiennes ou des sociologues se sont d’ores et déjà engagées à produire une conférence. Symboliquement elle a permis de donner la parole aux femmes d’aujourd’hui tout en faisant un travail de mémoire par la perspective socio-historique choisie.
Par le fait qu’elle soit accessible à tous et toutes, elle remplit un des rôles d’une école de travail social : à savoir faire naître et alimenter le débat dans l’espace public, dans le cadre formel des établissements scolaires ou plus informel de la famille. Ainsi, les enseignantes ont eu l’occasion d’animer une journée de vulgarisation de la thématique auprès de jeunes adolescent•e•s. Lors d’une halte, un ami musicien d’une membre de l’association a sollicité des jeunes filles, jouant d’instruments traditionnellement associés aux hommes pour proposer un mini concert, leur parents y ont assisté et ont commenté les panneaux en contant les histoires de leurs mères ou de leurs grands-mères.
Le projet a souffert des tensions habituelles qui traversent la défense de ce qui est considéré comme cause minoritaire : entre politisation et dépolitisation.
Politisation parce que cela a permis de sensibiliser les étudiant•e•s sur la place des femmes dans la société, elles et ils ont eu l’occasion de mettre en perspective les libertés que les femmes ont conquises au cours des deux derniers siècles. Discuter de la situation des femmes en adoptant une perspective genre est primordial pour le travail social parce que cette population, à divers titres, court plus de risques d’être cliente des services sociaux. C’est important également pour les jeunes femmes que nous formons (environ 75 % de nos effectifs), sur une trentaine d’institutions d’éducation sociale en Valais, un petit 10% sont dirigées par des femmes. La nécessité de mettre en lumière des modèles d’identification est donc prégnante et fait partie, à l’évidence, d’une démarche de conscientisation.
Dépolitisation, du fait de la temporalité, des décisions ont dû être prises qui ne rassemblaient qu’un demi-consensus, l’urgence a aussi fait que les textes produits peuvent paraître moins percutants. Les conditions de travail difficiles et la désillusion de certain•e•s ne permettent pas d’assurer que les étudiant•e•s seront de véritables défenseur•e•s des thématiques liées à l’égalité entre femmes et hommes.
S’agissant des qualifications professionnelles acquises par les étudiant•e•s, cette expérience fut une manière d’éprouver leur future professionnalité, par la réalisation complète d’une action concrète et par la connaissance de l’intérieur des diverses postures et ficelles du métier. Elles et ils ont pu tester le caractère émancipateur de l’engagement personnel et professionnel.
Malgré l’usage de «l’injonction participative » et grâce à des « artifices d’égalité » (Carrel, 2007) ce projet a fonctionné comme une utopie, qui consiste à : « proposer un imaginaire alternatif inventant des souhaitables qui servent de moteur » (Hansotte 2008 :10). D’une manière générale cette initiative a permis de cultiver des intelligences citoyennes, c’est-à-dire : « … les modalités créatives par lesquelles un groupe " se paie le luxe d’interroger ", y compris joyeusement, les rôles sociaux » {et les différents rapports sociaux} « pour les détricoter, débusquer ce que ces différents rapports ont d’arbitraire et d’injuste, …. » (Hansotte, 2008:10).
La présence de l’exposition au cœur des festivités, alors même que les femmes, en tant que catégorie sociale, n’y avaient pas été officiellement conviées, témoigne de la puissance de l’impertinence culturelle (Hansotte, 2008) comme outil du travail social. Le fait que durant les célébrations, on parlera des femmes grâce à la ténacité de quelques unes atteste aussi du potentiel de transformations sociales qu’une Haute Ecole peut accompagner en partenariat avec des acteurs de la société civile.
Même si ce qui est mis en scène n’est pas fondamentalement nouveau, le fait que « Des voix et des femmes…Stimmen der Frauen » existe s’apparente à un acte de résistance. C’est aussi un pied de nez sympathique à l’establishment masculin et andro-centré du Valais par les couleurs choisies, l’exclusivité de la parole aux femmes, les thèmes traités et surtout le fait qu’elle a été une des premières manifestations commémoratives ! Dans la réalité traditionnelle du Valais, ce type d’action est une façon de construire l’égalité réelle ou substantielle (Giraud, 2002), en faisant jouer les structures d’opportunités.
Bibliographie
CARREL, Marion. Pauvreté, citoyenneté et participation. Quatre positions dans le débat sur la « participation des habitants ». In Neveu, Catherine (Ed). Cultures et pratiques participatives. Perspectives comparatives. Paris: L’Harmattan, 2007.
CHAPONNIÈRE C. et CHAPONNIÈRE M (2006), La mixité. Des hommes et des femmes, Paris, in Folio, collection Illico.
GIRAUD, Isabelle. Pour une grille de lecture féministe des politiques publiques. Utinam, n° 5, 2001-2002.
HANSOTTE, Majo. Paroles partagées et intelligences citoyennes. Colloque Paroles Partagées, Lyon: 2008.
PALOMARES, Elise et RABAUD Aude. Minoritaires et citoyens? Faites vos preuves! L’homme et la société, n ° 160-161. 2006.
PALOMARES, Elise et TESTENOIRE, Armelle. Indissociables et irréductibles : les rapports sociaux de genre, ethniques et de classe. L’homme et la société, n° 176-177, 2010/2.
RAVON, Bertrand. Repenser l'usure professionnelle des travailleurs sociaux, Informations sociales 2009/2 (n° 152), p. 60-68.
Sites internet
http://www.via-mulieris.ch/
http://solidaritefemmesvalais.ch/
http://www.patrimoine-heremence.ch/
http://www.silex.org/

Résumé en Anglais


Non disponible