Fiche Documentaire n° 3937

Titre Ce que peut faire l'engagement associatif à l'intervention sociale

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l'auteur principal

Auteur(s) MALATESTA Dominique
JACCOUD Christophe
 
     
Thème L'exemple de clubs de sport de proximité  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Ce que peut faire l'engagement associatif à l'intervention sociale

La présente communication a pour objectif de saisir les éléments significatifs relevant de l’engagement associatif et qui permettent de discuter de l’intervention sociale. Nous prenons le parti, pour penser l’action émancipatrice attachée à diverses formes de participation, non pas de partir des savoirs et des compétences des travailleurs et travailleuses sociales, mais bien des capacités des lieux même de l’engagement collectif à penser les vulnérabilités et à y proposer des réponses. Les lieux que nous investiguons sont des clubs sportifs féminins de proximité situés dans des quartiers populaires.
En effet et en dépit des discours qui pointent la montée de l’individualisme, l’affaiblissement des institutions et la prégnance des valeurs postmodernes, la vie associative n’est pas un modèle daté, en Suisse tout au moins qui constitue l’espace de nos investigations . La persistance de tels engagements et la part qu’ils prennent dans la socialisation des jeunes et la création de leur personnalité sociale conduit alors à appréhender l’associativité comme un fondement essentiel de la vie publique. Mais aussi à envisager la pratique d’un loisir populaire au sein d’une association sportive comme une modalité de l’expérience démocratique.
A cet égard, les sciences sociales ont régulièrement documenté comment les clubs de loisir sportif produisent des identités sociales au travers de la production d’un vivre-ensemble articulé sur des valeurs du proche et de la familiarité. Toutefois, nous proposons de penser que cette socialité ne se confine pas strictement au communautaire -et c’est dans cette perspective que nous pouvons parler d’intervention sociale- , une perspective qui n’a guère retenu l’attention jusqu’ici. Autrement dit, si ces structures associatives font à l’évidence « petite société », elles contribuent également à «faire société», c’est-à-dire à produire de la vie démocratique et à favoriser l’inscription dans la vie publique à travers une expérience du monde élargie : apprentissage du répertoire des rôles, exposition publique, lutte pour la reconnaissance de pratiques culturelles peu considérées, etc.
Notre propos entend explorer cette hypothèse de continuité entre communauté et société en se focalisant sur des clubs de sport situés en Suisse romande et accueillant de jeunes pratiquantes pour des activités faiblement estimées (football féminin et twirling bâton). La mise en relief de la double dimension de la socialité qui se développe au sein des clubs doit permettre de penser l’action sociale à partir d’un postulat qui met en relief l’agentivité des acteurs engagés, en particulier des enfants et les jeunes, acteurs qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité sociale et culturelle. Cette double dimension allie le côté social d’une part, car cette socialité est ancrée dans le commun et le personnel ; et le côté politique et impersonnel de l’autre, dans la mesure où elle s’inscrit dans le monde extérieur et agit sur la vie publique en produisant réflexivité et reconnaissance des pratiques culturelles dotées d’une faible légitimité.
L’enjeu est donc bien de revisiter la vie associative, en insistant sur ses effets et sur ses conséquences sur les pratiques culturelles, mais aussi sur la production d’identités sociales affirmatives, qui constituent alors des formes de la forme réponse à la vulnérabilité et que nous souhaitons mettre au jour.
Dans cette communication, nous nous attacherons encore à mettre en perspective ce travail de recherche avec un enseignement consacré à l’action collective et à sa pertinence pour l’intervention sociale, et ceci quand bien même les travailleurs et travailleuses sociales ne sont pas les premiers architectes de ces lieux de création de liens sociaux et, parfois d’affranchissement et de desserrement des assignations disqualifiantes. Cette approche permet ainsi pleinement de penser le rôle du travail social dans le changement social.

Bibliographie

Becker H. (2006), « Notes sur le concept d’engagement ». Tracés, vol. 1, n°11, 177-192.
Douglas, M. (2004), Comment pensent les institutions, Paris : La Découverte.
Garfinkel H. (2007), Recherches en ethnométhodologie. Paris: PUF.
Hamidi C. (2010), La société civile dans les cités: engagement associatif et politisation dans des associations de quartier. Paris: Economica.
Malatesta, D., Jaccoud C., Golay D. (2014) Des publics juvéniles fabricants de cultures sportives : le cas de deux sports pratiqués en club par des filles en Suisse romande, Agora Débats/Jeunesses, no. 68, (3), pp. 113-127

Présentation des auteurs

Dominique Malatesta
Sociologue, Prof. HES Travail social et Santé, EESP à Lausanne (Suisse). Ses recherches concernent de façon générale la place de la citoyenneté ordinaire dans la société démocratique. Deux sujets sont plus particulièrement traités : la dimension politique de l’engagement dans les associations de loisirs, ainsi que l’engagement des filles vivant dans des milieux populaires dans les clubs de sport

Christophe Jaccoud
Professeur associé à l’Université de Neuchâtel (Suisse) et collaborateur scientifique au
CIES - Centre international d'étude du sport (Neuchâtel).
Ses travaux s’articulent pour l’essentiel autour de trois axes : les mutations intervenues dans la construction des identités sportives juvéniles, l’analyse socio-juridique des phénomènes de violence périsportive et de dopage, les engagements caractéristiques d’un agir sportif féminin associé à un horizon d’émancipation et de reconnaissance.

Communication complète

Ce que peut faire l'engagement associatif à l'intervention sociale. Le cas de clubs de sport de proximité comme lieu de production d’identités affirmatives.
Dominique Malatesta, Lausanne (Suisse)
Christophe Jaccoud, Neuchâtel (Suisse)

L’associativité, en matière de loisirs, et en dépit des discours qui pointent la montée de l’individualisme, l’affaiblissement des institutions ainsi que la prégnance des valeurs postmodernes, n’est pas un « modèle daté » (Callède 2008 : 28, OFS 2011). On en veut, entre autres preuves, que le réseau des clubs de sport en Suisse constitue un puissant maillage de l’engagement et de la participation à la vie publique. L’Office fédéral de la statistique suisse (OFS) atteste en effet qu’une personne sur quatre, dès l’âge de 15 ans, exerce une activité non rémunérée dans le cadre d’organisations culturelles et sportives. Les travaux sur les activités sportives montrent que la persistance de tels engagements est clairement associée à la volonté de produire du lien social et de l’intégration, en particulier pour l’encadrement des enfants (Lamprecht et al 2012).
Le sport est donc un instrument couramment approprié pour satisfaire à des finalités qui, du maintien des états de paix à la préservation de la santé, en passant par la promotion d’un esprit de groupe, attestent de la prégnance du référentiel de l’intégration.
On aurait toutefois tort de considérer les clubs de sport uniquement sous l’angle de la part qu’ils prennent dans la socialisation des jeunes et dans la constitution de leur personnalité sociale ; et, de manière plus générale, à travers la seule lecture qui les installerait au rang de cadres privilégiés de production d’un commun défini par l’attachement des personnes et la coopération.
A cet égard, on doit constater que prédomine, dans le champ de la sociologie des associations sportives, ce que l’on peut décrire comme un ordinaire sociologique du commun, qui se décline doublement. D’une part, avec un accent mis sur la dimension structurale des organisations sportives, qui est incarnée par la communauté réalisée ; d’autre part, et dans une perspective plus existentielle, suivant des logiques qui président à l’entente des vies dans l’enclos du club.
Nous proposons de penser cette socialité comme non strictement confinée au communautaire, une perspective qui n’a guère retenu l’attention jusqu’ici. Autrement dit, si ces structures associatives font à l’évidence « petite société » (du côté du communautaire), elles contribuent également à «faire société», c’est-à-dire à produire de la vie démocratique et à favoriser l’inscription dans la vie publique, y compris de groupes vulnérables, à travers une expérience du monde élargie : apprentissage du répertoire des rôles, exposition publique, lutte pour la reconnaissance de pratiques peu considérées, etc.
La variété des expériences vécues collectivement au travers de la pratique sportive organisée ouvre alors à l’élaboration, par les individus engagés, d’un point de vue (« standpoint » au sens de Dorothy Smith) sur le monde social. On peut alors en déduire que ce monde associatif intervient sur la société et les rapports sociaux.
Nous soutenons une telle proposition sociologique sur la base d’une enquête ethnographique portant sur 6 clubs sportifs accueillant en Suisse romande des jeunes filles âgées de 6 à 18 ans. Ces clubs concernent deux sports distincts, le twirling bâton et le football féminin, des sports que nous avons retenus à partir d’une double perspective. En premier lieu, par le fait qu’ils sont le territoire d’engagements durables de filles issues de milieux populaires – une réalité qui infirme la plupart des données statistiques montrant année après année la persistance d’un fort taux d’abandons sportifs dans ce groupe social (Lamprecht et al, 2008). En second lieu, par le fait que ces clubs fonctionnent en dehors de la stricte règle de la production d’une élite sportive. Dans les faits, et au terme d’actions préméditées, ces clubs, en effet, ne suivent pas des procédures d’intégration et de maintien des athlètes, qui suivraient exclusivement une logique sportive de sélection et de compétition.
Les résultats acquis mettent en relief deux faits principaux. Ils permettent d’abord de retenir la validité sociologique de l’hypothèse de cohérence selon laquelle commun et social ne s’opposent pas et que les clubs de proximité constituent bien des cas de continuité et de coulisse entre ces deux échelles de l’expérience sociale et humaine. Autrement dit, si la socialité des clubs de sport de proximité est ancrée dans une vie collective de type communautaire, cette forme particulière du vivre-ensemble ne confine pas au communautaire. Ainsi ces associations s’inscrivent bel et bien dans une continuité avec le monde extérieur (Weber, 1995 ; Dewey, 2002) et nourrissent, à ce titre, une « action publique » (Ion, 2004), mais possiblement aussi une expérience politique.
Les données d’enquête démontrent encore que la socialité associative qui se construit et se développe au sein des clubs sportifs est tout à la fois, et autant, le produit du cadre que le produit de l’agentivité des jeunes filles qui y sont engagées (Malatesta, Jaccoud, Golay, 2014) –des actrices « petites » qui évoluent, on l’a dit, dans des contextes de vulnérabilité sociale et culturelle. On peut alors en déduire que les clubs exercent bel et bien une action sociale, quand bien même celle-ci s’alimente auprès de filles faiblement dotées en rentes et capitaux, et occupant de surcroît une position congrue dans l’espace sportif.
Notre travail vient donc appuyer l’hypothèse que l’appartenance à un club de loisir sportif fait médiation entre l’institution sportive et les jeunes pratiquantes. Il donne également corps à l’intuition selon laquelle de tels engagements nourrissent des fiertés, des reconnaissances, des estimes, des amours du monde et des amours de soi, et ceci en particulier au travers de l’exposition publique de vies sportives subalternes.
L’enjeu de notre propos est donc bien de revisiter la vie associative, en insistant sur ses effets et sur ses conséquences sur la société, en particulier au travers de la production d’identités sociales affirmatives qui sont en mesure de constituer des formes de réponses à la vulnérabilité.
Bibliographie
Callède J.-P. (2008), « Les loisirs en France. Essai de périodisation sociologique », In Loisirs, sports et sociétés. Regards croisés, G. Ferréol, G. Vieille-Marchiset (eds) (pp. 15-29). Franche-Comté: Presses universitaires de Franche-Comté.
Dewey J. (2002), « Démocratie et nature humaine ». Revue du Mauss, vol. 19, n°1, 113-126.
Ion J. (2004), « Personnalisation et publicisation: les formes contemporaines d’engagement », In Agir en société. Engagement et mobilisation aujourd’hui, M.-H. Soulet (ed) (pp. 65-82). Fribourg: Academic Press Fribourg.
Lamprecht M., Fischer A. et Stamm H. (2008). Rapport sur les enfants et les adolescents. Macolin : Office Fédéral du Sport (OFSPO).
Lamprecht M., Fischer A., Stamm H. (2012). Die Schweizer Sportvereine : Strukturen, Leistungen, Herausforderungen. Zurich : SEISMO.
Malatesta D., Jaccoud C., Golay D., Des publics juvéniles fabricants de cultures sportives : le cas de deux sports pratiqués en club par des filles en Suisse romande, Agora Débats/Jeunesses, no. 68, 2014 (3), pp. 113-127
Office fédéral de la statistique (2011), Le travail bénévole en Suisse : comparaisons régionales, Neuchâtel
Smith D. (2005), Institutional Ethnography. A Sociology for People. Lanham, New York, Toronto, Oxford: Rowman and Littlefield Publishers.
Weber M. (1995), Economie et société (volume 1). Paris: Plon.

Résumé en Anglais


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