Fiche Documentaire n° 3985

Titre Elaborer un dispositif de soutien à la parentalité : la tension entre accompagnement et contrôle de parents en situation de vulnérabilité et de précarité.

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Auteur(s) DINI Sarah  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Elaborer un dispositif de soutien à la parentalité : la tension entre accompagnement et contrôle de parents en situation de vulnérabilité et de précarité.

En Suisse, des structures et institutions s’occupant de familles en difficultés qualifient leur travail de « soutien à la parentalité ». Ce terme, désignant les pratiques professionnelles d’aide à la fonction parentale, permet de regrouper conceptuellement toute action ayant pour but d’aider les parents à assumer leur rôle auprès de leur(s) enfant(s) et à surmonter les difficultés qu’ils peuvent rencontrer.

Neyrand (2011) explique l’apparition du soutien à la parentalité comme la réponse à une prise de conscience sociale de l’importance et de la complexité de la tâche éducative confiée aux parents. En effet, le développement de l’enfant est tributaire de la qualité des soins et de l’affection que ce dernier reçoit de la part de ses figures d’attachement (Guédeney et Guédeney, 2010). Le lien parent-enfant apparaît dès lors comme primordial pour le bien-être de l’enfant, ce qui a pour effet, en définitive, de rejeter la responsabilité des dérives sociales aux parents. De plus, l’importante diversification des places parentales a fortement complexifié la pratique de la parentalité, définie par Houzel (1999) comme les tâches quotidiennes que les parents remplissent auprès de leur(s) enfant(s).

Il en résulte un enjeu de taille : développer des interventions permettant de renforcer les compétences parentales et de protéger les enfants de mauvais traitements. Se développent alors des pratiques de soutien visant à accompagner les parents et à travailler les liens avec l’enfant, dans une logique de valorisation des ressources parentales. Les parents en situation de précarité se retrouvent souvent au centre de ces interventions socioéducatives.

En Valais, une étude est en cours afin de faire le point sur les activités de soutien à la parentalité et de discuter de développements et ajustements à envisager. L’un des objectifs est d’évaluer la pertinence de la mise en place d’une structure permettant une centralisation des prestations et une meilleure continuité dans le suivi des parents.

Nous nous proposons de discuter des réflexions suscitées par cette étude où divers•es professionnel•le•s de la périnatalité ont été interrogé•e•s. Sera abordée la question du public cible : quelles prestations sont à proposer aux familles tout-venant et aux familles vulnérables? Faut-il éviter toute distinction pour ne pas stigmatiser des populations précaires et ne pas glisser vers des pratiques s’apparentant davantage à un contrôle des parents jugés « défaillants » ?
Une autre question soulevée sera celle du développement d'une culture de travail en réseau (Molénat, 2009), car une véritable prévention passe non seulement par une réflexion sur la posture professionnelle à adopter avec les parents, mais également sur les modalités de communication entre professionnel•le•s.


Nous aborderons ainsi les enjeux des pratiques de soutien à la parentalité pour les personnes en situation de précarité, ainsi que de la tension existant entre accompagner et contrôler les parents. Car comme le relève Sellenet (2008), la réalité des pratiques peut fortement s’éloigner de l’idéal affiché de l’accompagnement : au lieu de travailler avec les familles, on a tendance à travailler sur elles, dans une logique de prise en charge où l’on présuppose une demande des familles à résoudre un problème. Le ou la professionnel•le endosse alors une position d’expert ou de guide, ce qui va à l’encontre du principe d’empowerment visant à partager les savoirs et à aider les parents à trouver leurs propres réponses. Ainsi, le terme de « soutien » s’avère paradoxal voire même dérangeant : soutient-on la parentalité parce qu’il faut « reparentifier » des parents démissionnaires ou parce que les parents forment une communauté ayant besoin d’échanges, de partage d’expériences, de soutien mutuel et de relais (Fracheboud, 2009) ?

Bibliographie

Odier Da Cruz, L. (2009). De la mise sous tutelle à l’éducation parentale : Genève dans les années 1950. Revue de la petite enfance, 103, 17-22.
Fracheboud, M. (2009). Soutenir qui, au nom de quoi ? Le soutien à la parentalité dans les lieux d’accueil de la petite enfance. Revue de la petite enfance, 103, 34-43
Houzel, D. (1999). Les enjeux de la parentalité. Ramonville Saint-Agne : Erès
Guédeney, N., Guédeney, A., (2010). L’attachement: approche théorique. Du bébé à la personne âgée. Issy-les-Moulineaux: Masson.
Molénat, F. (2009). Prévention précoce : petit traité pour construire les liens humains. Toulouse : Erès.
Neyrand, G. (2011). Soutenir et contrôler les parents : Le dispositif de parentalité. Toulouse : Érès.
Sellenet, C. (2008). « Coopération, coéducation entre parents et professionnels de la protection de l’enfance », Vie sociale, 2(2), 15-30. DOI : 10.3917/vsoc.082.0015

Présentation des auteurs

Sarah Dini est professeure à la Haute Ecole de Travail Social, à la HES-SO Valais-Wallis, en Suisse. Elle est psychologue de formation et travaille sur les questions du développement de l'enfant et du soutien à la parentalité.

Communication complète

En Suisse, des structures et institutions s’occupant de familles en difficultés qualifient leur travail de « soutien à la parentalité ». Ce terme, désignant les pratiques professionnelles d’aide à la fonction parentale, permet de regrouper conceptuellement toute action ayant pour but d’améliorer le bien-être des enfants ou des parents, en agissant sur les compétences parentales (Hamel et Lemoine, 2012). Dans la pratique, le soutien à la parentalité reflète toutefois des actions très hétérogènes aux objectifs variés et aux méthodes diverses (Pothet, 2014). Il peut en effet tenter d’agir sur l’enfant (via un encadrement des parents), sur les parents ou sur les liens parent-enfant. La population visée est plus ou moins ciblée en fonction des problématiques que l’on souhaite traiter et l’intervention peut avoir une optique préventive et/ou curative.

Le soutien à la parentalité est la résultante à la fois d’une forte demande de parents exprimant des besoins de soutien concernant l’éducation de l’enfant et d’un volontarisme des pouvoirs publics de pallier aux carences éducatives mettant en péril le développement des individus (Hamel et Lemoine, 2012). Il peut être vu aussi comme une réponse à une prise de conscience sociale de l’importance et de la complexité de la tâche éducative confiée aux parents, suite aux importantes mutations de la sphère privée et des conditions de travail qu’ont connues les familles depuis les années 70 (Martin, 2014 ; Neyrand, 2011). En effet, la diversification des places parentales, avec l’apparition de familles monoparentales, homoparentales ou recomposées, a fortement complexifié la pratique de la parentalité, définie par Houzel (1999) comme les tâches quotidiennes que les parents remplissent auprès de leur(s) enfant(s). Par ailleurs, le divorce étant devenu monnaie courante, ce n’est plus le lien conjugal qui donne une légitimité à la famille, mais l’enfant dont l’affectivité est (re)découverte grâce aux travaux sur la pathologie de l’enfant, comme ceux de René Spitz sur l’hospitalisme ou ceux sur l’attachement et la délinquance de John Bowlby. On met alors en évidence que le développement de l’enfant est tributaire de la qualité des soins et de l’affection que ce dernier reçoit de la part de ses figures d’attachement (Guédeney et Guédeney, 2010).

C’est de cette valorisation de l’enfance et de l’importance accordée à la qualité de l’attachement sur le devenir social et relationnel des individus, que davantage de pression est mise sur les parents considérés comme responsables de l’épanouissement de leurs enfants. Les parents deviennent alors la cible, volontaire ou non, d’une grande variété de pratiques de soutien, dans une logique de double étayage : pour garantir les droits de l’enfant et le protéger de mauvais traitements, on accompagne les parents pour les aider à accompagner à leur tour leur(s) enfant(s) sur le chemin de la socialisation. Le bien-être de l’enfant est ainsi devenu une norme servant de principe de régulation des politiques publiques : « le soutien à la parentalité se développe en réponse à ce qui est identifié comme un nouveau problème public, considérant que le bien-être des enfants, les politiques éducatives et la prévention de diverses questions sociales (échec scolaire, délinquance juvénile, etc.) reposent sur l’implication active des parents » (Malochet, 2011, p.16).

L’implication active des parents est un point central dans le soutien à la parentalité, puisque l’on souhaite responsabiliser les parents et leur faire acquérir et renforcer des compétences. La posture mise en avant suit une logique éducative dite d’empowerment (ou pouvoir d’agir), où l’on vise un accompagnement de parents volontaires et une valorisation de leurs compétences, en travaillant sur l’autonomie et l’autodétermination des personnes. Cependant, les parents en situation de vulnérabilité décrits souvent comme démissionnaires ou défaillants, font plutôt l’objet d’interventions prescrites ou correctives, dans une logique de contrôle où l’on négocie ou contraint cette implication active (Hamel et Lemoine, 2012 ; Neyrand, 2014 ; Pothet, 2014). Les familles en situation de précarité font alors bien souvent l’objet d’interventions répressives et stigmatisantes, afin de les faire s’engager dans un processus d’apprentissage du rôle d’un « bon parent » et d’intériorisation de normes.

On constate ainsi qu’une tension persiste entre accompagner et contrôler les parents, surtout pour des familles en situation de précarité. Sellenet (2008) relève que la réalité des pratiques peut en effet fortement s’éloigner de l’idéal affiché de l’accompagnement : au lieu de travailler avec les familles, on a tendance à travailler sur elles, dans une logique de prise en charge où l’on cherche à résoudre un problème de la famille. Le ou la professionnel-le endosse alors une position d’expert ou de guide, au lieu de partager les savoirs et d’aider les parents à trouver leurs propres réponses. Neyrand (2013) soulève que bien que la vision du soutien à la parentalité se fasse dans une conception « citoyenne » d’accompagnement des parents –notamment par la mise en réseau des intervenant-e-s dans une optique de transparence et de collaboration– la tendance actuelle est à la psychologisation des comportements et des problèmes sociaux : on observe une logique d’individualisation des pratiques sociales et de sur-responsabilisation des individus, alors que les parents sont en réalité en co-éducation avec des professionnel-le-s (crèche, école, etc.). Pour l’auteur, le parent étant considéré comme fautif de « carence éducative », on agit dès lors principalement sur les conditions de l’éducation parentale, l’intervention étant une aide voire une punition, sans prendre en compte les caractéristiques de son environnement, les conditions de socialisation et les rapports sociaux.

Ainsi, le terme de « soutien » s’avère paradoxal voire même dérangeant : soutient-on la parentalité parce qu’il faut « reparentifier » des parents démissionnaires ou parce que les parents forment une communauté ayant besoin d’échanges, de partage d’expériences, de soutien mutuel et de relais (Fracheboud, 2009) ? Pour accompagner au mieux les parents et valoriser leurs ressources, ne faudrait-il pas répondre à leurs besoins ?
Dans le canton du Valais, en Suisse, une étude a été menée afin d’analyser quels sont les besoins et difficultés de parents d’enfants en âge préscolaire, ainsi que de faire un état des lieux de la prise en charge par les professionnel-le-s de la périnatalité et de voir quels développements et ajustements envisager à l’avenir. Pour ce faire, un questionnaire a été distribué à 296 parents et des groupes de discussion (focus groups) ont été organisés avec 25 professionnel-le-s de la périnatalité afin de discuter des besoins des parents et des pistes d’amélioration des pratiques de soutien, dans une optique de recherche-action.

Concernant les besoins des parents, professionnel-le-s et parents mettent en évidence un besoin important d’écoute et de réassurance, ainsi que de valorisation des compétences parentales, les parents recherchant des informations sur le développement et la santé de l’enfant, des conseils sur la gestion du quotidien et une validation de leurs choix éducatifs. Il ressort également un fréquent sentiment d’isolement ou de solitude du parent, dû à l’absence d’un réseau familial élargi pour des raisons diverses (migration, monoparentalité, éloignement physique pour le travail, etc.). Le besoin d’échanges avec d’autres parents ressort comme l’un des plus importants besoins pour les parents de l’étude. En Valais, ces échanges entre parents fonctionnent particulièrement bien dans les lieux d’accueil 0-5 ans, structures dédiées aux enfants entre 0 et 5 ans accompagnés d’un parent. Les principes de ces lieux sont de permettre aux enfants et à leurs parents d’être ensemble dans les jeux et les échanges, d’introduire l’enfant à la vie sociale et de l’autonomiser, de répondre aux questions des parents et des enfants, et de mettre en relation les parents entre eux ou avec d’autres professionnel-le-s pour des besoins spécifiques. Il existe également des groupes de parents organisés par des professionnel-le-s sur des thématiques, mais ces professionnel-le-s constatent que les parents qui en ont vraiment besoin ne viennent pas. Il existe enfin des blogs internet de parents, mais les professionnel-le-s déplorent un manque de supervision de leur part afin d’éviter des conseils erronés.

Cette recherche met également en évidence qu’une frange de la population, qui, sans être en situation de grande détresse et de mise en danger de l’enfant, présente des difficultés psycho-sociales (isolement social, séparation du couple durant la grossesse, mère mineure, précarité financière, etc.), ne prend pas les prestations qui ne sont pas obligatoires, par peur notamment d’être stigmatisé. Ces familles se retrouvent par la suite dans des services hospitaliers d’urgences ou alors les problèmes se cristallisent et ne sont détectés que tardivement lorsque l’enfant entre à l’école.

Se pose alors la question de comment encourager l’empowerment avec ces familles en difficultés psycho-sociales, dans une optique notamment de prévention précoce. En effet, comment faire entrer ces familles dans un processus d’accompagnement pour ensuite leur redonner le contrôle des événements qui les concernent, sans passer dans un premier temps par une logique d’évaluation des compétences et de prescriptions de pratiques parentales ? L’empowerment n’est-il pas en fin de compte un idéal à atteindre et qui nécessite, pour les familles démunies, le passage par une aide contrainte par des professionnel-le-s ? Ne peut-on pas, dans ce cadre, garder cette posture d’empowerment consistant à travailler sur les compétences au lieu des carences, et de considérer les besoins tout en comblant des ignorances et en guidant les parents dans leur rôle, sans faire pour eux mais avec eux ?

Bibliographie:
Fracheboud, M. (2009). « Soutenir qui, au nom de quoi ? Le soutien à la parentalité dans les lieux d’accueil de la petite enfance ». Revue de la petite enfance, 103, 34-43
Guédeney, N., Guédeney, A., (2010). L’attachement: approche théorique. Du bébé à la personne âgée. Issy-les-Moulineaux: Masson.
Hamel, M.-P., Lemoine, S. (2012). Aider les parents à être parents. Le soutien à la parentalité, une perspective internationale. Paris : La Documentation française.
Houzel, D. (1999). Les enjeux de la parentalité. Ramonville Saint-Agne : Erès
Malochet, V. (2011). Aide à la parentalité : Etude sur la politique de soutien aux structures porteuses de projets (2000-2010). IAU-IDF.
Martin, C. (2014) « Mais que font les parents ? ». Construction d’un problème public, dans C. Martin (dir.), « Etre un bon parent ». Une injonction contemporaine. Rennes : Presses de l’EHESP, p. 9-28.
Molénat, F. (2009). Prévention précoce : petit traité pour construire les liens humains. Toulouse : Erès.
Neyrand, G. (2011). Soutenir et contrôler les parents : Le dispositif de parentalité. Toulouse : Érès.
Neyrand, G. (2013). « Le soutien aux parents entre citoyenneté démocratique et individualisme néolibéral. Logique d'accompagnement et logique d'évaluation », Recherches familiales, 1(10), 49-56. DOI 10.3917/rf.010.0049
Pothet, J. (2014). Le Comité national de soutien à la parentalité : ethnographie de l’élaboration d’une politique publique, dans C. Martin (dir.), « Etre un bon parent ». Une injonction contemporaine. Rennes : Presses de l’EHESP, p. 109-135.
Sellenet, C. (2008). « Coopération, coéducation entre parents et professionnels de la protection de l’enfance », Vie sociale, 2(2), 15-30. DOI : 10.3917/vsoc.082.0015

Résumé en Anglais


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