Fiche Documentaire n° 3997

Titre L’initiation à la recherche comme outil de professionnalisation

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Auteur(s) JURISCH PRAZ Sarah  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

L’initiation à la recherche comme outil de professionnalisation

Comment préparer les futur•e•s professionnel•le•s à s’engager, à se positionner, à ne pas être « de simples exécutant•e•s de prescriptions institutionnelles » ? Cette question, posée par l’AIFRIS, est au cœur de ma pratique d’enseignante de méthodologie de recherche et de directrice de travaux de bachelor dans une Haute Ecole de Travail Social.
La formation de base vise à faire de nos étudiant•e•s des professionnel•le•s du travail social, que ce soit en animation socioculturelle, éducation sociale ou service social. Dans le cadre du cursus, les étudiant•e•s en travail social doivent effectuer une recherche à caractère scientifique. Or, bien souvent, cet impératif leur paraît bien éloigné de la pratique professionnelle et le sens de cette démarche semble difficile à saisir. Soulignons à ce propos qu’il leur est demandé de réfléchir sur une problématique rencontrée dans le cadre de leur pratique professionnelle, qui à ce stade de leur parcours d’études, se réduit bien souvent à un stage probatoire préalable à leur entrée en Haute Ecole Spécialisée (HES) et à une première période de formation pratique.
La qualité scientifique des recherches produites par le travail social fait débat (Gaspar & Foucart, 2012), et ce selon deux axes principaux : premièrement la question de la scientificité du travail social elle-même ; deuxièmement la question des outils et méthodes du travail social. Ainsi, s’il est communément admis que le travail social n’est pas une discipline, mais qu’il a recours à d’autres disciplines comme la sociologie, la psychologie, le droit, etc., la question du travail social comme science est moins tranchée (Verba, 2012). En outre, la critique qui est faite aux travaux de recherche en travail social repose fréquemment sur un manque de rigueur, un manque de distance, une difficulté à généraliser les résultats obtenus.
Au-delà de ces critiques, la réflexion de Rullac (2011) quant à la nature de la recherche menée en fonction des finalités poursuivies ouvre un champ de possibles dans le cadre de la formation. Plutôt que de s’enfermer dans un débat stérile sur la scientificité du travail social, il s’agit de préciser quelles finalités la recherche en travail social poursuit. Dans cette perspective, l’initiation à la recherche, dans laquelle les étudiant•e•s en travail social s’inscrivent (puisque c’est bien de cela qu’il s’agit dans une formation de base) représente à mon sens une véritable opportunité de professionnalisation pour les étudiant•e•s mêmes, futur•e•s travailleurs et travailleuses sociales, mais aussi pour le travail social de manière générale. En effet, la professionnalisation se déploie aussi bien au niveau individuel que social, voire sociétal. Elle permet de légitimer le travail social comme une profession à part entière, visible par la constitution d’un groupe professionnel reconnu, recourant à des savoirs théoriques et empiriques qui lui sont propres.
A travers mon expérience de directrice de travaux de bachelor et d’enseignante, je montrerai en quoi l’accompagnement au cours de leur travail de bachelor pousse les étudiant•e•s à développer leurs questionnements, et les encourage à dépasser le prescrit (qu’il soit scolaire ou institutionnel) pour atteindre une posture réflexive, constitutive du travail social. Je présenterai le rôle essentiel de la formation et de la posture de l’enseignant•e dans la constitution d’une certaine professionnalité, qui tienne compte à la fois de l’histoire du métier mais aussi des perspectives de la profession.

Bibliographie

Gaspar Jean-François & Foucart Jean, « Recherche et travail social : enjeux scientifiques et académiques, pratiques et professionnels. Quête de légitimité et concurrences », Pensée plurielle, 2012/2 n° 30-31, p.11-23. DOI : 10.3917/pp.030.0009
Rullac Stéphane, « De la scientificité du travail social. Quelles recherches pour quels savoirs ? », Pensée plurielle, 2011/1 n° 26, p. 111-128. DOI : 10.3917/pp.026.0111
Verba Daniel, « Une science du travail social est-elle possible ? », Pensée plurielle, 2012/2 n° 30-31, p.37-49. DOI : 10.3917/pp.030.0009

Présentation des auteurs

Adjointe scientifique, enseignante de méthodologie de recherche à la Haute Ecole de Travail Social de Sierre, Valais, Suisse, directrice de travaux de bachelor

Communication complète

Comment préparer les futur•e•s professionnel•le•s à s’engager, à se positionner, à ne pas être « de simples exécutant•e•s de prescriptions institutionnelles » ? Cette question, posée par l’AIFRIS, est au cœur de ma pratique d’enseignante de méthodologie de recherche et de directrice de travaux de bachelor dans une Haute Ecole de Travail Social.
La formation de base vise à faire de nos étudiant•e•s des professionnel•le•s du travail social. Dans le cadre du cursus, les étudiant•e•s en travail social doivent effectuer une recherche à caractère scientifique. Or, bien souvent, cet impératif leur paraît très éloigné de la pratique professionnelle et le sens de cette démarche semble difficile à saisir.
La qualité scientifique des recherches produites par le travail social fait débat (Gaspar & Foucart, 2012), et ce selon deux axes principaux : premièrement la question de la scientificité du travail social elle-même ; deuxièmement la question des outils et méthodes du travail social. Ainsi, s’il est communément admis que le travail social n’est pas une discipline, mais qu’il a recours à d’autres disciplines comme la sociologie, la psychologie, le droit, etc., la question du travail social comme science est moins tranchée (Verba, 2012). En outre, la critique qui est faite aux travaux de recherche en travail social repose fréquemment sur un manque de rigueur, un manque de distance, une difficulté à généraliser les résultats obtenus.
Au-delà de ces critiques, la réflexion de Rullac (2011) quant à la nature de la recherche menée en fonction des finalités poursuivies ouvre un champ de possibles dans le cadre de la formation. Plutôt que de s’enfermer dans un débat stérile sur la scientificité du travail social, il s’agit de préciser quelles finalités poursuit la recherche sur, pour ou en travail social et comment les professionnel•le•s peuvent utiliser les résultats de ces travaux. Premièrement, développer la recherche académique sur le travail social permet aux professionnel•le•s de comprendre le fonctionnement social et de manière indirecte d’agir sur celui-ci ; dans ce cas de figure, le travail social est le terrain d’enquête de la recherche. Deuxièmement, il est possible de soutenir le développement de la recherche pour le travail social, en alliant l’ancrage professionnel d’un côté et disciplinaire académique de l’autre ; cette deuxième option devant plutôt être considéré comme transitoire dans un processus de reconnaissance du travail social comme discipline. Enfin, le développement de la recherche appliquée en travail social, endogène, s’appuyant aussi bien sur la théorie que sur la pratique, vise à soutenir directement l’intervention des professionnel•le•s ; la question centrale dans ce cas est bien celle de la légitimité scientifique qu’on lui accorde selon les contextes de formation. (Rullac, 2011). Dans cette perspective, l’initiation à la recherche, dans laquelle les étudiant•e•s en travail social s’inscrivent représente une véritable opportunité de professionnalisation pour les étudiant•e•s mêmes, futur•e•s travailleurs et travailleuses sociales, mais aussi pour le travail social de manière générale.
Traditionnellement, la sociologie des professions distingue, voire oppose métier et profession selon la nature du savoir, le processus de formation, l’opération de travail, la nature du contrôle de l’activité, la légitimité sociale. Le métier est caractérisé par des savoirs pratiques, acquis sur le terrain, une formation courte, un travail peu intellectuel, des normes imposées de l’extérieur, une légitimité faible, alors que la profession renvoie à des savoirs théoriques ou techniques de haut niveau, acquis lors d’une formation longue et structurée, un travail plus intellectuel, une certaine autonomie et la détermination d’une déontologie propre, une légitimité élevée. (Wittorski, 2004 ; Demazières, 2012)
Ainsi, la professionnalisation, comme processus, se déploie aussi bien au niveau social, voire sociétal, qu’individuel. Au niveau social, elle permet de légitimer le travail social comme une profession à part entière, visible par la constitution d’un groupe professionnel reconnu, recourant à des savoirs théoriques et empiriques qui lui sont propres. Les référentiels de compétences, ainsi que les chartes et codes de déontologie représentent des marqueurs symboliques de cette professionnalisation du travail social. En Suisse romande, nous disposons de trois référentiels de compétences : celui de l’animation socioculturelle, celui de l’éducation sociale et celui du service social. Tous trois soulignent les contextes d’action divers et variés du travail social et la nécessité de clarifier les compétences associées à chacune des orientations. Tous trois poursuivent les mêmes finalités : renforcer la présence des professionnel•le•s dans les institutions de formation ; promouvoir et valoriser les métiers du travail social auprès du public ; permettre de se positionner et d’innover face aux enjeux auxquels le travail social est confronté. En ce sens ces référentiels visent clairement la professionnalisation du travail social en constituant et légitimant un groupe professionnel. Au niveau individuel, il s’agit d’une part d’acquérir des compétences propres à cette profession et d’endosser une identité professionnelle commune au groupe professionnel, au travers notamment des dispositifs de formation.
La Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale (HES•SO) a retenu l’alternance comme modèle professionnalisant. Comme le souligne Wittorski (2007, p. 27), « l’idée sous-jacente [à l’alternance] est bien la recherche d’une articulation forte entre le travail et la formation pour faciliter le développement des compétences et non la seule transmission de savoirs qui pourraient demeurer éloignés des situations de travail. » Il s’agit donc bien d’articulation et non pas de juxtaposition entre travail et formation, entre pratique et théorie. D’ailleurs le plan d’études cadre Bachelor 2006 de la HES•SO souligne que l’alternance dans la formation recouvre plusieurs aspects : les savoirs théoriques sont définis comme pertinents en référence aux pratiques professionnelles ; les expériences de formation pratiques sont théorisées et permettent une intégration réflexive. C’est précisément en cela que l’initiation à la recherche en travail social imposée dans le cadre de la HES•SO participe à la professionnalisation des étudiant•e•s.
En effet, dans le cadre de cette initiation à la recherche, les étudiant•e•s doivent, sur la base de leur expérience pratique, construire et mener une recherche qui soit scientifique (en termes de démarche méthodologique notamment) et qui permettent une certaine innovation dans l’intervention sociale (en questionnant la réalité sociale et en proposant des pistes d’intervention).
La méthodologie de recherche en travail social est définie par Cadière (2013) comme un processus circulaire partant d’une réalité sociale vécue par les chercheur•e•s, problématisée et investiguée, qui revient finalement sur le terrain par des propositions de changement. Lors de ce processus, l’étudiant•e apprend à décrire et déconstruire la réalité rencontrée. A travers la phase de problématisation, il analyse les enjeux du problème qu’il a repéré (en termes d’acteurs, de relations de pouvoir, de système, de légitimité, etc.). Il récolte ses propres données lui permettant de répondre à la question qu’il se pose. L’analyse, finalement, lui permet de comprendre cette réalité complexe et de proposer des pistes innovantes.
Or, mon expérience d’enseignante de méthodologie et de directrice de mémoire m’a permis d’observer la difficulté pour les étudiant•e•s de se positionner comme professionnel•le•s du travail social tout au long de ce processus. Ceci est en partie lié aux questions de scientificité de la recherche en travail social et plus particulièrement à la légitimité du travail social à produire des recherches qui lui soient propres. Une des conséquences principales que l’on observe est la tendance des étudiant•e•s à essayer de s’inscrire dans une discipline académique, souvent la psychologie qui leur semble particulièrement accessible. Afin de remplir son rôle professionnalisation auprès des étudiant•e•s, le dispositif de formation doit tenir compte de plusieurs éléments :
1. Enseigner une méthodologie de recherche en travail social permet aux étudiant•e•s d’inscrire leur questionnement dans la pratique et de sortir de la dichotomie entre théorie et pratique. En ce sens, on réalise le dispositif d’alternance aussi dans la recherche et à terme on légitime le groupe professionnel dans ses compétences de recherche.
2. La recherche en travail social ne devrait pas être comprise comme une suite de phases techniques, reproductibles à l’identique pour tout questionnement. Elle est au contraire ancrée dans une réalité particulière qu’il faut pouvoir décrire le plus précisément possible pour formaliser un questionnement. Le rôle de l’enseignant•e en méthodologie consiste aussi à montrer les variations méthodologiques possibles, dans une démarche dont les grandes lignes restent similaires.
3. L’initiation à la recherche se mène le plus souvent de manière individuelle, parfois en groupe de deux ou trois. Intégrer des moments de réflexion et d’échanges collectifs dans ce processus de recherche permet de confronter les points de vue, contribue à développer et élargir les connaissances de chacun•e, favorise la communication avec d’autres personnes qui ne sont guère spécialisées dans le domaine spécifique.
4. Le suivi, ou plus exactement l’accompagnement (tel que défini par Maela Paul) lors de cette initiation à la recherche vise à soutenir les réflexions des étudiant•e•s, leur permet de définir leurs objectifs, s’appuie sur leurs connaissances préalables, se déroule dans le temps et leur permet de dépasser leurs préjugés. L’accompagnement a ainsi une double visée pour l’étudiant•e. Premièrement, il permet d’expérimenter la confiance et la responsabilité, d’éviter de maintenir une relation de domination entre lui-même et l’enseignant•e qui détiendrait le savoir et le pouvoir. Ensuite, on peut supposer que, par cette expérimentation, devenu•e professionnel•le, elle ou il pourra agir de manière similaire avec ses client•e•s, et ainsi « éviter de reproduire les dominations qui pèsent sur [elle ou lui] » (AIFRIS)
5. Ensuite, pour la personne qui assure la direction du mémoire, la posture d’accompagnement permet d’intégrer les nouveaux questionnements auxquels sont confronté•e•s les jeunes (presque) professionnel•le•s.
L’initiation à la recherche contribue ainsi à professionnaliser les métiers du social : les savoirs (théoriques et techniques) qui y sont approfondis sont d’un niveau élevé, le travail de ces futur•e•s professionnel•le•s comprend une dimension intellectuelle importante, une autonomie accrue et une légitimité élevée. Pour autant, deux précautions sont nécessaires pour que cette professionnalisation se réalise à travers l’initiation à la recherche : l’alternance doit se développer par l’ancrage dans la réalité et l’expérience professionnelles ; l’expérience de l’autonomie s’effectue avec le soutien de la direction de mémoire, dans une relation d’accompagnement véritable.

Résumé en Anglais


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